Rester groupé
L’automobile traverse une période peut-être un peu paradoxale, au cours de laquelle le regroupement de marques toujours plus nombreuses sous des groupes toujours plus gros provoque une uniformisation de la proposition faite au public, le partage des plateformes contraignant, évidemment, les modèles d’un même groupe à adopter des architectures, des proportions, des vocations semblables, tandis que, dans le même temps, apparaissent aussi, pour la clientèle la plus fortunée, des voitures absolument exclusives, parfois produites à l’unité, à nulle autre pareilles. D’un groupe à l’autre, les économies d’échelles autorisées par le partage du plus grand nombre possible d’éléments est géré de façons diverses. On connaît l’aptitude de PSA à différencier ses modèles, quand ils le veulent, au point qu’il soit difficile de deviner que 3008, C5 aircross et DS7 soient conçus sur les mêmes dessous. On sait aussi à quel point les modèles du groupe VAG ont une certaine tendance à se cloner les uns les autres, pas seulement pour des raisons d’efficacité industrielle : ici, la logique va plus loin, il s’agit, tout à fait volontairement, de faire en sorte que l’air de famille soit manifeste, qu’on puisse lire dans les lignes d’une Skoda la qualité d’un modèle Volkswagen, qu’une Seat soit clairement porteuses de gènes partagés avec une Audi. Il faut dire que lorsqu’on a dans la famille des membres tels que les deux marques fondamentales du groupe, et que ces marques sont porteuses d’une telle réputation, on ne peut pas éviter de faire ruisseler ces qualités sur les modèles plus modestes, afin que la clientèle ait confiance en ces propositions moins onéreuses.
Et peut-être qu’en favorisant actuellement Peugeot, PSA réussira à donner à cette marque une réputation enviée, mais il faudra alors se demander comment faire en sorte que Citroën, DS et Opel (et peut-être d’autres prochainement), puissent être perçus comme des membres de la même famille.
Une air de famille
Quand on produit des gammes dont les modèles pourraient être, quasiment, interchangeables, il faut que la communication permette au public de s’y retrouver. Alors, forcément, on joue sur le ton et l’ambiance de la communication, insinuant que chaque marque évolue dans un univers qui lui est propre. Par exemple, jusque là, Seat était présentée comme la marque dynamique du groupe, une sorte d’Alfa qui serait restée modeste, proche des gens, accessible, refusant l’élitisme économique sans tomber dans l’austérité. Il y avait un côté « prolo sportif » qui permettait d’identifier clairement cette marque par rapport à ses cousines. Mais maintenant que Seat se dédouble dans une autre marque, Cupra, qui lorgne, elle, vers le créneau de l’élitisme dynamique, il devient difficile d’associer Seat au dynamisme sans se tirer une balle dans cette belle tête toute neuve. Alors la marque espagnole doit jouer sur de nouvelles ambiances, de nouveaux univers. Et tout le problème, c’est que ce faisant, elle s’approche beaucoup de l’univers Volkswagen. Et ce qui est étonnant, c’est que la façon dont la marque construit sa communication à propos de son nouveau gros SUV, le Tarraco, semble assumer totalement cette position un peu nouvelle.
Tout d’abord, naturellement, ce qui est mis en avant, c’est la force tranquille qui émane de l’engin. Normal, c’est un SUV sept places, dont les lignes ne masquent pas le volume général. Au contraire, le dessin de la vitre de custode, dont la base remonte obliquement vers le haut du hayon fait entrer le Tarraco dans la famille des gros SUV, dont le dessin souligne et met en scène la masse arrière, suggérant des aptitudes au transport de troupes et au déménagement intéressantes. Il n’y a rien d’extraordinaire dans le dessin de ce modèle, mais il est équilibré, il est assez fièrement posé sur ses grandes jantes, qui font beaucoup pour son allure générale, il propose un design détaillé, et presque un peu trop par endroits, comme la face avant, qui manque peut-être de simplicité, mais c’est aussi la loi du genre. Son toit traversé longitudinalement par des lignes en relief invite à l’utiliser comme une machine à voyager, convoquant ce détail qui semble venir du monde des utilitaires. Le Tarraco, c’est un peu le voisin plombier qui soigne son apparence : on peut l’embarquer au boulot, mais il ne fera pas honte à l’heure des loisirs.
Why not now ?
Le problème demeure que, sur le fond comme sur la forme, le Tarraco pourrait tout à fait figurer dans la gamme Skoda, tant ce ne sont vraiment que des détails de style qui permettent de voir en lui une Seat. D’où cette campagne publicitaire dont l’ampleur indique qu’il ne s’agit pas seulement d’identifier ce nouveau SUV, mais d’inscrire l’identité de Seat dans les esprits. Et cette inscription passe par un nouveau slogan, qui barre les écrans sur lesquels ces micro-métrages sont visionnés : WHY NOT NOW ? Une question dont la traduction se situerait quelque part entre le « Pourquoi pas maintenant ? » (bof), ou le « Qu’est ce qu’on attend ? » (mieux), ou « Qu’est-ce que tu attends ? » (plus directif mais lourd), ou bien « T’attends quoi ? » (encore plus directif, mais carrément trop directif) ou bien encore « Qu’attends-tu ? » (plus poli, mais on a un souci avec le tutoiement), bref, en anglais ça sonne mieux.
Demander « Qu’est-ce qu’on attend ? », c’est en réalité répondre à la question, et constater qu’en fait, le bon moment, c’est maintenant, que ça aurait pu être hier ou avant-hier, mais que ça n’a aucun sens de repousser à demain. La question, dès lors, n’est pas de savoir quand, mais de savoir quoi. Que doit-on faire maintenant ? Franchement, c’est par excellence la question que doit poser et à laquelle doit répondre une publicité. Donc, quand un spot tourne autour de cet épicentre, on peut se dire qu’il peut fonctionner. On connait le principe de la publicité : elle n’est jamais aussi efficace que lorsqu’elle laisse le spectateur répondre, parce que c’est le moment où lui même devient un client potentiel : une communauté d’esprit vient d’être créée entre la marque et le spectateur, et c’est déjà une relation intime.
Que doit-on faire, maintenant ? Ce sont les récits mis en scène qui vont nous l’indiquer : il n’est question, finalement, que de passage à l’acte : quelque chose peut être fait qu’on n’a pas encore fait; pourquoi ne pas s’y mettre ? Le clip publicitaire le plus long, qui met en scène un homme et une femme dans un montage chiasmatique, donne le ton : chacun excelle, dans son domaine. Et sans se connaître, et donc sans qu’ils le sachent, chacun d’eux va s’initier, avec difficulté, mais aussi avec opiniâtreté, à l’activité de l’autre : un batteur va prendre ses premières vagues en surf. Une surfeuse va découvrir la batterie. Evidemment, on suit la logique du marketing : ces deux activités sont valorisantes, puisqu’elles ne s’improvisent pas, elles sont donc caractéristiques de ce genre de personnes qui sont porteuses d’une volonté hors du commun, ce qui force l’admiration de tout le monde; et donc il y aura bien quelques personnes qui se diront qu’en roulant en Tarraco, ils forceront l’admiration des autres pour leur incroyable ténacité devant les épreuves; et bien entendu, la batterie, comme le surf, ça n’entrerait pas dans le coffre d’une Leon, d’où la nécessité pour ces adultes dont rien ne nous dit qu’ils sont père ou mère de famille de rouler en gros SUV (on l’a compris, la vocation familiale, dans le groupe VAG, on l’a confiée à Skoda). Ajoutons un autre détail : les deux héros sont dans ce qu’on appellera la force de l’âge. Seat ne communique plus sur la jeunesse, sur l’énergie juvénile, la marque s’adresse à ceux qui, très majoritairement, achètent des voitures neuves, et tout particulièrement ce genre de voiture, elle parle aux cinquantenaires qui, encore très actifs, en savent assez sur la vie pour savoir que celle-ci peut enfin commencer; ceux qui, donc, sont déjà passés par plein d’expériences, en sont un peu revenus, et peuvent donc passer à autre chose.
No room for excuses
Autour de ce film central gravitent des petits portraits qui constituent, additionnés les uns aux autres, une galerie dans laquelle on va retrouver un peu le même genre de personnes, toutes caractérisées par un changement de direction radical dans leur vie, qui consiste en une sorte d’accomplissement, de révélation, d’accomplissement d’eux-mêmes, après des années passées à faire autre chose. Précisons. Il ne s’agit pas d’hommes et de femmes qui auraient le sentiment d’avoir perdu des années de leur vie à faire quelque chose en quoi ils ne se reconnaissaient pas. Non. Ils se sont accomplis dans leur précédente activité; et là, ils passent à autre chose et explorent une autre dimension d’eux-mêmes, comme ce militaire devenu pâtissier, ce rugbyman qui se met à la musique traditionnelle irlandaise, ou cette femme qui, sur le tard, se lance dans la musique électronique, le mixage. Dans cette série d’incitations au passage à l’acte, un leitmotiv : « No room for excuses ». On ne se raconte plus d’histoires : c’est difficile, il y a des obstacles, mais ce n’est pas une raison suffisante pour renoncer.
Bon, soyons un peu logiques. Une publicité veut nous vendre une voiture en mettant en scène des gens qui passent d’une chose à une autre. Avant, c’était bien, après, ce sera bien aussi. On ne peut pas juste regarder l’écran en se disant que ces gens sont merveilleux. On ne peut pas être dupe, au-delà du raisonnable, de ce qu’on nous montre vraiment. Mais pour le comprendre, il faut peut-être passer par une question intermédiaire : Où ? Où tout cela a t-il lieu ? Et il y a là quelque chose qui, certes, discrètement, crève les yeux : Seat a beau être une marque espagnole, il n’y a nulle trace du climat du sud de l’Europe dans cette campagne de promotion. Au contraire, les univers sont froids, on devine qu’on a réglé la clim sur 20 pour combattre l’humidité ambiante. Est ce pour combattre le lien spontané qu’on pourrait faire entre le gros SUV et le réchauffement climatique ? Hypothèse un peu douteuse. En revanche, ce serait pour s’immiscer dans l’univers d’autres marques que ça ne nous étonnerait pas trop.
Reprenons : une publicité pour des voitures nous montre des gens qui ont changé de vie. Ils avaient une bonne vie, mais ils en changent quand même, parce qu’il est temps. Donc, la question qu’il faut se poser, c’est : quelle est la voiture qu’on est censé avoir, avant d’en changer pour acheter un Tarraco ? L’ensemble de la campagne nous indique deux cibles. Et on devine que toutes les deux sont des marques implantées bien plus au Nord que l’Espagne. Et la première d’entre elles, c’est évidemment Volvo. Les activités, les atmosphères, les lieux, les personnes évoquées, tout fait penser à l’univers scandinave, à cette façon de mêler, harmonieusement, une vie professionnelle et un accomplissement personnel, cette nécessité de se confronter aux éléments, cette relation constante avec la nature et, donc, cette tendance à fortifier le corps en le mettant à l’épreuve dans les environnements les plus rudes. Et bien entendu, le Tarraco peut être envisagé non seulement comme l’engin qui permet d’affronter une météo franchement rigoureuse, mais on peut aussi le concevoir comme une alternative au XC60, avec ce détail paradoxal : le modèle suédois est, dans son apparence, plus latin que son concurrent ibère. Mais il y a une autre cible, et elle est plus étonnante. On l’a sous-entendu plus haut : compressée entre Skoda, qui monte de plus en plus en gamme, et Volkswagen qui ne peut traverser le plafond de verre au-dessus duquel s’est installé Audi, Seat se voit obligée de se positionner de façon très proche de la marque mère du groupe. Et il est impossible de regarder cette série de passages à l’acte qui sont autant d’accomplissement spersonnels, sans se dire que ce qui est décrit ici, c’est l’accomplissement même de Seat. Disons-le autrement : si le passage à l’acte consiste à acheter une Seat, et qu’auparavant on avait déjà quelque chose de bien, c’est que dans l’idéal, l’acheteur d’un Tarraco devait rouler, auparavant, en VW; sans doute pas en Touareg, mais ça pourrait être une Golf, ou un Tiguan.
Ce faisant, le geste de Seat n’est pas anodin, parce qu’il semble s’attaquer à la citadelle intérieure du groupe VAG, comme si émergeait une conscience de la situation difficile dans laquelle se trouve désormais Volkswagen, pas tant en termes de chiffres de vente qu’en matière d’identité et de perspectives. Tout se passe comme si VAG nous disait « Voilà, jusque là, nous avons été Volkswagen, et c’était très bien, mais on n’a pas qu’une vie et désormais le groupe va davantage s’identifier à sa branche espagnole »; et ce sera bien aussi. On est conscient de pousser l’interprétation un peu loin, mais il est possible aussi que, dans le fond, on touche là des articulations qui, ces temps ci, sont un peu sensibles dans ce groupe, car il s’agit toujours de savoir où sont les potentiels, les énergies, quelles formes deviennent peu à peu stériles, quelles propositions perdent peu à peu leurs forces. Et le groupe pourrait légitimement se demander « Why not now ? »
Cold song
Et pour conforter un peu, sur le terrain des symboles, ce que nous essayons de discerner, on va observer le dernier film de cette série, parce qu’il assume tout ce qu’on vient d’évoquer. Le froid et l’univers nordique tout d’abord, puisque ça se passe dans un de ces pays où on peut aller, l’hiver, sur les lacs gelés, y scier un passage et, au choix, pêcher ou bien se glisser dans l’eau pour y vivre des expériences glaciales. Et c’est précisément ce que ce spot met en scène : une femme en combinaison de plongée tire derrière elle son matériel dans un traîneau. Elle se rend au milieu d’un lac gelé, perce un passage, et se glisse dans l’eau, c’est à dire sous la glace, pour parcourir la surface gelée par en dessous, en apnée.
Le premier plan en survol sur les arbres enneigés, on le dirait extrait des prises aériennes qu’on peut voir dans Essentiel Killing, de Jerzy Skolimowski. Et le périple dans l’atmosphère givrée fait aussi penser au terrible The Revenant, d’Alejandro González Iñárritu, l’ours et les indiens en moins. Rien, dans ce spot, ne vient réchauffer l’atmosphère. Et le plus frappant, c’est qu’à strictement parler, le Tarraco qu’il s’agit de vendre n’est pas présent dans le récit. Il est supposé, parce que cette femme n’est pas venue jusque là à pieds, mais il n’est pas intégré au récit. Seul le packshot, qui montre la voiture en mouvement sur des routes enneigées, sûre d’elle, sécurisante, dans son élément en somme, permet de savoir quelle est la marchandise dont on fait ici la promotion. Mais le coeur de ce petit récit, c’est le lent et difficile cheminement d’une femme depuis le froid jusqu’à un froid plus intense encore, comme s’il s’agissait tout d’abord d’habiter le froid, pour le laisser pénétrer en soi, ne faire plus qu’un avec lui. Vous me suivez ? De façon assez hallucinante, on peut parfaitement regarder cette publicité comme une métaphore de la mort. Essayez de la regarder en écoutant Cold Song, interprété par Klaus Nomi, qui raconte la lente progression de la morsure givrée de la mort dans le corps du chanteur, sa peur, mais aussi la symbiose qui s’installe, tranquillement, entre ce corps et ce qui l’anéantit; vous avez envie d’attraper un plaid, n’est-ce pas ?
J’ai déjà évoqué le fait que la publicité automobile fait volontiers appel, aujourd’hui, à des affects sombres, ou douloureux, et j’ai encore pas mal d’exemples à proposer. Mais là, il faut admettre que Seat pousse ce principe beaucoup plus loin que ce qu’on pourrait imaginer possible dans une publicité, et que cette marque ensoleillée, incarnant théoriquement l’énergie vitale, ose quelque chose d’assez inattendu en nous emmenant ainsi faire une balade blafarde sous les eaux gelées du Styx. S’agit-il de jouer avec des émotions morbides ? Sans doute pas. D’abord parce que ce n’est pas le récit d’un suicide, que cette femme semble maîtriser ce qu’elle fait. Le film flirte avec l’idée de la mort sans aller jusqu’à la tutoyer. Ce dont il s’agit vraiment, ce sont les mots qui nous l’indiquent : de l’âge venant, du vieillissement, du ralentissement progressif des fonctions vitales, du froid qui gagne du terrain. Tout est question de mouvement, et d’arrêt. Quand, et où, s’arrête-t-on ? Est-ce le mouvement qui épuise le corps qui l’exécute ? Ou est-ce le corps qui s’épuise en ne se mettant plus en mouvement ? Vous avez quatre heures… Mine de rien, la question n’est ni anodine, ni absurde. Tout observateur un peu logique peut repérer ceci : poser la question du mouvement et de la fin de celui-ci quand il s’agit d’automobile, c’est toucher à la racine même de ce qu’est une voiture, à sa raison d’être, à son essence. Et lier ainsi cette essence au mouvement même de l’existence humaine, à l’épuisement progressif de l’énergie vitale qui anime chacun d’entre nous, c’est faire de cette histoire de vitesse et de ralentissement une question cruciale, la seule qui vaille vraiment la peine d’être posée.
Ce que dit ce film, en fait, c’est qu’on peut aller jusqu’à l’arrêt quasi complet du mouvement, et néanmoins repartir. On peut friser la mort, et renaître. A strictement parler, cette proximité de la mort est même la condition de la reprise, comme l’hiver est la condition du printemps (et on est heureux d’avoir là l’occasion d’être en phase avec le chef de notre présipauté, dont on connaît les profondes théories sur le printemps). Et si on place ce principe de rebond vital au beau milieu de la vie des marques chez VAG, ce qu’on comprend, c’est que ce groupe reprendra d’autant plus vie qu’il osera rompre avec ses formes anciennes. Et si Volkswagen est la forme ancienne de ce groupe, il faut alors comprendre que Seat prétend, donc, en être le tournant, et la suite.
La galerie de portraits de la série « No room for excuses », réalisée par Tessa Louise Pope, pour le compte de l’agence Sunshine & sausages :