Simba

In 208 MK2, Peugeot
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Quand on a fait en sorte qu’une forme soit réussie, comment peut-on l’améliorer encore ? C’est le défi auquel sont confrontés les designers quand ils créent des objets dont le cycle industriel est plus long que l’intérêt esthétique qu’ils sont censés provoquer chez la clientèle potentielle. Ainsi, un modèle de grand distributeur vit trop longtemps pour que l’étincelle qu’il provoque dans les regards à sa naissance ne se ternisse pas, chaque jour, un peu plus, au point de provoquer de l’ennui là où quelques années plus tôt il suscitait de l’engouement. Fini le Wow effect, adieu les torsions de cervicales sur son passage : son succès a fait qu’on voit cet agencement de formes littéralement partout, dans un choix de couleur suffisamment restreint pour que ce qui était singulier soit devenu banal, commun. L’exception peut difficilement devenir quotidienne.

Mais comme les objets industriels ne sont pas des oeuvres d’art, ils ne constituent pas des beautés parfaites dont la moindre modification détruirait l’équilibre absolu. Et si la Joconde a, plusieurs fois dans son histoire, été retouchée, modifiée, customisée pour être l’adapter à l’air du temps, une bagnole doit pouvoir être retouchée à mi-vie, sans qu’on hurle au sacrilège, ou au blasphème. Alors, quand bien même la 208 MK2 était bien née, il fallait bien qu’un jour elle s’éclipse discrètement pour aller se repoudrer un peu le nez, et opérer quelques retouches dans son apparence. Trois fois rien, suffisamment cependant pour qu’on puisse s’intéresser à elle, percevoir les modifications, et se rendre sensible aux effets que ce soin mis dans son apparence provoque dans le regard.

Knives out

Chez Peugeot, on cultive cette vieille leçon, presque tout droit venue d’Aristote, selon laquelle les objets techniques se développent selon un principe de mimétisme avec la nature. Ce n’est pas que la technique copie ou reproduise les êtres naturels. C’est plutôt qu’elle les observe, en saisit les principes essentiels, et applique ces principes à ses propres productions, comme s’il s’agissait de réaliser pleinement la nature réelle de la nature, telle qu’on l’observe dans la matière, pour la mettre en oeuvre dans la matière.

Ce mimétisme a pour effet que le design de cette marque n’est jamais aussi réussi que lorsqu’il cherche à réinterpréter ce lien qui, via le logo de la marque, unit celle-ci au monde sauvage des félins. Le lion est l’incarnation de Peugeot, au sens où il donne chair à l’esthétique de la marque, il lui apporte sa stature, ses muscles, sa puissance, son autorité, et réciproquement chaque modèle de la marque a tendance à inscrire dans son style la forme léonine, pour donner à chacun d’entre eux, autant que possible, une allure animale qui donne mouvement, et donc vie, à la masse que constitue une automobile.

Ce mimétisme permet de comprendre comment se construit le nouveau look de la 208 : si une Peugeot est un lion, ou une lionne, alors un modèle de dimensions réduites peut être considéré et regardé comme un lionceau. La 208 MK2, à sa naissance, recevait selon son niveau de finition, deux signes l’apparentant au monde des félidés : les crocs, saillants, qui furent jusqu’à aujourd’hui la signature lumineuse des Peugeot vues de face, mais aussi les griffes, visibles dans les versions haut de gamme dans les optiques, sous la forme de trois petites lames encadrant le regard. Comme des rides d’expression.

Mine de rien, avec la 508 MK1 RHX, la 208 MK2 aura étrenné, bien avant l’heure, ce qui va constituer désormais le nouveau signe de reconnaissance des Peugeot quand on les verra apparaître à l’horizon : ces trois griffes sorties pour mieux agripper le sol, et saisir au vol tout ce qui passerait à portée de pattes. Ce que cette nouvelle face avant figure, on le devine tout à fait dans les sketches partagés sur les réseaux sociaux par Matthias Hossann. Tout particulièrement deux mises en image créées par Karan Moorjani, juste suffisamment expressifs pour qu’on saisisse comment regarder cette 208 renouvelée.

Vous voyez Simba encore petit ?

Bien. De face tout d’abord : imaginez juste qu’au moment où Rafiki le brandit vers le ciel à bout de bras devant la foule de la jungle en adoration, au lieu d’avoir les pattes ballantes, comme terrassé à l’avance par sa propre destinée, le petit Simba décoche un sourire juste malin ce qu’il faut, et lève les pattes, toutes griffes dehors, pour signifier un sérieux désir de saisir la vie à pleines pattes pour mieux la dévorer.

Voila, vous avez le nouveau minois de la 208 dans les yeux.

Et maintenant de trois-quarts : ce qu’on voit, c’est un petit fauve gambader, propulsant devant lui ses petites pattes griffues pour avoir un meilleur grip, explorant la route dont il va faire, en grandissant, son territoire.

Bref, le nouveau visage de la 208 est celui d’une prédation joviale, d’un bébé fauve qui se prend déjà pour le roi lion et en mime l’allure menaçante. La calandre est désormais plus présente, et elle s’apparente plus clairement au mufle d’un lion : ses lamelles inclinées dans la partie supérieure de cette vaste ouverture contribuent, avec le logo placé tout en haut et les deux petites ailes noires qui font la jonction avec les phares, à imiter la forme caractéristique du museau d’un félin. Flairant son univers, la petite 208 gambade dans sa savane goudronnée, arpentant ses terres pour mieux y prendre ses repères, les points de corde, les bosses et dévers, les épingles qui seront autant de terrains de jeu pour elle, et celui qui sera à son volant.

Il y a une question qui mérite tout de même d’être posée : si cette intention se voit bien dans les sketches, est-ce qu’on la retrouve à l’identique dans la réalité ? Pas tout à fait à vrai dire. Le dessin permet d’accentuer, très nettement ici, l’expression de ce visage. Mas quelque chose de cette orientation se retrouve dans la 208 réelle. Son faciès n’est pas assagi, il est même un peu plus radical que la version originelle, qui était finalement plus civile, plus sage. Le facelift de la 208 suit donc un processus inverse de celui qu’on observe sur le 2008 : si celui-ci devient plus conventionnel, la 208, elle, affirme davantage son caractère, comme si de l’enfance elle était passée à l’adolescence, cherchant maintenant à éprouver le désir qu’elle provoque dans le regard des adultes, les cherchant un peu à distance, flairant les phéromones exhalées à son passage pour mieux discerner quelles sont ses proies et les imprégner de sa présence, histoire qu’on l’ait en tête, durablement.

A strictement parler, on pourrait considérer cette nouvelle déclinaison de la 208 comme, à proprement parler, une 208 Griffe. Si la couleur n’est pas exactement celle de la 205 ainsi nommée, aujourd’hui d’autant plus mythique qu’il ne doit pas en rester beaucoup en circulation, le soin mis à mettre en scène l’empreinte du félin fait penser à cette série spéciale, qu’elle parachève en quelque sorte. On peut considérer, évidemment, que les griffes sont ici un peu plaquées sur la face avant, et qu’elles ne font pas véritablement corps avec le dessin général. Mais comme sur le 2008, il faut voir cette signature lumineuse comme le prélude d’une forme qui sera, à l’avenir, plus aboutie, davantage intégrée. Le concept Inception en a donné une idée claire, et la 508 restylée a commencé à transiter vers cet aboutissement. Le prochain 3008, pour ce qu’on en connaît déjà, sera une étape à son tour décisive dans cette mue.

Paw Patrol

L’occasion était trop belle, dès lors, pour ne pas la saisir : puisque la marque célèbre les 40 ans de l’ancêtre archétypique, cette 205 à laquelle la 208 fait référence de bien des manières, il était logique de lier ces deux citadines en un seul et même film, histoire de boucler le circuit qui va des performances de la 205 sur route, et sur piste, dans la vie civile comme en compétition, à la vélocité dont fait aussi preuve la 208 qui, mine de rien, voit la puissance de sa version électrique augmenter graduellement, comme le faisait la 205 passant d’1,6l à 1,9l, et de 115 à 130 chevaux, gagnant ainsi ce coffre qui fera d’elle une voiture plus si petite que ça.

La 205, donc, sous toutes ses formes sportives. GTi, Groupe B, Rallye-raid, sur terre et sur goudron, doublée sur la fin et dans un simple chuintement électrique s’apparentant presque à du silence, une 208 étrangement haut perchée sur ses roues, cabrée par sa propre accélération. Tous les 10 ans, Peugeot renoue avec sa propre histoire. Au passage des 30 ans, c’était le fameux spot James Bondien de la 205 GTi 1,9 qui était réactivé pour mettre en scène la 208 MK1, de façon pour le moins spectaculaire. Le collectif Andy’s rendait hommage à la réalisation assez épatante de Gérard Pires pour en tourner la suite. On était en 2014, et cette année là on voyait dans la façon dont un adolescent sur son skateboard écartait de ses mains l’écran du cinéma pour en élargir soudain le champ, dans Mommy de Xavier Dolan, un geste cinématographique essentiel. On peut regarder ce film célébrant les 30 ans de la 205, et constater que les Andy’s y proposaient un geste identique, transposant les performances spectaculaires de Pires à l’ère du numérique. Aujourd’hui, le film des 40 ans reprend ce flambeau, et en profite pour allumer les bougies d’anniversaire plantées dans le paysage pour mieux permettre à la 205 de les souffler, une par une, à son passage, avant de passer le relai à celle qui, à son tour, a pour charge de lui succéder. Cerise sur le gâteau d’anniversaire, le spot conserve des aspects très populaires, ne cédant pas à la tentation d’une ambiance hautaine qui réserverait la marque à une poignée de happy few. Le spectacle visuel est bon enfant, il obéit aux codes du film d’action destiné à être regardé en famille, et la musique ne cherche pas à épater la galerie en sortant une référence cryptée de derrière les fagots : à l’oreille, on dirait que le morceau est tout droit sorti de la playlist « Joe Satriani reprend Joyeux anniversaire sur sa six cordes ». Tout ce qu’on n’ose plus aimer quand on s’embourgeoise. Et c’est précisément ce avec quoi on craint que Peugeot puisse prendre des distances, en promettant une ambiance de plus en plus « premium », et donc de moins en moins populaire. Du coup, sur ce point au moins, ce spot rassure.

Ca fait 40 ans maintenant que ce constructeur sort ses griffes. Il était naturel qu’après tout, à force, on finisse par les voir.

1 Comment

  1. Joli devoir de vacances….
    J’ai pensé à autre chose, qui est évidemment moins logique mais plus drôle….paupières fardées sur un regard qui en jette, paillettes disséminées, grande bouche charnue, griffes prêtes à déchirer ses adversaires derrière la convivialité des » ma chérie comme tu es belle »…ce faciès ultra voyant de la 208 est presque une invitation à déguster avec un soupçon de voyeurisme la nouvelle saison de Drag Race France ! Jusque dans ce popotin sensuel qui nous invite à le mater, ambigu, dans un lamé ajusté.
    208 tu es Kitty Space, je t’ai reconnu (e) !

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