A la Guerre comme à la guerre

In Jeep
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On l’oublie facilement parce que l’histoire ne retient que les événements, mais y compris lors des périodes les plus sombres, les êtres humains de cette planète continuent de se lever le matin si le soleil fait encore de même, de prendre une douche si l’eau chaude coule encore un peu, de se prendre un café si on trouve encore dans les magasins quelques paquets importés d’ailleurs, et si l’électricité ou le gaz n’ont pas encore été coupés, et prennent leur voiture, si dehors le risque de se voir à travers le toit panoramique un engin explosif quelconque tomber du ciel, ou d’être pris dans un échange de tirs, n’est pas trop élevé, pour aller au boulot, faire un saut à la salle de sport, conduire les enfants à l’école, se rendre au centre commercial pour y faire quelques achats, ou en forêt pour prendre un peu l’air et se mettre à distance des fils d’information un peu anxiogènes.

Et c’est pour cette raison que, comme si de rien n’était, hier, Stellantis présentait, par la voix de son patron, Carlos Tavares, ses plans pour un futur largement marqué par la fée électricité et l’abandon progressif du moteur à explosion. C’est que, guerre mondiale ou pas, et même si les préoccupations écologiques passent, soudain, à un plan dont on ne sait même pas où il se situe dans les profondeurs du classement, les directives européennes demeurent les mêmes : à terme, tout ce qui comporte un réservoir à carburant sera banni des concessions. Et chaque constructeur s’active pour avoir quelque chose à proposer sur le marché européen, croisant les doigts pour que celui-ci ne soit pas, dans dix ans, un vaste champ de ruines, ou un territoire balayé, selon la force et la direction des vents, par des vents radioactifs tout droit venus de Tchernobyl.

Evidemment, parmi les marques du groupe Stellantis, certaines donnent quelques soucis quant à leur avenir. Que devient Dodge si cette marque, comme les autres, doit devenir raisonnable ? Quels modèles pourra proposer le constructeur d’Auburn Hills si l’excès n’est plus autorisé ? Quelles seront les valeurs et les orientations de cette marque à l’horizon 2040 ? A vrai dire, on n’en sait actuellement rien. Autre marque dont on sent bien que, malgré ses efforts pour insuffler un peu de flux électrique dans ses modèles électriques, elle va avoir du mal à se trouver un second souffle écolo, la marque de Toledo, Jeep, dont on se doute bien qu’elle ne cadre pas tout à fait avec les exigences de respect de la nature, d’une part parce que la majeure partie des voitures qu’elle propose permet, justement, d’aller mettre ses gros pneus un peu partout dans la nature, et d’autre part parce qu’on se doute bien que, même sans batteries dans le soubassement, les modèles Jeep ne sont pas tout à fait des ballerines aux pieds légers, et que la consommation d’énergie nécessaire pour déplacer ce matériel est incompatible avec les objectifs de l’humanité en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Mais Stellantis a la solution : vendre au client autre chose qu’une vraie Jeep, sans qu’il ait l’impression de se faire avoir. A vrai dire, ce n’est pas vraiment une nouveauté : avec ses dessous de Fiat 500X, la Renegade n’a pas vraiment grand chose d’une Jeep, si ce n’est l’allure de sa face avant et un look général qui surjoue le côté « petit véhicule de guérilla urbaine ». Rien, en tout cas, qui permettrait d’aller crapahuter en montagne, ou de franchir une rivière à gué. Mais peu importe finalement : ça a l’air costaud comme une Jeep, ça a l’air de pouvoir franchir quelques obstacles comme une Jeep, ça a l’allure d’une Jeep, ça a le goût et la couleur d’une Jeep et, sur le papier c’en est une mais voila, ça n’est pas une Jeep. Qu’importe l’ivresse, pourvu qu’on ait le flacon.

Mais la plateforme small-wide 4×4 de Fiat ne permettra pas à Jeep d’entrer dans les critères de sélection à venir. Il fallait donc trouver un autre produit qu’on puisse faire passer pour une Jeep au client qui veut l’apparence plus que le fond. Et c’est cette solution qui a été présentée hier, avec deux visualisations d’un SUV Jeep fondé sur le Peugeot 2008. Qui se lancerait dans un fossé réclamant, pour s’en extraire, un sévère croisement de pont avec une 2008 ? Personne je pense. Donc, il est assez probable qu’on puisse voir, à l’avenir, quelques Jeep fondées sur cette plateforme se faire humilier sur une montée de col par des Fiat Panda autrement mieux prévues pour se déplacer sur sol glissant. Mais après tout, Jeep ne peut pas vivre en ne vendant que ce que la marque sait véritablement faire. Et même si elle se permet un petit succès en Amérique du Nord ces temps ci, en vendant des Wrangler hybrides comme des petits pains, on se doute bien que ce n’est pas encore sur ce type de vente que la marque peut faire un maximum de marge. En revanche, en proposant aux clients urbains un engin techniquement simple, donc pas coûteux en développement, sur lequel la totalité de l’effort de conception s’est concentré sur le look, il est possible que la marque fasse un choix peu glorieux, mais efficace.

Car pour ce qu’on en voit sur ces deux illustrations, l’exercice de style est plutôt réussi. De l’avant, on reconnaît immédiatement une Jeep et, à vrai dire, ça ne ressemble pas à un mensonge : ce SUV ne singe pas la Wrangler, il s’identifie plutôt aux modèles familiaux et confortables de la gamme. La calandre est là, inutile mais nécessaire, sans sur-accentuation. Tout en intégrant des optiques évoquant les Cherokee ou le Compass contemporains, le visage de ce nouveau modèle est encadré par un profil plus arrondi qui permet de faire tomber le capot sur la calandre, tout en évoquant, presque subliminalement la Wrangler. Cette façon de faire, qu’on n’avait pas encore vue chez Jeep, semble assez jolie telle qu’on nous la montre sur ces visualisations.

A vrai dire, ce modèle Jeep, quand bien même il est présenté comme la première Jeep électrique, n’a pas l’allure d’un véhicule dépourvu de moteur thermique. Peugeot a décidé de glisser l’électricité dans des plateformes qui ne sont pas dédiées à ce mode de propulsion du coup, comme la 2008, la Jeep affiche un compartiment moteur nettement délimité, à l’ancienne. Plus étonnant, si elle annonce clairement son appartenance de marque, elle est aussi repérable comme un modèle Stellantis, et fait penser à une Opel. Sa teinte joue peut être un rôle dans cette impression : le contraste entre la peinture jaune et les éléments noirs rappelle un peu le style Opel, tout comme le montant C dessiné en aileron de requin venant supporter le toit, signature stylistique souvent mise en oeuvre chez le cousin allemand (détail que ne reprend pas, pourtant, le Mokka).



Si le volume arrière fait un peu penser au Renault Captur, on remarque aussi des optiques qui, tout en reprenant le motif en croix du Renegade, intègre aussi ces éléments qui font penser à la Citroën C3-Aircross : des optiques fixes solidaires des ailes, prolongées par un relief noir sur la porte de coffre. L’ensemble est simple, il paraît robuste, il n’est pas repérable, a priori, comme un clone de la 2008, deDS3 CB ou d’Opel Mokka. Il développe son univers propre, et semble promettre des sensations et expériences spécifiques, conformes à la distribution des rôles dévoilée hier lors de la conférence de presse menée par Carlos Tavares : à Jeep de développer la valeur de Liberté (Freedom, en V.O.). Et ma foi, le fait de proposer un véhicule paraissant plus costaud que le Renegade, avec une surface vitrée plus réduite, des panneaux de carrosserie plus musclés, des reliefs qu’on qualifiera, selon les stéréotypes de genre actuels, comme virils contribue à permettre à cette baby Jeep de jouer ce rôle, quand bien même ses dessous ne permettront pas une liberté plus grande que ce à quoi a droit une DS3 CB, par exemple. Et si la liberté électrique se mesure à l’autonomie, autant dire que selon les données techniques actuelles, c’est une liberté que le conducteur surveillera un peu du coin de l’oeil, rivé sur la jauge de la batterie, que Jeep va vendre à ses clients.

On se souvient que Batman V Superman, Dawn of Justice, s’ouvrait sur une scène au cours de laquelle Bruce Wayne observait depuis une Jeep Renegade le combat de Superman avec ses cousins de sang ambitionnant de grignoter la Terre et les habitants qui vont avec. On était à moitié convaincu par ce choix automobile qui semblait cadrer davantage avec la logique du placement de produit sur l’écran qu’avec le sens général du scénario et la caractérisation du personnage. Mine de rien, le premier modèle pleinement électrique de Jeep, dans des peintures de combat un peu plus sombres, semblerait mieux à sa place dans le casting d’un nouvel épisode de Batman du même genre, sous la direction de Zack Snyder.

Mais voila : entre temps, le monde a changé. Sur la Terre, on se rend compte que la vengeance politique est un plat qui se mange à la même température que la guerre. La froideur métallique des armes remet à plus tard le retour au fameux Monde d’avant, dont on se dit, à force, qu’on en oubliera l’existence avant même qu’il puisse revenir. Sur les écrans, Matt Reeves a remplacé Zack Snyder, Robert Pattinson a pris le relai de Ben Affleck. Tout est devenu soudain beaucoup plus sombre, dangereux, potentiellement maléfique.

Mine de rien, qu’est-ce qu’une Jeep ? C’est l’héritière d’une lignée de véhicules de franchissement née sur les champs de bataille. Le modèle dévoilé hier, avec son capot noir mat, son regard un peu intimidant, singe tout de même un peu une allure martiale, reprenant le look qu’ont les engins envoyés sur le théâtre des opérations dans les films. Aujourd’hui, les modèles vendus par cette marque font semblant de faire la guerre comme des enfants mettent leurs mains en forme de revolver pour faire mine de se tirer dessus. Pendant des décennies, on a vu des combats se mener dans le monde, souvent sous forme de guérillas, avec des combattants se déplaçant, AK-47 en bandoulière, dans les bennes de Toyota Hilux qui sont devenus, depuis, une des images possibles du véhicule de guerre. Entre temps, Hummer a pris position sur le marché des bagnoles issues des scènes de guerre telles que l’histoire récente en a connues, en réalité comme en fiction. S’ouvre une nouvelle période, durant laquelle la guerre va nous concerner un peu plus. Soit parce que la situation actuelle va dégénérer, ce qu’on ne peut pas exclure dans la mesure où tout ce qu’on avait exclu a tendance à se réaliser, soit parce que le conflit qui s’ouvre va nous toucher économiquement, industriellement, et qu’on va peut-être devoir envisager, tout bêtement, de ne pas changer de voiture dans un futur proche, de rationner l’essence, peut-être aussi l’électricité. De cette période difficile émergeront des propositions automobiles nouvelles, répondant aux contraintes de ce temps, aux difficultés d’approvisionnement en matières premières, en composants électroniques. Et vous savez quoi ? Quelque chose me dit qu’il en sortira davantage de Citroën Ami que de 2008 déguisées en Jeep.

Il y a deux risques en fait, pour ce genre de modèle. Le premier, c’est que tout ce qui mime, de près ou de loin, une ambiance guerrière puisse sembler un peu honteux, un peu déplacé alors que sur le sol européen un pays est attaqué, en bonne et due forme, par un autre et que des populations civiles en sont à vivre pour de bon la guerre, et pas à se faire croire qu’ils la vivent. Le second, et c’est peut-être le plus dangereux à tout point de vue, c’est que cette baby Jeep se soit, tout simplement, trompée de guerre.

6 Comments

  1. Analyse intéressante, comme toujours, mais je ne pense pas que Stellantis se trompe de guerre ou prenne beaucoup de risques. Pour la profusion d’AMI & co, il faudra repasser ultérieurement; pas exclu, du tout, qu’on y arrive, mais il y a encore le temps avant ça… Ce Jeep est petit, donc pas très cher, a une sacrée belle petite gueule et bien sur c’est un « essuvésuréquipé », donc à mon avis c’est carton plein.
    Comme tu le dis, et c’est la devise de l’époque: qu’importe l’ivresse pourvu qu’on ait le flacon !
    (Ca m’a bien fait sourire celle-là, il ne se passe jamais longtemps sans que je la sorte aussi..;) )

    • A vrai dire, je pense que la proposition Jeep, dans le marché actuel, a du sens, dans la mesure où de tels modèles sont attendus, et se vendent. Mais j’espère simplement qu’on passe à autre chose. Il y a quelque chose d’un peu indécent à vouloir rouler dans des engins inspirés de véhicules militaires (même si c’est de façon lointaine), alors que l’époque est à la réapparition de la guerre réelle, y compris parmi les peuples susceptibles d’acheter ce genre d’engins. C’est un phénomène proche des processus de réappropriation culturelle qui posent, parfois un petit problème éthique. Mais je pense que le marché demeurera friand de ce genre de produit, même si je le déplore un peu (et je me mets dans le sac : en réalité, j’aime bien ça !)

  2. C’est mignon, certes, mais si on masque la calandre, difficile de deviner une Jeep. Les choses doivent évoluer, mais Jeep est quand même un nom quasi générique pour la plupart des gens, c’est dommage de ne pas capitaliser la dessus. Ce baby Jeep va surtout se croiser dans les beaux quartiers, n’en doutons pas.

    • C’est le problème des synergies de groupe, elles conduisent certaines marques à diluer un peu leur image de marque pour demeurer rentables et coller aux exigences du marché. D’une certaine façon, Stellantis capitalise sur le nom, mais pas sur la marque elle-même, et son savoir-faire.

      Hier, j’avais une remarque, sur un réseau social, à propos du fait que j’ironisais sur les capacités de franchissement du Renegade (j’en parle au masculin, puisque la même personne me faisait remarquer que LE Renegade est un garçon). Je me dis que, forcément, en version 4×4, on a sans doute un véhicule qui permet de rouler l’hiver en moyenne montagne. Mais ça n’a quand même absolument rien à voir avec l’artillerie off-road que peut dégainer cette marque quand elle veut vraiment proposer des engins de franchissement. Le problème, encore une fois, vient du client : il veut une Jeep, et peu importe si sous le logo, ce qu’il achète est finalement une Fiat (et là encore, ce n’est pas une question de qualité, ce n’est juste pas la même chose).

  3. Je n’arrive pas à coller le lien dans le champs de commentaire, mais on trouve sur le site de Clubic un article parlant d’une annonce de Stellantis sur le bruit « inimaginable » que fera la prochaine Challenger électrique!

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