Profils passant

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Quand on photographie des voitures, il faut être assez gonflé et sûr de soi pour privilégier cet angle simple qu’est le profil. Et il faut l’être tout autant pour pratiquer la photo de rue en évitant de chercher à tout prix les plongées ou contre-plongées qui rendraient chaque cliché plus spectaculaire. Saisir la rue de profil, c’est capter les façades des bâtiments, simplement bordées par les trottoirs; le long desquels se sont garées, les voitures. 

Il fallait donc que Langdon Clay soit particulièrement sûr de lui et suffisamment maître de son geste photographique pour qu’il projette de photographier sa ville, New-York, en choisissant comme angle le profil des automobiles qui sommeillaient, la nuit, le long de ses trottoirs dépeuplés.

Si la photographie, qui est un art de la lumière, est aussi un art du temps, il n’est pas anodin qu’un tel projet soit né dans les années 70, car jusque dans les années 80, les voitures sont caractérisées, avant tout, par leur ligne. C’est dans les années 80 qu’on les envisagera plutôt sous la forme de volumes. On pourrait d’ailleurs classer les carrosseries selon cette distinction simple, plaçant d’un côté les voitures qui sont dessinées, dont on regardera la ligne, et il y a les automobiles qui sont sculptées, dont on retiendra les volumes. De façon générale, plus on s’approche du temps présent, plus on conçoit les formes en volume. L’une des dernières automobiles à avoir soigné son profil était l’Alfa Roméo 156. Si on regarde bien sa remplaçante, la 159, on voit bien que celle-ci apparaît davantage sous la forme d’une masse. Entre les années 70 et les années 80, on semble être passé de la planche à dessin à la modélisation 3D. Il y a dès lors dans ces photographies le reflet d’un temps passé, d’une manière de faire qui relève maintenant de la mémoire.

C’est en 1974 que Langdon Clay entreprend de documenter les rues de New-York en photographiant la ville à travers le sommeil nocturne des voitures qui attendent, tranquilles, qu’une nouvelles journée de parcours les réveille. Et si le photographe dit ne pas être particulièrement intéressé par les bagnoles, il a tout de même saisi cet objet au moment où il pouvait, le mieux, être photographié sous cet angle précis. Un tel projet, aujourd’hui, ne produirait plus le même effet parce qu’entre temps les voitures ont été dessinées différemment; plus précisément, elles ont cessé d’être tout à fait dessinées.

La bagnole américaine des années 70 tient moins de l’automobile que du bateau, et ses formes occupent idéalement le format horizontal des kodachromes de Langdon Clay. Surtout, elles offrent une surface sans pareil pour saisir la lumière urbaine. Il ne s’agit pas d’un déluge de reflets et de néons comme on peut les voir chez William Klein. Ici, les peintures des ces modèles déjà usés sont trop peu brillantes pour produire un tel effet. Au contraire, les éclairages nocturnes semblent absorbés par les carrosseries, et les voitures apparaissent ainsi comme dotées d’une véritable intériorité. Des habitacles désertés, mais disponibles, en attente. Ainsi, les hommes sont absents, effacés par le temps de pause long qu’a exigé chaque cliché. Mais les voitures, associées aux façades, les signifie : « Je n’avais pas besoin des hommes. Je les suggérais avec mes voitures. On sentait qu’ils étaient tout près ». Ce faisant, Clay nouait visuellement ce qui lie la voiture et la photographie : le passage. 

« Les voitures ont constitué pour moi un revirement vers les couleurs vives. C’était en quelque sorte une affirmation de mon existence. Partir dans la direction opposée à celle du moment décisif du photographe de rue. Un grand trépied, un objectif de 40mm, des pellicules Kodachrome et deux années passées à déambuler. C’était la photographie de la rue elle-même. Une voiture. Un décor. En toute simplicité. La nuit est devenue sa propre couleur » (cité dans le catalogue de l’exposition Autophoto)

C’est bien un tissage que mettent en oeuvre ces photographies : entre la présence et l’absence, entre la représentation et l’évitement de la représentation directe, mais c’est aussi un dialogue que chaque cliché instaure entre l’automobile et la rue qui l’accueille. Si la voiture est le signe de la présence discrète d’humains qui ne sont que de passage (d’où leur absence physique à l’image), ce qui reste, en revanche, qui demeure au-delà du moment où la voiture démarre et s’éloigne de sa place de parking, ce sont les inscriptions sur les murs. Numérotation, enseignes, publicités, il y a toujours un arrière fond de discours qui encadre ce qui n’est que de passage, comme si le propos sur les choses survivait aux choses elles-mêmes. Et c’est ainsi que Langdon Clay parvient à inscrire au sein même de ses photographies, un propos sur la photo-graphie, l’écriture par la lumière. On ne saurait mieux définir son geste. Il n’est dès lors pas anodin que ces inscriptions murales donnent leur titre à chacune de ces oeuvres.

Bonne nouvelle pour finir : Les voitures new-yorkaises de Langdon Clay peuvent être vues sur deux sites distincts, cet automne, à Paris : à la galerie Polka, du 9 septembre au 5 octobre, et au sein de l’exposition Autophoto qui se tient à la Fondation Cartier, du 20 avril au 24 septembre. 

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