La Voiture pour Vivre

In Dacia, Duster 3, Non classé
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En regardant le marché automobile on a parfois l’impression d’être face au boucher au moment où, tranche-lard en main il nous lance « Y en a 3 kilos de trop de la ventrèche, je vous les mets quand même ? » La surenchère étant la règle, chaque modèle voit plus grand que le précédent. L’électrification a poussé les curseurs de la puissance dans le rouge, permettant à la première marque chinoise venue d’aligner des chiffres dont ne rêvaient même pas les constructeurs superlatifs il y a encore quelques années. Logiquement, les performances grimpent sans fin malgré la nette prise d’embonpoint du parc automobile, lesté dans ses soubassements par des packs de batteries capables d’engloutir une quantité exponentielle de puissance électrique. Evidemment, associer des masses plus importantes à des vitesses plus élevées défie les lois de la physique telles que Galilée et Newton les avaient définies, mettant à mal la sécurité ; qu’à cela ne tienne, on rajoute des dispositifs chargés d’endiguer les écarts, de prévenir les erreurs d’appréciation, de seconder le conducteur voire, si nécessaire, de prendre la main pour mener à bien les manœuvres périlleuses. Mais comme la sécurité, ça ne se voit que lorsqu’on en a besoin et qu’on peut difficilement épater les potes en lançant la bagnole contre un mur en leur compagnie pour faire exploser simultanément la batterie complète des airbags, il faut bien en rajouter une couche supplémentaire du côté des équipements : matériaux plus nobles, au toucher plus profond, light-shows intérieurs à la hauteur du feu d’artifice lumineux offert par les calandres et les signatures lumineuses externes jouant leur petit numéro de séquence d’accueil à chaque déverrouillage, sonos de pointe pour mieux écouter les jérémiades vocoderisées de Vitaa, incontournables écrans partout, absolument partout : à l’avant, à l’arrière, sur la console centrale puis en lieu et place du combiné d’instruments mais aussi désormais face au passager, histoire qu’il ait quelque chose à regarder puisque tout ce qui se situe au-delà du pare-brise et des vitres latérales, ce que le commun des mortels appelle « le monde », est réputé être chiantissime, sur les contreportes même et au plafond tiens, pourquoi pas ? Avec le recul, on les trouve un peu moins ridicules finalement, les tuners qui installaient un home cinéma dans le coffre de leur Leon ; un de ces jours, à force de gagner en compétences de massage, les sièges d’une simple Clio pourront contre quelques centaines d’euros de plus, proposer une « finition ». Rien ne semble être jamais assez, tout semble être par avance décevant puisqu’on sait d’ores et déjà que l’altitude suprême qui est atteinte aujourd’hui sera toisée deux ans plus tard depuis un sommet plus élevé encore.

A l’Heure de la débauche

La débauche de moyens est une des caractéristiques de la décadence : puisqu’on ne sait plus trop vers où aller, on en fait des tonnes en croisant les doigts pour que le plus grand nombre ne se rende pas compte qu’en réalité, on en fait trop. Jadis on se foutait un peu de la gueule des tableaux de bord Maserati parce qu’y trônait une petite horloge de mauvais goût. Aujourd’hui, on accepte sans sourciller des intérieurs qui sont intégralement constitués d’éléments incomparablement plus clinquants que cette montre de bord. La première Mercedes venue soit proposer une ambiance située à mi-chemin entre le club échangiste et le bar à chicha. Les bornes ont été repoussées en dehors de l’univers connu. L’automobile semble avoir fait du slogan de Buzz l’Eclair leur leitmotiv : « Vers l’infini, et au-delà ! », au point que même une citadine peut, littéralement, se croire tout permis. La nouvelle Lancia Upsilon, telle une Vénus sortie de l’eau, devrait en faire une sorte de démonstration. Toutes les marques se donnent comme programme de développement, la surenchère.

Toutes ? Non ! Car une marque peuplée d’irréductibles concepteurs résiste encore et toujours à cette inflation des moyens et des prétentions. Et la vie n’est pas facile pour ses concurrents. Dacia fait partie de ces constructeurs qui ont compris que « davantage », ce n’est pas nécessairement « mieux », qu’à trop charger la barque, elle devient une péniche un peu lourdaude qu’on déguise en Pacific Princess histoire de faire illusion.

La parente pauvre du groupe Renault a beau avoir comme ligne de conduite la modestie, elle ne joue pourtant pas petit bras. Et sans doute dans son histoire récente, le Duster est-il précisément le modèle qui lui permet d’avancer fièrement, la tête haute. Pour un peu, on en oublierait presque que dans notre adolescence, Dacia, c’était des Renault 12 produites et distribuées bien au-delà de la date de péremption, agrémentées de boucliers censés moderniser leur ligne un poil surannée. A partir de la Logan, la marque s’est développée de façon particulièrement futée, investissant le marché pile poil là où une clientèle un peu blasée par la culture « premium » cherchait en vain quelque chose qui corresponde à une définition de l’automobile que le marketing avait décidé de ringardiser, histoire de vendre plus cher et habituer la clientèle à cette inflation.

La Logan et ses dérivés étaient, déjà, particulièrement intelligents ; au point que le break MPV réussissait à susciter un doute : malgré ses proportions étranges, ne discernait-on pas en lui cette espèce de charme qui émane des êtres simples, francs, directs, qui ne promettent rien d’autre que ce qu’ils peuvent offrir mais garantissent ce qu’ils proposent, sur lesquels on peut compter parce qu’ils fondent leur existence sur le réel et ne jouent pas les illusionnistes pour mieux séduire ? Le MPV nous remettait les pieds sur terre : certes, il avait un empattement de teckel, mais c’était le prix à payer pour disposer d’un espace intérieur suffisant pour sept personnes, et géant pour cinq. On sentait qu’on pouvait claquer les portes battantes de sa soute, y déverser un tas de matos de spéléo encore boueux, des pelles et des pioches, des chiens de retour de baignade, des après-skis, un chariot de char à voile plein de sable et d’eau salée ; pas de moquette à ravager, les plastiques on s’en fout, la sellerie est rustique. Dacia faisait son entrée dans le monde automobile contemporain par la face nord, la plus rude et la plus exigeante. A la façon dont Skoda a, mine de rien, convaincu son monde par son aptitude à répondre aux attentes professionnelles très pragmatiques des gros rouleurs, allant à l’essentiel pour faire cet essentiel le mieux possible, Dacia était à l’univers automobile ce que le petit Pimousse était au monde des bonbecs : petit, mais costaud.

Né de la poussière

La transformation de l’essai, c’était le Duster. En proposant un franchisseur modeste mais efficace, Dacia mettait la puce à l’oreille de tous ceux qui ont besoin, au quotidien, d’un honnête travailleur qui ne rechignera pas à tracer son chemin à travers bois sur des pistes non goudronnées et ne déclarera pas forfait devant le premier bout de sentier recouvert de neige verglacée. Dans le même temps la marque envoyait un clin d’œil à ceux qui ont envie d’un véhicule de loisir sans avoir les moyens ou l’envie de s’acheter les engins à la mode qui, souvent, miment l’aventure davantage qu’ils ne permettent véritablement de la vivre. Le Duster, c’était pour Dacia l’occasion de s’offrir davantage de légitimité sur le territoire des costauds, tout en montrant une capacité encore inconnue à faire partie des bons vivants. Si la Logan était un humble serviteur, le Duster était un de ces ouvriers capables de travailler dur aux heures ouvrées, et de s’en jeter quelques uns derrière la cravate dans ces apéros d’après boulot qu’on n’appelait pas encore, et que lui n’appellerait jamais d’ailleurs, des afterworks.

La recette qui a permis de mitonner le premier Duster semble tout droit sortie de la cuisine d’un restau routier. C’est le genre de plat qu’on ne revisite pas vraiment. On le fait juste à sa sauce, l’objectif étant que, de génération en génération, on ait bel et bien l’impression de manger le même plat. Et comme le Duster donne plus dans la prestation réelle que dans la simulation d’aptitudes imaginaires, le mieux, pour que le Duster 3 donne l’impression d’être un Duster tout court, c’est qu’il en soit vraiment un.

Same Player, shoot again

C’est la raison pour laquelle Dacia ne change pas cette équipe qui gagne. Stratégiquement, on est à l’opposé de ce que fait Peugeot avec son 3008. Et ce que ça indique, c’est que le Duster est acheté pour ce qu’il est et pour ce qu’il est capable de faire. Le 3008, lui, est davantage choisi pour ce qu’il représente. Et on a là une ligne de fracture qui permet en gros de diviser le marché en deux catégories commercialement assez distinctes, dans lesquelles on peut assez aisément classer l’ensemble du parc automobile. Et ce n’est pas pour rien que chez Dacia on soigne la relation client : à bien des égards, la méthodologie suivie par Dacia pour concevoir le Duster MK3 fait penser à celle qui permet aux grandes franchises cinématographiques ou sérielles de se construire dans un dialogue constant avec les publics fans. En soignant le lien avec les fans, on s’assure de produire des films et des séries qui répondent vraiment aux attentes du public, bien qu’on prenne alors le risque de produire des oeuvres très stéréotypées, sans véritable signature ni personnalité. Mais l’avantage du Duster, c’est que c’est un outil, et pas une oeuvre. Dès lors, les fans n’attendent pas vraiment de lui une image ou des symboles. Ce qui les motive, c’est l’usage qu’ils font de leur outil.

C’est la raison fondamentale pour laquelle certains aspects du Duster ne changent pas d’une génération à l’autre. En particulier, son format : son empreinte au sol est la même. Ainsi, si le Duster 2 entre dans votre garage, le Duster 3 y entrera aussi. Ca permet aussi de garder, invariantes, ses capacités de chargement et d’habitabilité. Dacia ne joue pas sur l’échelle de son modèle. Il ne donne pas l’impression d’être autre chose que ce qu’il est. Et pourtant, il n’est pas une copie du précédent.

Avoir les épaules

Il joue la même partition certes, mais en l’interprétant de façon un peu différente. Tout d’abord parce qu’il tire vraiment parti de la nouvelle calandre qui unifie toute la gamme. Cette fois-ci, la face avant intègre de façon fluide tous les éléments qui la composent : logo, optiques et signature lumineuse tout à fait horizontale. Cette proue constitue désormais un ensemble massif et solide qui inspire confiance.

Il y a un truc assez intéressant à suivre, dans la façon dont Dacia fait évoluer sa signature lumineuse : pour un peu, on dirait qu’ils réussissent ce que Citroën a du mal à réaliser. Et ça n’est sans doute pas un hasard car, de façon générale, Dacia est la version réussie de ce que Stellantis ne parvient pas à faire avec Citroën, sans doute parce que Dacia n’a pas à s’encombrer avec une quelconque histoire. A l’arrière, les optiques sont, un peu comme chez Citroën, montées carrément en dehors du volume de la carrosserie, comme des pièces ajoutées. Elle dessinent un V dont les branches convergent vers l’extérieur, contrairement à ce qu’elles faisaient sur le précédent modèle, qui faisait davantage penser à la signature Citroën, dans son orientation.

Ainsi, le nouveau venu semble davantage épaulé, plus massif. Ce nouveau dessin réussit à lui donner une apparence plus solide, mais aussi davantage soignée, avec des éléments visuels plus francs, une allure plus graphique, tout en permettant au regard une lecture très simple de ses formes. De profil, la remontée du vitrage à l’arrière fait un peu penser au Volvo XC 40. Ce qui change tout, ce sont les montants peints en noir. Jusqu’à maintenant, le Duster donnait l’impression que son coffre était une sorte de module supplémentaire, comme un sac à dos que la voiture portait en plus de son habitacle. Le traitement des volumes prenait même soin d’inscrire la vitre de custode dans un creux formé par le travail de tôlerie, comme s’il s’agissait d’un élément ajouté dans une surface qui aurait pu être pleine. Ce dessin renvoyait à l’univers des utilitaires en laissant supposer qu’en lieu et place de la troisième vitre latérale pourrait se trouver un panneau tôlé. Le nouveau venu n’entretient plus cette ambiguïté et laisse le vitrage filer sur la longueur, dans une belle continuité. C’est peut-être là, finalement, que ce modèle perd visuellement le plus en rusticité.

Hard boiled

A l’avant, l’ensemble formé par la calandre et les optiques semblent grimper encore plus haut. En réalité, c’est surtout qu’il est plus fin, laissant dès lors davantage de place au bouclier. Celui-ci en profite pour s’affirmer davantage en devenant résolument massif, et moins intégré au volume général, comme s’il s’agissait d’un élément ajouté à l’ensemble. Cet avant est plus lourd, et moins rustique à la fois, laissant parler la poudre dans la façon dont son capot est sculpté. Ainsi, le bossage central laisse imaginer une mécanique musclée. C’est peut-être le seul point sur lequel le Duster en rajoute un peu, esthétiquement, par rapport à ce qu’il propose vraiment. La calandre joue vraiment sur le registre de la grille, en se présentant comme une structure sur laquelle seraient fixés les motifs horizontaux qui traversent cette face avant de part en part. Pour un peu, on serait tenté de fixer un cable sur ces éléments de calandre et de treuiller l’engin ainsi. On se gardera cependant de mener cette menace à exécution. Certains éléments sont sans doute un peu moins costauds que ce que leur allure laisse supposer.

Mine de rien, la façon dont cet avant est construit contribue, dans les associations d’idées qui viennent à l’esprit en le découvrant, à faire entrer le Duster dans la famille des durs à cuire. On pense au Hummer new gen, avec sa barre lumineuse transversale, mais aussi la façon dont les ailes se développent en larges bossages sur le capot. On a aussi en tête Jeep, avec cette succession de modules de calandre, 7 chez l’américain, 5 pour le roumain. Tant qu’à évoquer d’autres identités, autant taper là où il n’y a aucune ambiguïté.

Pour autant, ce Duster réussit à éviter tout caractère excessivement spectaculaire. La preuve ? Deux tentatives ont été déjà menées, de visualiser ce que donnerait le Duster MK3 dans une définition la plus simple et modeste possible. X-Tomi Design a montré une interprétation de ce Duster réduit à l’essentiel, Julien Jodry s’est aussi plié à cet exercice pour Auto-Moto. Dans les deux cas, avec ses jantes en tôle et sans aucun effet esthétique, le Duster a encore de l’allure. Sur ce plan, c’est au Defender de Land Rover que le Dacia fait penser, capable lui aussi d’avoir de la gueule en grande tenue premium, comme en bottes en caoutchouc.

Le Génie de l’incomplétude

L’intérieur fait preuve de la même intelligence : sans esbrouffe, l’ensemble fait solide tout en étant soigné. Il n’y a rien de trop, on point qu’on puisse même se passer de ce qui semblerait aujourd’hui incontournable dans la plupart des autres modèles. Il n’y a pas de hasard si, chez Dacia comme chez Citroën avec la nouvelle C3, on n’impose pas l’écran tactile au client, en se disant qu’après tout, on en a tous un dans la poche, en permanence mise à jour et de qualité suffisante pour faire office de tablette lorsqu’on conduit. C’est une source de dépense et de souci en moins. Après tout, on retrouve alors une véritable planche de bord, avec tout le dégagement et l’apaisement visuel que ça suppose. Cet intérieur développe aussi le caractère pratique qu’inspire de façon générale ce modèle : en proposant le minimum vital, le Duster laisse imaginer la vie qui va avec.

Aristote disait que le signe de l’intelligence, en l’homme, ce sont ses mains. Parce que pour lui les mains sont les prises USB du corps humain : elles permettent de brancher sur l’homme tous les outils qu’on conçoit pour compléter cette créature inachevée, en lui donnant tout un tas de fonctionnalités nouvelles. De la même façon Dacia dote le Duster d’un système de fixations nommé Youclip qui permet de l’équiper d’éléments supplémentaires. Lampe de poche, porte gobelet, support de smartphone ou tablette, crochet auquel prendre un vêtement ou un sac. A strictement parler, la seule limite du dispositif, c’est l’imagination de ceux qui concevront des gadgets pour le compléter. On imagine déjà, à la façon dont une communauté de concepteurs 3D s’est mobilisée autour de la Citroën AMI, des usagers échanger des fichiers open source pour imprimer des pièces supplémentaires afin de multiplier les usages de cette nouvelle voiture.

Outdoors

Dacia semble avoir bien observé l’univers de ceux qui vivent leurs activités en extérieur : sous une apparence volontiers anti consumériste, on ne rechigne cependant pas à s’équiper, de façon parfois assez onéreuse. Il suffit de faire un tour aux abords d’un étang de pêche pour comprendre qu’aujourd’hui on ne rapplique plus avec une simple canne pour taquiner le goujon. Désormais, il faut carrément une espèce de chariot pour déplacer la quantité folle de matériel qu’exige ce loisir théoriquement populaire. Idem sur les parkings de départs de randonnée : tout en se la jouant modeste, on met quand même une plombe pour enfiler le pantalon qui va bien, les chaussettes idoines, les chaussures hitech déguisées en godasses no-look (que chacun reconnaîtra néanmoins au premier coup d’œil), les bâtons de marche en kevlar, le sac à dos riquiqui dehors et gigantesque dedans, les lunettes qui filtrent les UV, le couteau de survie. Tout ça pour une simple marche qu’on effectuait jadis en jean et en ersatz de Pataugas achetées pas cher au supermarché du coin. Mine de rien, sous un discours économe, Dacia lance de gros signaux à tous ceux que ça titille, le déballage de matos sur les parkings des spots nature : les barres de toit qu’on peut astucieusement placer à l’équerre et compléter par une vaste galerie sont une invitation à entasser toute la panoplie inspirée par ceux qui accompagnent leurs publications du bon vieux #vanlife sur Instagram.

D’emblée, le Duster a été présenté avec le Sleep Pack qui permet de le transformer en petit van. Rien à voir évidemment avec ce que permet un Jumpy ou un California. Mais mine de rien, on peut y dormir (ce qui explique la présence d’un support Youclip sur la porte du coffre), on peut y stocker un peu de matériel, on peut charger la galerie, voire même y installer une tente. Ne reste plus qu’à compléter tout ça avec un un réchaud, des sacs de couchage, une douche solaire, une cafetière Nespresso portable, une frontale, installer park4night sur son smartphone pour devenir une sorte de boyscout 2.0.

Lever de Drapeau

Dernier détail : depuis la deuxième génération du Duster, on se demande un peu ce à quoi peut bien servir cette bande de plastique noir qui longe la limite verticale de la porte avant. Notons que sur la troisième génération, elle augmente en surface et ne se situe plus sur l’aile, mais sur la porte elle-même. Ainsi, l’aile semble plus longue et l’habitacle paraît repoussé un peu vers l’arrière, impression renforcée par le déplacement de la poignée de porte postérieure vers le montant de custode. Cet empiècement noir est plus volumineux qu’avant, et sa forme pourrait laisser penser qu’il joue un rôle technique. Ce n’est pourtant pas le cas. Mais il évoque, par sa forme, une espèce de snorkel, ou bien une prise sur laquelle un tel équipement pourrait venir se plugger. Ce faisant, le Duster se dote d’un élément qui évoque les véhicules baroudeurs. Si on laisse de côté toute forme d’évocation technique liée à l’univers du offroad, on peut aussi voir dans cet effet de style une sorte de drapeau, ou d’étendard. Un signe de reconnaissance spécifique à ce modèle. Evidemment, si on veut s’amuser à chercher des références, le fait qu’on pense immédiatement au Range Rover, qui se distingue lui aussi dans sa propre gamme par un empiècement spécifique dans sa porte avant, ne doit sans doute pas grand chose au hasard. Un signe de plus que chez Dacia, on est globalement habile dans le jeu des références, dans la conjugaison des signes, le détournement des symboles et l’écriture d’un nouveau style.

Voiture à Vivre

Reste que si le Duster fait envie, c’est au moins autant pour l’usage qu’on peut en faire que pour le soin que ses créateurs ont mis à lui donner bonne mine. En d’autres termes, s’il est l’honnête successeur du concept car Manifesto qui l’a précédé, c’est moins pour ses formes ni même pour sa radicalité que pour le fait qu’en le regardant, on se projette immédiatement dans les multiples façons dont on pourrait l’employer. Boulot, voyages, activités de pleine nature, virées à la campagne, sorties à la mer, grimpettes en montagne. Pour le dire autrement, si Renault se cherche un peu une identité ces temps ci, cherchant dans son passé des formes iconiques auxquelles s’accrocher, Dacia semble avoir compris l’essentiel : le Duster est, avant tout, une voiture à vivre.

Problème : le slogan était déjà pris. Mais puisque décidément on est plutôt intelligent chez Dacia, on s’est dit qu’on pouvait le dire sans écrire ni prononcer les mots. Il suffisait pour cela de les chanter. D’où le spot, vraiment réussi, qui accompagne la sortie commerciale de ce nouveau Duster. Si vous voulez un résumé en images et en mouvement de quasiment toute l’analyse menée ci-dessus, il suffit de regarder ce film réalisé par Max Walkin. Tout y est. Le lien au monde des travailleurs est filmé tout d’abord dans le regard d’un ouvrier sur les wagons transportant les voitures dont on devine qu’elles sont construites dans l’usine qui est son lieu de travail. On le voit tout d’abord cheminant le long de la voie de chemin de fer, avant de le retrouver, au coeur de l’usine où il est employé, avec son t-shirt arborant le drapeau français (alors que le Duster est fabriqué en Roumanie, histoire de nous rappeler que, tout de même, et même bien faite, toute publicité est une fiction). La famille est l’autre grand sujet de ce spot, montrée sous toutes ses formes, voyageant chaleureusement ou plongée dans sa propre crise, duo de couples roulant vers un mariage ou couple de femmes s’embrassant en pleine rue. Les enfants occupent une grande place dans ce film du coup, d’absolument tous les âges, de l’embryon jusqu’au jeune adulte en âge de se lancer dans ses premiers jobs. Le rapport à la nature est omniprésent, du jeune homme qui part en solitaire pour une sortie VTT dont il revient vélo à l’épaule, couvert de boue, à celui qui peine un peu à monter sa tente en plein vent en passant par la bande de jeunes gens qui se lancent vers une baignade dont on devine qu’elle va se passer de maillots de bain. Ce qu’on retient de ce spot, c’est une galerie de portraits unifiée par le Duster, dénominateur commun de ces personnes présentées comme « vraies », détail clivant dont le spot aurait pu se passer. C’est l’engin qui permet de rejoindre la piste de VTT, la rivière sur laquelle on pourra se lancer en canoë, le bivouac qu’on partagera avec des amis, la banlieue pavillonnaire vers laquelle on retourne chaque soir après le boulot.

Voiture rêvée

En ouverture, le visage assoupi d’une jeune femme qui utilise la vitre arrière comme repose tête. A ce moment précis, la voix de Michel Berger nous dit « Comme on s’endort, calme et sans penser à rien, en fermant les yeux très fort, vivre ». On pourrait difficilement trouver une image de l’expérience automobile plus universelle que cette sensation qu’on a, petit ou grand, d’être transporté, passager à l’arrière, alors qu’on s’appuie sur le côté pour se caler la boite crânienne et qu’on somnole, bercé par la translation du voyage. Parce que c’est la manifestation de la confiance, parce que c’est un double déplacement qu’on vit, extérieurement et intérieurement. Alors, la voiture révèle son talent incomparable dans l’art de nous faire exister : on est là et déjà ailleurs à la fois, on se projette dans un espace qu’on n’a pas encore atteint, auquel l’automobile va nous permettre d’accéder, nous élançant au-delà de ce que le corps parviendrait à rejoindre.

A strictement parler, ce spot est de bout en bout un songe vécu par une passagère endormie à l’arrière d’un Duster, qui rêve de gens qui vivent des étapes importantes de leur vie en Duster. Les premiers jeux de l’enfance, la découverte des éléments, l’amitié, la rencontre amoureuse, l’attente de l’enfant. Autant de phases de l’existence humaine qui ont ceci de paradoxal dans une campagne publicitaire, qu’elles placent la voiture au second plan. Ainsi, si on la voit, brillant sous les feux de la rampe de peinture, en sortie d’usine, le plan suivant la montre pataugeant dans une flaque de boue, dégueulassant sa carrosserie. A de multiples reprises, le spot fait référence au fait que, globalement, la vie, c’est salissant : chemins non goudronnés, larmes, chien trempé. On s’en fout finalement parce qu’en fait, ce n’est après tout qu’une bagnole. Si on en voit la genèse, des plans techniques jusqu’à la construction dans l’usine, c’est pour mettre en avant la vie des travailleurs qui la produisent. Subrepticement, on monte en parallèle la conception de l’enfant, à travers les vues échographiques, et le plan de montage de la voiture, afin de filer cette métaphore : ce qu’on maîtrise, c’est la conception. Au-delà, tout peut arriver. Les enfants suivent des voies qu’on n’avait même pas imaginées. Les objets seront utilisés de façons dont leurs concepteurs n’avaient même pas eu idée.

Cette marge d’incertitude, c’est ce qu’on appelle la vie.


Maintenant, place au cinéma. On n’a sans doute pas assez insisté sur l’idée géniale d’embarquer tout le monde sur ce titre de Michel Berger, inédit sorti en 2022, bien après sa mort. On pourrait presque croire que cette chanson a été écrite pour ce spot.

Enfin, pour les rares lecteurs qui n’auraient pas encore vu ce Duster sous tous les angles dans des photos de bonne qualités, voici de quoi compléter les photogrammes tirés du mini film de Max Walkin :

3 Comments

  1. Le developpement de cette marque, son réseau et ses produits depuis 2002 est juste parfait. Merci à la maison mère (Renault) de l’avoir permis. Et certainement les bonnes personnes aux bons endroits aux bons moment pour en arriver là. J’ai une âme « citroëniste-peugeoïte » mais force est de reconnaître qu’actuellement, le sens que Renault-Dacia influent dans ce qu’ils font est plus clair que pour l’autre binôme, où l’on se cherche clairement … D’une histoire low-cost, Dacia écrit désormais une gamme cohérente, avec des partis pris, une identité affirmée. Que l’on aime ou pas, il est possible de dire ce qu’est Dacia, stylistiquement, techniquement, socialement … la suite de l’histoire est attendue avec intérêt, et même si ce n’est plus dans l’air du temps, j’eu été curieux de voir une grande berline un peu statutaire Dacia (il existe une Logan contemporaine (logan 3?) qui n’est pas commercialisée en France que je trouve attrayante).

    • En fait, je me découvre un peu schizophrène. Tout en restant assez fasciné par ce que Peugeot construit stylistiquement, je suis de plus en plus intéressé par ce que propose Dacia, tant les voitures elles-mêmes que la communication qui accompagne ces modèles, l’ambiance qui règne autour de la marque. Moi aussi, en voyant les berlines construites pas Skoda, je me suis demandé ce à quoi pourrait ressembler une sorte de Renault 20 des temps contemporaine, telle que Dacia pourrait la concevoir. Je ne suis pas certain que ça ait du sens pour la marque d’aller dans cette direction pour le moment, mais l’idée m’intrigue.

  2. Didier Laurent dans l’AJ , remarque aussi que ce Duster fait assez penser au XC 40 , en espérant que Volvo ne le lise pas, car Dacia pourrait devenir le tueur de marques premium, tellement sa voiture est valorisante pour 2 à 3 fois moins cher! De total low cost on est passé à un Duster 2 attirant, mais maintenant on est sur du peu cher pré premium, dans l’allure en tout cas…D’une certaine manière, qui voudrait se faire encore arnaquer par une marque de bobos, quand ce Duster prendrait parfaitement la lumière devant une villa cubique contemporaine blanche aux huisseries foncées, un ou 2 cactus et bouquet de palmiers derrière l’allée ? Franchement!
    Déjà que le XC40 m’est toujours apparu comme un peu bancal, vite fait mal fait, une sorte de low cost de chez Volvo, design un peu bizarre, intérieur à l’allure cheap très éloigné des modèles supérieurs (magnifiques ceux là par contre); ce Duster m’apparaît comme plus abouti à tout point de vue donc….Volvo devrait attaquer Dacia pour contrefaçon de marteau de Thor!
    Finalement on avait des SUV généralistes valorisants pour ceux qui ne veulent pas mettre tous leurs oeufs dans le même panier, des SUV premium sur les parkings de Lidl pour les mecs étranglés par leur LOA à 1300 euros, et maintenant on a le SUV qui peut réconcilier matuvus et nourriture saine! On peut aussi faire quelques allers et venues devant les restaus en faisant semblant d’hésiter histoire de bien se montrer!
    Oubliez Dacia, c’est un Duster, ou alors prononcez Datcha , c’est beaucoup plus chic!

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