Il peut arriver qu’on se fourvoie vraiment lourdement quand on choisit des disques en se fiant uniquement à la qualité de leur pochette. Parfois, le plasticien est le membre du groupe qui manie, et de loin, le mieux son instrument. Mais dans Seafaring Strangers : Private Yacht, tout est cohérent, et on navigue, de la pochette à l’ultime titre de cette compilation, sur ce qu’on pourrait appeler la Mer de la tranquillité, si une étendue désertique un peu perdue au beau milieu d’une Lune déserte n’avait déjà, un peu bizarrement, usurpé ce nom. Disons qu’on sera porté, vingt titres durant, par les flots subtils, tantôt liquides comme l’hélium, tantôt puissants comme un métal trempé, sur l’Océan de l’insouciance, ce genre d’ataraxie qu’on connaît parfois, quand on se sent tellement léger qu’on se croit indestructible.
Il y a une période bénie, en Californie, où la musique pop parvient à traduire très exactement la douceur de vivre sans pour autant tomber dans la mièvrerie. L’association de cordes et de rythmiques appuyées juste ce qu’il faut, les harmonies chorales, tout concorde à rendre la vie plus apaisée, à tel point que seul le chant semble pouvoir exprimer cette joie profonde qui inonde les neurones.
Il y a une myriade de groupe qui, à ce moment, sur cette côte Pacifique, posent sur les bandes magnétiques des mélodies qu’on qualifie depuis de « FM », mais qui à l’époque, répondait au doux nom de Yacht Rock. Bien entendu, on a l’habitude de voir dans le rock quelque chose de plus abrasif. Mais après tout, dans un milieu rugueux, la plus grande des douceurs peut être, dans son genre, décapante.
Seafaring Strangers : Private Yacht fait oeuvre documentaire, en rassemblant sous une même splendide pochette des perles qui ont échappé, jusque là, au vent de l’histoire. C’est comme si on replongeait dans les seventies sans en avoir la mémoire, pour les revivre avec l’aptitude que nous avons, aujourd’hui, à faire encore des découvertes. On mesure, alors, à quel point on peut passer à côté de la beauté sans l’avoir repérée. C’est la beauté de la discrétion avec laquelle cette musique s’installe, comme une atmosphère, celle là même que laquelle Véronique Sanson, silver surfeuse française sous le ciel Californien, vint respirer, le temps de faire ce qu’elle a, à ce jour, fait de mieux.
Et les bagnoles dans tout ça ?
La pochette parle d’elle-même. On n’en manque pas, de pochettes de disques représentant des automobiles. Mais la Porsche 914, rare dans la réalité, l’est tout autant sur les illustrations discographiques. La 911 a évidemment un petit goût californien, mais elle exprime quelque chose de plus puissant, de plus volontaire ou vindicatif. La 914, dans sa livrée simple, petites jantes, peinture sobre, presque mate, a la légèreté modeste des modèles dont on ne voit pas tout de suite en quoi ils sont, simplement, géniaux. Parce qu’en fait, tout est singulier dans cette fille cachée des amours entre Volkswagen et Porsche. Et si la 911 a quelque chose des traits de la Cox, et plus que ça même, parce qu’elle a quelque chose de conceptuellement commun avec elle, la 914, elle, assuma cette parenté, au point de se faire mal voir de certains des plus puristes des fans de la marque. Elle a quelque chose de Pop qui a pour conséquence qu’on peut passer à côté d’elle sans l’apprécier à sa juste valeur. On ne la prend pas au sérieux, parce qu’elle n’a pas la présence puissante de ses demi-soeurs.
Mais comme le Yacht Rock des années 70, la 914 nous rappelle juste que le sérieux est toujours, en musique comme en automobile, une illusion suscitée par une certaine mise en scène. Seafaring Strangers : Private Yacht, bande son idéale d’une virée tranquille sur des routes invitant au cruising, est une célébration de ce refus soigné du spectaculaire.
Seafaring Strangers : Private Yacht