Déjà-vu

In Advertising, Ambre Verse, Dan Di Felice, Mark Jenkinson, Movies, Rafale, Renault
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Loin de moi l’idée de donner le coup de grâce, mais quand ça veut pas, comme on dit, ben ça veut pas.

Déjà, le Rafale se ramène et tous les observateurs distraits se demandent pourquoi, finalement, Peugeot a dévoilé dès le mois de Juin son 3008 qui ne devait apparaître aux yeux du monde qu’à l’automne. Avec sa gueule de Peugeot, le Rafale ressemble à un client éconduit par le physio d’une boite de nuit sur un bon vieux délit de faciès, qui tente quand même de rentrer en se faisant passer pour celui qu’il n’est pas. On sait jamais, sur un malentendu, on pourrait peut être conclure un bon de commande… D’ici à ce que des clients mal informés débarquent dans une concession Peugeot pour échanger leur 408 contre un Rafale, il n’y a qu’un pas que la méconnaissance, telle une main poussant dans le dos, devrait aider à franchir.

On n’a pas très très envie de tirer sur une ambulance déjà passablement criblée de balles par la communauté des commentateurs de faits automobiles. Mais quand un lancement est fébrile, il ne l’est généralement pas à moitié : on sent que Renault s’accroche aux branches du marché, ne parvenant pas à trouver seul ce qui pourrait bien marcher et cherche dans la neige des traces où mettre ses propres pieds, histoire d’avancer en terre connue. Et son éclaireur, en l’occurrence, c’est Peugeot. Ayant volé le grand prêtre de la religion voisine, le losange semble se dire que, désormais, il peut devenir calife à la place du calife dans le monde concurrentiel des SUV généralistes tendance premium.

Il y a un truc qui ne rate presque jamais : si une voiture n’apporte rien de décisif à l’univers automobile, la communication fait référence, elle, à un univers non automobile, qui permet de valoriser le produit sans le comparer à sa réelle concurrence. Et tant qu’à faire, autant ne pas y aller de main morte : Par sa dénomination, et, vraiment, uniquement par sa dénomination, le Rafale fait doublement référence à l’univers aéronautique : il porte en effet le nom, non pas d’un avion messieurs dames, mais de deux avions rien que ça ! Le célèbre chasseur militaire frrrrrrrançais, fleuron de la technologie nationale, dont tout le monde en France s’accorde à dire qu’il ne se fait rien de mieux sur Terre dans son domaine, mais aussi un monoplan de 1933, le Caudron C.460, aussi dit « Rafale« , destiné à la course et motorisé par un six cylindres en ligne de 305 cv (c’est à dire quasiment la puissance que délivrera la version la plus performante du SUV Renault, pour un poids sans doute substantiellement supérieur).

Tout a déjà été dit à propos de cette récupération de l’histoire pour les besoins du marketing, dont le fait que la communication Renault a jugé bon, sur les visuels destinés à la promotion, de placer le nom « Renault » sur l’empennage vertical du C.460, c’est à la faveur d’une grosse liberté prise avec l’histoire car sur le modèle originel, en lieu et place du nom du constructeur se trouvait simplement le mot « avions ». Allons un peu plus loin : en réalité, le service comm’ de Renault semble ne pas trop s’encombrer du sens des détails, et mixe dans son iconographie des images du Caudront C.430 et du C.460, s’appuyant sur une histoire que ses publications, très bien placées dans les résultats des moteurs de recherche, contribuent à rendre confuse1. On ne le dit jamais suffisamment : le marketing peut tout. Fin de la discussion.

La sortie du Rafale (la voiture, pas l’avion de chasse) est donc assortie d’un petit film très, très allégoriquement aérien, qui met en scène, tout d’abord, l’avion, pour injecter dans cette présentation une dimension onirique et épique qui fait un peu trop défaut à la voiture elle-même. Réalisé par Dan Di Felice (dont on pourra à l’occasion reparler, parce qu’il a, aussi, fait des choses pas mal), le spot fait la part belle au didactique, au point d’avoir l’impression de regarder une vidéo pédagogique éditée par le Musée du Ciel et de l’Espace (où on peut voir, justement, cet avion, qui vaut à lui seul le déplacement tant son profil est vraiment subjuguant). Et de façon générale, quand la voix off doit tout expliquer, c’est que le film en lui-même n’est pas très très bon.

Mais bref. Le film s’ouvre, comme il se doit pour une reconstitution historique, en noir et blanc. Et assez rapidement, on a droit à un plan montrant l’avion de course vu de dos avec, du coup, en premier plan, son empennage arrière avec marqué en gros dessus « Renault ». Adieu la précision historique, bonjour la relecture dictée par les exigences publicitaires. Surtout, ceux qui ont produit l’image numérique ne se sont pas foulé : le plan vertical de l’empennage est désormais dépourvu de gouverne de direction. Dans la mesure où il s’agit tout de même de faire la promotion d’une voiture dont, techniquement, un des points intéressants se tient dans ses quatre roues directrices, le détail est plutôt marrant.

Mais bref. Assez rapidement, l’avion décolle, piloté par Hélène Boucher. On remarque dans le spot une volonté de placer des femmes dans ce paysage aéronautique dont on se doute bien qu’il était, dans les années trente, plutôt masculin. Mais nous reviendrons sur ce point dans un prochain article, je passe donc rapidement sur ce qui est pourtant loin d’être un simple détail. L’avion décolle, donc, et mû par l’invraisemblable puissance du moteur Renault, il va rudement vite, tellement vite que, bordel, il est emporté dans l’espace mais, aussi, dans le temps : s’extirpant tel un Rafale (l’avion de chasse, cette fois-ci) de la dimension faussement documentaire dans laquelle il était jusque là plongé, le C.460 – pardon, le Renault C.460 ! – entame une mue qui le fait passer du monde du noir et blanc à l’univers de la couleur. Magie du trucage numérique, le voici bleu volant sous le ciel bleu, frôlant un nuage dans un majestueux virage sur l’aile tandis que la voix off débite des banalités sur l’héritage de l’histoire (falsifiée) et l’importance des valeurs du passé dans la construction des SUV du présent. On ne sait quelles montagnes survole Hélène Boucher; l’esprit facétieux qui nous anime se dit que ce doivent être les Alpes, histoire de galvauder encore un peu plus le nom d’Alpine.

Mais bref, quelle que soit cette chaine montagneuse, il se trouve que l’avion passe pile poil au-dessus de ce genre de soupirail qui ressemble à ces anciennes installations militaires hyper bétonnées que, dans les James Bond, les méchants récupèrent pour en faire le QG dans lequel l’agent britannique va venir leur casser la tête (amateurs de crossovers, vous voici servis !). Et en dessous de ce soupirail, devinez quoi qu’il y a…

Baah, vous avez déjà vu le film. Inexplicablement posée au beau milieu du repère du type qui veut détruire le monde, au milieu d’un cylindre de béton qu’un décorateur d’intérieur aux goûts énigmatiques a agrémenté d’un plancher stratifié (ne venez pas vous plaindre : on est dans l’univers de la fausseté, je vous avais prévenu), le Rafale attend qu’un code envoyé depuis la base de la Marine de Rosnay, au fin fond du Berry, lui envoie le top départ pour une intervention supersonique dans une hypothétique guerre dont il serait l’arme décisive. A aucun moment on ne verra le Rafale voler, bien entendu (c’est une voiture !). Mais on ne le verra pas non plus rouler. Il est juste là, tapi dans l’ombre, tel un lion.

Et merde.

Mais bref. Moi, ce qui m’intéresse, c’est que cette thématique du passage du temps figurée sur l’écran par la mue des carrosseries voltigeant dans le grand vent de l’histoire, on l’a déjà vue, elle aussi, dans un autre spot, diffusé aux USA il y a quelques mois pour célébrer les 75 ans de la Nascar League. Réalisé par Mark Jenkinson, le film retrace, en une minute et quarante secondes, une histoire un peu moins longue que l’ellipse traversée par le Caudron de Dan Di Felice. Ouvrant le show sur les plages où se déroulaient les premières courses, le film saute d’époque en époque en éjectant dans le souffle aérodynamique du temps la carrosserie des anciens modèles pour laisser place aux générations successives de bolides de plus en plus puissants, jusqu’à rejoindre le temps présent pour mieux célébrer cette fusion temporelle permise par l’accélération mécanique. Bruit, fureur, absence de paroles, pures images mêlant les véritables documents et la reconstitution numérique hyper méticuleuse. De la passion, de la culture en somme, tout ce qui pourrait animer la création d’un nouveau modèle.

Mais bref.



Always Forward – c’est le titre du film de Mark Jenkinson – déblaie devant lui un terrain que le film de Dan Di Felice peut aborder en se contentant d’en répliquer l’effet, dans une déclinaison plus sage, plus platement institutionnelle, aseptisant au passage le véritable univers de la course aérienne, telle qu’elle pouvait être pratiquée en ces temps là.

On a donc un film qui s’inspire d’un autre film, qui met en scène une voiture qui s’inspire d’une autre voiture.

D’un point de vue formel, on peut dire qu’on est raccord…

Ironie de l’histoire, devinez qui est l’un des derniers clients de Mark Jenkinson ? Peugeot, pour faire la promotion de la 308 sur les marchés étrangers. Et comme souvent, ça permet de proposer un spot nettement plus vivant que celui réservé par le marketing à la clientèle française.

On voit mal comment conclure autrement : la boucle, est bouclée.


Une dernière chose. Sans vouloir remettre en question le talent de Dan Di Felice (il a fait ce qu’on lui a dit de faire, et il travaille pour un client qui, comme tous les clients, croient qu’ils sont rois), on avait pu voir, avant la révélation du Rafale, un micro film autrement plus ambitieux, réalisé par Ambre Verse, un studio de production qui méritera qu’on suive son travail du coin de l’œil : jouant avec les motifs du camouflage et le croisement des lignes aéronautiques et automobiles, elle faisait une impression bien plus forte que le spot institutionnel qui nous est finalement servi. On en parle parce que, même si on a mauvais fond dans le fond, on préfère dire du bien des bonnes choses. En voici une :


1 – Si l’histoire vous intéresse, je vous conseille d’aller lire les posts « coups de gueule » du pseudo GMU sur le forum Worldscoop : il ne décolère pas, et il a bien raison.

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