Imitation of life

In Art, James F Coton, Macan, Movies, Porsche
Scroll this

Comme si le nouveau Macan était un fer à battre tant qu’il est chaud, James F. Coton publie, à peine une poignée de jours après le film Keep you essence, un nouveau micro-métrage mettant en scène le SUV Porsche dans un univers radicalement différent. Dans le premier opus, l’espace onirique agissait comme une station de charge injectant de l’énergie dans ce modèle encore calé dans ses starting-blocks, comme s’il nous était dévoilé les batteries étrangement vides, bagnole en puissance, engin encore virtuel qui aurait besoin qu’on l’électrocute un peu pour qu’il s’illumine à son tour ; cette seconde mise en scène plonge le Macan dans ce mouvement perpétuel qui constitue pour nous autres, humains du 21e siècle, ce qu’on appelle « la vie ».

Les rites un peu vaudou du premier film faisaient de ce Porsche une sorte de divinité située dans un au-delà un peu inaccessible, un outre-monde dont nous n’avons pas les clés. Cette fois-ci, à la façon des anciens Dieux, l’être supérieur rend visite aux simples mortels, humblement posé au milieu du bruissement de notre bas-monde comme un sage confiant dans sa propre puissance, certain de pouvoir stationner ainsi dans l’espace public sans que sa force contenue attire à lui malveillance et envie. Plutôt qu’une Tesla en mode sentinelle, présupposant une hostilité généralisée du monde imposant de mettre la rue sous surveillance privée, le Macan manifeste paisiblement sa présence, comme s’il faisait déjà partie du paysage. En une série de plans, on parvient à la situer, parqué aux alentours d’un même carrefour tantôt devant telle boutique, tantôt devant un tel immeuble. C’est le quotidien du stationnement urbain qui est mis en scène, dans un quartier où trouver un emplacement n’est pas un problème. La vie, ici, est mouvement sans inquiétude.

We came in Peace

Le Macan est posé là, accessible. On peut s’en approcher, jeter un coup d’œil à l’intérieur ou se servir de son vitrage comme miroir, s’y adosser pour s’embrasser. Autour de lui, on déambule, on promène le chien, un gamin traverse en BMX, un homme écoute sa musique à la fenêtre, à l’aplomb de son toit ouvrant ; autour de lui, quelques voitures circulent. Le SUV demeure, impassible au milieu du mouvement, comme s’il était là en témoin de la vie qui mène son train quotidien sans chercher à attirer l’attention. C’est plutôt lui qui semble attentif au mouvement, aux expériences qu’on fait à ses abords. Il semble installé là comme un scanner qui saisit au vol des morceaux de vie pour s’en imprégner. Un être venu d’un ailleurs ou d’un autre temps ferait sans doute quelque chose dans ce genre pour s’acclimater, scruter l’environnement dans lequel on l’envoie pour mieux s’y fondre. Et c’est un peu ça l’enjeu d’une telle voiture : regardant ce film le jour même où à Paris on commence à envisager de rendre la présence de ce genre de véhicule un peu plus contrainte dans l’enceinte de la ville, on fait nécessairement se percuter ces deux images au carrefour de nos neurones. On mesure mieux, alors, l’enjeu qu’il y a pour une telle automobile à se faire discrète, être attentive à la vie comme elle va pour s’y couler en douce, sans heurt et sans reproche. En effaçant de son allure tout signe extérieur d’agressivité, cette Porsche lève le drapeau blanc : elle vient en paix.

Elle ne se présente même pas comme un refuge car, à l’extérieur aucune menace ne plane. Elle serait plutôt une présence capable d’accueillir une présence. Un esprit en veille permanente, cultivant une certaine hospitalité, un esprit d’ouverture. Tout le film est une articulation entre intérieur et extérieur, regard porté sur le monde, et regards reçus des passants. Les sons entrent et sortent librement, pénétrant l’habitacle qui s’en fait la caisse de résonnance derrière le filtre du vitrage. Celui-ci est comme un épiderme perméable, entre la vie interne et le mouvement externe. Les plans ne cessent de passer à travers ces ouvertures, latérales bien sûr mais aussi zénitale, le grand toit ouvrant laissant libre cours aux glissements du regard.

Scan

Tout dans cet univers est à ce point paisible que les plans saisis depuis l’intérieur d’un restaurant, observant à travers la vitrine le Macan garé en face, ne suscitent aucune inquiétude. Ils sont l’antithèse absolue de ce spot Volkswagen dans lequel une femme doit rassurer son partenaire qui s’inquiète un peu trop pour sa Golf garée dans la rue. Ici la Porsche rassure par sa simple présence. Sa signature lumineuse, à l’arrière, témoigne de sa sereine vigilance. Tout le spot est une célébration de l’intégration dans le tissu de la vie commune, une immersion en mode « comme si de rien n’était » hors de toute polémique, de toute inquiétude. Tous les éléments de cette vie citadine sont aussi les organes d’une vie citoyenne, à l’image des strates sonores et musicales qui s’interpénètrent et font équipe pour tisser, ensemble, un faisceau berçant les tympans dans le bruissement de la vie. It’s all so quite, shhhh… shhhhhhhhh…

La perception parcellaire des sons de la vie donne l’impression d’écouter les enregistrements d’un scanner branché sur les multiples canaux des activités humaines. On a en tête deux références. Les expérimentations musicales de Robin Rimbaud, menées à partir de captations de conversations téléphoniques, de sons témoins de la vie quotidienne aussi communs que le claquement de talons aiguilles sur le sol d’un couloir carrelé, la résonnance lointaine des transports en commun. Et la façon dont, dans Cléo de 5 à 7, Agnès Varda fait planer dans les rues de Paris le regard de sa caméra, enregistrant au vol des bribes de conversations auxquelles on prête une attention vague, glissant soudain vers un second échange sur lequel on se focalise pendant qu’un autre s’approche et s’impose à son tour. A force d’être ainsi attentive au monde, la caméra de Varda réussit à faire s’inverser le processus, saisissant à son tour les regards qui se portent sur elle, brisant le mur qui sépare d’habitude le spectateur de ce qui se trouve au-delà de l’écran.

Le Réel et son double

Ici, James F. Coton réussit à provoquer un trouble similaire : le Macan est un noeud, un échangeur entre des flux d’attention convergeant vers lui. Il y a évidemment notre propre regard, il y a celui des hommes et des femmes gravitant autour du SUV, mais il y a aussi le point de vue de celui-ci, qui se comporte lui même comme un regard, une attention portée sur son environnement, une conscience en somme. Lui aussi veille sur la portion de monde qu’il occupe.

C’est une forme de conscience commune qui émerge de très-court-métrage choral. On y participe en tant que spectateur sans pouvoir la saisir tout à fait : c’est un flux de vie, comme le courant électrique impalpable qui traverse le câblage du Macan. On y plonge un instant, pris par les courants variés qui se conjuguent pour former ce mouvement général, on en ressort sans en avoir capté l’entièreté, évidemment. C’est sans doute pour cette raison que le film s’interrompt sur un mouvement laissé en suspension, comme si en balayant les fréquences de la bande Fm on entendait les haut-parleurs balancer quelques bribes de sons familiers, additionnés les uns aux autres de façon tellement serrée qu’ils reproduiraient cette impression que donne, au quotidien, la vie. Mais ce ne sont que des fragments, par nature insaisissables, instantanés évanescents, étincelles de vie aussitôt allumées, aussitôt pulvérisées en cendres flottant à peine un instant dans une atmosphère déjà passée à autre chose. La vie, peut-être pas tout à fait. Mais au moins, une bonne imitation de la vie.

Submit a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Follow by Email
Facebook0
LinkedIn
LinkedIn
Share
Instagram