J’ai dit, dans les yeux

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Au commencement


Depuis 1968, ceux qui ont en charge la direction du style de la marque Peugeot ont a gérer le patrimoine formel constitué par une berline bourgeoise numérotée 504. De Gerard Welter, qui nous a récemment quittés, à Gilles Vidal, aujourd’hui à la tête du bureau de design de la marque au lion, il est impossible de dessiner une nouvelle berline sans avoir en tête ce modèle, tant il est devenu la définition même de ce qu’est censée être une berline sochalienne. 

Pour autant, « avoir en tête » ne signifie pas nécessairement reproduire. Si la 505 a été la fidèle héritière de son aînée, on sait que la suite de l’histoire, chez Peugeot, fut un peu moins simple, à cause de choix industriels consistant à ne pas nécessairement remplacer un modèle par un modèle équivalent (pendant que, chez BMW, on poursuivait imperturbablement la série des 5, chez Peugeot on jonglait entre 4 et 6, un peu comme si on se refusait à capitaliser sur une réussite, un peu comme on refusa l’obstacle du remplacement direct de la 205), à cause, aussi, d’une conjoncture qui fit que ce genre de routière devient une spécialité allemande, et de l’apparition de nouveaux formats d’automobiles qui permirent, eux aussi de prendre la route en famille : 4×4 civilisés, breaks classieux et SUV, avant que la berline fasse son retour en se déguisant sous des lignes plus basses, des arrières fastback, des allures plus racées. 

« Avoir en tête » n’implique donc pas de reproduire, y compris quand on veut rendre hommage. Si la mémoire de la Coccinelle ou de la Fiat 500 a pu conduire à des sortes de rééditions qui sont, simultanément, commercialement efficaces, et esthétiquement discutables, certaines marques au passé prestigieux se refusent à de tels échos de modèles passés, préférant être fidèles à la démarche créatrice qui a permis ces coups de génie, plutôt qu’aux formes qui ont connu, par le passé, un joli succès. 

Ainsi, la 504 n’eut qu’une seule héritière directe, la  505, d’ailleurs réussie elle aussi, qui en était l’évolution naturelle. Par la suite, Peugeot est courageusement passé à autre chose. La 405 fut, elle aussi, une réussite dans un tout autre genre, la « filière » des 6 connut des succès d’estime, mais il faut reconnaître que la marque eut toujours du mal à aller chercher les références allemandes sur leur terrain de prédilection. Quelque chose s’est joué autour de la fin de carrière de la 505, comme si la France, s’étant fait taper les doigts plusieurs fois quand elle avait fait preuve d’ambition, s’y reprenait à deux fois avant d’oser mettre les doigts dans ce qui relevait de la puissance massive. Une 405 turbo 16, on voulait bien la faire, en scred, entre initiés. Quand la presse en parlait, la direction de PSA donnait l’impression d’avoir été surprise en train de chater sur le 3615 Ulla. Renault semblait assumer davantage ses incursions du côté des berlines roulant nettement trop vite, mais c’était toujours en considérant les constructeurs allemands comme une sorte de jury dont on cherchait l’approbation, au lieu de s’y confronter pour de bon. Et puis, 405 et 21 étaient des berlines intermédiaires dont on voyait bien que les versions performantes étaient extrapolées à partir d’une base modeste. Alors qu’une série 5, et peu à peu les équivalents chez Audi, semblaient inclure la puissance dans les gènes du modèle, condescendant à en extraire une version dévaluée pour les nouveaux riches pas encore habitués à dépenser beaucoup pour se payer the real thing. 

Ainsi, Peugeot parvint à maintenir une identité sans pour autant végéter sur ses racines. Quand, à Munich, les doubles phares ronds et le pli Hofmeister s’instituaient en dogmes, à Sochaux, on s’ingéniait à réinterpréter de façon régulièrement revue et corrigée les exigences très abstraites définissant ce qu’est censé être une Peugeot. Et à la limite, s’il ne devait y avoir qu’une seule constante, ce serait celle-ci : Une Peugeot doit avoir un regard, et c’est à partir de ce regard que tout le reste se construira. 

Sur ce point, la 504 est incontournable, et pourtant, elle contrarie la règle, car les fameux phares trapézoïdaux dont on dira, après coup, qu’ils imitaient le regard de Sophia Loren furent rapportés sur une silhouette créée chez Pininfarina. En effet, Peugeot avait déjà pris l’habitude de mettre en concurrence le carrossier italien et son propre bureau de style. Paul Bouvot avait proposé une sorte de 404 qui aurait été débarrassée de tout ce qui en faisant une berline d’une époque révolue. Exit, en particulier, les feux ronds au bout des ailes arrondies. Au contraire, déjà, Bouvot dessinait des phares trapézoïdaux très expressifs, et modernes. Pininfarina, au contraire, proposait une ligne arrière tranchant avec ce à quoi on était à l’époque habitué, la porte de coffre était tronquée à mi chemin pour s’achever, en forte pente, un peu comme si on avait croisé le coffre d’une berline avec l’arrière d’un fast-back. Ce qui était encore discutable sur le prototype devint tout simplement génial sur le modèle achevé. Ce qui était au départ une audace restera dans l’histoire comme un grand classique. C’est à ça qu’on reconnaît le génie, finalement. Mais à l’avant, les designers italiens avaient été moins inspirés, puisqu’on reprenait l’avant de la 204, dans une déclinaison plus large. Le fait d’imposer les formes simultanément plus rigoureuses, et pourtant sensuelles, créées par Paul Bouvot donna à la 504 son visage iconique. Celui vers lequel, encore aujourd’hui, on ne peut pas tracer une ligne dans le laboratoire de style Peugeot sans jeter un coup d’oeil.

Evidemment, la comparaison avec Sophia Loren est plus élogieuse pour la voiture que pour l’actrice. Et pour être honnête, on peut se demander si, n’ayant jamais lu cette anecdote, l’image nous serait jamais venue à l’esprit. Pour autant, ça a installé durablement l’idée selon laquelle les Peugeot on t un regard, et c’est une constante qu’on retrouve effectivement tout au long de l’histoire de la marque, et ce jusqu’à aujourd’hui.

Et maintenant…

Alors, puisque finalement, Paul Bouvot n’est pour rien dans l’évocation de l’actrice italienne, on peut se permettre de se demander ce que nous inspire le regard de la nouvelle 508, puisque celle-ci nous est révélée ces jours ci. 

Tout d’abord, il faut noter ceci : la 508 n’a peut-être pas un seul regard, mais deux. En effet, ses optiques à angle droit, sont doubles. D’un côté, un bloc optique très classique, de forme sobre sans être simpliste, contenant deux sources d’éclairage. Ce qui distingue ce regard ci, c’est moins sa forme que la façon dont il est profondément encastré sous le capot, qui forme une véritable casquette au dessus du phare. C’est ce qui permet, par ailleurs,  à l’ensemble « soft-nose + capot » de venir achever l’avant de la voiture, sans être à son tour prolongé par une calandre qui lui volerait la vedette. Ici, la calandre ne se voit pas attribuer le premier rôle. D’ailleurs, elle n’est pas intégralement cintrée de métal, laissant son bord supérieur vierge de tout encadrement. Ici, c’est la « tôle » qui, à l’ancienne, dessine le faciès de la 508. 

Avoir les crocs

Mais l’autre point remarquable, et abondamment commenté, parce que diversement apprécié, ce sont les canines, signature lumineuse diurne des versions les plus riches de ce modèle. En dehors des spectaculaires triples rampes de leds de la 508Rxh, c’est peut-être bien la première fois qu’une face avant, chez Peugeot, joue à ce point avec les lignes verticales. Cette signature ne tombe pas du ciel. Elle était clairement annoncée par le concept Instinct. Osons, à ce sujet, une prédiction : si l’Instinct est un modèle dont les phares classiques sont réduits à leur plus simple expression, alors on peut imaginer que cette signature verticale devienne une constante chez Peugeot, et que d’un modèle à l’autre, se mette en place un jeu dialectique (un dialogue, en somme), entre la verticalité et l’horizontalité, un peu comme chez Citroën on joue depuis quelques modèles autour du motif de la superposition. Le croisement pourrait devenir, chez Peugeot, un signe de reconnaissance en matière d’éclairage avant. 

Pour autant, lors de la présentation à la presse de la 508, Peugeot avait pris soin de mettre en scène quelques une des maquettes parmi lesquelles la silhouette du modèle final s’est jouée, et on constate ceci : les fameux crocs n’étaient pas présents sur ces premiers jets. Ainsi, on comprend que, comme la 504, ce trait de caractère est venu sur la fin, et que l’ensemble de la voiture n’a pas été dessiné à partir de son regard. C’est un point commun discret, mais c’en est un !

D’autre part, on devine que cette ligne lumineuse vient résoudre un problème posé par l’évolution morphologique des voitures contemporaines :  pour diverses raisons, la limite entre l’aile et la face avant s’est peu à peu estompée. Si on regarde une 504 de face, la face avant est clairement délimitée, et elle s’articule, à angle presque droit, avec l’aile. Elle a donc un visage dont les traits sont nettement marqués par la bordure extérieure des phares. Si on regarde, maintenant, la 508 de face, on s’aperçoit que les « crocs » dessinent presque les mêmes contours, comme s’ils évoquaient la mémoire des faces avant du passé. Ce faisant, tout ce qui se trouve en porte à faux de ces lignes est assimilé par le regard à la face avant, et ne semble donc plus être en porte à faux (alors que celui-ci, en réalité, est encore imposant). On comprend alors que, même sur les modèles sur lesquels cette rampe lumineuse n’est pas proposée, il soit nécessaire de conserver cette délimitation, car elle joue pour beaucoup dans l’illusion qu’on peut avoir de regarder une voiture dont les roues avant se situeraient « dans les coins ». 

D’autre part, le but est aussi de cintrer le plus possible la ligne sur l’avant, de manière à « étroitiser » la façade, de façon à donner l’impression d’une auto moins massive, et plus agile. Cet artifice, on l’avait déjà entrevu sur un concept précédent, plus ancien, l’Onyx. Ici, ce n’était pas la lumière qui instaurait cette limite, mais la démarcation entre la zone cuivrée et la face noire.  Le contraste permettait de ramasser et tendre les lignes vers l’avant. On se rend compte, finalement, que l’Exalt, qu’on pensait annoncer la 508 était finalement plutôt l’annonciatrice du regard des 3008 et 5008. Et ça faisait un moment que Gilles Vidal, sur son compte instagram, évoquait régulièrement l’Onyx, que ce soit sous la forme du coupé, ou du scooter, ce qui pouvait laisser penser qu’il avait quelque chose à voir avec la nouvelle venue (nous verrons, d’ailleurs, si le concept Fractal est plus souvent évoqué alors que, désormais, c’est la 208 II qui sera attendue). 

 

Ainsi, la 508 n’imite aucun modèle l’ayant précédé dans l’histoire de la marque. A la limite, on pourrait lui trouver des ressemblances avec des modèles d’autres marques : une faciès qui évoque certaines productions américaines, une sorte de muscle car. Une ligne de pavillon qui fait penser à ce que Volvo a proposé sur la S60. Mais à aucun moment il ne s’agit de copier, ou de se copier soi-même. Elle n’imite pas, elle évoque, ce qui est très différent. 

Ainsi, les clin-d’oeil abondent : le chiffrage 508 posé en bout de capot, qui remplace le lettrage Peugeot en haut de calandre. Ainsi, aussi, ce dessin particulier de la porte de coffre qui, de profil, reprend le dessin si caractéristique qui signe l’arrière de la 504 sans imposer un coffre qui soit, lui-même, la copie de cette ancêtre. Ainsi, celui qui a cette mémoire peut voir, en transparence, la chute de rein de la 504 dans une simple ligne, alors même que le volume de la voiture est absolument nouveau. C’est là, sans doute, ce qui distingue la façon particulière dont Gilles Vidal respecte l’histoire de la marque pour laquelle il travaille : il a compris que le respect impose une certaine distance, qu’on peut regarder le passé, mais qu’on ne peut guère le reproduire. Il a le talent de l’évocation, y compris vis à vis de ses propres productions. Ainsi, on n’a pas parlé de l’intérieur, mais il aurait été très tentant de reprendre à l’identique ce qui a assuré le succès du 3008 II. Pourtant la planche de bord a été encore retravaillée, l’écran tactile est plus bas, les lignes se sont étendues à l’horizontale et on découvre de nouveaux matériaux. Le bois vient remplacer le tissu de costard inauguré sur le 3008, et qui semble devoir lui demeurer spécifique. Parfait, chaque modèle a ses spécificités, on se permet d’avoir suffisamment de bonnes idées pour ne pas les recopier telles qu’elles d’un modèle à l’autre. C’est aussi ça, la richesse. 

Le Lion de Troie

Alors, finalement, à qui la 508 emprunte-t-elle son regard ? A vrai dire, j’en ai eu le pressentiment avant de la découvrir, quand Vidal partageait les visuels de l’Onyx, particulièrement dans la face avant du scooter : le découpage bicolore me faisait penser au casque des spartiates, ça me rappelait les héros de 300, Léonidas en tête évidemment. Mais, sans lui faire offense, le regard de Gerard Butler n’est pas suffisamment intense, même quand il incarne Léonidas, pour nous servir de référence. Du coup, de fil en aiguille, j’ai pensé à un acteur nettement plus magnétique, plus sauvage et maîtrisé à la fois, qui lui aussi avait porté ce casque caractéristique des guerres antiques. Il y a, dans cette 508 qui semble préférer prendre le risque de n’être qu’un succès d’estime, quelque chose d’Achille qui veut avant tout qu’on se souvienne de lui. Aujourd’hui, les berlines les plus vendues en Europe sont des Skoda. Resteront-elles pour autant dans les livres d’histoire de l’automobile ? Ce n’est pas certain. A vrai dire, on peut même parier qu’elle disparaîtront. N’en restera que des comptes d’exploitation excédentaires. Une abstraction. Personne ne restaurera une Octavia dans un siècle et demi. A l’inverse, on peut imaginer que certains tenteront de remettre en état une C5 II ou une 508 II. Sans préjuger du succès de cette nouvelle berline, on peut raisonnablement penser qu’elle va marquer l’histoire du style de la marque. A la voir faire ses premiers tours de roue, elle semble être, déjà, une sorte de classique. 

Dans l’antiquité, on allait dans certains temples rencontrer des oracles à qui on demandait, finalement, d’en savoir un peu plus sur soi. Ne nous moquons pas, nous faisons aujourd’hui la même chose quand nous réalisons les tests trouvés dans les magazines ou quand nous lisons nos horoscopes. Soyons donc un peu présomptueux, et à la manière de ceux qui, aux yeux de l’histoire, ont identifié la 504 à Sophia Loren, décidons aujourd’hui que la 508 a un petit quelque chose de Brad Pitt. Evidemment, la ressemblance demeurera tout autant subjective et les plus grand nombre tentera vainement de confirmer la prophétie en regardant successivement l’un, puis l’autre, dans les yeux, avant de revenir au premier, puis au second, en vain. 

L’important, c’est la façon dont les formes se transmettent, d’une génération à l’autre, de domaine en domaine. Tout est une question de reconnaissance, qui se fait, ou ne se fait pas. Et c’est là un processus éminemment culturel.

Quant aux désaccords sur la généalogie de cette ressemblance, après tout, il en va de même pour tous les nouveaux nés. 

 

Source des images : 

Le regard de la 504
https://theautomobilist.fr/essai/au-volant-du-pickup-peugeot-504-essai-101809#jp-carousel-102385

Profil de la 504
Origine inconnue. Ca ressemble au travail de Tiff Hunter, mais ce n’est pas tout à fait conforme au contraste spécifique de ses photos. C’est néanmoins la meilleure photo de 504 que je connaisse, si quelqu’un sait d’où elle vient, qu’on me fasse signe !

Sophia Loren :
se maquillant. Elle n’en a pas besoin, mais ça lui va bien. C’est pas tout à fait comme les crocs de la 508, du coup.

La vidéo de présentation de la 508
On y reviendra, parce qu’on adore les vidéos de présentation, elles disent tout.

Le concept Instinct :
auquel on aurait dû se fier un peu plus

Le concept Onyx
dont on aurait dû se méfier un peu plus aussi

La cinq cent huit :
En rendu 3D, mais elle a l’air mieux « en vrai »

Et Braaad : 
prêt, dans Troie, à coller une sévère raclée à Hector, avant de confondre son cadavre avec une caravane.

 

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