Cinq sur Cinq

In Gilles Vidal, R5, Renault
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La Voiture à revivre

Tels Scottie dans Vertigo, ou Fred Madison dans Lost Highway, il nous est parfois donné de retrouver post mortem nos amours passées, quand soudain nous faisons l’étrange expérience de les croiser de nouveau dans le monde des vivants. Est-ce bien l’être jadis adoré ? S’agit-il de sorcellerie, ou d’une arnaque ? Est-on à ce point dévasté par le désespoir qu’on en vient, façon Ghost, 6th Sens ou All of us unknown, à être hanté par la présence physique des grands absents de nos existences, façon « retour de l’être aimé » ?

Ou est-ce que des esprits malveillants jouent sur les cordes de notre propre nostalgie comme un musicien de rue ferait glisser son archet sur le métal de sa scie, histoire de faire couiner en nous la mémoire enfouie de nos amours de jeunesse ? On nous a fait le coup tellement souvent. On a déjà croisé la Beetle, puis la 500, en pensant vraiment les voir réincarnées là, sous nos yeux. On s’en est approché, on a reconnu leur corps comme réinvesti d’une nouvelle jeunesse, encore humide de leur bain dans la fontaine de jouvence. On leur a tourné autour, mi séduit, mi dubitatif, flairant le subterfuge, et on y a vraiment cru un instant avant de commettre le fatidique geste consistant à ouvrir leur capot, à l’arrière, histoire d’admirer la façon dont les ingénieurs avaient bien pu glisser là un moteur destiné à mettre en branle le train arrière. Certains coffres ont quand on les ouvre des allures de pot-aux-roses : l’espace était vide. Au-delà du train avant, vide mécanique total. La forme était un leurre, l’apparence était un appât destiné à réveiller en nous de vieux élans, des sentiments qu’on avait soigneusement rangés dans le tiroir des affaires classées, une urne funéraire posée sur la cheminée de nos regrets, âtre décidément éteint, foyer froid comme le repos éternel. Certaines réminiscences ne sont en fait que la promesse d’espoirs déçus.

Et puis, de temps en temps, l’étincelle réveille ce fameux volcan qu’on croyait trop vieux. On avait longtemps pensé que le format berlinette appartenait à un passé aussi mystérieusement impénétrable que la chambre funéraire d’une pyramide pharaonienne même pas encore exhumée des sables. Pourtant, des forces cosmiques dont on n’a pas le secret ont offert à l’A110 une réelle réincarnation, comme si sa substantifique moëlle avait été extraite du modèle originel pour être réinjectée dans un corps contemporain, sans qu’aucune tromperie sur la marchandise soit planquée sous la surface bleu-France. Une résurrection honnête, une réapparition magique et réelle à la fois ; pas une entourloupe d’illusionniste. The real thing, une nouvelle fois.

Qu’Alpine ne soit pas tout à fait tout à fait étrangère à la réapparition de l’iconique R5 dans la production nationale, ça n’est pas tout à fait surprenant. L’A110 est une sorte de Lazare revenu de l’au-delà, réussissant à ne pas trahir l’originelle sans pour autant la recopier à l’identique. La R5 doit réaliser le même exploit : demeurer fidèle à sa lointaine origine, sans pour autant n’être qu’un objet du passé téléporté dans les années 20 du siècle suivant.

Eternal Sunshine of a spotless mind

Et la solution se trouve dans cette démarche : à strictement parler, la nouvelle venue n’est pas la copie de la R5. Du moins pas la R5 telle que, dans les années 70, elle sortait des chaines de montage, telle que les concessionnaires la montraient, et telle qu’on la voyait dans la rue. En fait, la nouvelle R5 n’est pas la copie de la Renault 5 réelle. Elle serait plutôt l’interprétation contemporaine du souvenir que nous avons de la Renault 5.

Or la carrière de celle-ci fut longue, protéiforme ; restylée une première fois à l’intérieur en 1976, un peu retouchée par ci par là tout au long de sa carrière avant d’être ressuscitée en 1984 dans sa forme évoluée, la Supercinq. Entre temps, la 5 exista sous des formes et des substances extrêmement diverses, de 34 à 110 cv en moteur avant, 160 cv une fois le moulin placé sur la banquette arrière. Deux portes, puis quatre, boucliers simples, boucliers plus enveloppants, avec ou sans projecteurs additionnels, protections latérales ou pas, extensions d’ailes Schwarzeneggeriennes ou, au contraire, flancs sobrement plats. Intérieur minutieusement minimaliste de la toute première génération, développant déjà le thème matelassé, puis habitacle plus confortable et fonctionnel, ménageant des espaces de rangement, et prenant soin du dos des occupants, déclinaison luxueuse sous l’appellation TX, sportive sous le badge Alpine, carrément hyper moderne quand c’est Bertone qui s’attaque à la première génération de Turbo. Puis vint le temps de la Supercinq, avec ses propres codes esthétiques, faits de surfaces nettes, de volumes simples, et de survet’ blanc pour faire du sport.

La mémoire est synthétique. Elle agrège toutes les impression du passé pour constituer un seul et même objet. C’est de celui-ci dont on se souvient, pas de la réalité. C’est sans doute la raison pour laquelle la nouvelle 5 est un mélange d’éléments tirés des différentes formes qu’ont adoptées ses ancêtres, suffisamment nombreuses tout compte fait pour constituer, déjà, une famille à part entière. Ainsi, elle cumule en elle des sensations douces et fortes à la fois, en même temps sympathiques et nerveuses, old school et modernes. Réunissant le meilleur des multiples mondes qu’a constitués cette équipe des « 5 » fantastiques, elle a dans les gènes de quoi séduire son petit monde, de quoi convaincre autant celles et ceux qui veulent avant tout une bouille sympa, que ceux et celles qui sont plutôt amateurs de muscles. Si on veut de l’esprit pratique, il y en a ; et si on préfère une allure qui en jette, eh ben y en a aussi.

On ne sait pas exactement ce que les uns, les unes et les autres sont prêts à dépenser pour l’une, l’autre, ou plusieurs de ces qualités simultanément ; mais il suffit de parcourir cette R5 du regard pour se dire qu’elle a, manifestement une aptitude à la séduction assez profondément ancrée en elle, qu’elle pourrait correspondre à quelques unes de nos attentes, qu’on veuille simplement se déplacer efficacement, ou qu’on souhaite nourrir en soi des désirs bagnolistiques On se verrait bien lui tenir un peu compagnie ; et inversement, puisqu’affinités.

Nous nous plaignons souvent d’être confrontés à des designs trop chargés en détails, ou au contraire de ne plus voir que des volumes et des formes un peu trop « normcore » pour avoir quelque chose d’intéressant à se mettre sous les yeux. Ici, on a l’impression qu’un équilibre un peu magique a été trouvé entre la sobriété des volumes, la simplicité des formes, et la présence assez harmonieusement répartie de détails qui, ensemble, parviennent à restituer l’évidence des R5 les plus basiques, et le sens de l’assaisonnement des déclinaisons plus exclusives.

J’ai dit, « dans les Yeux »

Mais s’il y a un truc qui réunit toutes les R5 et fait leur indéfinissable charme, c’est bien le regard. C’est souvent là que réside le coup de force des designers des années 70 : avoir réussi à donner vie à des faces avant singulières, pourtant réalisées avec des éléments techniques contraignants et relativement génériques. La 5 utilisait des projecteurs simples, qui avaient pourtant le don d’offrir à ce visage son air enjoué, la bonne mine de ceux qui prennent plaisir à prendre, matinalement, le chemin du boulot, ou de l’école. Ce petit miracle, obtenu dans une économie de moyens assez épatante, la R5 le doit peut-être au fait que ses blocs optiques sont nettement plus intégrés au volume de la voiture que les autres modèles de son époque. Sur une R12 par exemple, ou sur une 104, l’optique est insérée dans un espace vide qu’elle ne comble pas vraiment. Comme si on plaçait un élément générique dans une forme qu’on adapte un peu pour lui. Sur la 5, tout fonctionne vraiment ensemble, aussi intimement que des organes participant à un seul et même organisme. La surface du projecteur épouse exactement les volumes de cette face avant. Et si selon les standards d’aujourd’hui ils semblent simples, si on les replace dans leur propre époque ils paraissent au contraire assez finement étudiées. De plus, la perception à travers la vitre de la profondeur du phare qui leur confère l’allure d’un véritable regard. Comme si on pouvait y deviner une lueur se reflétant dans une pupille. Associé au bouclier qui pouvait faire penser à une bouche souriante, ce regard procurait à la R5 l’air jovial qu’on lui connaît depuis.

Cette bonne bouille, la new R5 en hérite, mais elle l’interprète d’une façon nouvelle, qui semble presque issue de la culture manga. On a dit tout à l’heure que cette nouvelle génération était fondée sur la mémoire que nous avons de ce modèle. Ce souvenir est fondé sur la voiture réelle, mais aussi sur les représentations qu’on en a vues. Et beaucoup d’entre elles sont des représentations publicitaires. Ceux qui ont connu les années 70 savent que Renault avait exploité l’univers de la bande dessinée pour y faire évoluer la R5, particulièrement adaptée à la transposition cartoonesque. Pour la publicité, Gilbert Mas avait dessiné la « supercar » en augmentant son anthropomorphisme : ses phares devenaient de véritables yeux et sur son bouclier il esquissait un sourire, anticipant et de très loin les visages automobiles de Cars (les yeux se déplaçant, entre temps, des phares vers le pare-brise). Mais en concession on retrouvait ce visage devenu rapidement familier : des stickers apposés sur les phares reprenaient le même graphisme, qui se déclina ensuite dans de nombreuses publicités. Pour l’apparition de la R5 TS, Gilbert Mas propulsa même la petite Renault dans les univers de Becassine, de Mandrake, ou Bibi Fricotin. Ces images sont tellement implantées dans notre cerveau qu’elles font corps avec celles de la véritable voiture. Et ce n’est probablement pas un hasard si le visage de la nouvelle R5 reprend ce regard, en le stylisant à son tour : le contour de l’ancien phare est désormais dessiné, et à l’intérieur de cette orbite on va trouver le phare, qui est comme l’iris dans lequel on peut discerner, quand la voiture prend vie, ce reflet qui constitue sa signature lumineuse, un peu comme les bords d’une fenêtre qui se reflèterait dans son regard.

Reprises

Ce double principe, de synthèse et de réinterprétation, on le retrouve absolument partout. C’est ce qui permet à cette nouvelle R5 de ne pas avoir un air rétro – à la différence d’une Fiat 500 par exemple – tout en faisant référence, de part en part, à sa famille d’ancêtres. Cette contemporanéité, elle la cultive dans ses proportions, dans ses surfaces, dans son accastillage technique. Par exemple, son bouclier avant ne tente pas de reproduire celui des Renault 5 des années 70. Structurellement, il s’agit plutôt d’un bloc massif solidement enchâssé dans l’ouverture ménagée par les ailes. L’aspect fait costaud, alors qu’on est loin en fait de la capacité de protection des boucliers de l’ancêtre contre les petits chocs de la vie urbaine. Mais c’est ainsi que la nouveLR5 semble bien appartenir à son époque, et non venir d’un passé révolu.

Sur le capot, on retrouve la prise d’air que la Supercinq avait, elle, délaissée. Mais puisqu’il n’est pas utile de capter ici de quoi refroidir ou faire respirer un moteur thermique, puisque sous le capot il n’y en a pas, cette surface sert à indiquer le niveau de charge de la voiture. C’est évidemment un petit jeu de référence, mais simultanément, il est assez opportun de disposer, ici même, d’une telle indication. On conserve la forme, on modifie la fonction sans que celle-ci doive souffrir de l’adaptation à cette forme.

Les optiques arrière sont un mix entre celles de la 5 originelle et les blocs plus intégrés à la surface de la carrosserie dont disposait la Supercinq. Ici, les feux affleurent. Mais leur surface latérale se détache du volume pour former ces fameux déflecteurs aérodynamiques qui permettent de diminuer la trainée aérodynamique. La 5 réussit donc à transposer les caractéristiques de ses deux aïeules, tout en interprétant de façon réaliste ce détail déjà présent sur le concept-car annonçant la nouveLR5. Toujours dans un bel exercice de synthèse, la façon dont ces feux épousent les ailes arrière est une réminiscence de la R5 Turbo, dont les ailes particulièrement larges s’achevaient, en partie postérieure, sur une prise d’air éloquente.

Le montant qui surplombe cette optique est désormais ton carrosserie, il contribue, avec le montant de custode, à constituer un pilier solide pour le 3/4 arrière. Mais, coupé net dans sa hauteur par la ceinture de toit, il forme aussi une espèce d’aileron qui dynamise la voiture quand on l’observe de profil et de trois-quart arrière. Ici encore, il y a une évocation du passé qui ne se contente pas de le reproduire : on observe une forme nouvelle, parfaitement adaptée aux codes du temps présent.

Les flancs, eux, conservent pour la partie située entre les ailes, la sobriété des modèles du 20e siècle. On reconnaît la forme typique du vitrage, mais dans des proportions qui sont en réalité assez substantiellement différentes. L’intégration des poignées de porte à hauteur de custode permet d’évoquer simultanément les Renault 5 deux et quatre portes, même si on a perdu la sobriété géniale de la premiR5, qui se passait tout à fait de poignées quand elle n’était dotée que de deux portes, préservant un profil particulièrement lisse. Aujourd’hui, la 208 montre bien pourquoi il est préférable de recourir à des poignées arrière dissimulées. La Lancia Ypsilon, construite sur les mêmes bases, le met aussi en évidence : si on met une poignée classique sur la porte arrière d’une citadine, comme ses portes sont courtes les deux poignées se trouvent excessivement proches l’une de l’autre. C’est exactement le problème que pose le profil d’une 208. Les poignées étant assez volumineuses et longues, on a l’impression étrange que la poignée arrière est excessivement proche de celle qui la précède. Ici, ce problème est résolu de cette simple façon.

De leur côté, les ailes font clairement référence au physique bodybuildé des déclinaisons Turbo. Très généreusement épaulées, elle font passer la pilule de l’épaississement général des volumes et de la hauteur amplifiée par la présence des batteries en soubassement. Elles donnent au profil une force que la R5 première du nom ne connaissait pas. Elles apportent à la voiture une masse qui fait passer la citadine électrique Renault du monde des petites voitures à la sphère des vraies bagnoles. La Zoé fait fluette et gracile à côté. Sa remplaçante entretient une allure nettement plus costaude. Ce côté « bête de course », entretenu par ces ailes élargies, est amplifié par la signature lumineuse basse, à l’avant, qui mime un peu les projecteurs longue portée additionnels qu’on trouvait sur les Turbo engagées en rallye. De même, les ouvertures pratiquées dans le bouclier évoquent à leur façon le nez généreusement aéré de ce modèle métamorphosé.

Autre détail qui vient pour ainsi dire épauler les épaules : le sticker faisant déborder l’aile sur la porte avant, prolongeant visuellement le compartiment « moteur » vers l’habitacle afin de créer une « cote de prestige » artificielle, à la façon dont opère le relief sur la portière de la C4 actuelle. Le procédé est simple, peu coûteux, mais il fait son effet en musclant le flanc sans rompre la simplicité de son volume.

C’est sur le profil aussi qu’apparait le mieux le jonc contrasté qui nait dans le pied de rétroviseur, grimpe sur le montant A, ceinture le toit à la façon de la gouttière de la première 5, en soulignant ici le déflecteur au-dessus de la lunette, comme le faisait l’impressionnant dispositif d’appui aérodynamique sur la 5 Turbo. Ici, l’effet consiste de nouveau à masquer un peu la hauteur de la voiture en l’allongeant visuellement, divisant sa hauteur pour troubler un peu la lecture des volumes. Cette finesse artificielle est enfin obtenue grâce à un soubassement noir particulièrement soigné : la façon dont il est sculpté évoque les lames aérodynamiques latérales qui sont le prolongement du fond plat sur lequel sont bâties les voitures de sport. Il y a encore ici de la force qui se dégage de ce travail sur les volumes, qui permet à la 5 d’amplifier encore le dynamisme naturel qui animait l’ancêtre, même au repos.

POP !

Il faut probablement regarder tout d’abord l’intérieur en oubliant totalement que cette voiture cherche à jouer sur la corde nostalgique, car il n’y a, là, absolument rien qui puisse sembler « néo-rétro ». Faisons abstraction du fameux panier à baguette en rotin, qui aurait mieux trouvé sa place dans une Renault Fiftie que dans cette 5, au cœur de laquelle il semble finalement anachronique. Tout, en dehors de cet accessoire uchronique paraît fermement enraciné dans le temps présent. Finalement, ce que montrent les similitudes entre la nouvLR5 et la premiR5, c’est qu’en réalité ce n’est pas que la nouvelle 5 qui est rétro, c’est plutôt la première 5 qui était rudement moderne. Ainsi, les surfaces planes et verticales du premier tableau de bord sont parfaites pour se réincarner en mur d’écrans aujourd’hui. On retrouve, dans l’agencement réciproque des deux écrans, l’angle qu’ils forment autour du conducteur, le clavier de raccourcis sous l’écran central, quelque chose qui fait penser à la 208, en moins complexe sur le plan des volumes, mais assez proche pour les textures, l’ambiance très « techno » produite par l’organisation générale des éléments. Certes, la partie matelassée, en face du passager, fait référence au passé, mais c’est ici sans doute qu’on retrouve le mieux la patte Vidal : cet étagement de la planche de bord en plusieurs strates, qui évite au passager de se trouver face à un mur vertical, c’est précisément la façon dont est structurée une planche de bord Peugeot depuis que Gilles Vidal en a mis en oeuvre le principe. Le revêtement est un bel hommage au passé, mais la structure est tout à fait contemporaine.

On est assez impatient de découvrir ce que donnera la finition basse, dont le mobilier sera constitué d’un matériau plus simple, plus rigide aussi, présenté dans une teinte très claire qui devrait faire son petit effet lui aussi. C’est d’ailleurs une caractéristique intéressante de cet intérieur : il a belle allure quelle que soit la finition dans laquelle on l’observe. Il n’y a pas donc pas de punition pour les plus modestes. Même remarque à l’extérieur : si les plastiques laqués disparaissent, les matériaux mats qui sont utilisés ne déparent pas, parce qu’ils sont eux-mêmes soigneusement détaillés, et que l’ensemble a toujours l’air soigné, quel que soit le niveau de finition choisi.

L’intérieur fait enfin la part belle à la personnalisation, via des pièces additionnelles qui développent une ambiance très pop, avec des références un peu franchouillardes au passé. Puisque cette voiture fait le choix de développer la culture de sa propre entreprise, il est finalement assez logique qu’elle suive cette direction. On trouve par ailleurs, à la façon dont Volvo disperse parfois des easter eggs un peu partout dans ses modèles, pléthore de pièces plastiques gravées de figures qui évoquent la premiR5, et ce dans des recoins parfois bien dissimulés, comme pour attester du soin obsessionnel qui a animé les équipes qui l’ont constituée de faire un objet cohérent, de part en part.

Ce sens du détail, on le retrouve dans le fait que partout où porte le regard, on trouve quelque chose d’assez intéressant à observer. Ici, le graphisme des écrans, vraiment travaillé. Là, le jeu constant avec les obliques, qui dynamise la perception globale de la voiture, là encore, le ciel de toit gaufré qui fleure bon la mise en scène telle qu’on n’en faisait plus.

Mario Kart

Mais un habitacle automobile ne se réduit pas à un ensemble de considérations relevant de l’architecture d’intérieur, ou de la déco. Pour savoir ce qui se vit à bord d’une bagnole, il faut la mettre en route, et se mettre en mouvement avec elle. C’est après tout ce à quoi elle est destinée. Pour le moment, personne n’a pu témoigner de ce que ça fait, de poser son cul dans le siège pétale, son pied sur la pédale, et ses mains sur le volant pour lancer cette tonne 5 et des poussières dans la rue, puis sur la route. On sait juste que les trains roulants ont l’air soignés, qu’à l’arrière, on a du multi-bras extrait du Dacia Duster, qu’à l’avant, on a une évolution du train des Clio et Captur. On peut d’ores-et-déjà dire que la dimension « chassis » n’est pas conçue au rabais. Les plus anciens d’entre nous se souviennent peut-être que la premiR5 était, elle, un peu approximative sur ses appuis, louvoyante sur ses trajectoires. Quelque chose nous dit que cette fois-ci, l’impression sera nettement plus rigide. Un indice ?

La vidéo de présentation de la nouvLR5 nous dit quelque chose de ce ses concepteurs ont voulu faire. Loin des films mettant en avant l’aptitude d’un nouveau modèle à accompagner la vie réelle telle qu’elle se mène au quotidien, ce film développe sur fond d’Instant Crush des Daft Punk un univers onirico-urbain dans lequel les sempiternels beautiful people à la mine un peu renfrognée évoluent autour et dans la petite nouvelle. Deux seuls plans nous montrent le conducteur au volant. Sur chacun d’eux, alors que la R5 roule sur la surface rigoureusement rectiligne d’un univers fait de pur béton ciré, on constate à quel point cet homme semble secoué par le mouvement de sa propre voiture. Traduction : cette R5 est un kart, avec tout ce que ça peut impliquer de raideur, de transmission, tout droit vers la colonne vertébrale, des irrégularités du sol. Peut-être pas si confortable que ça, mais potentiellement amusant, surtout si on a en tête la réponse immédiate qu’offre la traction électrique aux sollicitations du pied droit. Il est probable qu’en réalité, la R5 soit un poil plus confortable que ce que cette première publicité laisse entrevoir. Mais ce qui importe ici, c’est de sentir dans la mise en image ce que ses concepteurs avaient en tête. Et les soubresauts sont tellement visibles dans cette image nécessairement artificielle (le film ne se donne vraiment aucune peine pour masquer la nature purement numérique de sa propre image, et donc son absence de réalisme), que si on les voit à ce point là, c’est qu’on a voulu nous les montrer à ce point là aussi, jusqu’à les surjouer. La R5 sera donc présentée avant tout comme un jouet. Après tout, c’est bien ce à quoi nous avaient préparés les publicités précédentes, mettant en scène les voitures électriques au losange sur un circuit dont elles suivaient les rails, de façon rigoureuse et donc un peu brutale, comme un wagonnet de chenille parcourant son circuit de montagnes russes.

Le Club des 5

Reste cette question, qui concerne la cohérence de cette voiture, et de cet article : on se plaignait de ne trouver aucun moteur à l’arrière d’une Fiat 500. Doit-on regretter aujourd’hui que la nouvelle 5 soit électrique ? A vrai dire, il semble que la R5 ait été de son temps, bien moins marquée par sa définition technique que ne l’était la 500 italienne. Ce qu’il y a de pénible avec la 500 d’aujourd’hui, c’est de pas pouvoir disposer d’un modèle sportif dont il faille entrouvrir le capot arrière pour alimenter le moteur en oxygène. On adorerait que Fiat sorte un jour un reboot de la 126, mais à quoi bon si on ne peut pas avoir une version Abarth dont le capot serait maintenu dans cette position pour en refroidir la rageuse mécanique ? De nos jours, si on veut disposer d’une petite voiture et vivre cette sympathique sensation d’exciter du pied droit une mécanique bien calée sans son dos, il faut acheter une Twingo, dont l’essence est elle-même totalement anéantie par ses dessous partagés avec la Smart. Dans la R5, il n’y a aucune trahison de ce genre car l’essentiel de ce modèle ne réside pas dans sa configuration mécanique. La preuve : celle-ci fut radicalement différente d’une version à une autre sans jamais en dénaturer l’essence.

Techniquement, la premiR5 reprenait bon nombre d’éléments de la 4L, et comme elle, elle était équipée de barres de torsion parallèles sur l’essieu arrière, qui conféraient à la 5 un empattement plus long à gauche, qu’à droite. Voudrait-on que, par fidélité, la nouvLR5 reprenne cette configuration ? Probablement pas. A strictement parler, cette R5 n’apporte pas grand chose de nouveau, techniquement. En dehors de la capacité d’inverser la charge, et de permettre à la R5 d’alimenter tout un quartier en électricité (ce qui, en cas d’attaque nucléaire, permettrait aux survivants de tenir le coup jusqu’à l’apparition des premiers effets secondaires de l’irradiation ambiante), il n’y a rien de très novateur dans le pack technique de cette voiture. Elle sera, en gros, au diapason d’une 208 déjà ancienne. Mais son propos n’est pas là.

L’essence de la 5 résidait dans sa jovialité ; elle la conserve. L’essence de la 5 tenait à son aptitude à proposer mieux que l’essentiel ; elle y tient toujours. L’essence de la 5 consistait à être pile poil adaptée à son époque ; il semble bien qu’aujourd’hui elle nous parle au présent, et non à l’imparfait.

A l’observer dans ses détails, cette 5 suscite quelques questions dont nous n’aurons pas le fin mot aujourd’hui. Tout d’abord, sa dénomination, qui la sort assez radicalement de la gamme actuelle de Renault, fondée sur des noms. Est-ce le premier pas vers une généralisation des noms fondés sur des chiffres ? Sans doute pas, même si après le 5, viendra le 4. En revanche, se forme à l’intérieur de la gamme deux tendances. L’une, qu’on connaissait jusque-là, fondée sur des voitures qui ne doivent quasiment rien, dans leur forme, au passé de la marque. Et l’autre, qui s’inaugure aujourd’hui, qui assume de capitaliser sur le passé pour en faire resurgir les formes les plus iconiques, afin d’en révéler l’intemporalité. Et si l’exercice fonctionne bien avec la 5, on peut penser qu’il est peu probable que Renault fasse ressurgir du passé tous les numéros qui ont marqué son histoire. 5 et 4 constitueront dans la gamme une sorte d’équivalent de la lignée Icona chez Ferrari, toutes proportions gardées évidemment. Chacun pourra rêver dans son coin d’une vie nouvelle pour la Fuego, la 25 ou la Rodéo. Chacun pourra fantasmer sur un Spider 2.0. Pour ma part, je rêve d’une Aftertime. Mais je suppose que mon souhait restera inassouvi.

Autre petite observation : il n’y a pas de losange à l’arrière : seul y figure le monogramme 5. Est-ce le digne qu’un désir d’indépendance plane dans l’esprit de cette citadine ? A vrai dire, il y a dans la naissance de cette 5 quelque chose qui fait penser à l’apparition de la DS3 première du nom chez Citroën : un modèle vendu sous le même pavillon que sa gamme, mais un peu en marge de celle-ci. Comme si la marque faisait un pas de côté. L’expérience montre que ce genre de petit bond peut donner lieu à quelques faux pas. Il est possible que Renault ait plusieurs scénarios en tête. Parce qu’il faut bien penser à l’avenir, parce qu’il faut bien se demander ce qu’il adviendra de cette résurrection : à voir la 5 renaître, on en oublierait presque qu’elle est censée mourir à son tour. Il est probable que le charme de cette renaissance tienne à la longue attente qui l’aura précédée. Mais ce coup de la disparition, on ne peut le faire qu’une fois. Il faudra choisir : one shot, ou nouvelle lignée ? La marque dispose de plusieurs exemples autour d’elle. La façon dont la Mini s’est peu à peu éloignée de sa définition originelle. La façon dont la Fiat 500 a focalisé sur elle l’identité Fiat, paralysant un peu le reste de la gamme comme une marge d’une citadine devenue presque trop iconique. Le 5 a beau être un sacré numéro, Peugeot s’est toujours bien gardé d’en faire un numéro sacré. Renault, pour sa part, fait un pas assez décisif vers la consécration de ce numéro porte-bonheur.

Who wants to live 4ever ?

There’s no time for us
There’s no place for us
What is this thing that builds our dreams, yet slips away from us

Queen, Who wants to live forever ?

Ce que Renault fait avec la R5 dit quelque chose de nous. On pouvait craindre, en apprenant que le losange allait céder à la tentation de la réédition, qu’on se trouve devant ce modèle un peu comme la France devant Jean Dujardin mimant le français moyen du temps d’avant. On pouvait craindre aussi que Gilles Vidal ait été contraint de faire tout ce qu’il désignait comme indésirable quand il parlait du concept E-Legend. Force est de constater qu’en réalité, toutes les préventions que Vidal énonçait contre le retro-design, il les a en réalité respectées pour faire naître de nouveau cette R5, qui est quelque chose d’autre qu’une resucée de son ancêtre. Au sein d’une marque qui, à la différence de Peugeot, n’a pas pour habitude de développer un langage formel fondé sur des signes permanents, il est finalement assez naturel qu’on en vienne à évoquer des modèles précis, et non telle forme d’optique avant, telle ceinture de caisse, telle façon d’enchâsser la lunette arrière dans ses montants. Le regard de la R5 n’avait appartenu qu’à elle. Il avait aussi disparu avec elle. Et il en va de même pour tout ce qui constituait son physique singulier. Voici que ce regard nous regarde de nouveau, avec de nouveaux yeux cependant. Les formes partagent ceci avec nous autres, humaines et humains : elles ne disparaissent pas tout à fait, elles laissent une trace dans le monde y compris quand elles n’y figurent plus. La R5 était une forme abstraite, n’existant plus que dans la mémoire des plus anciens d’entre nous. La voici s’incarnant de nouveau dans la matière, à la façon d’une idée suffisamment bonne pour qu’elle mérite d’être de nouveau concrétisée. Les plus jeunes, qui n’auront pas connu l’originelle, pourront à leur tour être séduits comme au premier jour. Les plus anciens, qui auront davantage les moyens de se l’offrir, pourront se payer par la même occasion une nouvelle jeunesse. Ni tout à fait différente, ni tout à fait la même.

Comme des personnages de Nolan, nous défions le temps. Nous sommes toujours tentés de revivre en boucle le bon vieux temps en appuyant sur la touche repeat. Mais à vouloir répéter les mêmes expériences à l’identique, nous perdrions le plaisir de vivre les choses pour la première fois. La R5, en s’appuyant davantage sur la mémoire présente qu’on a de son ancêtre que sur ce qu’elle fût par le passé nous offre cette occasion : vivre de nouveau ce qui était censé n’être vécu qu’une fois. C’est après tout quelque chose qu’on ne nous propose pas tous les jours et c’est bien plus malin que la suspension stérile du temps telle que la désirait Lamartine au bord de son lac. Le présent n’est rien d’autre que la conscience que nous avons d’être tendus entre le passé et l’avenir. C’est la conviction qu’il reste quelque chose de ce qui a disparu, et que c’est en redonnant vie à ce qui semblait révolu, qu’on peut pour de bon être révolutionR.

1 Comment

  1. Ben dis donc tu as l’oeil pour avoir remarqué le tressautement de kart de la voiture , les 2 fois bout à bout font une demi seconde! Tu dois analyser image par image parfois! Moi ce qui j’ai vu tout de suite , c’est qu’il roule dans un labyrinthe, et que finalement à la fin on voit que ça représente donc une ville QRcode du futur. Qu’est ce que ça signifie, au delà de cette mise en 3D d’un QRcode? Je m’interroge…Probablement juste un idée d’animation de la voiture pour inciter au fléchage vers le site. Ne pas chercher plus loin!

    Alors cette newR5? Si fraîche et pourtant si épaisse face à la frêle R5 de 72. Un tour de force. Renault qui n’avait plus de temps à perdre, a sauté 1 étape pour la faire rétro moderne sans passer par le néo rétro. Il a fallu 2 générations à Fiat pour la 500 et 3 à la Mini pour en arriver à une proposition similaire. Donc au moment où elle en est à sa 4ème proposition. Du coup c’est à se demander si en effet ce n’est pas plutôt un one shot pour cette R5. Comme elle est quasi parfaite, elle ne pourra pas vraiment aller plus loin…

    Pour ma part, je n’y vois la R5 que dans l’imaginaire, cela saute aux yeux et pourtant ce n’est vrai que pour la pente et la courbure du volet du coffre. Comme le volume musclé et la vitre latérale de la 208 font penser à la 205 GTI sans qu’on puisse vraiment les identifier côte à côte. Cette inclinaison du coffre et sa courbe vers le bas sont tellement typiques qu’aussitot c’est elle. Mais pour ses volumes et les autres angles, c’est pour moi évidemment la super5 GT turbo qui est la plus proche, alors que sur cette dernière il manque pourtant la courbe du coffre! Mais l’inspiratrice en tant que boule de nerfs, c’est elle.
    Ensuite, un détail, ses aigles légèrement gonflées et dessinées, qui renvoient bien sur avec la fausse grille des feux à la R5 GT turbo, mais qui me rappellent aussi l’aile avant si typique de la vraie R5, à cause des 2 lignes d’entrée d’air superposées et que ce pli prolonge en animant l’aile au dessus du bouclier.

    Est ce que Renault va continuer, après la R4 et la Twingo? Probablement pas, même si j’adorerais une new R14, ou R17, ou Fuego , ou même n’importe quelle autre tellement il y aurait moyen de tout revisiter si c’est fait avec talent…..du coup l’idée devient vertigineuse d’une gamme entière chez Renault, et ensuite chez les autres marques, de modèles rétro futuristes suivant la chronologie de leurs sorties. Vertigineux, angoissant, merveilleux, délirant, cauchemardesque?! (new R 14 puis new R11, puis new R19 et finalement jusqu’à new Megane 2042, la (déjà) futuriste de 2002 rattrapée par son appendice caudal de landau pour en faire une sorte de navette spatiale dystopique! ) De quoi avoir le tournis, mais cet engrenage est un peu en germe dans l’apparition de la nouvelle R5: où s’arrêteront ils?

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