Esthétique de la disparition

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Depuis un moment, accaparé par d’autres question tout aussi importantes je délaisse cette colonne et ne partage plus grand chose. La grippe me permet de lever le pied une journée, et je reprends le clavier, après avoir passé une matinée de vrai loisir, à regarder ce que la planète produit de vidéos mettant en scène des bagnoles.

Et curieusement, de toutes celles que j’ai vues, il en reste une, dans laquelle on ne voit quasiment aucune voiture, en dehors d’un ou deux plans sur un SUV Volvo filmé depuis le ciel, depuis un drone suffisamment haut perché pour qu’on n’arrive pas à distinguer le modèle mis en scène, et de quelques plans rapidement saisis à l’intérieur de ce même modèle. Ce que met en scène ce court métrage, c’est le lien rompu entre l’homme et le monde qui, jusqu’à preuve du contraire, demeure son seul refuge.

C’est une histoire d’homme, c’est à dire l’histoire d’un homme qui, de l’enfance à l’automne de sa vie, s’attache à ce qui le fascine jusqu’à y consacrer, tout simplement, l’entièreté de son existence. Quand on est passionné par la technique, quel que soit le domaine dans lequel on oeuvre, on n’a pas vraiment de problème : ce sur quoi on travaille se développe à une vitesse telle qu’on sait par avance qu’on ne perdra jamais contact avec sa passion. Mais s’attacher à la nature, c’est toujours prendre le risque de se retrouver seul au monde ou pire, sans monde.

Quand un constructeur automobile communique dans cette direction, on peut toujours le soupçonner de chercher à se donner bonne conscience. Quand Audi affirme que l’E-tron va remettre le monde sur son axe, il y a quelque chose de ce genre qui se joue, parce que ce discours vient percuter tout un tas d’autres spot, dans lesquels la marque ne manifeste absolument aucun souci de ce genre, préférant surfer sur les valeurs de jouissance immédiate, de plaisir sans retenue, et de pure apparence. Leur soudaine conversion à l’inquiétude pour la planète, on n’y croit pas trop : les constructeurs doivent désormais respecter des objectifs contraignants quant aux vertus écologiques de l’ensemble de leur gamme et certains, pour pouvoir proposer encore quelques modèles complètement déraisonnables, sont bien obligés de mettre sur le marché des véhicules blancs comme des premiers communiants, dont on reconnaît tout de même le petit sourire en coin, et l’envie d’envoyer promener l’aube et le cierge pour redevenir les sales gosses qu’ils étaient encore la veille.

Mais il faut reconnaître à Volvo ceci : la marque se situe sur une autre voie, et vise d’autres perspectives. D’une part, parce qu’elle a pour projet de proposer une gamme qui soit réellement plus vertueuse que la moyenne, Ainsi, ici, c’est à une logique d’ensemble que se plie la gamme : sans être sous motorisées, les Volvo ne sont pas tapageuses dans la célébration de leurs propres performances. Et ça ne date pas d’hier : dès les années 70, la marque s’est distinguée par son aptitude à se construire sur des valeurs qui ont pu sembler, un temps, un peu has-been, comme la sécurité, la responsabilité, une certaine façon de faire de la conduite et du partage de la route avec les autres un art de vivre. Même sa division performances, Polestar, propose finalement une berline qui, tout en proposant des performance qui permettent de se faire plaisir, semble très peu démonstrative de ce genre de talents, et préfère la jouer low-profile, et garde au sol un peu haute, comme s’il s’agissait de dire « Ok, on pourrait vous faire une démonstration de force, mais la vraie liberté ne consiste pas à se laisser aller, mais à se retenir ». La retenue, s’il fallait définir Volvo en un seul mot, ce pourrait être celui-ci.

Retenue, et discrétion, car de toutes les marques disponibles sur le marché, Volvo est sans doute celle qui travaille le plus à sa propre disparition dans les publicités qu’elle diffuse. Ici, le héros est avant tout caractérisé par sa passion, l’ornithologie. Le fait qu’il roule en Volvo est considéré comme un effet de cette passion, donc comme un fait secondaire. On est loin des publicités Peugeot dans lesquelles le fait de conduire un instant un des modèles de la gamme serait un moteur profond et l’obsession de chacun. Ce faisant, Volvo se constitue un écosystème de représentations qui lui permet d’exister, sans se mettre en avant. En fait, dans ce long spot, le fait que cet amoureux des oiseaux, anxieux de voir l’espèce qu’il étudie disparaître, et de participer lui-même à cette disparition en ayant trop à coeur de la sauver, roule en Volvo parait tout à fait naturel. Disons-ça autrement : dans cette communication, Volvo naturalise le fait de rouler dans un de ses modèles quand on est un peu soucieux du monde dans lequel on vit.

Autre caractéristique de ce petit film : le SUV Volvo ne sert pas à échapper à un quelconque danger. Il faudrait un jour répertorier le nombre de publicités pour des voitures qui montrent divers modèles roulant bon train dans la tempête, poursuivies par des ouragans, échappant de peu à des éruptions volcaniques. Dans un grand élan de mauvaise foi, les marques aiment passer pour celles qui vont nous sauver d’un danger auquel, si on veut bien être un peu honnête, elles ont amplement participé. Ajoutons cette observation : les publicités automobiles aiment bien jouer avec l’idée que tel modèle va sauver, avant tout, ses propres passagers, ce qui revient à dire que le désordre global dans lequel nous nous trouvons doit être traité par des initiatives personnelles qui visent à se sauver, soi, et à ne pas se soucier des autres. Ici, aucun discours de ce genre. La Volvo ne sauve de rien, et il n’y a pas de danger, du moins pas pour les êtres humains. Le danger dans ce spot concerne l’autre que l’homme, et l’aptitude de celui-ci à être encore émerveillé par le monde dans lequel il se trouve. Dans n’importe quelle publicité, l’objet de la fascination, c’est le produit. Et dans le cas de l’automobile, c’est encore plus vrai. Ici, ce spot propose de faire le portrait d’un homme dont la passion est toute autre, et l’inquiétude bien différente. Regardez ce petit film, puis enchaînez avec le fameux « Tu as une Volkswagen, t’as rien à craindre », et mesurez l’espace sidéral de ringardise qui se creuse entre les deux axes de cette communication.

Volvo ne promet pas de sauver le monde, ainsi la marque évite les discours présomptueux. En revanche, ce que met en scène ce spot, c’est l’espoir. Tout ne finira peut-être pas dans un maelstrom apocalyptique. A l’inverse des discours volontaristes et pompeux des autres marques, qui semblent souvent se prendre pour les Avengers, il n’y a ici aucune garantie d’un quelconque résultat, et pas de perspective de salut généralisé : tout ce qu’on peut faire, c’est dans la modestie de sa propre passion, tenter de sauver ce qui peut encore l’être. Et si d’aventure on était animé par la passion automobile, il faudra, d’une façon ou d’une autre, que celle-ci trouve sa place dans un monde dont elle ne peut être l’alpha, et l’oméga.

Ce qu’on pourrait craindre, c’est qu’il n’y ait derrière cette mise en scène, rien de réel. On se tromperait. Cet ornithologiste existe bel et bien, il s’appelle Carl Jones et, dans la vie, il bosse pour une fondation internationale qui tente de sauver les espèces qui peuvent encore l’être. Sa spécialité, c’est la crécerelle de l’Île Maurice. C’est là le principe de la série menée conjointement par Volvo et la chaîne Sky Atlantic : mettre en avant des gens qui existent bel et bien, et qui chacun dans leur domaine, essaient de faire quelque chose, et pas juste de s’occuper. Une façon comme une autre de relativiser la place occupée par la flopée de figurants qui se prennent pour des vedettes, et de montrer, avec discrétion et retenue, ceux qui sont les véritables acteurs de ce monde.

Et comme une bonne nouvelle n’arrive pas seule, ce film n’est pas le premier de la série Human made stories. Il y en a déjà quelques uns qui sont disponibles.

Les voici :

Et, comme d’habitude, je ne saurais trop conseiller de regarder, sur Vimeo, qui sont les réalisateurs de ces films, et qui en est le directeur de la photographie. A chaque fois, c’est un petit miracle de maîtrise, et après tout, mettre ainsi la rigueur au service d’une forme d’altruisme, c’est aussi la représentation que Volvo souhaite construire dans notre regard. Et cette série y contribue.

Sur la page du site de la marque, on trouve l’ensemble de ces films, et on y trouvera sans doute les suivants. On y trouve aussi cette affirmation, centrale, qui indique quelle est la spécificité de la marque : « Cars don’t drive the world forward« .

C’aurait pu être le titre de cet article.

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