Brooouuuuumance

In Art, Cruising Areas, Galaxy 500 LTD, Gran Torino, Starsky et Hutch
Scroll this

Ceux qui sont nés fin soixante début soixante-dix devaient bien s’attendre à ce que les années dix et vingt du siècle suivant soient un peu leur crépuscule des idoles. Les figures rencontrées sur le petit écran avaient une bonne petite vingtaine d’années d’avance sur les jeunes téléspectateurs qui les regardaient, gamins, avec les yeux qu’on a pour les héros à la fois si lointains, parce que le plus souvent américains, et si proches puisqu’ils étaient là, dans le salon, invités hebdomadaires sonnant à heure fixe à la porte de la maison, auxquels on ouvrait d’un coup de télécommande.

Ils étaient minces, ils étaient beaux, ils sentaient bon le tube cathodique chaud, nos héros en quatre tiers. On les regardait moins pour leur ressembler un jour que pour espérer les avoir pour amis. Les trois chaines disponibles savaient nous montrer en exemple des personnages simultanément trop beaux pour être vrais et plus vrais que nature. Bref, tellement bigger than life qu’on les adoptait immédiatement comme grands frères, ou cousins plus âgés, déjà émancipés eux et, donc, un peu émancipateurs aussi, ouvrant la voie en pionniers dans une vie qu’on découvrait à peine, à travers eux. La bibliothèque verte nous avait déjà fait le coup avec le Club des cinq, qui avait éveillé en nous le désir de la bande de potes dont les intrépides aventures étaient le ciment de leur amitié profonde. Nous étions mûrs pour être les témoins des relations vécues par des héros au caractère plus trempé, entrés dans l’âge adulte sans avoir tout à fait rompu avec le tragique inhérent à l’adolescence. Des témoins pas tout à fait neutres, nourrissant et faisant grandir en eux le désir profond, presque essentiel, de vivre eux aussi un esprit d’équipe aussi total que ce que partageaient leurs héros dans leur propre univers qui, bien que parallèle, ressemblait tellement à ce que pourrait être la vie si celle-ci n’était pas vécue dans une solitude dont on rêvait qu’elle puisse être rompue, un jour, quelque part, par quelqu’un.

Le deux fait les pairs

On avait compris que ce qui nous motivait, ce n’était plus l’esprit de la bande, on privilégiait désormais des relations plus exclusives. On pouvait appeler ça des partenaires, des duos ou des paires. Songeusement, on n’osait imaginer qu’il puisse s’agir de quelque chose de plus total que ça. Ce qu’on prenait plaisir à regarder se développer, c’était la relation unique se tissant entre deux êtres maintenus ensemble par un lien auquel on n’aurait su donner un nom tout à fait convaincant. Parce que dans le fond, ce qu’on aimait, c’était l’ambiguïté des sentiments et le non-dit. D’où John Steed et Emma Peel, d’où David Addison et Maddie Hayes, d’où Angela Bower et Toni Micelli, du moins tant que ces deux ci n’officialisèrent pas leur relation, mettant fin au doute, anéantissant l’ambiguïté, carbonisant en un baiser le charme de leur relation. C’est sans doute la raison pour laquelle on s’est à ce point attaché aux duos de personnages de même sexe. Et dans les années soixantes-dix et quatre-vingt, à part Cagney et Lacey, ces duos étaient masculins. Au moins, il n’y avait aucun risque de voir l’ambiguïté rompue. On savait qu’on pouvait approfondir sans fin l’intensité de ce lien qui unissait les héros sans que, jamais, rien dans le scénario ne puisse mettre les pieds dans le plat, appeler un chat « un chat », décoder de façon patente la nature de ce à quoi on assistait.

Le prétexte qui sauvait tout, qui empêchait de tomber dans une vie quotidienne qui aurait pu mettre, un peu trop, la puce à l’oreille du téléspectateur, c’était l’aventure, l’adversité, les ennemis, et le combat pour le bien. Si ces personnages gardaient quelque chose des boyscouts, c’était par leur vocation à sauver, épisode après épisodes, la veuve et l’orphelin. Et clairement, on désirait être un jour suffisamment en danger pour être sauvé par ce genre de sauveteurs, histoire de s’immiscer un peu dans l’intimité de leur relation, d’en apprendre plus sur eux, de partager un peu de la tension trouble qui les liait l’un à l’autre. Histoire d’en être, un peu, soi aussi.

On avait été éveillé aux subtilités de la vie en duo par Rusty et Rintintin, Don Diego de la Véga et Bernardo, Belle et Sébastien ou même Michael et KITT. Mais on découvrait que dans la cour des grands aussi se nouaient des affinités électives. On commençait à apprendre des paires de noms : Jonathan Baker et Francis Poncherello, Luke et Bo, Danny Wilde et Lord Brett Sinclair, James West et Artemus Gordon, le Capitaine Kirk et Monsieur Spock, Tanguy et Laverdure, et dans une ambiance plus « Dad & Son » Milton Hardcastle et Mark McCormick, mais aussi Le Colonel Higgins et Thomas Magnum (et, du coup, Zeus et Apollon), Stringfellow (Springfellow en vf) Hawke et Dominic Santini, quelques années plus tard, Sonny Crockett et Riccardo Tubbs.

La Bagnole comme lieu de rendez-vous

Souvent, des moyens de locomotion réunissaient ces équipages unis comme les deux doigts de la main : un train, carrément, dans Les Mystères de l’Ouest (Wild Wild West, 1965), une Aston Martin DBS et une Dino 246 GT dans Amicalement vôtre (The Persuaders, 1971), et en vrac, une Dodge Charger, des avions de chasse, l’USS Enterprise NCC-1701, un prototype d’hélicoptère de combat, une Ferrari 308 GTS, une Manta Montage rebaptisée Coyote X, une Testarossa blanche, une Daytona et une paire de Kawasaki 900 Z dans, respectivement, Sherif, fais-moi peur (the Dukes of Hazzard, 1979), Les Chevaliers du ciel (1967), Star Trek (1966), Supercopter (Airwolf, 1984), Magum (Magnum P.I., 1980), Le Juge et le Pilote (Hardcastle and McCormick, 1983), Deux Flics à Miami (Miami Vice, 1984), et Chips (CHIPs, 1977).

Mais de tous les duos de sauveteurs, le plus mémorable, celui qui aura réussi à tisser des intrigues renouvelées tout en posant, d’épisode en épisode, des signaux suffisamment repérables pour devenir iconiques, c’est sans doute Starsky et Hutch (Starsky and Hutch, 1975). Car en quatre saisons, cette série dont on s’aperçoit aujourd’hui qu’elle était étonnamment bien filmée, au point d’autoriser bon nombre d’arrêts sur image de qualité photographique, aura inscrit dans nos mémoires une foule de petits éléments qui constituent encore aujourd’hui l’identité de cette fiction, nouant pour de bon la relation qu’on entretient encore avec elle.

L’Union fait la force

D’emblée, Starsky & Hutch avait tout pour plaire. Si Chips mettait en scène des policiers ultra rigoureux, respirant la qualité de vie, la rigueur et le professionnalisme, David Michael Starsky et Kenneth Richard Hutchinson étaient des personnalités plus complexes, faites d’un mélange de force et d’inquiétude, de courage et de doutes, de sérieux et de fantaisie. Et toute l’astuce de la conception générale de la série tenait en ceci : l’association de ces deux mecs était suffisamment peu évidente pour que le ciment de leur relation, ce soit le spectateur lui-même. On ne désirait qu’une chose : que rien ne sépare nos héros. Qu’ils vivent heureux et sauvent beaucoup d’enfants Devant son poste de télévision, on se rendait compte qu’on n’avait jamais autant désiré qu’une amitié soit, littéralement, à l’épreuve des balles et de cet oxygène que respirent les séries télévisées : le temps.

D’un côté, une sorte de Steve McQueen aux cheveux un poil plus longs. Un peu bourgeois, bien élevé, artiste même, musicien, guitariste et pianiste, un brin sentimental. Un policier justicier par idéalisme, bien peigné, bien sapé. De l’autre, un gars élevé dans la rue, descendant d’une famille polonaise, entré dans la police parce qu’il a des comptes à régler avec sa propre histoire familiale, une revanche à prendre sur la pègre qui l’a privé de père alors qu’il était adolescent. Ces deux là se rencontrent à l’école de police et, sans que rien ne l’explique, le courant passe, le contact s’établit et un partenariat débute, pour le plus grand plaisir du spectateur. Pas de gémellité ici : Starsky et Hutch se complètent. L’un est blond, l’autre est brun. L’un est idéaliste, l’autre est réaliste. L’un est, déjà, écologiste, l’autre s’en fout. Si l’un a ses fragilités, l’autre est solide pour deux. Si l’un est facétieux, l’autre est doublement sérieux. L’un tombe amoureux des femmes, qui finissent par le quitter, l’autre se contente de les séduire.

Et, surtout, l’un aime les bagnoles en général, et la sienne tout particulièrement. L’autre n’en a, strictement, rien à faire.

L’Habitacle est un second foyer

On pourrait résumer tout à ça à une image, pyrogravée dans nos méninges : gilet en laine tricoté et bonnet d’un côté. Et de l’autre, leather jacket et col roulé noir. Le fun et le strict, le funk et le rock, chacun assis sur le capot de sa bagnole. Car notre mémoire nous joue des tours : si l’image qui résume Starsky et Hutch, c’est cette Ford Gran Torino rouge et blanche aussi iconique que le fourgon noir de la A Team, en réalité ce coupé customisé est la bagnole de Starsky et dans la vie, lui et Hutch ne font pas tout à fait voiture commune. Kenneth Hutchinson roule dans une épave qui ferait passer la 403 cabriolet de l’inspecteur Columbo pour un véhicule en état de collection : une antédiluvienne Ford Galaxy 500 LTD dont il prend grand soin de se contrefoutre totalement. Chacun déteste la bagnole de l’autre. Pourtant, c’est dans leurs voitures personnelles qu’ils patrouillent, enquêtent, poursuivent les malfaiteurs. Et se retrouvent.

Car dans toutes ces séries, le véhicule est un lieu de retrouvailles, un refuge, un Home, c’est à dire un domicile fixe et mobile à la fois, dans lequel les héros vont pouvoir trouver un peu d’intimité et de sécurité dans le tumulte d’une vie trop urbaine et trop risquée pour être protectrice. Et si on fait abstraction des intrigues policières, Starsky et Hutch pourrait être regardée comme une série dans laquelle deux mecs s’invitent l’un l’autre dans leur bagnole personnelle, allant parfois jusqu’à laisser l’autre prendre le volant. La Gran Torino est un peu à Starsky ce que sa chambre d’ado est à Peter Parker : le seul endroit au monde où il peut être, pleinement, lui-même. Le spectateur en est suffisamment conscient pour qu’à chaque montée de Hutch sur le siège passager, il sente que quelque chose de spécial se passe, comme si on plongeait un peu trop intimement dans la relation entre ces deux mecs et qu’on devenait le témoin de quelque chose qu’on n’était pas censé voir.

En réalité, Starsky et Hutch inaugure un détail de mise en scène qui, pour une série, n’a rien d’innocent : désormais, la caméra se trouve, aussi, dans la voiture. Et vue la taille des caméras de l’époque, ça n’a rien d’évident. Dès le pilote, la voiture de l’un, et celle de l’autre, se trouvent au cœur de ce qu’on peut considérer comme l’une des premières bromances populaires. La Gran Torino est, d’emblée, la scène d’un crime qui sera le sujet de l’enquête de ce premier épisode. Et c’est à contrecœur que Starsky accepte de commencer cette première journée de patrouille à bord de la Galaxy de Hutch. Elle lui fait honte, il trouve qu’elle fait « voiture de vieille dame ». Il en sera pourtant, cet épisode ci, le passager.

Pilote

Tout est déjà inscrit dans ce pilote construit comme un film à part entière. On ouvre la série sur une référence à la Rivière rouge de Hawks, et pour ceux qui connaissent un peu Howard Hawks et Montgomery Clift, ça laisse un peu songeur. La suite de l’épisode déploie la matière première des souvenirs qu’on a de cet équipage : Starsky et Hutch simplement habillés d’une serviette et de leur holster dans un sauna, Starsky et Hutch trempés jusqu’aux os sous une averse nocturne, la veste en laine, le teddy, la gloutonnerie de Starsky, l’ironie de Hutch, les méthodes peu orthodoxes, la ville, dont on ne sait pas encore en cette première saison qu’il s’agit de Los Angeles, le jour, la nuit, le commissariat, la hiérarchie et ses lâcheté, les plans de face sur le duo, caméra fixée sur le capot capturant l’image à travers le parebrise, Huggy, et ses tuyaux.

Et bien sûr la Gran Torino qui, dans cet épisode existe en deux exemplaires, comme si elle même vivait une double vie. Autour d’elle s’inaugurent des mouvements qui s’inscriront définitivement en nous, téléspectateurs : le louvoiement de la bagnole sur ses suspensions au moindre virage, le déséquilibre total à chaque coup de frein, les arrêts les quatre roues bloquées, bagnole en perdition, train avant écrasé sous le poids du report de masse, comme si le V8 cherchait à poursuivre sa route en solo, laissant la carrosserie en plan sur le goudron. Et puis des gestes, des attitudes, qui sont peut-être la raison profonde pour laquelle nous regardons des séries : rouler coude à la portière, discuter avec les indics par la fenêtre, saisir la radio pour annoncer le fameux indicatif « Zebra 3 », se garer n’importe comment, saisir le gyrophare pour le coller sur le toit au moment de se lancer dans une poursuite, ouvrir la portière avant même que la voiture se soit arrêtée pour mieux surprendre les truands et les prendre de vitesse, faire des roulé-boulé sur le capot, manger, absorber des litres de café, embarquer Huggy, glisser et tanguer sur le siège au gré des virages, des trous et bosses des avenues, se confier sur les errements d’une vie privée forcément ratée, puisqu’elle ne peut pas se mesurer à l’intensité de ce qui se passe, là, à l’avant de cette Gran Torino déguisée en Père Noël.

Conduire Soul

Ne pas être le pilote le plus chevronné du duo conduit Hutch à être le plus souvent passager, ce qui permet à la réalisation de multiplier les plans presque méditatifs dans lesquels l’image du personnage se mêle à celle de l’acteur qui l’incarne. Trois jours après sa mort, on cherche à mieux connaître David Soul à travers le visage et les attitudes de son personnage. Evidemment, parce qu’on aime jouer sur les mots, et qu’on leur fait un peu confiance, on ne peut pas s’empêcher de se dire que derrière le corps de Hutch, on entrevoit l’âme de celui qui lui aura offert une incarnation, une existence.

Parce que les séries meurent elles aussi, on a toujours espéré qu’entre Paul Michael Glaser et David Soul s’était poursuivie cette amitié dont on avait contemplé la naissance au cœur de cette Ford Gran Torino. Pendant des heures, on a vu Starsky et Hutch être chacun, l’un pour l’autre, un guide dans une vie globalement hostile faite de dangers immédiats et de menaces à plus long terme. Chacun avait un territoire propre, sur lequel il était suffisamment à l’aise pour mener l’autre et le protéger. L’univers automobile était manifestement le milieu naturel de Starsky, et on contempla dans des séquences courtes qu’on aurait aimé voir construites en scènes plus longues, façon Michael Mann, le duo de flics déambuler dans Los Angeles, de jour comme de nuit, dans des dérives qui n’osaient pas encore être de pure errances. Il faudra attendre Crockett et Tubbs pour faire de la virée en bagnole un motif esthétique à part entière. Mais David et Kenneth, et donc en transparence Paul Michael et David, sont la racine sur laquelle ont poussé, d’autres amitiés, innombrables, dont la sève est l’huile de vidange et le carburant. Même Fast & Furious, dans sa façon de tisser un récit d’amitié tellement forte qu’elle en devient étrange, faisant de la bagnole le foyer réunissant des êtres qui, décidément, ne peuvent pas se passer l’un de l’autre et trouvent là un refuge où ils peuvent être, pleinement et honnêtement, qui ils sont, doit quelque chose à Starsky et Hutch.

A l’écran, Dominic Toretto a survécu à la disparition de Brian O’Conner. Mieux : Vin Diesel fait encore vivre Paul Walker dans cet au-delà que constitue le cinéma. Il suffit qu’une Impreza se gare devant le garage de la « famille » pour que la résurrection ait lieu. Les acteurs ont ce pouvoir, de survivre à leur propre mort par la force des images qu’ils ont produites, sur les écrans qui les diffusent et en nous qui les avons vues. Paul Michael Glaser aura été le témoin privilégié de ce que nous connaissons de la vie de David Soul. Et à nos yeux, celui des deux qui survit devient maintenant à lui seul l’incarnation des deux hommes qu’on a vus se côtoyer dans nos télévisions.

A la fin, il reste donc ça. Une main posant un gyrophare sur le toit, une voix française inimitable qui énonce l’identifiant « Zebra 3 », des regards qui en disent tellement long qu’on ne pourrait mettre de mots sur la nature de leur échange, une complicité dont on a renoncé à savoir jusqu’où elle va ; et la conviction que Hutch vit encore dans ce ciel étoilé qu’a toujours été Starsky pour Hutch.

Un ciel rouge bien sûr. Traversé par un éclair blanc.

Submit a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Follow by Email
Facebook0
LinkedIn
LinkedIn
Share
Instagram