Carry on 2

In 911, Art, Movies, Porsche, Road-movies
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En 1952, sur la couverture du premier numéro de la revue destinée aux porschistes, Christophorus, on voit une 356 couleur métal brut garée sur la neige. Devant elle, sa propriétaire en tenue de sports d’hiver, et un arbre sur lequel est appuyée une paire de bâtons de skis. Accroupie, elle noue ses chaussures et s’apprête à partir en balade dans le paysage blanc. Les fondamentaux de la marque sont déjà là : le sport, ici, n’est pas le seul fait de la voiture, celle-ci est sportive parce que ses propriétaires le sont aussi, son dynamisme est le prolongement du style de vie auquel elle participe ; du coup, tout en étant capable de faire un temps sur un billard goudronné, elle doit être aussi capable de grimper un col dans la neige pour amener ses occupants à la station dans laquelle ils ont leurs habitudes, et elle doit le faire sans leur donner l’impression de partir en expédition, ou de jouer leur vie à la roulette russe. La mécanique doit être sûre d’elle, mais il faut aussi que le chauffage fasse le job, que les essuie-glace fonctionnent, que la garde au sol permette de ne pas se poser dès le premier passage de bosse ; bref, tout en étant très très nettement plus performante que la voiture moyenne, une Porsche doit aussi savoir tout faire comme une voiture moyenne : protéger du froid, abriter de la pluie, démarrer quelles que soient les circonstances, ne pas nécessiter une séance de mécanique après chaque virée. Dans cette première illustration de couverture de la revue commerciale de la marque, tout est déjà là, et nous rappelle qu’il n’aura pas fallu attendre qu’à Stuttgart on se mette en tête de coller un nez de 911 sur le corps d’un Touareg pour que les bagnoles puissent revendiquer un véritable esprit pratique, et permettre un usage quotidien qui ne se limite pas à la concurrence mécanique sur Autobahn.

On est onze ans avant l’apparition de la 911 mais déjà, Porsche propose des voitures de sport qui sont aussi des voitures à vivre, une sorte de best of both worlds, une façon d’avoir le beurre et l’argent du beurre et un pied de nez lancé aux marques italiennes, dont les productions sont certes flamboyantes, mais nécessitent des précautions permanentes, obligeant à serrer, très fort, les fesses quand on les utilise en dehors de leur domaine de prédilection. Et avec l’apparition de la 911, on comprend immédiatement que quelque chose d’important se passe : on peut envisager de n’avoir pour seule voiture que ce petit coupé qui porte son moteur comme un écolier trimbale son cartable sur le dos, bretelles détendues pour le porter bas. On pourra aller tous les jours au boulot, faire les courses, et partir en vacances avec. Elle supportera tous les usages. A strictement parler, le progrès automobile aurait pu s’arrêter là, on n’aurait pas été malheureux.

C’est pour cette raison que de tous les modèles sportifs, ces Porsche ne sont jamais ridicules quand on les équipe de porte-bagages, et qu’on y fixe des vélos, des skis ou des planches de surf. Ce qui serait totalement déplacé sur une Ferrari, incongru sur une Maserati, sacrilège sur une Aston-Martin, est parfaitement admissible sur une 911 parce que ça ne trahit pas son cahier des charges. Au contraire, un tel harnachement confirme son essence : elle est bonne, à tout faire. Ce qui rend une Skoda banale, et c’est ce qui rend une Porsche exceptionnelle. Pour le dire autrement, la 911 est à la bagnole ce que l’Opinel est au couteau : l’objet parfaitement défini par sa fonction, suffisant, définitif.

J’avais déjà partagé, dans un premier article, une poignée de photographies dont les héroïnes étaient ces modèles allemands équipés pour les virées à la plage, ou en montagne. Plus on cherche, et plus on trouve de belles photos de ces modèles portant sur leurs épaules tout ce qui ne tiendrait pas à l’intérieur. La polyvalence de ces automobiles de sport a pour effet que de très nombreux rassemblements ont lieu au pied des pistes de ski, ou à la plage, permettant à tous les propriétaires participant d’exhiber tout le matériel d’époque qui leur a été transmis avec leur voiture, ou qu’ils auront patiemment dégoté sur toutes les bourses aux équipements qui s’organisent maintenant à l’échelle de la planète. Du simple porte-skis fixé sur un des bumpers du pare-choc arrière et sur le grille de refroidissement du flat-six à la véritable galerie de toit permettant d’embarquer les bagages et des roues de secours, en passant par le simple toit ouvrant par lequel on fait dépasser la planche de surf plantée sur les petites places arrière, c’est à une débauche de techniques de portage à laquelle on assiste, que ce soit lors des rassemblements de l’Alpine classique, qui a lieu tous les mois de février depuis 2015 à Chamrousse, invitant les propriétaires d’anciennes de toutes marques, à quatre ou deux roues, à se retrouver en grande tenue d’époque sur les planches de télémark, ou au Petro-Surf Festival qui réunit ceux qui sont conjointement amoureux des Porsche vintage et du surf sur l’île allemande de Sylt. Partout dans le monde, ces vénérables automobiles sont mises au service de la vie qui va avec, faite de beauté mécanique et de goût pour la conservation de ce qui, dans le passé, était amplement suffisant pour atteindre un bonheur qui ne se vivait pas dans la distance avec le monde, mais au contraire dans l’aptitude à y plonger.

Si ces photos ont une actualité, c’est aussi que chez Alpine, on semble partager ce goût pour le portage du matériel de loisir. Le prototype A110 Sports X cultive cette approche de la voiture qui invite à poursuivre au-delà de son habitacle l’expérience sportive et donc, à embarquer en surplomb de la lunette arrière les équipements qui permettront de rider, sur la neige ou sur l’eau. Une telle démarche est parlante, parce qu’elle est le signe d’une volonté de créer autour des modèles proposés à la clientèle ce qu’on peut appeler une « culture », c’est à dire un développement, un univers qui accompagne les voitures. Ce qui fait l’aura de la 911, c’est l’existence d’une telle culture, qui va bien au-delà du seul monde automobile. Alpine semble avoir compris que c’est aussi sur ce terrain que se construisent les légendes.

Et en complément de la galerie, comme un témoignage de ce goût tellement mondial qu’on pourrait le considérer comme universel, ce court métrage réalisé par le préparateur Sud-Africain Dutchmann, qui embarque un père et un fils dans une virée côtière, à la recherche d’une planche sur laquelle ils pourront aller surfer quelques belles vagues sur l’Océan indien. 68 ans après le premier numéro de Christophorus, les fondamentaux de la marque sont toujours les mêmes, mais s’y est ajouté ce qui dans les années 50 ne pouvait qu’être espéré : la transmission entre les générations. C’est là l’essence des grands classiques.

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