De beaux Restes

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Au Royaume des aveugles

Si ce blog s’intéresse, à ce point, au travail parallèle des designers et des réalisateurs de films de tous formats mettant en scène des bagnoles, c’est parce que dans un cas comme dans l’autre c’est un boulot de création hyper-contraint dont on voit le résultat, sans qu’on réalise toujours très bien les heures, les journées, les nuits passées à cogiter, concevoir, imaginer, combiner, enrichir, résoudre, abandonner, reprendre, bifurquer, revenir en arrière, tenter une nouvelle piste, rebrousser chemin, en explorer une autre, rebrousser chemin, en tracer carrément une autre à la machette là où tout le monde disait qu’il ne fallait surtout pas aller, et finalement ne pas rebrousser chemin au contraire, s’enfoncer dans la jungle des modèles 2 et 3D pour, finalement, présenter ça à une équipe réunie à moitié autour d’une table, à moitié en visio, sous la forme de quelques visualisations censées être parlantes tout en sachant qu’il est difficile de parler à quelqu’un qui n’écoute pas. Mais après tout, , c’est pile poil ça un client : quelqu’un dont la capacité d’attention a été patiemment réduite à néant par des décennies de marketing offensif, qui n’a pas trois seconde de capacité de concentration à accorder à ce qu’on a à lui proposer, qui regarde ça avec le doigt sur l’écran prêt à swiper vers la vidéo ou l’image suivante, totalement indifférent, blasé, anesthésié des yeux en somme, aveugle et sourd.

Et puis, parfois, l’idée qu’on a patiemment construite pendant on ne saurait pas trop dire combien de temps n’est tout simplement pas la meilleure, et c’est quelqu’un d’autre qui amène sur la table des négociations l’image ou le projet qui fait tilt, le pitch qui ressemble à un Rubik’s Cube finalisé, à la quadrature du cercle, au Graal enfin découvert et exposé sous forme d’un Powerpoint raflant la mise au nez et à la barbe des autres combattants ; parfois, les autres combattants, c’est nous.

Ce moment où le soufflé retombe d’un coup, où les efforts produits comme lors d’un marathon sont balayés d’un seul geste, tous ceux qui créent en milieux contraints le connaissent. Et pas qu’un peu. Parce qu’on n’est pas tout le temps le meilleur. Et parce que, parfois, on n’en démordra pas, c’est pas le meilleur projet qui est choisi.

Par Pertes et profits

Pour nous autres, spectateurs, ces idées déjà mises en forme et avortées sont autant d’expériences que nous n’aurons pas. Trainant pendant des années dans les disques durs d’ordinateurs, dans le cloud, elles survivent parfois même au départ à la retraite de leur auteur, jusqu’à ce qu’un jour lui, ou son ancienne équipe aient besoin de récupérer de l’espace disque, et fassent glisser le dossier tout entier vers la corbeille, où cette épave végètera encore un peu avant qu’on la vide. Rares sont les archivistes qui conservent ad vitam æternam les projets qui n’ont pas vu le jour.

Pourtant, de temps en temps, un studio peut décider que, pour une fois, on va accommoder les restes ! Si dans le monde automobile ce n’est pas évident – quoiqu’on puisse tout à fait penser qu’un designer qui voit ses bonnes idées refoulées puisse passer sa vie à essayer de les faire valider, y compris auprès d’autres marques que celles auxquelles elles étaient originellement dédiées – dans le monde des images, c’est davantage faisable. Après tout, un studio de création visuelle passe son temps à monter ensemble des images. Et ses propres projets abandonnés sont aussi des images. Rien n’empêche dès lors d’associer ces chutes entre elles pour en faire quelque chose de nouveau, quelque chose qui n’aurait plus mission de satisfaire les besoins en communication d’une autre entreprise, mais ceux du studio lui-même, qui n’est jamais mieux servi que par lui-même !

Los Angeles State of mind

C’est l’exercice auquel s’est livré le studio californien State. Sur sa page web, celui-ci ne lésine pas avec les formules percutantes pour se présenter :

« We are the art studio; the secret agency; the place to be. We create moving images that move people, for fun or for serious. And every creation is one-of-a-kind, because if we made the same stuff everyday, we wouldn’t like doing it so much.

We are humble, but amazing. We are strong work ethicists, but not for the weak end. We are here for you, and us.

We are STATE. »

Mais plutôt que par les mots, c’est évidemment en images qu’une telle entreprise se présente le mieux. Et pour ce faire, State a choisi de montrer ce qu’on n’était pas censé voir. Les chutes, le rebus, tout le matos planqué dans les placards à archives, les présentations pas finalisées, les projets refusés, les embryons d’idées repoussés par les clients, dès lors pas menés à terme, les brouillons, les sketches préparatoires, les visualisations destinées à « se faire une idée » même si, chez State, ces premiers jets sont en fait tellement chiadés que le rendu final, suffisamment caractéristique pour être reconnaissable, en est extrêmement proche.

Il n’y a pas tant de bagnoles que ça dans les réalisations made in State. Mais on voit qu’ils ont tenté le coup pour Porsche, et on sait que le studio a déjà travaillé pour le trailer d’une série consacrée au championnat Nascar. Mais chez State, tout est vitesse, énergie, fluidité et déplacements. Et du coup, tout est beau. On croise dès lors les doigts pour qu’au moment de challenger les projets, une marque automobile mette le doigt sur leur proposition et la désigne comme leur prochaine campagne, histoire qu’on voit un peu de quel bois ce chauffent ces créateurs quand il s’agit de faire se croiser sur l’écran leur univers visuel et la puissance propre de l’automobile.

Et si jamais aucune ne le fait, ça ne sera pas si grave : ça nous fera de beaux restes, à déguster :

Dernière chose : allez sur leur site pour voir leurs autres réalisations. C’est un festival de couleurs, de rythme, de mouvement et de pulsions de vie. Glissez ensuite sous chaque film, et vous découvrirez des instantannés du travail exploratoire qu’ils mènent pour chaque projet. Chaque image est, à elle seule, saisissante.

Et en bonus, voici leur vision du championnat Nascar. Une petite merveille graphique :


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