In Art, Clips, Concepts, Constructeurs, Movies, Peugeot, Peugeot E-Legend
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« Il n’est pas de hasard, 
il est des rendez-vous, 
pas de coïncidence. »
Etienne Daho, Ouverture

Comment ne pas faire une légère fixette sur l’E-Legend de Peugeot, ces derniers jours ? La beauté de la proposition, l’abondance de visuels et d’articles permet d’entretenir l’imaginaire, de rêver à son existence, de songer se déplacer à son bord, y faire une sieste, reprendre son petit volant en mains, ou bien la regarder passer dans la rue, depuis la terrasse d’un café, la doubler sur l’autoroute, la voir arriver de loin sur une aire de repos, la contempler en approche, ralentir à l’approche du parking, se glisser élégamment sur une place, voir ses deux passagers en descendre pour la brancher sur la borne de recharge avant d’aller boire un café, le temps de faire le plein, ou presque. 

A vrai dire, pour une « conduite intérieure », les concepts valent bien les voitures réelles, et ce d’autant plus que chez Peugeot, ils sont presque systématiquement de vraies voitures, fonctionnelles, roulantes, utilisables, et essayées. On dispose d’images réelles les montrant en mouvement, s’ouvrant, se fermant, les phares éclairent, le volant dirige bel et bien les roues dans lesquelles la transmission envoie, pour de bon, un peu de puissance pour les mettre en mouvement. L’imagination peut, alors, se désaltérer au goulot de la réalité. 

Mais il y a quelque chose qui ajoute un peu au réalisme de cette E-Legend, c’est le film que Peugeot a mis en ligne pour l’accompagner. 

Habile tissage d’images numériques et des prises de vue réelles, il parvient à procurer quelques impressions cinétiques (le passage de la conduite autonome à la prise en main du volant par la conductrice, par exemple), des images de la vie dans l’auto à l’arrêt, un moment auquel on pense trop peu, obnubilés que nous sommes par les performances, les vitesses de passage en courbe, les accélérations, alors que l’automobile se vit, aussi, au parking, dans les bouchons aux abords de Saint-Arnoult, bref, au point mort, concentré sur l’habitacle ou sur ses abords immédiats. Ce mini-métrage parvient, même, à faire naître en nous l’image d’une utilisation qui pourrait abîmer un peu la belle auto qu’on nous donne à voir : voulant évoquer l’esprit de liberté qui souffle dans l’E-Legend, on nous projette une scène de baignade, immédiatement suivie de l’image du coupé Peugeot roulant sur une route de bord de mer. Alors on imagine les passagers, encore humides, posés sur leur siège en velours bleu, le bel intérieur un peu souillé, un peu ensablé et sali par l’usage réel de la voiture, qui perd alors son immatérialité de véhicule conceptuel, et prend chair, pour ainsi dire, devant nos yeux. C’est d’ailleurs là le propos central du film, en fait : la venue au réel, la sortie hors de l’abstraction. Comme si l’objet qui n’est au départ qu’une série de données numériques devenait tôle, plastique, bois et velours sous nos yeux et se présentait à nous au point qu’on croirait pouvoir le toucher. 

Il se trouve que Peugeot n’est pas allé chercher n’importe qui pour produire ce petit clip promotionnel. Elias Ressegatti est un réalisateur qui a déjà derrière lui ce qu’on pourrait appeler une oeuvre, constituée en partie de films publicitaires, un peu dans le genre de ce qu’on peut voir ici, auxquels s’ajoutent des projets plus personnels; et on pense que c’est l’un de ces projets qui a donné envie à Peugeot de se tourner vers lui, plutôt que vers un autre. Future Classics est un work on progress comptant déjà six courts métrages à son actif. Il s’agit pour Elias Ressegatti, assisté du réalisateur Daryl Hefti, de rendre hommage aux liens intimes qui se nouent entre certaines voitures et leur conducteur. Leur but n’est pas d’écrire l’histoire de tel ou tel modèle de tel ou tel constructeur, même si, de fait, les voitures filmées sont, tantôt une Porsche 996, tantôt un coupé Mercedes 450 SLC, tantôt une Datsun 240Z. Pas de fiche technique, pas de mesure de performances. Pas même de frime, parce que les autos sont dans leur jus, utilisées vaille que vaille sur des routes pas vraiment taillées pour elles. Plus ou moins sur les rotules, chacune d’elle poursuit pourtant le voyage en compagnie de celui qui n’arrive pas à s’en détacher, qui ne se résout pas à se poser dans le siège d’une autre pour en prendre le volant. Ce sont des récits de fidélité, d’héritage parfois, de rencontre toujours. 

Il y a des liens entre l’humain et le mécanique qui dépassent toute raison, tout argument, des attachements qui échappent à toute stratégie marketing, et les plus sincères de ces transports amoureux sont ceux que l’histoire tisse patiemment. Ces voitures dessinent dans la poussière des traces. Elles sont un peu le crayon avec lequel se dessine le scénario de certaines existences, des lignes de vie. Elias Ressagatti fixe ce lien sur la pellicule, et on devine qu’il y a entre lui et sa caméra le même genre de relation que celle qu’il contemple entre ces conducteurs, jeunes, et leur voiture. Il les contacte le plus simplement du monde, laissant un petit mot sous l’essuie-glace, envoyant un message sur Instagram. La rencontre se fait, et il en reste ces petits films qui, parviendraient, en quelques minutes, à presque faire monter les larmes aux yeux, tant ils touchent du doigt ce qui se trouve, sans doute, à la racine d’un certain amour, non pas des bagnoles en général, mais de certaines en particulier. Et comme souvent avec les moments magiques, tout son talent consiste à parler à tout le monde tout en se focalisant sur une voiture, et un conducteur, qu’il filme comme s’ils étaient, quasiment, extraits du monde, mythiques.

On se prend alors à rêver d’un nouveau film s’ajoutant au projet Future Classics. On y voit un coupé Peugeot devenu classique au point d’avoir presque éclipsé dans les mémoires la 504 à laquelle il avait emprunté ses grandes lignes. Une de ses portières est un peu enfoncée et une épaisse couche de poussière macule sa carrosserie devenue mate à force d’être passée au sablage par l’alternance des vents venus du Sud, des périodes de canicule et des pluies diluviennes qui s’abattent désormais régulièrement sur l’Europe, parce que les moteurs électriques n’ont pas vraiment changé grand chose aux évolutions inéluctables du climat.  Son intérieur en velours bleu est un peu affaissé, mais on peut encore s’y caler pour se laisser conduire pour un petit tour à la campagne, à la fraîche,  en mode cruising, et ses batteries récemment changées ne rechignent pas à embarquer le conducteur, volant en main, pour une petite descente de col, à l’ancienne. Sur un parking avec vue, on peut encore se regarder un film sur l’écran immense qui fait face aux places avant. Evidemment, il est un peu rayé, peut-être même fêlé dans un coin, mais il produit toujours son petit effet à l’allumage, dans un éclairage qui semble un peu rétro alors que toutes les voitures sont désormais équipées d’interfaces holographiques. On n’hésite plus à s’asseoir sur le capot pour siroter une bière en regardant le soleil couchant, à piquer une tête dans l’océan avant de reprendre la route, short trempé, grains de sable rayant le sol et les écrans, traces de doigts absolument partout, jantes un peu marquées par la vie, un phare éclairant peut-être bien un peu plus haut que l’autre. Ça grince par-ci par-là, ça tire un peu sur la gauche en ligne droite mais une femme, parce qu’elle a hérité de cette voiture achetée un demi-siècle plus tôt par son père, est fière de tenir dans ses mains ce volant qu’elle voyait gamine disparaître dans le tableau de bord. Elle se voit elle-même, sanglée dans son siège auto sur la banquette arrière, quand elle y installe à son tour son fils pour partir en promenade. Elle sait qu’elle a, un jour, fait elle-même ce petit trou dans le ciel de toit parce qu’enfant, elle pensait qu’elle pouvait le gratter sans que ça porte à conséquence. Elle ne compte plus les kilomètres parcourus à son bord, elle en connaît le moindre chuintement, les plus subtiles vibrations. Elle ne se fait aucune illusion : son fils ne conduira jamais cette Peugeot. Conduira-t-il d’ailleurs jamais ? Elle roule, au quotidien, dans une 308 MK8, en finition DS, et elle aime se laisser conduire par l’intelligence artificielle, mais c’est, comme on dit, une voiture sans histoire. Tout le contraire, en somme, de ce coupé devant lequel elle prend la pose, timide et fière à la fois, devant la caméra 16mm d’Elias Ressegatti.

« It’s mechanical. It’s real. And, it’s mine ». 

https://www.futureclassics.tv/


Trois images de plus : 

2 Comments

  1. I reread this article again, after having almost forgotten of its existence a few years back.

    Thank you for these words, as they mean a whole lot to me.

    • Oh I’m so proud !

      I discover Silly Saab and The Wedge right now. And as usual your pictures catch me exactly where something still vibrates of ancient times (I’m sorry, I don’t really know how to say things when I don’t write in french). Your work is strong, it’s singular, and I think it’s also important.

      And now I know I’ll hava to write from your movies again !!

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