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In Lancia, Ypsilon
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Faire trempette

Le comique, disait Bergson, est un effet produit par le choc entre le mouvement fluide de la vie et la rigidité des dispositifs mécaniques. Mais il suffit d’un incident minime pour tout foutre en l’air et rendre risible ce qui, l’instant d’avant, était magnifique. Le Segway qui s’effondre dans son propre élan, le bond du chat stoppé net par une baie vitrée, la ballerine qui tombe de la scène ; ou bien, dans un autre registre, le plan marketing qui se vautre devant tout le monde.

Lancia aurait pu rêver d’une nouvelle Ypsilon sortant de l’inconnu telle Ursula Andress émergeant de l’océan. C’est finalement une espèce de Pierre Richard que le monde a pu observer, hissé par une grue hors du plan d’eau dans laquelle où baignait la petite merveille, bien avant l’heure de son baptême. On ne peut imaginer une baby shower moins classe que celle à laquelle s’est livrée ce jour là la citadine transalpine, et notre attention a été ensuite davantage focalisée sur le service comm’ s’activant sur ses rames  pour redresser un cap apparemment fixé par des Monty Python ravis de faire tourner au ridicule ce qui devait sans doute prendre l’apparence d’une présentation pleine de préciosité.  

On connaît la phrase de Prévert : « Puisque ces mystères me dépassent, feignons d’en être l’organisateur ». Depuis le bain forcé de l’Ypsilon, Lancia fait mine de contrôler encore un peu un navire médiatique à la dérive. On imagine assez bien les réunions de crise de nerfs à vif, les engueulades à chaud, les colères froides. Quand on est une marque sur la nuque de laquelle plane un couperet qui attend patiemment l’heure de la chute libre, on est forcément un peu fébrile. Quand on sait que ce qu’on a à proposer au monde n’est ni exactement un retour aux sources, ni vraiment une révolution, on est conscient que vis-à-vis du public tout va se jouer dans les formes, les apparences et la mise en scène ; alors forcément, se retrouver dans une telle situation est juste une des pires choses qui puisse arriver. Mais après tout, cette péripétie remet un peu Lancia à sa place actuelle : c’est aujourd’hui un constructeur local qui propose, non sans un certain succès une antique citadine pas chère et chic à une clientèle tout aussi locale, sensible à ces deux critères. On n’est pas vraiment dans la grande industrie, pas non plus dans l’artisanat. La marque se trouve dans une zone grise, une voie de garage, oubliée au point d’avoir été sauvée par l’oubli : on n’a même pas pensé à vider le placard dans lequel elle a été remisée. Elle vend discrétos sa petite Ypsilon sur son marché national, mine de rien, ça lui permet de vivoter. Mais voilà, coincée dans la partie la moins glorieuse de son propre passé, Lancia ne peut plus se projeter.

Symbiote de marque

Il y a des formes de vie qui ne doivent leur salut qu’au fait qu’elles permettent à un parasite de prospérer. Tel est le destin de Lancia : tant que Stellantis verra en elle un mince espoir de rentabilité, la marque ne mourra pas. Mais pour cela, il faut qu’elle accepte que ses entrailles soient habitées par son symbiote. A elle de faire en sorte que ça ne se voit pas trop.

Nombreux sont ceux qui, par avance, aimeraient appeler un exorciste pour expulser le démon hors du corps de l’Ypsilon, repérant trop aisément en elle ses dessous de 208. Clone, dopplegänger, succédané, on lui reproche de n’être qu’une doublure lumière de modèles préexistants, de ne pas être suffisamment pure pour être honnête, pas assez honnête, surtout, pour être pure. Mais la pureté, en réalité, c’est la mort : si l’Ypsilon ne partageait ses dessous avec aucun autre modèle, elle n’existerait tout simplement pas. Et ce n’est pas en proposant une Stratos 2.0 que la marque peut espérer faire acte de renaissance. Si on s’amuse à comparer nos fantasmes à la réalité, la réalité perd toujours. Mais ce qui est marrant en fait, c’est qu’aucune Ypsilon n’a jamais incarné l’esprit Lancia tel qu’on le rêve. Dès lors on fait mine d’être déçu alors qu’en réalité il n’y avait aucune chance qu’on soit séduit. Pour qu’on daigne accorder le bénéfice du doute au reboot de Lancia, il faudrait qu’on nous ressuscite la Delta HF ntegrale ou la Beta HPE. Bref, rien qui soit crédible économiquement. Plus pragmatiquement, cette nouvelle citadine a un grand avantage sur nos fantasmes : elle existe, elle est là, et elle témoigne d’une forme de sortie du coma, même si, certes, on n’est pas tout à fait certain que le patient soit guéri ; ni même viable.  

Touchons deux mots de la base, mais rien que deux mots puisqu’elle est archi-connue : il y a pas mal de choses à redire de la plateforme de la 208. En électrique on n’est pas au sommet de l’efficience, ni de l’autonomie. Mais à conduire entre deux recharges, l’e-208 est tout simplement plaisante, vivante, placide quand il le faut, nerveuse quand on a envie. En fait, elle présente ce paradoxe qu’on ne retrouve pas sur une Zoé ou une e-500 : elle est parfaite pour la ville, mais elle se comporte aussi sur route comme une grande ; et c’est sans doute la raison pour laquelle on regrette qu’elle ne puisse pas pousser plus loin l’expérience entre deux bornes de recharge. Très plaisante sur départementales, elle pourrait être parfaite sur autoroute si on n’avait pas le regard rivé sur la jauge, l’esprit effaré par la rapidité à laquelle les roues absorbent les watts, croisant les doigts pour que la prochaine station soit en ordre de marche. Mais rappelons qu’absolument rien n’oblige le client à opter pour une e-208, puisque la même voiture est disponible en thermique, et même désormais hybridée. Il en ira exactement de même pour la Lancia, qu’il faut donc considérer comme une citadine apte à la circulation hors des villes. Les chiffres de ventes de l’e-208 en France montrent que si le technicien est un peu déçu par ce package, l’automobiliste trouve là, en fait, quelque chose qui semble répondre à ses attentes. La 208 est comme la 205 sa lointaine aïeule une petite voiture qui manifeste physiquement son côté « costaud ». Campée sur les mêmes proportions elles-mêmes dictées par sa plateforme, la nouvelle Ypsilon bénéficie aussi de ce double visage.

Se démarquer

Toute l’affaire se joue donc sur une question d’allure, d’apparence, de ligne en somme. Si sur ce point l’Ypsilon peut ne pas séduire immédiatement, elle fait quand même en sorte de ne pas laisser indifférent. Si le connaisseur peut reconnaître de profil le volume général du duo 208/Corsa dicté par son implantation de capot, de parebrise et de pavillon, il faut reconnaître que le travail de différenciation est plus poussé que ce qu’a pu longtemps proposer VAG, et on s’en accommodait plutôt bien. En fait, le groupe Fiat retrouve ici un exercice pratiqué à l’époque où les plateformes des berlines étaient partagées avec Saab. Il s’agit donc pour Lancia de se démarquer, et ce d’autant plus que la marque utilise ici une plateforme désormais très répandue, puisqu’elle n’est déjà plus toute jeune. C’est sans doute la raison pour laquelle ses concepteurs ont opté pour des éléments de style marquants, au point de pouvoir être considérés comme clivants.

Si on veut commencer par l’angle sous lequel un certain consensus peut s’établir, évoquons l’arrière. C’est sans doute ici que la consanguinité Stellantis peut le moins être soupçonnée. Certes, l’évocation des feux de la Stratos est une forme de blasphème envers ce modèle mythique, et la ficelle est peut-être un peu grosse. Mais comme a priori c’est pas demain la veille que Lancia sortira un reboot de la Stratos, on peut considérer qu’après tout, la marque puise dans son patrimoine pour aguicher un peu le passant qui passe. Résultat, de loin, on a l’impression de voir une Alfa-Romeo Mito, et c’est une référence un peu étrange dans la mesure où, précisément, s’il y a bien une marque dont Lancia a besoin de se démarquer, c’est sa cousine latine. Mais plus on s’approche, plus on constate que le traitement de ce regard circulaire est très différent de ce que la Mito proposait. Si on regarde ces optiques postérieures dans un plan plus large, on pense finalement plutôt à la façon dont Toyota a traité l’arrière de sa Yaris, avec un bandeau lui aussi très détaché du reste du volume de la carrosserie, qui expulse les blocs de feux hors du profil pour les dissocier et déstructurer l’ensemble. C’est le prix à payer pour se démarquer très nettement de ses cousines, et à vrai dire c’est plutôt bien joué, car cette pièce est, dans ses détails, dessinée avec un certain soin, sculptant une petite casquette au-dessus des optiques, qui évoque un becquet en aile de canard, sans en avoir du tout la fonction. Courbe à chaque extrémité, rectiligne en son centre, cette pièce donne son caractère à l’arrière, de façon presque architecturale. Elle joue aussi avec le galbe des ailes, sur lequel nous reviendrons un peu plus loin. Les horizontales assoient la voiture en l’élargissant, structurant l’arrière comme un édifice. L’œil est attiré par ce qui distingue ce modèle de ses cousines. En haut de la lunette un peu trop conventionnelle pour une Lancia (on en reparlera), on trouve une casquette qui fait furieusement penser à celle qui coiffe la 208 ; pourtant, en y regardant de plus près, on constate qu’elles sont bel et bien distinctes. Mais de toute évidence, c’est plus bas que se donne le spectacle, et celui-ci semble tout à fait bien mis en œuvre.

The Crown

A l’avant, il sera plus difficile d’obtenir un jugement unanime. A vrai dire, jusque-là personne ne semble adorer le résultat. Mais on peut tenter de se faire l’avocat de l’idée mise en œuvre ici par Lancia. On peut trouver au moins trois raisons d’apprécier ce résultat. La première, c’est qu’il n’est pas repoussant au point qu’on abandonnerait tout espoir de s’y faire. Le visage de l’Ypsilon n’est ni laid, ni disgracieux. Il est juste… curieux. Il invite dès lors à être observé davantage, histoire de se faire à sa singularité. C’est peut-être dû au fait qu’entre le style de la 208 et celui de la Corsa, l’Ypsilon semble être la synthèse entre deux façons de gérer la face avant des voitures contemporaines : la 208 recourt au double étagement des optiques, même si elle le fait en respectant un certain classicisme, alors que la Corsa est structurée de façon beaucoup plus conventionnelle encore. L’Ypsilon, elle, place ses projecteurs assez bas sur son faciès, semblant ne pas prendre en compte la hauteur de son propre capot. Dès lors, elle laisse libre un vaste espace supérieur, sur lequel les designers ont décidé de placer le nouveau signe distinctif de la marque, un ensemble en T qui constitue la signature lumineuse – il est aujourd’hui indispensable d’en avoir une- de Lancia.

Cet élément peut sembler curieux mais il présente un certain intérêt, qui constitue le second argument en faveur de cette nouvelle face avant. En jouant ici le rôle que jouent chez d’autres marques les éléments d’éclairage placés en hauteur, il se permet par la même occasion de réinterpréter ce qu’on appelait jusque là une calandre, sans mimer cet élément qui n’a aujourd’hui plus beaucoup de raison d’être, mais en le faisant évoluer vers autre chose, une forme qui conserve son rôle identitaire, sans faire semblant de devoir refroidir un bloc moteur qui n’en a pas besoin. Il se trouve que chez Lancia la calandre a toujours été un élément en évolution, ne se reproduisant pas de façon identique d’une génération à l’autre, évoluant même parfois au cours d’un facelift. Ici, la tradition est respectée sans être reproduite à l’identique : le calice, ce motif floral de bouton prêt à éclore, est repris, mais de façon radicalement nouvelle. S’il s’agit bien d’un symbole printanier de renouveau, cette façon de le faire évoluer est éminemment fidèle à la culture de la maison. Le logo lui-même change régulièrement. Symétrique en 2007, dissymétrique en 2022, de dimensions très irrégulières. Ici, il disparait des faces avant et arrière pour aller se placer sur le montant C. Dès lors, il n’y a pas vraiment de sens à regretter « la calandre Lancia » puisqu’à strictement parler il n’existe pas de « calandre Lancia ». Que cet élément évolue à ce point est encore, finalement, la meilleure façon de respecter le style de cette marque.

Enfin, et surtout, cet élément supérieur contribue à quelque chose d’assez subtil, qui n’est pas évident à gérer : même si l’Ypsilon 2024 ne peut pas prétendre être la remplaçante de l’Ypsilon actuelle (ni en taille, ni surtout en prix), elle en est cependant l’héritière. Or, depuis l’Y10 jusqu’à l’Ypsilon, en passant par la simple Y, cette lignée de modèles a su entretenir une allure résolument féminine. C’est un trait de caractère suffisamment rare pour qu’il vaille la peine d’être souligné. Refusant toute forme de frime viriliste, évitant le plus possible de rouler des mécaniques, les petites Lancia privilégiaient des formes d’une grande douceur, jusqu’à évoquer une certaine forme de gracilité, de finesse, sans doute signifiée tout particulièrement par la ligne latérale qui court le long des flancs en descendant vers l’arrière au lieu de suivre une pente ascendante comme elle le fait sur l’écrasante majorité des modèles modernes. Au lieu d’épauler le train arrière, les lignes cherchaient au contraire à l’affiner le plus possible, malgré la silhouette en deux volumes : ligne de carre en pente douce, comme une capeline flottant en arrière dans le mouvement, lunette arrière plus étroite à sa base qu’en sa partie haute, comme une taille serrée par la ceinture, une silhouette cintrée pour être un peu plus pimpante, légère et gracieuse pour sortir en ville.

Cette allure féminine[1] permet peut-être de saisir la façon dont il faut regarder cette face avant. En tout cas, je le vois comme ça, tout particulièrement de pleine face : cet élément haut est un diadème qui trône sur le front de la princesse. Un ornement qui signale en même temps sa noblesse, sa coquetterie, sans être pour autant nécessairement mièvre : on peut y voir aussi une coiffe de guerre. Pour faire simple : vous voyez Wonder Woman en tenue de combat ? Voilà, vous avez l’idée.

Un mystère plane autour des quatre empiècements qui se trouvent au centre de ce visage. On peut y voir un simple motif, une évocation stylisée des Lancia de Rallye, équipées de projecteurs longue portée, ou une évocation assez lointaine des ouvertures disposées sous la calandre, à l’avant du coupé Fulvia HF. On peut y deviner aussi des flaps actifs qui pourraient avoir un peu de sens sur une version thermique de l’Ypsilon, dans la très hypothétique hypothèse où celle-ci serait vouée à développer de plus hautes performances. Il est possible que ces éléments prennent plus de sens en présence physique de la voiture : son museau est effectivement en avant de ses phares, l’ensemble de la face avant étant cintré vers les ailes. On peut supposer qu’ils soient là pour souligner cette ligne de front, en avant de la voiture, pour qu’on la cerne mieux du regard, et qu’elle produise tout son effet sculptural dans la vraie vie.

Juppe plissée, queue de cheval, à la sortie du lycée

De profil, on peut se dire au premier abord que le lien avec les générations précédentes de petites Lancia est perdu : on ne retrouve ni l’arrière tranché net de l’Y10, ni la lunette plus étroite en bas qu’en haut (qui était une vraie spécificité Lancia, on la retrouvait sur la Delta de 1993, mais aussi sur celle qui lui a succédé), ni la longue courbe latérale qui descend vers l’arrière. Difficile de plaquer sur la structure de la 208 la gracilité qui caractérisait jusque là la lignée Ypsilon. Pourtant, les designers ont réussi quelque chose d’assez intéressant, en sculptant tout le profil de telle sorte que les rondeurs s’enroulent autour du train arrière, réinterprétant de façon nouvelle cette grande courbure qui dessinait le flanc des précédentes générations. Sur les premières photos volées du nouveau modèle on pouvait se demander s’il s’agissait d’une ombre, ou d’un reflet qui courait le long de la silhouette, mais les photos officielles confirment cet effet qui contribue à distinguer la Lancia de ses sœurs de lait. Tout en affichant un physique nettement plus musclé, elle parvient à pousser plus loin et de façon plus franche ce balancement des hanches que la 208 ne fait qu’esquisser. A vrai dire, si l’Ypsilon évoque encore la féminité, c’est sous une forme plus affirmée, plus puissante. Davantage Serena Williams que Steffi Graf ; Nicki Minaj plutôt que Kylie Minogue. Autres temps, autres mœurs, et autres normes.

Cosy fan tutte

L’aménagement intérieur peut se lire selon des codes assez proches. C’est tout particulièrement le cas du fameux tavolino qui trône au beau milieu du mobilier de bord. Elément pittoresque, il se tient comme un promontoire en plein centre de la console centrale. Le mot « calice » au-delà de sa signification florale, renvoie aussi au vase liturgique dans lequel on verse le « vin de messe ». Il y a quelque chose de cet ordre dans le tavolino de l’Ypsilon, un agencement un peu précieux dans le renfoncement duquel on va abriter le Dieu auquel cet agencement est dédié : le Smartphone, qui se tiendra là comme les hosties dans le tabernacle. Cette disposition est, de part en part, pétrie de préciosité. Et en termes de mobilier, elle semble à son tour tisser des liens avec l’art et la manière dont on conçoit volontiers l’univers féminin. Que le mot tavolino se traduise en français par table basse renvoie à l’idée du salon. Mais à strictement parler, s’il fallait désigner ce meuble dans notre propre vocabulaire, on penserait davantage à un guéridon : on ne peut pas s’y attabler, tout juste peut-on y poser un objet, qu’on manipulera du bout des doigts, la paume de la main posée en son rebord. La partie en cuir du tavolino semble dédiée à cet usage : ce n’est rien d’autre qu’un sous-main.

Cette forme ronde, dont on a la fausse impression qu’elle est fermée par un couvercle qui pourrait s’ouvrir en le soulevant, évoque les boites à fond de teint, le matériel cosmétique archétypiquement féminin. Et par extension, cette petite table pourrait tout à fait être considérée comme une coiffeuse à laquelle ne manque même pas le miroir puisqu’elle se situe exactement à l’aplomb du rétroviseur. Il est difficile de déterminer sur les photographies si ce meuble s’intègre bien, ou pas, dans cet intérieur. On peine à s’en figurer les dimensions et les proportions. Parce que si sa forme fait penser à une boite de crème Nivéa, son diamètre l’apparente plus à un disque vinyl. Et c’est cette duplicité qui sauve ce meuble du ridicule précieux : on peut le voir aussi comme une platine. A vrai dire, tout se jouera sur le rendu des matériaux. Jusque-là, les photos ne sont pas très rassurantes sur ce point mais il faut toujours attendre les modèles réellement produits pour pouvoir en juger. Indéniablement, cette table d’appoint distingue cet intérieur des habitacles proposés par la concurrence. Evidemment, le risque, c’est qu’elle puisse voler la vedette au reste de l’agencement. Il faut dire que, par ailleurs, la Lancia est intérieurement bien plus conventionnelle. On retrouve l’agencement structuré autour de dalles numériques placées sur des plans différents, comme sur la 208, à ceci près qu’ici une pièce en plastique noir fait en sorte de constituer une continuité entre ces deux écrans. Ici, il n’y a rien de révolutionnaire. Et la présence, très visible, de l’unité de contrôle vocal intitulée SALA, ne sert qu’à surligner pour les gogos des fonctions déjà présentes chez les autres marques : on peut commander le son, les ambiances sonores intérieures, à la voix. Autant dire que ça ne va pas bouleverser l’usage qu’on va faire de la petite Ypsilon.

Plus intéressante est la façon dont sont traitées les bouches d’aération centrales, très étirées sur leur propre longueur, ce qui étend visuellement la partie centrale de la planche de bord, et la fait paraître plus large, comme si on se trouvait dans une voiture plus grande. De la même façon, les ouïes latérales sont traitées de façon assez soignée, même si ergonomiquement, placer leur réglage à gauche de l’ouïe de droite, et à droite de l’ouïe de gauche, empêche un peu de les positionner de façon efficace, la main cachant le flux d’air au moment d’effectuer le réglage. Les empiècements en couleur contrastées joignant la planche de bord et la partie antérieure des contreportes permettent d’obtenir un joli effet de continuité, de sorte qu’ici encore cet habitacle semble être plus grand qu’il n’est. Il faudra aussi examiner de plus près comment les éclairages d’ambiance mettent en valeur le travail géométrique effectué sur cet intérieur. Les sièges, enfin, sur cette finition Cassina, font étrangement penser à ceux du concept E-Legend de Peugeot, par leur texture imitant le velours, mais aussi par leur couleur. On pourrait regretter ce petit plagiat mais, de fait, l’E-Legend restera lettre morte chez le constructeur français, il n’est pas absurde qu’un peu de dialogue se tisse entre les marques du groupe Stellantis et que des éléments de style puissent faire écho les unes aux autres dans un intéressant exercice d’intertextualité.

Enfin, sur les formes générales, on est curieux de voir ce que donnera cet intérieur sans le guéridon qui semble ne pas être destiné à orner les modèles des autres finitions. Quelque chose nous dit que l’impression d’espace sera plus prononcée encore, la poutre centrale pouvant alors se déployer loin en avant sous la planche de bord.

Reste à savoir quel soin sera apporté à la construction et à l’assemblage de cet ensemble aux formes relativement complexes. De toute évidence, l’Ypsilon sera chère. Ca fait longtemps qu’on sait qu’un prix élevé peut être parfois considéré comme un argument de vente. Mais il faut pour cela qu’il y ait quelque chose derrière la valeur marchande, une image, une aura, une réputation par exemple – et tout cela fait défaut à l’Ypsilon – ou bien une qualité spécifique. Pour le moment, les photos montrent des modèles sur lesquels on peut repérer, sans approfondir beaucoup l’examen visuel, une finition un peu aléatoire. Il faut se garder de tirer des conclusions hâtives, car on est encore sur des modèles de pré-production. Mais il sera nécessaire que le rendu final soit un peu à la hauteur de la prétention financière qu’affiche cette nouvelle Lancia, et que la qualité de ses détails soit au diapason de son allure générale.

Gender Trouble

Plus largement, cette Ypsilon est l’occasion de se demander quelle peut être la place de Lancia au sein de la constellation Stellantis. Sans même évoquer la question des investissement nécessaires pour faire exister la marque à travers une gamme, on peut se demander quel créneau elle peut occuper, qui ne soit ni celui de Peugeot, ni celui de DS, à supposer que cette dernière occupe réellement la niche à laquelle elle prétend. En choisissant comme pierre angulaire l’Ypsilon, Lancia semble déclarer qu’à terme, la marque est censée développer une gamme entière, structurée de façon assez classique : citadine, compacte, familiale vouée à proposer, de génération en génération, des remplaçantes. Est-ce vraiment pertinent ? De l’histoire de cette marque, n’aurait-on pas plutôt tendance à se souvenir de one-shots, d’audaces qui ne durèrent qu’une saison, sans connaître de remplacement ? Le break de chasse HPE : tellement unique qu’il ne généra aucun genre au sein de la marque, et ne fut pas remplacé. La Delta, remplacée certes, mais par des modèles qui avaient perdu ce feu sacré que la marque avait tenu en mains le temps de la première génération. Les coupés des années 60 et 70, sans véritable descendance. La Stratos, tellement singulière que rien ne pourrait la remplacer. Ce constructeur n’est pas marqué, culturellement, par la tendance à renouveler les exploits qu’il a déjà connus. Il a plutôt eu le talent de réussir en proposant ce qu’on n’attendait pas. A vrai dire, jusque-là, DS semblait avoir repris ce flambeau : la DS3, première du nom, fut une réussite sans lendemain, comme la DS5. Il est peu probable que la DS9 donne lieu à une seconde berline fondée sur les mêmes fondamentaux. Il ne serait pas absurde qu’une ou deux marques, au sein du groupe, aient comme mission de charger des missions spéciales, explorant des pistes pas encore investies, laissant leur chance aux idées de génie, aux expériences pas forcément gagnées d’avance. Ce qu’on craint à vrai dire, c’est qu’on ait comme ambition de faire de Lancia une marque comme les autres, alors que finalement ce qui semblerait plutôt intéressant, c’est d’assumer le côté « je disparais un moment », pour proposer une histoire un peu discontinue, un fil plus difficile à suivre, qui entretiendrait le désir plutôt que le satisfaire immédiatement, et exploiterait les plateformes Stellantis selon des axes moins évidents que ce qu’en font les constructeurs généralistes du groupe.

L’Ypsilon est un premier essai de singularité formelle. Il faudra à l’avenir que Lancia soit capable de s’affranchir davantage des modèles classiques, de la définition habituelle de ce qu’on appelle une gamme. La citadine Lancia doit être envisagée comme une première étape dans une oeuvre à plus long terme consistant, mine de rien, à subvertir les conventions installées, à remettre en question les normes, à participer à ce vaste projet consistant à installer, par la force de la création, par le jeu avec les codes, ce qu’on peut déjà discerner dans cette première génération d’une nouvelle ère de la marque : un trouble dans le genre.


En guise de conclusion, comme presque toujours, une vidéo. Le film de présentation de l’Ypsilon joue pleinement sur l’ambivalence stylistique qu’entretient ce modèle entre le monde automobile, et l’univers architectural : la voiture y est présentée comme une maison dont les qualités sont précisément celles que la marque souhaite mettre en avant : le silence, la mise en lumière, et la qualité de l’ameublement. En somme : l’Ypsilon n’est presque plus une voiture, ou du moins pas avant tout une voiture. C’est un chez-soi qui a la capacité à se déplacer d’un point à un autre. On conçoit que pour ceux qui ont en mémoire les exploits de la marque en rallye, une telle orientation soit un peu désespérante. Et sans doute l’est-elle d’autant plus qu’elle est dans l’air du temps : c’est en réalité le monde automobile dans son ensemble qui s’oriente dans cette direction, moins mécanique, plus domestique. Ce film met en scène la façon dont le travail de concessionnaire s’apparente, de plus en plus, à celui d’agent immobilier. Dans le cadre de cet objectif, nous verrons si l’Ypsilon est une réussite. Au regard de ce que fut l’automobile au cours de son histoire, et de la façon singulière dont Lancia participa à cette histoire, on peut comprendre que nombreux soient ceux qui ne voient dans cette renaissance qu’une façon un peu déguisée de mourir.


[1] Ce n’est pas qu’on soit inconditionnel de ce genre de stéréotypes de genre : ces assimilations au masculin et au féminin sont des normes un peu caricaturales et une façon d’ancrer des dispositions naturelles que la culture devrait dépasser et troubler, au lieu de les entériner. Mais de fait, ces représentations existent. Et si on compte les subvertir, mieux vaut les connaître puisque, de fait, elles existent. Notons d’autre part que ces conventions ne sont pas nécessairement péjoratives, d’abord parce que le féminin n’a rien de « moins » que le masculin. D’autre part parce que d’autres marques, prestigieuses, jouent sur ces codes elles aussi. Mercedes par exemple, développe des courbes analogues, même si celles-ci se déploient sur des dimensions autrement plus généreuses. Rolls Royce le fait aussi à sa façon.

4 Comments

  1. petites notations:
    des phares comme cela, sorte d’yeux d’huile d’olive dans la soupe qui se mettent un peu n’importe où, ça me fait penser à une autre Lancia, la grosse des années 2000, la Thesis, dernière « vraie » grande Lancia avant la Chrysler 300 rebadgée! Carrément tiré par les cheveux (dans la soupe aussi!) mais j’assume.

    Je trouve que le côté Mito de l’arrière, est également relayé par la sorte d’arche avec les retours de carrosserie et verre qui entourent la lunette, comme sur la petite Alfa. Lancia aurait pu lisser et intégrer le béquet, au contraire il l’a décalé et isolé vers l’intérieur, pour bien souligner l’arche complète.

    Globalement, cette face avant , dans ses quelques lignes directrices, aurait très bien pu être l’axe de remplacement de la C3, dont on sait maintenant qu’elle a pris une toute autre direction, notamment, ceci entrainant un peu le reste, à cause d’un logo plat très différent du précédent. Les chevrons auraient pu prendre cette voie géométrique, toujours surlignés mais éclairés, et bien sùr ces phares décalés dans le bouclier. Et finalement, pourquoi pas, ces feux arrière seraient aussi une suite possible aux quasi ronds de la C3 actuelle. Assez nettement plus racée que la Citroen, mais ces ingrédients auraient pu constituer une suite possible. Elle aurait trop ressemblé à la 208? Ah bon, comme si ça ne s’était jamais produit chez les « clones » PSA!

    Quant à la boite ronde, si c’est une coiffeuse ou un guéridon, c’est bien une Lancia, mais si c’est un mange disque, dans l’idée, avec des stries de faux hp, c’est plus Citroen!

  2. Je ne sais pas si on a tous une période pendant laquelle les voitures, et notamment les nouveautés auto ont un relief particulier. Au delà de l’excitation de la découverte, une sorte d’émotion très puissante. Personnellement, je n’ai plus du tout aucune émotion en voyant les nouveautés, et depuis longtemps, par contre une certaine excitation persiste d’année en année, et ne s’éteint jamais. L’émotion, totalement ! Comme une fenêtre de tir, après l’adolescence pour moi, vers 25 ans, et qui correspond donc à la fin des années 80. Epoque où j’allais en train régulièrement à Paris et y lisais Auto Plus, acheté avec gourmandise au relai H de St Quentin (Aisne).
    Bon tout ça pour te dire, que ça a correspondu, puisque le sujet est sur Lancia à une forte émotion quand j’y ai découvert, et c’est celle là dont je me souviens le mieux, de la nouvelle Dedra (première du nom, la 2eme m’a indifféré), classique pourtant et qui m’est apparue entre Villers Cotterêt et Paris peut être, comme d’une modernité incroyablement attirante! Emotion et plaisir très forts de découvrir les photos officielles de cette voiture, mais également d’autres à la même époque, la sublime Tipo, la Tempra, l’Alfa 147. Mais la Dedra, pourtant si fade aujourd’hui, mais aussi subtilement avec ses feux arrière non alignés, m’a fait un sacré effet!
    Ce moment émotionnel, peut être en rapport avec ma psychanalyse qui me faisait prendre le train, s’est estompé ensuite. Est ce le cas pour tout le monde? Mystère….Mon frère, je sais qu’il alterne plaisir auto et dégoùt, mais sans savoir s’il a connu cette émotion là…
    Un peu aussi pour dire, que la nouvelle R5, aujourd’hui, me procure un grand plaisir et une certaine excitation au moment de sa sortie officielle, mais strictement aucune émotion. Tout cela est terminé pour moi! Et la Ypsilon, malheureusement absolument rien !

    https://www.autoencyclopedie.com/lancia-dedra-1989-1999.html

    • C’est étonnant, comment nos cultures automobiles se croisent.

      Il se trouve que, fraichement détenteur du permis, je me suis retrouvé animateur d’une colonie de vacances de la gendarmerie, dont le directeur était l’heureux propriétaire d’une Lancia Dedra flambant neuve. Nous nous connaissions déjà : j’avais déjà travaillé sous sa responsabilité, alors qu’il roulait dans une Fiat Ritmo Abarth dans laquelle j’avais eu l’occasion de rouler, sur une bonne descente de col dans les Alpes, en passager arrière. Entre les deux modèles, donc, j’étais devenu majeur, il s’était embourgeoisé, et j’avais le permis.
      Il se trouve qu’il m’avait à la bonne, et qu’il cherchait un peu à me séduire je pense. Du coup, le matin de mon premier jour de repos, il me demande au p’tit déj’ ce que je vais faire de ma journée, et comme on était un peu coincé sur le lieu du séjour, je lui dis que je vais sans doute marcher un peu, et lire. Mais lui me lance, si tu veux, je te passe les clés, et tu vas te promener. Autant dire que je ne me suis pas fait prier. Et c’est ainsi que j’ai pu passer une petite journée au volant de ce modèle, avec son intérieur boisé, son toit ouvrant, son format de berline de dimensions contenue. J’aimais bien son style un peu ramassé, ses feux en effet un poil décalés, ce qui changeait du côté très rectiligne de la Prisma qu’elle remplaçait. Et puis à l’époque, la Delta MK2 n’existait pas encore, c’était la seule Lancia qui avait l’air un peu moderne puisque même la Thema avait quelques années dans le dos. Avec mon permis tout neuf, je pense qu’il n’est pas impossible que j’aie un tout petit peu frimé. Je pense que les voitures qu’entre nous et les voitures qu’on a conduites se crée un lien qui ne prend pas fin au moment où on les verrouille à distance. Elles nous nourrissent au-delà du temps qu’on a partagées avec elles.
      Merci, du coup, d’avoir réactivé cette mémoire pas tout à fait morte !

  3. alors ça c’est inattendu! On a quelques années d’écart, donc toi c’est plutôt vers 18 ans que tu l’as découverte, avec peut être plus d’excitation que d’émotion. Pour moi ça a je pense vraiment représenté l’irruption éclatante, et pourtant assez discrète de la modernité. En effet suite à une Prisma si classique. La torsion de son montant C qui rejoint sans cassure l’aile arrière est un des éléments qu’a trouvé IDEA pour la rendre si moderne. Une chance d’avoir pu rouler avec à peine sortie et croiser quelques regards envieux!
    Quelques années après, j’ai acheté ma seule berline 3 volumes, la Priméra , à la fois plus récente donc mais moins moderne finalement, peut être parce que moins chère que la Dedra…et aussi le charme du vendeur Nissan près de chez moi !

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