Tout l’univers

In Chevrolet, Corvette C3, Movies, Toby Morris
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On prend son carnet répertoire, et on y inscrit un nom qu’on n’avait pas encore évoqué ici, un nom qu’on avait repéré il y a presque 10 ans pour une campagne Jaguar qui mettait en scène un architecte, un tailleur, bref, des hommes de métier qui pouvaient valoriser le design anglais, avant de le croiser de nouveau travaillant pour Toyota autour d’athlètes handisport ; et on se disait à ce moment qu’il y avait chez ce réalisateur quelque chose qui ferait qu’un jour, on prendrait le temps de montrer son travail, et d’en dire deux mots.

Le temps est venu semble t-il.

Alors, on va à la lettre M, comme Morris. Toby Morris plus exactement. Mais attention, si on est amateur de bandes dessinées, on a peut-être déjà un Toby Morris dans son répertoire, parce qu’à Auckland se trouve ce Toby Morris ci, Néo-zélandais, qui est l’auteur de ces séries de BD ou de petites animations qui savent si bien peindre l’absurdité sociale totale dans laquelle nous vivons comme si de rien n’était, parce que cette absurdité, nous en sommes bénéficiaires. Mais non, le Toby Morris auquel on s’intéresse aujourd’hui ne vient pas de Nouvelle-Zélande. Il est Australien, et gamin déjà il tournait et montait des séquences. C’est dire s’il a ça dans le sang. Depuis, il n’a pas arrêté, que ce soit pour des campagnes publicitaires, ou manifestement pour le plaisir, et souvent pour les deux à la fois. Et quand on prend un moment pour regarder son travail, on peut voir comment peu à peu son regard et ses manières de faire évoluent, comment son propos se construit, quels sont ses repères, ses références, ses goûts, son monde visuel. Et comme ce monde visuel, il le réalise, il est ensuite projeté sur nos écrans pour devenir un peu le nôtre aussi.

Il se trouve qu’assez souvent, cet univers est peuplé de bagnoles, et qu’il l’est à la bonne dose : c’est à dire qu’elles sont là, mais elles n’envahissent ni l’écran, ni le propos. Ce n’est ni une obsession, ni un passage obligé, mais c’est un goût manifeste, qui se reconnaît dans le casting des modèles. Une attitude pleine de justesse qui s’est confirmée il y a un an, quand Toby Morris a réalisé un spot pour Toyota ( TOYOTA // Epic Adventure ), mettant en scène une virée entre potes à travers l’Australie, à bord d’une vénérable Corolla Wagon de la première moitié des années 70, comme neuve, et même mieux que neuve en fait, avec sa casquette de pare-brise, peuplée d’une bande de copains partis faire la route ensemble, libres et respectueux. Un spot totalement cool, et surtout super bien monté, construit comme un album photo dans lequel tout s’enchaîne sous forme de plans fixes, sans que ça devienne une démonstration technique, sans qu’on se sente exclu de l’expérience. Une totale bouffée d’évasion. Et on se disait que décidément, Toby Morris a un don pour saisir ce genre de simplicité.

Et là, coup sur coup, c’est comme si le réalisateur s’était pour de bon libéré, et qu’il mettait sur l’écran ce qu’il avait depuis longtemps dans le ventre. Il y a trois mois d’abord avec un court métrage, intitulé COOEE, dont le scénario introspectif et prospectif tourne autour de l’errance d’une bande de jeunes femmes à bord d’une Holden Commodore bricolée pour être animée par l’énergie électrique, à moitié solaire, à moitié plug-in, un déplacement contraint et libre à la fois, au milieu d’une Australie en fin de parcours, et d’un monde qui n’a pas l’air d’avoir davantage de perspectives, la bagnole demeurant l’alternative à l’évasion numérique et virtuelle. De ce côté ci, une forme de vie morbide. Du côté de la bagnole la vie, malgré tout.

Et puis, là, il y a quelques jours, quelque chose d’autre, qui croise bon nombre d’univers qui, pour ma part, font partie des substances lourdement chargées en contenus fantasmatiques : la bagnole, la conquête spatiale, le skate, l’infiniment petit et l’infiniment grand, mixés à s’en donner le vertige, tout ça passé à la moulinette du style particulier de l’imagerie américaine des années 60 tendues comme un bikini trop ajusté vers leur propre au-delà, et du coup, du monde américain de ces mêmes années, un immense milk-shake d’imaginaire et de réel, comme l’Amérique sait les faire, et comme elle sait l’être aussi, tout bonnement.

Comme c’est un très court métrage, je ne dévoile rien de son intrigue, je n’annonce que les ingrédients :

– Fin des sixties
– Chevrolet Corvette C3
– NASA
-Skateboard
-Beautiful people

Le tout emballé dans un art consommé de la photographie et du montage, une jolie maîtrise technique, et une belle culture visuelle qui renvoie évidemment aux images d’Epinal des sixties US, mais aussi à une façon particulière de monter un récit par bribes, mélangeant les registres d’images pour tisser l’histoire avec l’Histoire de l’humanité, mais aussi la grande Histoire des images, un peu comme le faisait Guy Maddin dans The Heart of the World (2000), autant de raisons qui donnent envie de garder Toby Morris à l’oeil à l’avenir, et de lui faire une place à part dans notre répertoire de talents.

J’y reviendrai, mais tout ça nous indique tout de même une chose. Et cette chose est peut-être importante par les temps qui courent : on sent bien qu’on va vers un monde qui, globalement, doit ralentir. Parce que cette vitesse est dangereuse, mais aussi parce qu’elle n’a finalement aucun sens. Pour autant, ça ne signifie pas que nous devions renoncer à toute forme de destination. L’imaginaire est un continent à part entière, il est sans limite, il comporte peu de règles contraignantes, et il peut être partagé par son support favori : l’image. Et l’espace est, de toute les destinations, celle qui demeure à ce jour la plus collective, puisque chaque homme qu’on y envoie est le représentant de tous les hommes. Il y a là une perspective qui pourrait nous sortir de l’impasse dans laquelle, sur Terre, nous nous trouvons maintenant.

Un de ces quatre, je vous parlerai de Barbara Stiegler, et de la réflexion qu’elle mène sur notre rapport compliqué à la vitesse et à un mouvement que nous croyons nécessaire alors qu’il semble n’avoir aucune destination. Entre le skate et le décollage en direction des étoiles, il y a notre appétit pour le mouvement. Et dans ces deux dimensions, il y a peut-être la continuité future de nos plaisirs présents.


Dernier détail : Evidemment, je sais que vous avez l’œil, vous l’avez repéré, ce plan sur la Corvette filmée en travelling plongeant, vue du ciel. Et vous avez vu que ce n’était pas la même, puisque c’était un modèle restylé du milieu des années 70, et pas celle de la fin des années 60 qu’on voit dans la reste du film.

Mais que voulez-vous, c’est du cinéma, et c’est l’Amérique : tout y est vrai, et faux à la fois.

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