Hier, direction Paris-Expo pour une déambulation d’un autre temps au milieu de morceaux d’histoire sur roues pour la plupart de petit diamètre. Quelques heures durant, on mesure à quel point jadis les petites voitures étaient petites. Et à quel point les grandes étaient, vraiment, grandes. On croise des célébrités, des modèles parmi les plus beaux que l’industrie et l’artisanat automobile aient jamais produits, comme la Ferrari 250 GT Lusso Berlinetta par exemple ; en plusieurs exemplaires, carrément, qu’on contemple en se disant qu’en fait on aurait été capable de venir juste pour eux s’ils avaient accepté en retour de n’être là que pour soi. On découvre des inconnus, comme le Ferves Ranger, mini franchisseur tellement simple que même le mot « austère » évoquerait un luxe excessif pour le décrire correctement. Mais la magie de Rétromobile, c’est qu’on apprends des trucs, y compris devant les modèles qu’on croit connaître un peu car il y a toujours à portée d’oreilles un propriétaire trop heureux de parler de sa bagnole, un vendeur consciencieux qui s’y connaît, ou des visiteurs qui sont aussi des amateurs éclairés, précisant quelles adaptations spécifiques a reçues ce modèle précis, à quelle sous catégorie de son genre il appartient, devinant même sur quel marché national la première main a été vendue, à la simple vue d’une jante, d’un type d’éclairage ou d’une sellerie intérieure.
On a beau être un vendredi, les allées et stands de la partie principale du salon drainent un public dense, fluide, bon enfant et émerveillé. On admire une courbe, on touche une carrosserie, on la tapote du doigt pour tenter de discerner s’il s’agit de métal ou de fibre. On se demande un peu comment on peut se glisser dans une GT 40 sans avoir fait l’école du cirque, on observe les premières Bugatti de course en se disant que rien aujourd’hui ne pourrait proposer un tel contact direct avec la mécanique, les vibrations, les suintements, au risque de voir un doigt, une cuisse ou pire encore vu la disposition de certains organes mécaniques, par rapport à certains organes du corps humain, partir dans un engrenage, être saisis par le passage d’une chaine, d’une courroie ou la rotation d’un cardan. On est charmé par le bal populaire des occasions à moins de 25 000 €. On est un peu fasciné par les enchères Artcurial qui ont lieu en direct dans leur coin, avec leur folklore local, leur façon de délimiter les surfaces dévolues aux deux classes que connait ce petit monde : ceux qui enchérissent, et ceux qui regardent ceux qui enchérissent, en mode « Alors, t’en as vu de près des riches ? » comme si on regardait depuis la grille une garden party à laquelle on n’a pas été invité. Pour peu qu’on reste là quelques minutes, on fait des plans sur la comète : Une McLaren Speedtail pour 1 million 8 ? Peut-être pas. Alors que 450 000 € pour une Lamborghini 400 GT, ma foi, dans l’absolu… On a trouvé une R8. Mais comme on est plutôt Team Simca 1000 on n’aurait pas détesté tomber sur une Rallye, peu importe le numéro. Pas grave, on en verra sans doute au Tour Auto.
Inconscients, quelques constructeurs exposent des réalisations contemporaines. C’est alors qu’on réalise à quel point l’automobile actuelle est loin de faire dans la dentelle. Skoda avec un concept de SUV, Renault avec des sculptures échelle plus grande que nature de la future 5, ne font pas rêver les foules. Un père et son fils, jeune ado, passent devant le Rafale. Soi-même on trouve qu’il est peut-être un peu mieux en vrai qu’en photo, sans être pour autant tout à fait convaincu. Le fiston, lui, regarde à l’intérieur et sort « Ouais, bon, c’est une Renault quoi ». On préfère sourire devant la Skoda Octavia rétrofitée de façon totalement sauvage et rebaptisée sous le doux nom de Voltavia, au bon goût d’époque pré-dissolution de l’empire soviétique, de boisson chocolatée et produit pharmaceutique.
Le salon est géant, il y a du blockbuster, de la voiture d’art et d’essai, de la production populaire comme de l’art élitiste. C’est très difficile, pendant ces quelques heures de flânerie, de s’empêcher de penser que quand même, c’était rudement mieux avant. Mais la comparaison est injuste : il s’agit là de la crème de la crème triée sur un siècle d’histoire, et de modèles dont certains n’ont en réalité jamais connu le moindre salon de l’auto. La majeure partie des autos ici présentes constituent des exceptions au marché automobile de leur temps, comme du nôtre. Reste que si les productions de notre temps font un peu moins rêver, même quand elles sont exceptionnelles, c’est qu’on a un peu de mal à croire qu’elles auront une véritable histoire dans 60 ans. Il y a de nos jours peu de place, dans l’automobile, pour une forme de poésie, de rêverie, de véritable luxe ou de culture. Autant de vertus dont ce voyage dans l’automobile passée prend soin, comme s’il y avait là des trésors en voie de disparition qu’il faudrait conserver le mieux possible pour s’éviter, le jour venu, d’avoir à les restaurer.
Place à quelques images :