Tues le père

In Advertising, Octavia, Skoda
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Faisons assez court, pour une fois. C’est vous qui allez fournir tout le travail, vous allez voir.

Vous connaissez mon goût pour l’analyse des spots publicitaires. Voici venue l’occasion de vous y mettre aussi, et de le faire sous le pur angle de l’interprétation.

Ces jours ci, les marques sont un peu prises au dépourvu. Elles avaient prévu des jolies campagnes mettant en scène leurs nouveaux modèles, avec des univers et des slogans capables de détourner notre pouvoir d’achat et de nous convaincre que notre vie sera quand-même vachement plus belle, quand on sera l’heureux propriétaire de cette voiture. Et patatras, nous voici tous enfermés à la maison, et censés méditer sur nos priorités. Exactement ce qu’il ne faut surtout pas que nous fassions, au risque de soudain nous rendre compte qu’on ne se porterait pas plus mal si on achetait moins ! Et les marques sont suffisamment conscientes du caractère fictif et un peu irresponsable du bonheur qu’elles vendent pour savoir, très clairement, que ce n’est pas le moment d’en faire trop sur ce terrain.

Du coup, les seules campagnes publicitaires qui peuvent encore s’imposer sans honte sur nos écrans sont celles qui tentent une approche en apparence un peu plus profonde que la moyenne, qui jouent sur les sentiments humains les plus universels, et tentent de produire de l’adhésion à partir du bon vieux fond d’humanité qui nous habite tous.

Bingo ! C’était pile poil l’axe de communication prévu par Skoda pour sa nouvelle Octavia. Un spot intitulé Live your life. Qui va s’opposer à une telle devise ? Si on prend deux personnes on ne peut plus éloignées l’une de l’autre sur le vaste territoire des conceptions de la vie, je sais pas moi, par exemple, une femme lesbienne d’un côté, assumée, revendicative, en phase avec son désir, et de l’autre une autre femme, mère de famille nombreuse, adhérant aux thèses de la Famille pour tous, et militant activement au sein de cette mouvance (terme mal choisi, dans la mesure où il s’agit quand même du refus carrément crispé de toute forme de mouvement, mais bref), on a quand même la certitude que chacune pourra être d’accord avec cette maxime de vie : Live your life, et ce pour des raisons parfaitement opposées l’une à l’autre; génial. Skoda se donne des airs sympa, ouverts, et peut par la même occasion ratisser large.

Le cadre fictionnel de cette mise en scène du discours sympa et fédérateur ? La relation père-fille. Trop mignonne et profonde à la fois, parce qu’on saisit ce moment où se glisse une petite tension entre lui, et elle, tout simplement parce quelle devient adulte et que lui-même, qui reste jeune, sans qu’on sache s’il est vraiment comme ça ou si c’est un rôle qu’il joue, ne sait plus trop comment se situer par rapport à sa fille devenue adulte. Bon choix, on marche forcément devant ce genre de situation, parce que dans le fond, on les comprend tous les deux; elle dans son désir d’émancipation, et d’avoir un père qui soit juste un père, et pas un type excentrique vivant une vie d’adulescent dans le corps d’un type mature; et lui dans son souci de ne pas voir sa fille devenir normée, et s’éloigner de ce qu’elle pourrait être.

Et à vrai dire, je pense vraiment que dans le fond de cette publicité, il y a une mise en scène de l’hésitation devant laquelle se trouve Skoda, en tant que marque, entre deux projets : le premier consiste à rester ce qu’elle était jusque là, c’est à dire une marque destinée à ceux qui veulent, juste, en avoir pour leur argent, c’est à dire pour un budget qui n’est pas illimité, et qui s’en foutent un peu que leur voiture dise au reste du monde « Je n’ai pas les moyens d’acheter une Volkswagen » ou, pire, « Je suis l’employé d’un gars qui roule en Audi », ou bien pire, pire encore : « Quand vous avez laissé la Seat au garage pour aller vous bourrer la gueule entre potes au pub, c’est moi, le chauffeur qui vous ramène chez lui vous pour pas cher ». Le second projet, c’est de surfer sur la vague du succès et se dire qu’on pourrait commencer à faire des voitures désirables. On hésite, on hésite… Vous me voyez venir ? C’est le motif de la campagne publicitaire conçue pour la gamme Skoda au moment de la sortie du Kamiq, et je suis de plus en plus persuadé que dans le trouple Volkswagen, Seat et Skoda, les campagnes publicitaires, parce qu’elles ont pour objectif d’asseoir l’identité de chacune de ces marques, et que leur positionnement provoque quelques frictions au sein du groupe, racontent précisément les hésitations identitaires de ces marques, et la difficultés dans laquelle sont Seat et Skoda de s’émanciper vis à vis de la maison mère, Volkswagen. J’avais déjà évoqué cette lecture des publicités Seat, et ici, c’est Skoda dont on peur regarder la communication en ayant en tête cette double lecture :

D’un côté, une publicité classique, un peu dans le style de ce que fait Volvo, mais en nettement moins bien, par simple manque de profondeur et volonté de ratisser vraiment trop large, au point qu’on ne comprend pas trop le propos, le père s’emmêlant un peu les pinceaux dans ses propres conceptions de la vie : finalement, faut-il en attendre beaucoup de la vie et prendre le risque d’être déçu ? Ou au contraire y aller à fond et se contrefoutre des normes ? On ne sait pas. Finalement, faut-il comprendre quelque chose du fait que dans le spot, la fille soit invitée par une autre fille à une fête, et que son père la découvre dansant avec elle ? On ne saura pas non plus. Les pistes sont potentiellement là, mais ne sont pas explorées. Comme ça, on satisfait tout le monde. Et on sent bien que le souci ne vient pas des deux réalisateurs, Dorian Lebherz et Daniel Titz, car bien que très jeunes dans ce métier, ils ont déjà démontré, ne serait-ce que dans leurs projets d’étudiants, à quel point ils maîtrisent leur outil, et sont capables de dépasser le discours formaté des marques pour lesquelles ils travaillent. Mais si Skoda veut aller sur ce terrain des publicités existentielles, il va falloir oser faire ce que fait Volvo : trancher, et cliver. Or Skoda, pour tout un tas de raisons, comme par exemple le fait que les professionnels qui l’achètent ne puissent pas tellement s’identifier à une marque qui serait trop trop ouverte sur le plan des mœurs libérales, ne peut pas aller jouer sérieusement sur ce terrain ci.

De l’autre vous pouvez regarder une seconde fois ce spot en ayant en tête cette clé de lecture : le père, c’est Volkswagen. La fille, c’est Skoda. Je n’en dis pas plus.

Regardez.

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