Il y en a, des bagnoles, dans les clips de Léonard Lasry. Et ça a finalement plus de sens d’en trouver là que dans la plupart des vidéos de rap, dans lesquelles ce sont moins les voitures qui participent à la mise en scène de soi, que leur valeur économique supposée, quand bien même on ramène les belles mécaniques, l’heure venue, à ceux à qui on les avait louées. Pourtant, à la première écoute, on ne devine pas forcément que la musique de cet auteur, compositeur et interprète soigneux appartienne à ce genre de production qui accompagne idéalement les virées en bagnole, les promenades sur quatre roues, les dérives urbaines et champêtres au volant.
A la seconde écoute, cependant, j’ai réalisé que certaines des chansons de Léonard Lasry, dignes héritières de générations et générations de musique pop française inspirée, profondément légère, ou légèrement profonde, c’est selon, écrite, pensée, construite, composée, lyrique et dansante, faisaient partie de ma playlist Crockett’s ride, aux côtés du Tonight, tonight, tonight de Collins, ou du In dulce decorum de The Damned, rien que ça.
Spark, en particulier, et ce pour une raison particulière : ce titre fait partie de Jours de France, un road-movie à la française réalisé par Jérôme Reybaud, quittant la capitale pour aller se dégourdir corps et âme sur le réseau secondaire des départements ruraux. Un des rares films à tenter de mêler le portrait d’un homme qui, vivant avec un autre homme, prend le large au volant de son Alfa Giulietta, délaissant Google Maps et Waze, leur préférant Grindr, pour la présence humaine, chaque rencontre étant comme un phare sur l’océan des sentiments.
On avait déjà évoqué, dans un article précédent, la collaboration entre Léonard Lasry et Jérôme Reybaud, pour dire tout le bien qu’on pensait de l’association entre la musique de l’un et les images en mouvement de l’autre.
Il se trouve que la sortie du nouveau clip de Léonard Lasry nous offre l’occasion d’en reparler, puisqu’il est, justement, réalisé par Jérôme Reybaud. Ce n’est pas la première fois qu’une telle collaboration a lieu entre eux deux, sur ce format super court qu’est la vidéo musicale. Et déjà, le microfilm qui accompagnait en images L’Eternel savoir-vivre était un « street-movie », une déambulation dans les rues de Paris, sous forme de passage de relais, marchant, pédalant et sur la fin, roulant sur les pavés parisiens au volant d’une Porsche Panamera pour s’achever en jogging, au carrefour de l’imprévu.
De l’imprévu, il y en a toujours chez Léonard Lasry. Si au premier abord, ses chansons pourraient faire penser à William Sheller, par l’érudition qui constitue en quelque sorte leur terreau, on réalise vite que les textes qu’il met en musique, signés par Elisa Point, jouent beaucoup plus du télescopage, des hasards signifiants, de l’incertitude. Comme si les mots choisissaient de prendre la tangente au moment d’entrer en contact avec ce qu’ils signifient. C’est toujours, immédiatement, une porte entrouverte sur un territoire nouveau, miroir déformant juste assez ce qui nous est familier pour qu’une inquiétante étrangeté naisse de la confrontation avec ce reflet. Un mélange de nostalgie tournée dans le vide vers des souvenirs dont on n’a aucune espèce d’idée de ce en quoi ils ont pu consister, et un singulier désir de se retrouver, bien, dans cet environnement étranger, de s’y retrouver, parce que c’est ce à quoi il semble inviter.
On ne s’étonnera pas, dès lors, en découvrant que pour ce Chaos, Léonard Lasry et Jérôme Reybaud s’associent de nouveau, pour une petite promenade en plan séquence, filmée depuis les toutes petites places arrière d’une Peugeot 207 Cc. Léonard Lasry est au volant, tandis que le mouvement rotatif de la caméra dévoile successivement les multiples passagers qui vont l’accompagner, qui n’en sont qu’un sous divers masques. Les univers se télescopent, les sentiments sont, de nouveau, livrés aux libres jeux du hasard, livrant chacun à l’incertitude, mais aussi à la possibilité de la découverte et des hybridations. Evidemment, on peut se dire que le choix de ce petit cabriolet Peugeot relève de la nécessité de pouvoir filmer le ciel tout en roulant. Mais quand on regarde ce que font les deux créateurs, on comprend vite que chez eux, rien n’est vraiment laissé au hasard, et la coupé-cabriolet est, après tout, une voiture conçue pour les chaos de la vie, les rencontres et les moments de solitude, les accompagnements qui ne dureront que ce qu’ils dureront, un véhicule paré à toute éventualité qui, à la différence du tout-terrain, ne délaisse pourtant pas le soin mis à son apparence. Il y a là quelque chose qui ressemble à la définition, telle qu’on a l’impression de la deviner, de Léonard Lasry.