Happy days

In Advertising, Chevrolet, Impala 66, Tom Hooper
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On ne cesse de le répéter ici, la bagnole, au-delà de son aptitude à couvrir un nombre incalculable de bornes et à engloutir des quantités illimitées d’énergie fossile, ou pas, est aussi une splendide machine à raconter des histoires, une mécanique à récit, une source inépuisable de narration.

On le répète aussi régulièrement, l’Amérique est, au-delà de sa tendance naturelle à dominer la planète, à plier le monde à sa volonté, à imposer partout ses codes culturels, politiques, linguistiques et commerciaux, une magnifique machine à produire du récit, une nation qui est tout entière narration, histoire à dormir debout, récit fantastique, scénario de film.

Alors, forcément, l’addition bagnole + USA ne peut que donner de bonnes vieilles trames narratives, des fables épiques, des romans visuels dans lesquels l’aventure d’une vie saisie en cinémascope, vient épouser les contours des paysages XXL, faisant coïncider le drame personnel avec ce que les vies humaines ont, toutes, de nécessairement tragique.

Les objets neufs n’ont pas d’histoire. Les vestiges, eux, en sont pétris. Dans Une Vie, de Maupassant, Jeanne le Perthuis des Vauds se trouve contrainte de vendre le château familial, laissant derrière elle une majeure partie des objets et meubles qui ont habité sa vie, accompagné son histoire, construit sa mémoire. On la voit errant dans la demeure, s’accrochant au mobilier d’une chambre, délaissant des bibelots dont elle ne sait même plus qui les avait acquis. Une simple tasse ébréchée dans un service de Chine lui rappelle l’instant précis où, avant même son mariage, elle l’avait brisée. Parce que les objets sont nos compagnons discrets, mais fidèles, ils sont les jalons de notre récit personnel, posés là comme des disques durs externes, chargés de nos émotions et moments de vie passés, prêts à les restituer au premier regard.

Les bagnoles sont, encore plus que toutes nos autres possessions, capables de telles réminiscences. Parce que nous ne nous contentons pas de les tenir en main, parce que c’est elles, aussi, qui nous tiennent en elles, parce qu’on y circule accompagné, qu’elles sont vecteurs de mouvements partagés, de rapprochements, de contacts, d’émotions communes, de peurs simultanées et d’émerveillements synchronisés, elles portent en elles le souvenir des instants uniques qui y ont été vécus. C’est sans doute quelque chose qui disparaît peu à peu, à mesure que les locations longue durée éloignent chacun de véhicules qu’on utilise plus qu’on n’y vit. Mais les anciennes voitures sont, elles, de véritables accumulateurs d’existence, des mémoires de masse contenant une bonne part de nos vies passées à leur bord, d’amours naissantes, de drames dont on a essayé de se vider l’esprit en roulant sans but seul à bord, de joies vécues avec les enfants encore jeunes sur la banquette arrière, quand on guettait du coin du regard lancé dans le rétroviseur leurs yeux émerveillés au moment d’atteindre la plage promise, ou le haut d’un col depuis lequel la vue s’ouvre sur un paysage inoubliable.

Ce sont ces émotions sans pareilles qui sont mises en scène dans Holiday Ride, ce beau spot que Chevrolet envoie comme un cadeau hivernal adressé à ceux qui n’ont pas l’intention d’acheter une automobile pour la mettre au pied du sapin, mais vont juste se remémorer la marque, et voir en elle une sorte d’étoile amie diffusant des good vibes au bon goût d’esprit de Noël. La marque met les petits plats dans les grands pour nous embarquer, quatre minutes durant, dans ce récit archétypique : ce moment où le rapport entre générations bascule, où les enfants voient leurs parents enlisés dans leurs souvenirs heureux, s’y emmitouflant pour ne pas avoir à affronter un présent dans lequel ils sont trop seuls pour trouver le bonheur. Ici, c’est une Impala de 1966 qui sert de catalyseur au trop plein d’émotions, vestige d’un passé heureux que le présent ne peut plus concurrencer, objet désormais inerte auquel il suffirait de redonner vie pour qu’un homme désormais solitaire puisse, de nouveau, aller de l’avant et accompagner, pour le temps qui reste, sa fille dans sa propre trajectoire.

A la réalisation, pas tout à fait n’importe qui, puisque c’est Tom Hooper qui dirige ce mini métrage. On lui doit entre autres The King’s speach, et le très beau Danish Girl. Autant dire qu’on est entre des mains qui savent manier avec délicatesse les émotions profondes. A la photographie, Claudio Miranda, lui aussi oscarisé pour l’image saisissante de L’Odyssée de Pi, et presque aussi connu pour avoir travaillé sur plusieurs films de David Fincher (The Game, L’étrange Histoire de Benjamin Button ou Zodiac). Et, vraiment, si un cinéaste peut être abordé sous l’angle particulier de la photographie de ses films, reconnaissable entre tous, c’est bien David Fincher. Et à la musique, Rachel Portman dont l’œuvre a, elle aussi, été déjà saluée par les Oscar. Bref, que des pointures.

Et au centre, un cabriolet dans son jus, délaissé mais pas oublié, pôle d’attraction des souvenirs, machine à voyager dans le temps, mécanique fictionnelle capable de joindre l’imaginaire et le réel, le passé et le présent, le révolu et l’à venir. Une route 66 à elle toute seule, une nationale 7 à part entière, une route des vacances dont les panneaux de direction, sur la droite, indiquent tout simplement « les jours heureux ».

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