Quoi qu’il arrive

In Advertising, BMW
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La bagnole étant reine de ses propres publicités, il est rare de la voir détériorée par la mise en scène dont elle est la star. Même dans les films d’action, la logique du placement produit veut que malgré la gravité des chocs qu’elle subit, l’héroïne mécanique demeure non seulement reconnaissable, mais aussi stupidement peu cabossée, parce qu’il faut bien qu’elle garde une allure présentable, reconnaissable, vendable en somme et avant tout. Puisqu’on la célèbre, on la respecte.

Ce faisant, on méprise totalement ce en quoi consiste la vie automobile telle qu’elle se déroule en réalité : du simple pépin à l’incident industriel en passant par la galère, la panne, la vie de merde et la cata, l’existence au volant ne se résumant pas aux moments où on met les mains sur le volant, elle est aussi loin d’être un long fleuve tranquille. Selon les modèles, les technologies embarquées et les conditions d’usage, on rencontre nécessairement, à un moment ou à un autre, l’épisode de la bougie qui se sort de son logement et vient percuter tous les éléments mécaniques situés sous le capot, à moins qu’elle vienne percuter celui-ci de plein fouet y laissant un relief pas vraiment sculpté par les designers, ou qu’elle se désintègre carrément dans la chambre de combustion, stoppant net le trajet sur la bande d’arrêt d’urgence, gilet jaune sur le dos ; à moins que ce soient les passagers, adultes ou enfants, parfois également infantiles, qui se lancent dans des activités auxquelles ciel de toit, sellerie ou revêtements piano black jusque-là amoureusement tenus à l’écart de toute salissure, ne survivront pas. Repas pris en intérieur alors qu’à l’extérieur le déluge dissous le paysage, activités manuelles à base de pâtes à modeler achetées à bas prix sur Aliexpress, de Slime, sculptures de crottes de nez, peinture sur cuir Nappa, gravure sur verre feuilleté, pyrogravure à main levée sur tableau de bord. On peut être simultanément amoureux de sa voiture et de sa progéniture, quand bien même celle-ci a du mal à conserver dans son estomac le contenu du repas pris au sommet du col alors qu’on descend celui-ci en négociant chaque épingle à cheveux de savants talons pointes, main droite gérant le frein à main. C’est au moment où la moquette et l’alcantara sont aspergés par le menu enfants du Refuge Napoléon au beau milieu d’un épingle sur la descente de l’Izoard que la vie met la main sur l’épaule du conducteur pour lui poser cet ultimatum là, tout de suite : que préfères tu, ta bagnole ? Ou tes gosses ?

Les doigts noircis par le changement de roue après une crevaison sous la pluie, ces mêmes doigts qu’il faut pourtant bien poser de nouveau sur le volant puisqu’on en n’a finalement que dix et que le but de l’opération, c’est de reprendre la route malgré tout, le trajet qui passe par une route regravillonnée la veille même, parcourue au son retentissant de chaque impact laissé sur les flancs et la face avant de la voiture, comme si on roulait sous un orage dont la grêle tombe de bas en haut, propulsée à toute vitesse par les pneus des véhicules croisés et suivis, la randonnée avec les potes qui finit sous un déluge d’eau, les pataugas s’enfonçant jusqu’à la cheville dans la boue et l’envie réprimée, sur le parking, de laisser là en pleine montagne et sous l’orage ce meilleur ami du monde qui a eu la bonne idée de se vautrer, mais vraiment de tout son long, dans une flaque marécageuse, cet ami indéfectible qui n’a, strictement, rien pour se changer et devra bien voyager tel quel sur les sièges dont on se demande par avance comment on pourra leur redonner leur allure originelle, à moins qu’on le mette dans le coffre, ou qu’on lui dise « ok, mais à poil »… Rien de tout ça ne se trouve dans les publicités, a fortiori si ce qu’on tente de vendre au consommateur, c’est un produit premium sentant bon les matériaux soignés, le design minutieux, les détails de finition aux petits oignons.

Heureusement, une marque automobile ne se contente pas de commercialiser des automobiles : elle vend aussi tout ce qui accompagne la vie d’une voiture, et parmi ces services on trouve l’entretien. Parfois, celui-ci se résumera, sur des centaines de milliers de kilomètres, à quelques vidanges graissages, quelques remises à niveau et remplacements d’accessoires. Mais il arrive aussi que la remise à neuf exige davantage d’huile de coude que de lubrifiant moteur, et que les ateliers alignent les heures de main d’oeuvre pour que les outrages de l’usage n’atteignent pas l’aspect « comme neuf » de la magnifique acquisition originelle.

BMW a compris ça, et joue sur nos peurs automobiles les plus profondément ancrées pour créer de petits scénarios mimant des genres cinématographiques aisément reconnaissables, afin de placer dans la fiction tous les sinistres dont l’acquéreur pourrait être victime, plaçant du côté du réel le remède que constitue le service après vente bavarois.

Première salve avec un récit construit par le duo de réalisateurs Cliqua (dans la vraie vie, RJ Sanchez et Pasqual Gutierrez) façon Hangover (Very bad trip en vf (… bref)) dans une confrontation alternée entre temps présent et flashbacks visant à circonstancier un peu l’état dans lequel deux clients viennent confier leur BM aux ateliers de réparation, après une petite virée à Las Vegas. La réalisation parvient à tasser trois temporalités différentes en une poignée de dizaines de secondes, tout restituant l’élongation du temps constitutive des retours à la réalité, et à la conscience :

Seconde salve réalisée par Mark Hartmann, reprenant le style des films de braquage pour télescoper leur rythme frénétique avec la sérénité imperturbable d’un conducteur de BMW électrique que rien, absolument rien, ne fera sortir de son ataraxie, et de sa pause café :

Le troisième film de la série, réalisé par Marc Schölermann, est le plus marrant, et sans doute aussi le mieux réussi. Il reprend les codes visuels de cette catégorie de films qui est une version très pop du slasher. Plus précisément, on retrouve ici les ingrédients favoris de la franchise Destination finale : des indices sont distillés, qui supposent la nature de l’accident à venir, envoyant le spectateur sur des pistes que le scénario va plus ou moins déjouer pour envoyer le récit dans une direction pas tout à fait prévue, et tout autant catastrophique – si ce n’est plus – que ce qu’on attendait. Tout est là : la vie dans la nature, la météo pas tout à fait complaisante, les personnages maladroits, les objets contendants. Il ne reste plus qu’à monter la sauce au bon rythme pour que dans le cerveau du spectateur, elle prenne. Et elle prend bien, et sans doute d’autant plus parce que le film n’hésite pas une seconde à abimer salement le pauvre SUV tout beau tout propre, au point de le saccager intégralement : l’intérieur prend aussi cher que la carrosserie.

Je vous passe le quatrième spot, le moins réussi de la série, qui parodie la Scifi postapocalyptique dans une mise en abyme qui ne produit pas un récit clair, sans parvenir à porter le propos général de la campagne.

Ce faisant, BMW avoue quelque chose que les constructeurs admettent rarement : ce modèle n’est pas vraiment fait pour la vie qu’il ne fait qu’évoquer, sans permettre de la vivre pour de bon. Le camping sauvage est, par nature, salissant. Les fringues sont terreuses, tout sent la fumée du feu de camp, les équipements sont au mieux herbeux, au pire boueux, les semelles sont crottées, la vaisselle a rarement été correctement lavée bref : le retour du séjour passe un peu moins bien sur les comptes Insta, et mieux vaut focaliser l’attention des followers sur les préparatifs du bivouac, en passant sous silence le moment où on a remballé la marchandise. Autant dire que les intérieurs cuir, les finitions brillantes, les écrans tactiles, ce discours esthétique qui n’a que le mot « premium » à la bouche, s’accomodent mal des fonds de pantalons humides de mousse végétale, des semelles de gadoue, des doigts terreux, des chiens dégoulinant d’une substance située à mi-chemin de la bouse de vache et de la vase pestilentielle, des sacs à dos suintant d’une humidité toute tropicale, de la tente qu’on n’a pas eu le temps de faire sécher, de la gamelle de tartiflette pas lavée qu’on envoie direct dans le coffre parce que l’orage tonne et qu’il faut bien se mettre à l’abri, aussi dégueulasse soit-on, quelque part. « Quelque part », dans ce genre de situation, c’est l’habitacle de la voiture. Et quand on est venu camper à bord d’un SUV BMW, l’habitacle refuge est précisément celui d’un véhicule qui n’est absolument pas prévu pour servir de refuge à qui que ce soit ayant besoin d’un refuge.

Il règne une forme de franchise dans ces spots malmenant les modèles de la marque : ils entérinent le fait que les BMW ne sont pas exactement des voitures à vivre : ce qu’elles proposent, c’est une expérience automobile qui se limite à ce qui se vit une fois le cul posé sur le siège, et qui s’achève quand on l’en décolle, un peu humide. Une BMW ne sert pas à autre chose que rouler en BMW. Elle ne mène pas à autre chose qu’elle-même. Dès lors, tous les aspects de la vie menés hors d’elle n’ont pas leur place en elle, et ne peuvent que participer à sa destruction. A quoi bon dès lors proposer des SUV qui semblent être des invitations en bonne et due former à la vie outdoors ? Parce qu’il en va de l’aventure comme de la performance : on jouit moins de les vivre que d’en sentir le potentiel. Ce qui importe, ce n’est pas d’aller camper, c’est de se dire qu’on pourrait le faire. Au pire, si dans un moment d’égarement on engageait vraiment dans un chemin creux, avant de garer sa BM maousse costaude dans une clairière bientôt devenue œil du cyclone, le service après vente serait là pour ça : remettre la voiture en état, c’est à dire hors d’état d’être utilisée pour la vie qu’elle se contente de mimer, sans jamais pouvoir la mener.

Revenons un peu en arrière, et flashbackons au début des années 2000, vers cette ancienne campagne BMW intitulée The Hire. La marque proposait alors à des metteurs en scène, disons, pointus et prometteurs, de tourner des courts métrages construits autour des modèles de cette époque. Ainsi, dans Powder Keg, réalisé par Alejandro González Iñárritu, une BMW X5 venait sauver la vie d’un reporter de guerre sur un théâtre d’opération. Conduit par le personnage récurent de ces films, joué par Clive Owen en précurseur du Transporteur incarné par son alter ego un poil plus spectaculaire, Jason Statham, le SUV munichois prenait cher, sans faux semblants et sans maquiller les dommages subis lors de cette aventure humanitaire. A cette époque, le X5 ne jouait pas les précieuses ridicules, il était fait pour absorber avec robustesse ce genre d’alea de l’usage, et il pouvait être sérieusement amoché sans paraître défiguré. Une BM pouvait alors morfler sans défaillir, elle pouvait se faire littéralement défoncer la gueule, sans perdre la face. Nul besoin dès lors d’assaisonner le scénario à la sauce ironique, nulle nécessité surtout, d’amener ensuite la bagnole chez l’esthéticien pour lui refaire une beauté. Il fut un temps où une BMW blessée avait la beauté d’un vétéran de guerre. Aujourd’hui, on lui prête plutôt l’air aguicheur d’un être un peu trop souvent installé dans les instituts de beauté.

2 Comments

  1. Dans la pub pour la C4, « quoi qu’il arrive » à sa façon, rien n’atteint la voiture, chien crotté, pluie diluvienne, nids de poule, enfants très très turbulents, tous ces tracas du quotidien potentiellement hyper salissants ou occasionnant des dégats techniques disparaissent par la magie d’être au volant d’une C4, illustrée par le mental d’acier éclatant de sourires de la conductrice sur laquelle tout glisse et rien n’accroche devant sa joie d’être propriétaire de cette voiture qui immunise de quelque souci que ce soit.
    C’est un autre point de vue, autant sympathique qu’irréaliste , comme si conduire une C4 se faisait avec des lunettes roses. La marque est sauve, il n’y a aucune vue embêtante, on voit juste la mine dubitative du conjoint ou copain , à peine, en contre point, et finalement au lieu de se dire, c’est n’importe quoi, elle est folle, c’est lui qui voit la réalité des choses, et être angoissé devant ce refus obstiné de voir l’évidence, on est emporté par cet enthousiasme absurde mais communicatif. Il y a la un ressort étonnant qui rend cette pub en apparence un poil caricaturale et qui peut sembler agaçante, en fait subtile et universelle: tout le monde porte des lunettes!
    Et puis à la fin, pour les initiés on voit la corniche de Six Fours où se tournent des bouts de pub auto, et qui sait qu’il y a en dessous une très belle plage de sable noir qui donne la sensation de ne plus être dans le Var mais à la Réunion ou dans les Caraïbes ?

    • Ah c’est marrant, je trouvais cette publicité pour la C4 un peu ratée, précisément parce que finalement, si on suit la logique de cette femme, qui voit subjectivement de la positivité là où, objectivement il n’y a que des désagréments, on se dit que si elle trouve cette voiture plaisante, c’est qu’elle doit être particulièrement désagréable !

      Je suppose que si la publicité est sortie, c’est parce que les tests ont montré que la plupart des personnes qui la voient la regardent sous le même angle que toi 🙂

      Et le pire, c’est que j’aime bien cette voiture, et pourtant la publicité pourrait participer à m’en détourner !

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