Choisir sa vie

In Art, Dacia, Sandero, WAFLA
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Pas très étonnant qu’on ait proposé à WAFLA de prendre en charge la prochaine campagne publicitaire dont l’héroïne modeste est la Dacia Sandero. Le duo de réalisateurs français – ce que ne laisse pas deviner l’acronyme de We Are From LA – n’est pas fondamentalement spécialisé dans la mise en scène des bagnoles, ce qui lui permet de ne pas succomber aux automatismes du genre. Et si une marque voulait se démarquer du marché en proposant un regard un peu décalé sur ses modèles en insistant moins sur ce qu’est la voiture en elle-même que sur l’usage qu’on peut en avoir, sur ce qu’elle permet de faire au-delà de cet usage, sur ce qu’elle invite à vivre en dehors de sa simple conduite, elle serait bien inspirée de demander conseil à une agence qui a l’habitude de créer des campagnes de communication pour d’autres univers. Il se trouve que Clément Durou et Pierre Dupaquier œuvrent dans bien des domaines, et ne se cantonnent pas au film publicitaire. Le clip de 24h pour le fameux Happy de Pharrell Williams, c’était leur idée, et leur résultat, la série Dans ma Tête sur Canal+, c’est réalisé par Clément Durou. Le film publicitaire The Conductor, conçu pour Coca Cola autour du titre It’s a Kind of magic, de Queen, c’est eux aussi. Et pour ceux qui ne regardent que les pubs de bagnoles, le circuit de petites voitures électriques annonçant la gamme Renault électrisée dans le spot Electrisante, c’est eux encore.

Allez, comme vous êtes sages, je vous partage un montage de ce spot que vous n’avez peut-être encore jamais vu :

En avant les Histoires

Mais comme je l’ai souvent répété ici, les publicités qui mettent, le mieux, les bagnoles en scène, ce sont souvent les films faisant la promotion de produits qui ne sont pas des bagnoles. Parce que, justement, la voiture n’y est pas l’alpha et l’omega, parce qu’elle laisse la vedette à quelque chose d’autre qu’elle-même et ne cherche pas à être mise, à tout prix, à son avantage. On a montré à de multiples reprises à quel point par le passé le fameux break Volvo 240 fut, et est encore, cet outil à tout faire mis au service d’aventures qu’il rend possibles sans en être le héros, au point par extension de faire des modèles Volvo en général des machines à récits, des moteurs d’histoires à vivre auxquelles ils participent sans avoir besoin d’en être le centre de gravité.

Mais maintenant que Volvo n’est plus tout à fait ce que la marque fut, quel autre constructeur pourrait prendre le relai des voitures dont la devise serait « En avant les histoires » ?

A vrai dire, on a une intuition à ce sujet. Mais la vie réelle a déjà confirmé cette intuition. En 2022 Decathlon lance une grande campagne de promotion mettant en scène l’ensemble de ses produits autour du thème « Faire bouger le sport ». Au beau milieu du film d’une minute trente on découvre, posée sur une crête montagneuse, une bagnole sur le toit de laquelle est montée une tente abritant un père et son fils réveillés par le soleil levant. En voice over, on entend « on pourrait se dire que c’est pas confortable ». En en effet, le paternel semble avoir un peu de retard à l’allumage ce matin là, alors que son fils est au contraire tout empressé d’enfiler ses chaussures et son sac à dos pour se lancer dans une bonne petite marche matinale. Quelle est la bagnole qui se trouve sous cette tente ? Un Duster. Pas le tout dernier dont on a parlé récemment, mais son prédécesseur, puisqu’on est en 2022. Mais peu importe, le concept est exactement le même et on imagine déjà le nouveau venu dans des mises en scène semblables. Et à y bien réfléchir, s’il fallait qu’il y ait un modèle sous les sacs de couchage de ce duo père/fils, c’était bien celui-ci, et pas un autre.

A la réalisation de ce spot, le duo WAFLA. Evidemment. Et ce qui m’a remis ce spot en tête, c’est l’interview de Romain Gauvin donnée à Christophe Bonnaud pour le décidément très inspirant site Lignes/auto, dans laquelle il décrivait très exactement la raison pour laquelle le break Volvo était devenu, avec le temps, le refuge idéal de tous les récits ayant besoin d’une bagnole pour mener les protagonistes là où ils doivent aller pour vivre ce qu’ils ont à vivre : « Cette voiture, c’est un peu comme un Sherpa, elle n’est pas au centre de l’expérience ou du voyage, mais sans elle, il n’y a plus de voyage ! ». Le sherpa, dans l’interview, c’était le concept-car Manifesto. Mais c’est en voyant le spot Decathlon qu’on réalise que mine de rien, Dacia fait preuve d’une très grande cohérence conceptuelle. Parce que le sherpa, le voici à l’oeuvre, bien avant Manifesto :

Raconter plutôt que se la raconter

Bon sang, mais c’est bien sûr ! Cette histoire de sherpa m’expliquait les raisons pour lesquelles je me suis si souvent intéressé à deux marques en particulier, Volvo et Citroën : toutes deux insistaient, dans leurs modèles et leur communication, sur cette idée que l’aventure automobile ne se réduit pas au fait de conduire et toucher des boutons, ou des écrans, que la magie automobile s’étend à tout ce que la voiture permet d’atteindre, bien au-delà d’elle-même. De toute évidence, désormais et de plus en plus, la marque généraliste que je dois intégrer à cet univers, c’est Dacia. Bien sûr, les constructeurs spécialisés dans les modèles off-road ont depuis longtemps intégré la donnée « aventure » à leur cahier des charges. Mais ils le font sur le mode de l’exception : le Defender permet, à des personnes que ni vous ni moi ne sommes, de se lancer dans des expéditions hors-normes. Une Wrangler est taillée pour embarquer un équipage expérimenté et suréquipé vers des exploits hors du commun. Mais pour Volvo par le passé, pour Citroën en théorie, et pour Dacia ici et maintenant, l’aventure et les trucs à raconter, c’est pour tout le monde, et au quotidien, là, tout de suite si on veut, sans avoir besoin d’un pognon de dingue, sans s’entrainer pendant des années ou mettre sa vie en danger. Juste, tout simplement, embarquer le nécessaire, prendre le volant, et aller faire des trucs. Au pire, partir à l’arrache et improviser.

Et le lundi matin, avoir des choses à raconter : comment on s’est bien flotté la gueule, comment on s’est pelé toute la nuit, comment on a mis une matinée entière à tenir debout sur le paddle, mais aussi comment, pendant que la cafetière italienne chauffait sur le réchaud on a vu une biche et son faon venir grignoter quelques feuilles dans les buissons juste devant soi, comment c’est le lever de soleil qui nous a réveillé, comment on avait les jambes lourdes et l’esprit léger au retour de la rando, comment on a vu les yeux des gamins briller devant le feu de camp alors qu’ils faisaient rôtir leurs brochettes de Shamallows. Rien de très extraordinaire en fait, c’est juste qu’en général, on le fait pas. Et que pour le faire, il faut bien une bagnole.

Là-bas si j’y suis

Ca, c’est pile poil ce qu’on a compris chez Dacia : la voiture est un moyen. C’est un outil. Et ça n’est pas injurieux de voir les choses ainsi : l’outil est ce qui fait que l’homme est humain. La preuve : quand on voit un singe en fabriquer un, on est pris d’un petit frisson et on a envie de l’appeler « Cousin ! ». L’outil est le trait d’union entre ce qu’on est et ce qu’on pourrait être, entre ce qu’on fait et ce qu’on pourrait faire, entre l’impossible et le possible. On regarde le monde, on se dit « je pourrais faire ça » mais mes mains ne peuvent pas le faire. Pas grave, j’équipe mes mains avec tel outil et soudain, je peux faire des nouvelles choses. On regarde l’horizon, et on se dit « Tiens, je pourrais aller voir, là-bas ». Mais mes pieds ne peuvent pas m’y porter et j’ai pas de cheval sous la main. Pas grave, j’ai ma Sandero garée en bas. Les enfants ! Ca vous dit d’aller voir l’horizon ? » Et c’est parti.

Pourquoi une Sandero ? Parce que Dacia enfonce le clou en ce début d’année : après avoir révélé le Duster, la marque ajoute une couche de cohérence dans son propos en montrant que la Sandero participe à la même aventure commune que son grand frère taillé pour les grands espace.

Est-ce vraiment une surprise si on révèle ici que ce nouveau spot est signé WAFLA ? Pas vraiment. D’abord parce que derrière ses méandres cet article essaie tout de même de conserver un minimum de cohérence. Ensuite et surtout parce qu’on reconnaît assez rapidement leur style.

Mobilis in mobile

Leur style ? C’est à dire ? Tout d’abord, la célébration de la vie par le mouvement. Les réalisations WAFLA sont toujours particulièrement cinétiques. Elles mettent en scène le mouvement par le mouvement. Les caméras glissent sur des trajectoires tangentielles au déplacement des objets et des êtres, elles pivotent à s’en déboiter les cervicales, elles épousent le rythme de la vie, trépignent avec les gosses, entrent par la porte, ressortent par la fenêtre, jettent un coup d’œil par le parebrise, traversent l’habitacle. C’est simple : Tout. Bouge. Tout le temps. Et devant la caméra, ça ne cesse de gigoter aussi. Ca saute, ça court, ça roule, s’éloigne, approche, file, vire, accélère et freine. Bref, ça vit.

Il y a un truc que la Genèse oublie de dire : Dieu créa la vie. Ok ok pourquoi pas. Et il vit que c’était beau. D’accord ! Mais voila : par la même occasion, Dieu créa le bordel. Parce que mettons-nous d’accord : il n’y a que dans la mort que tout est bien rangé. C’est rarement le boxon dans les cercueils. Bras croisés sur le torse, allongé dans une tenue qu’on n’aurait jamais portée pour dormir, peigné comme on ne l’aura jamais été de son vivant, personne dans l’au-delà ne peut nous dire d’aller ranger notre chambre. C’est déjà fait, et pour l’éternité ! Le signe de vie, bien plus fiable qu’un électroencéphalogramme pas plat, c’est le désordre. Vous voulez une antithèse de ce qu’on peut ressentir dans le spot réalisé pour la Sandero ? Voici :


Bienvenue dans la mort : tout est très exactement à sa place, rien n’a bougé depuis le premier jour. On suppose que les publicités Audi sont censées incarner une certaine vision de l’au-delà tel que peuvent le concevoir les dogmes d’une secte un poil sélective dans l’accueil des défunts au paradis : il n’y a strictement pas âme qui vive dans ce paysage, si ce n’est la demi-poignée de propriétaires d’Audi qui roulent dans une ville qui leur est entièrement dédiée. Au point qu’on se demande un peu pourquoi il y a des feux de signalisation. Au-delà de l’image, qu’on croit tout droit sortie de ces brochures distribuées par les témoins de Jéhovah devant les gares, dans lesquelles on découvre un paradis infantile fait de paysages idéalisés tout à fait cauchemardesques pour tout être humain doté d’un tant soit peu d’esprit critique, les propos tenus par la voix (on dirait « La Voix » de la Maison des secrets) sont d’une connerie tout à fait vertigineuse : ça donne envie d’appeler les responsables Audi pour leur demander ce qu’ils entendent exactement par  » Une signature lumineuse qui vous rend inoubliable ». Mais à vrai dire, on sait déjà ce que ça signifie : ça fait un bail que les Audi sont effectivement conçues comme des messages identitaires envoyés par leurs propriétaires au reste du monde. L’affichage tête haute est censé ouvrir de nouvelles perspectives. On l’évoque alors que la voiture se trouve dans un tunnel s’achevant sur une barre de buildings fermant, justement, toute forme de perspective au regard, le fameux head-up display indiquant au conducteur qu’il doit tourner à gauche alors qu’il suffit de regarder la route pour voir que, de toute façon, c’est la seule direction possible, augmentant donc la réalité de façon totalement inutile puisque la réalité suffit largement et que de toute façon on s’en fout totalement de se tromper de route puisque manifestement, il n’y a nulle part où aller dans cet « au-dilà » et qu’au pire, on s’en branle un peu de prendre les sens interdits, puisqu’on est seul au monde ! Enfin, la proposition étrange de se ressourcer pendant que la voiture se recharge, parallèle un peu inquiétant d’une part, puisqu’on ne sait pas trop lequel des deux repos est censé être la métaphore de l’autre, et absurde d’autre part parce qu’étant donné le niveau d’inactivité des conducteurs d’Audi dans ce spot, on se demande un peu pour quelles raisons ils auraient besoin de se ressourcer. Osons une hypothèse : vu que la seule chose qu’ils font, c’est conduire leur voiture électrique, il faut supposer que cette tâche est tellement assommante qu’ils ont besoin ensuite de s’allonger et enfiler sur leur crâne un casque de réalité virtuelle pour se plonger dans un univers un peu réconfortant.

Et vous savez quoi ? Je crois bien que le film que se passent les conducteurs Audi pour reprendre un peu vie, c’est le spot de WAFLA pour la Sandero.

Le Sacré et le profane

Payez vous ce plaisir : regardez le à nouveau. Et là, révélation : il y a des gens dans le paysage ! Pas partout hein, ça reste un spot publicitaire; mais autour des Sandero mises en scène, il y a des gens qui vivent leur vie. On n’y roule pas pour être regardé par les passants, qui ne prêtent d’ailleurs pas d’attention au passage de ces Sandero, et le montage fait qu’on n’a pas l’impression non plus que la voiture soit là pour être filmée, le mouvement donnant au contraire l’illusion que l’image est saisie au vol, dans la vraie vie. A l’intérieur de la voiture, une bonne grosse dose de diversité. Chez Audi aussi pour être honnête. Mais la différence, c’est qu’ici cette diversité se répercute sur la voiture : les Sandero mises en scène sont personnalisées, le plus souvent par les gosses qui en occupent la banquette arrière : cette publicité, c’est le salon du sticker. Chaque modèle porte les siens au cul, racontant l’histoire ou le style de la petite famille à laquelle il appartient. Parfois même, c’est toute la face avant qui se trouve envahie par les petites figurines qu’une gamine y colle, une par une, de façon extrêmement appliquée ; parce qu’elle trouve ça beau. Imaginons une seconde la même enfant customisant à sa façon l’avant de l’Audi Q4-Etron : autant prévenir la Protection de l’enfance tout de suite, parce que ça va être le drame. La Sandero, tout en étant très avenante physiquement (sur tous les plans du spot, elle fait vraiment envie), supporte ce type d’atteinte, parce que n’étant pas sacrée, elle ne peut pas non plus être profanée.

Mine de rien, derrière cette opposition se tient un problème qui vaut la peine d’être posé : en quoi réside la valeur d’une automobile, dans sa préciosité, ou dans son usage ? On pourrait répondre qu’évidemment, ça dépend des modèles. Mais chaque modèle tente, à sa façon, d’être l’incarnation du genre tout entier : chaque voiture essaie de définir ce qu’est une voiture en général. Ce qu’on peut dire, c’est que dans leur conception comme dans la façon dont leur marque parle d’elles, les Dacia collent le plus près possible de ce qui définissait jadis les automobiles populaires, celles dont les gens avaient besoin tant pour satisfaire les besoins du quotidien que pour s’évader le weekend ou partir en vacances. Que chez d’autres marques elles tendent à se faire passer pour des oeuvres d’art, des sculptures mouvantes ou des sortes de bijoux gigantesques, c’est un glissement qui ne rapproche pas ces objets de leur essence première. Ca n’interdit pas d’y être sensible (on raille ici, un peu, le positionnement d’Audi, mais il nous arrive d’être un peu fasciné par Peugeot, qui tend aussi à faire des voitures « images », des objets faits pour être regardés, pour y être regardé et pour s’y regarder), mais ça reste une forme de dérive dans laquelle l’automobile change de nature et perd un peu son identité. Ce faisant, elle fait aussi de l’automobiliste quelque chose d’autre que ce qu’il fût. Un type à côté de ses pompes, un conducteur à côté de ses pneus.

Un Film d’abimation

Ce que la vie anime, elle l’abime. Or la publicité pour les bagnoles a excessivement pris l’habitude de promettre une vie plus intense tout en niant la nécessaire destruction progressive du moyen mis au service de cette intensité : il faudrait que tout soit plus fort, sans que rien ne s’épuise dans cette débauche de puissance. Le deal n’est pas honnête et la promesse ne peut pas être tenue. Les bagnoles dans lesquelles on vit morflent nécessairement, c’est pour ça qu’une histoire se tisse entre elles et ceux qui s’en servent. On avait déjà chroniqué une campagne publicitaire qui montrait des BMW salement maltraitées. Mais les outrages dont elles étaient victimes relevaient d’usages hors du commun, d’erreurs de jugement ou de pertes de contrôle. Surtout, BMW communiquait sur cette idée que, peu importent les dégâts, la marque est capable de remettre votre voiture à neuf, d’effacer les conséquences de ces écarts de comportement pour reprendre la vie, comme si de rien n’était.

C’est le contraire que montre Dacia : parce que la voiture accompagne la vie des gens, elle porte en elle les traces des aventures qu’elles a abritées, comme les smartphones des adolescents racontent par les fêlures de leur dalle tactile, par leur coque customisée, les goûts, les engagements, les fêtes, les crises, les histoires en somme, de leur propriétaire. C’est la vie, semblent chanter en chœur les Sandero de ce spot, contentes malgré tout de leur sort comme les jouets de Toy Story sont tout heureux d’être maltraités par les gamins auxquels ils ont été confiés : pas d’inquiétude, ils sont faits pour ça. Et après tout, si une Dacia est family-proof, à quelle adversité ne résisterait-elle pas ?

It’s my life

don’t you forget
Caught in the crowd
it never ends

Talk Talk, It’s my life

Surtout, cette adaptation à l’usage classique d’une automobile, Dacia la revendique comme une identité à part entière, là où elle serait vécue par d’autres marques comme une perte de sens. Chez BMW, une série 2 Gran Tourer ou, aujourd’hui une Active Tourer font un peu penser à un chien de race portant un cone de la honte : on sent que le modèle dénature totalement la marque qui l’a fait naître. Mais Dacia n’a pas à respecter une espèce de rang de noblesse tiré du passé, la marque peut se permettre de se construire et de se définir comme elle l’entend, elle est libre de placer son identité là où elle le veut. Nulle exigence de devoir ressembler à une Dacia, les modèles peuvent se contenter d’être une Dacia. Et les contraintes liées à cette identité de « bons à tout faire » font elles mêmes partie de cette identité.

Dans le spot, la musique souligne ce choix : c’est la vie, certes, mais c’est aussi ma vie, telle que moi et personne d’autre ne la vit. D’abord parce qu’il s’agit de mettre en scène les deux versions de la Sandero, mais aussi parce que finalement, chacun va faire de sa Sandero l’usage qui lui convient, sans être très regardant. Quand on en vient à constituer sur le siège passager une montagne de kleenex usagés, c’est que ça fait un certain temps qu’on ne considère plus sa voiture comme un moyen d’expression de son estime de soi. Quand on découvre une chips laissée sur la banquette arrière depuis bien longtemps, et qu’on se la grignote en douce, appréciant son petit goût de patate avachie par le temps et l’humidité froide qui règne dans les habitacles, c’est qu’on a franchi depuis longtemps les frontières de la honte. Tout simplement, on fait les choses comme on les sent, comme on les assume vis à vis de soi-même. Faire planer au-dessus des images en mouvement le It’s my life de No Doubt est malin à plus d’un titre. D’abord parce que le titre constitue une sorte de nouveau manifeste pour la marque. Ensuite parce que le principe de la reprise d’un titre pop affilie Dacia à Renault, qui utilise la même recette musicale dans ses propres publicités. Enfin, parce qu’en l’occurrence, c’est un succès de Talk Talk qui est repris et que ce groupe avait, au 20e siècle, illustré avec It’s a shame la campagne Garce la fameuse Peugeot 205, la voiture simple de l’époque, faite pour les vicissitudes de la vie. Glisser en filigrane cette référence dans les neurones du spectateur nostalgique permet d’intégrer la Sandero à une belle histoire de la voiture populaire française.

Decathlon, Dacia… Il y a des marques qui semblent appartenir à un écosystème commun. Ce territoire partagé, on y voit circuler d’autres réalisateurs, qui oeuvrent pour d’autres types de marques. Par exemple, on serait curieux de voir Dacia se tourner aussi vers Katia Lewkowicz, à qui on doit la réalisation des spots Intermarché de ces dernières années, qui sont des petites merveilles de narration, de justesse dans le regard et de culture véritablement populaire. Qu’il y ait des réalisateurs pour mettre en image ce genre d’univers est une bonne chose : c’est qu’une culture commune se construit, qu’un discours se constitue autour de cette tendance. Ce qui est intéressant à moyen et long terme, c’est que ce discours est un élément de réponse aux inquiétudes légitimes que la bagnole suscite chez ceux qui ne sont pas des bagnolards. Le design n’est pas tout à fait déconnecté de la politique, et l’automobile ne peut pas se concevoir indépendamment des reproches qui lui sont faits. Certaines font un doigt d’honneur au monde, signifiant on ne peut plus clairement qu’elles ne sont pas concernées par autre chose que leurs propres performances et l’affirmation spectaculaire de l’identité de leur conducteur. D’autres essaient de développer une attitude, un positionnement et un discours davantage conformes aux exigences de la citoyenneté. Quand elles sont mises en scène comme elles le sont ici, ce positionnement n’apparaît plus comme un signe de faiblesse ou de manque de caractère. C’est une orientation volontaire, une démarche assumée, le choix d’une certaine vie.

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