Ready Player Five

In Alpine, Alpine A290 β, Concepts, Renault
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On a beau vouloir approfondir les choses, on reste pourtant à leur surface. Ainsi, de l »A290 ꞵ on n’a jusque là évoqué que l’extérieur. Il faut dire que, nostalgiques du temps passé, on guette la réapparition de visages perdus de vue, celui d’un oncle qu’on aimait bien, d’une cousine qu’on a connue adolescente alors qu’on n’était qu’enfant, autant de figures qui ont été comme des apparitions momentanées, des phares au loin tout au fond de cette plongée dans la nuit qu’est la puberté, auxquels on s’accrochait au point de ne plus les perdre des yeux histoire de ne pas laisser, par la même occasion, le rivage larguer les amarres et se barrer au large nous laissant là comme de jeunes cons le corps coincé dans cette bouée soudain tellement étriquée qu’on la croirait carrément soudée aux hanches, sous la peau, pigeant soudain de quoi parlait le père quand il disait au volant de la Renault qu’il aimerait bien la perdre avant l’été, cette bouée. Et la calandre aimablement rigolarde de la R5 pouvait constituer, pour un gamin se tenant un peu raidi par le vertige, l’enfance dans le dos, le reste de sa vie sous les pieds, une figure maternelle étendue à la dimension d’une divinité bienfaitrice, le regard éclairant la route de l’existence, une main au bout du bras tendu indiquant l’azimut à suivre, l’autre posée sur l’épaule, auguste et rassurante, exerçant cette douce poussée nous invitant à le faire, ce saut dans le grand bain. Mais voila, grandir, c’est prendre ses distances avec tout ce qui relève de la petitesse. Vint le temps où la petite citadine des années 70 n’eut plus les épaules assez larges pour nous mener vers la grande vie. On méritait un véhicule plus conséquent, plus statutaire, une figure qui aurait tout d’une grande pour qu’on ait soi-même tout d’un grand.

The Walking dead

En vieillissant, on développe un goût prononcé pour la résurrection. Tout ce qui ressemble de près ou de loin à l’apparition soudaine de ce à quoi on a tourné le dos jadis est accueilli avec une ferveur identique à celle que connurent les disciples croisant Jésus en personne sur la route d’Emmaüs, après sa crucifixion. C’est cette carte que semble vouloir jouer Renault depuis quelques temps : les publicités mettent en scène les ancêtres de la gamme, assumant pleinement la présence, dans l’arbre généalogique, de modèles tels que le premier Espace, ou la Fuego. On retrouve aussi dans les spots télévisés cette forme infantile de l’automobile qu’est la « petite voiture », le jouet pour enfant, voiture en réduction circulant en boucle sur sa piste électrifiée. Même le facelift de la Clio répond à une perspective du même genre, entretenant à sa manière un lien avec des figures de style propres à la marque. Et l’apothéose de cette tendance pour le réveil des morts sera la mise sur le marché de la New 5 et de la nouvelle 4L.

Arcade Fire

Extérieurement, l’A290 ressemble à un gros jouet, au point qu’on pourrait presque imaginer la conduire en l’empoignant. Il suffirait pour ça d’être doté d’une main mesurant près de deux mètres de large, au bout d’un bras en proportions et d’un corps qui va avec. On la déplacerait comme ça, un genou dans un parc, le pied calé contre l’hôtel de ville, une main posée sur le toit d’un hôpital, l’autre faisant surfer la petite Alpine entre deux feux rouge, appuyant sur l’arrière pour en tasser les suspensions, pesant du poids de la main entière sur le train avant pour mieux simuler les freinages appuyés. Appel, contre-appel, chicanes négociées en saisissant les points de corde, pans inclinés négociés d’une poussée du poignet. Jadis, nous prononcions en postillonnant des Brrrr et des Vroums. Les enfants désormais chuinteront le flux d’électrons circulant imaginairement au creux de la main, au cœur de la carrosserie en mouvement.

Mais l’A290 ꞵ va plus loin : Flirtant avec la virtualité, elle fait explicitement référence à l’univers du jeu vidéo. D’abord par ses surfaces géométriques, qui pourraient faire penser à la représentation 3D d’un véhicule numérisé. Ici, et c’est un genre de design paradoxal puisqu’il consiste à faire en sorte que l’objet réel donne l’impression de regarder un rendu 3D, brouillant ainsi les critères et les valeurs habituels du réalisme. La carrosserie regorge de détails qui appartiennent à l’univers du gameplay, jusqu’à remplacer les sorties d’échappement par des sorties d’air visant à refroidir la machine, comme on en trouve sur les unités centrales de PC dédiées au jeu. De même, le prolongement du pare-brise plongeant sous le capot, ouvrant les entrailles au regard, reprend un des gimmicks de la customisation de ces machines percées de grandes surfaces de plexiglass offrant à la vue de tous leur mécanique intérieure, immobile certes mais mise en scène par la lumière des diodes et des néons. Sur l’Alpine, les inscriptions disséminées à droite à gauche placées là comme autant de messages malins et autoréférentiels font aussi référence à la culture classique des gamers et à leur sens tout particulier de l’ironie.

Can you feel it ?

« Feel at one », au bas de la vitre arrière. Comme si ce qui comptait ici, c’était de ne faire qu’un, de réunir ce qui est séparé, de fusionner les éléments dissemblables. Les hypothèses ne manquent pas, quant à ce qui serait susceptible d’être unifié. L’inscription se trouve sur ce qui semble être la porte arrière, du coup on pense forcément à celle-ci, distincte a priori de celle qui la précède. Pourtant ici, le concept les lie l’une à l’autre, puisque la gâchette d’ouverture de la porte avant se trouve cachée dans l’épaisseur de la fausse prise d’air se trouvant dans la porte arrière. Je ne sais pas si ce point a été suffisamment applaudi, mais on est vraiment sur du très beau travail de réinterprétation, car on retrouve ici le geste d’ouverture de la Renault 5 trois portes originelle, invisibilisant d’une nouvelle manière la commande d’ouverture pour obtenir un flanc encore plus lisse, perfectionnant l’intention du dessin des années 70. Ceci nous ramène à l’unification de l’aile arrière, qu’on désire tellement d’un seul tenant, à l’ancienne, rêverie entretenue par le statut particulier du montant C, qui est en réalité un déflecteur aérodynamique, comme sur une Kia Niro de nouvelle génération. Celui-ci provoque cet effet visuel : on n’a vraiment pas l’impression que l’ouvrant arrière puisse… s’ouvrir.

Ce qu’il s’agit de joindre, aussi, ce sont les faces externes et internes de la voiture, et on verra que cet aspect a été particulièrement soigné, ne serait-ce que par la mise en scène de la lumière. Mais après tout, le sas qui sert d’interface à ces deux versants, dans une voiture, ce sont bien les ouvrants. Unité aussi entre l’ancien modèle et le nouveau, entre le concept et la voiture qui sera finalement vendue, entre l’Alpine et la Renault. Fusion, enfin, entre le pilote et sa machine, afin qu’il fasse corps avec elle, qu’il s’unisse à sa monture pour que, de deux êtres ils n’en fassent plus qu’un. C’est sans doute pourquoi la même inscription se trouve sur l’appui tête du siège central. Et si le message concerne le pilote, finalement ce sont ses deux passagers disposés de part et d’autre, qui pourront le lire. Ici aussi, l’A290 se présente comme un bon gros blender mixant ses passagers afin qu’ils fassent corps avec elle pour, ensemble, traverser comme une seule et même force l’univers qui est le sien.

Petits messages ironiques aussi, répartis à l’intérieur, avec cette pédale de frein qui recommande de ne pas l’utiliser ou ces commodos clairement inspirés par l’aéronautique qui vont jusqu’à reprendre les inscriptions qu’on trouve sur les ailes des avions, préconisant de ne pas marcher dessus. Mine de rien, si ces détails n’auraient pas grand sens dans une A110, ils contribuent ici à instaurer une espèce de connivence entre les designers, la bagnole et celui qui la regarde. Ce petit jeu participe à la sympathie de l’A290 elle-même. Cette ouverture au dialogue, ce côté un peu bavard du concept donne un caractère ludique à la découverte de l’engin, qui ajoute encore à son côté « jouet ».

Comme des Ailes sans avion

L’intérieur, en délaissant tout côté pratique, pousse ce bouchon encore plus loin au point de faire référence davantage à l’univers aéronautique qu’aux fondamentaux automobiles : toute la structure du tableau de bord dessine l’envergure d’un avion, les ailes déployées symétriquement de part et d’autre du volant jusqu’à traverser les portes et servir de support aux rétroviseurs. La présence d’une séquence d’allumage au plafond, le positionnement central du poste de pilotage reléguant sur les côtés et en arrière les deux places dédiées aux passagers, tout concourt à renforcer le caractère ludique de cette machine, à isoler son pilote de tout ce qui pourrait parasiter la façon dont il fait corps avec l’engin. Entre ses mains, la commande de direction semble être un croisement entre un volant spectaculairement tulipé des années 70 et un dispositif issu d’un engin de science fiction, aux formes techo-organiques. Gâchettes sous les doigts, les yeux disposent carrément d’une véritable ligne de mire tracée à travers toute la longueur de la bagnole sous la forme d’un trait lumineux rougeâtre scindant en leur milieu la carrosserie et l’habitacle. A la base du pare-brise en effet, l’arrête qui court sur le capot se dédouble : une moitié court sur le toit, rebondit sur l’aileron pour couper en deux la lunette arrière. L’autre tranche la planche de bord, puis se hisse sur le ciel de toit qu’elle sépare aussi en deux moitiés égales, culminant au dessus de la tête du pilote pour redescendre dans sa nuque le long de la coque de son siège. Tout en recourant, de nouveau, à un artifice de style coutant dans le design des machines créées pour les gamers, ces deux guides lumineux ont aussi pour rôle d’immerger le conducteur dans un engin dont les faces externes et internes sont unies par cet éclairage parallèle, comme si une lame lumineuse tranchait toute la surface supérieure de la voiture dans l’épaisseur, laissant sur son passage une irradiation incandescente visible depuis les deux faces du toit.

Let there be Lightshows

Les dispositifs d’éclairage jouent un rôle plus puissant qu’on ne croit dans la perception que les passagers d’une automobile ont de l’écho visuel qu’ils provoquent sur leur passage. Rouler dans un véhicule dont la signature visuelle se trouve haut en arrière des épaules suscite une perception quasi physique de ces sources lumineuses : quand bien même on ne les voit pas, on les sent derrière soi, comme un coureur peut percevoir sa chevelure flotter au vent, comme une armée sent le drapeau flotter au-dessus des troupes, frayant en leur compagnie un chemin à travers les lignes ennemies. L’A290 donne envie de rouler de nuit dans un univers cisaillé par les stroboscopes, les filaments luminescents signalant la trajectoire de balles traçantes, des escadrilles de leds, des flottilles de tubes néons, des armadas de lampes au xénon, dans un paysage dont les ombres mouvantes sont dessinées par les fusées de détresse décrivant leur parabole en surplomb, projecteurs flottant dans l’atmosphère qu’un simple souffle fait basculer, renversant avec eux la topographie et les reliefs du théâtre des opérations, territoire soudain découpé par le laser rouge de cette bombe gavée par un flux d’électrons en provenance quasi directe des centrales nucléaires les plus proches, restituant cette puissance sous les formes conjointes d’une force motrice et d’une signature lumineuse exécutant son light show à travers les angles du plan orthonormé de la ville, électrisant l’asphalte, hérissant les réverbères, cramant les feux de signalisation, faisant disjoncter le mobilier urbain, les enseignes des zones commerciales, vaciller l’illumination des monuments, scintiller les lumières dans les tours d’habitation, carbonisant tout ce qui n’est pas elle-même pour en absorber la moindre étincelle d’énergie, l’ingurgiter, et la vomir sur le goudron.

Ca devrait être ça, la conduite de l’A290 : le déclenchement subit d’un flux d’énergie traversant les surfaces de la bagnole, le corps du conducteur pour converger vers le train moteur. Une décharge. Un foudroiement. On devrait sentir l’engin se siffler l’électricité ambiante pour la mettre à son service, gloutonner chaque kilowatt disponible aux alentours pour le transformer en mouvement. Dans l’idéal, cette bagnole devrait n’avoir que de toutes petites batteries rechargées en permanence par une route à induction à laquelle elle serait comme magnétiquement liée, accélérant et relançant sans fin son mouvement. Les modèles de mise en scène d’un tel sprint devraient être les courses de drones indoors, en Drone Racing League, déployées dans un univers visuel qui plonge ses racines dans le Tron de Steven Lisberger, ou les Grands Prix de Formule 1 nocturnes. Placées sous les auspices des Dieux Néons, ces courses plongent véhicules et pilotes dans un paysage devenu cathédrale de lumière entièrement vouée au culte de la vitesse. Et parce que celle-ci est, toujours, relative à un référentiel, c’est la lumière qui peut fournir aux bolides électriques l’amplification sensorielle que le son offre aux voitures de course thermiques. Le Light Show du Grand Prix de Jeddah montre la voie à suivre. Le fameux Lap of lights du Grand Prix de Silverstone a déjà propulsé une Formule 1 dans cet univers construit à base de photons. A mi-chemin de la bande de goudron concrète et du circuit de jeu-vidéo fait de coordonnées numériques transformées en pixels sur l’écran, la course de bagnoles électriques a encore besoin de trouver sa véritable dimension. Le problème, pour faire simple, c’est que sans moteur à explosion l’impression générale peut se résumer ainsi : à première vue, il ne s’agit plus de sport mécanique. C’est aux forces propres à l’électricité de donner leur pleine mesure et de faire retentir à leur façon la puissance et la vitesse de ces engins d’un nouveau genre, en créant leur propre impact esthétique.

Alpine tentait quelque chose de ce genre en organisant le dévoilement de ce concept à Bristol, dans un hangar désaffecté devenu, pour l’occasion, une piste d’un nouveau genre, tracée aux lasers sur le sol, mouvante, protéiforme et dès lors potentiellement plus ludique encore. Au volant, Ocon et Gasly se défiaient l’un l’autre au volant de la nouvelle vedette dans un univers fait de métal brut et de lumières rasantes. Mais voila, dimensions trop restreintes, absence de véritables obstacles fixes par rapport auxquels le mouvement de la bagnole aurait pu être discerné, l’effet fonctionne d’autant moins qu’en fait ils ne roulent pas vite du tout, et que ça se perçoit nettement à l’image. Il était évidemment hors de question de crasher le concept-car, toutes les marges de sécurité étaient donc scrupuleusement respectées. Bilan, on ne voit pas du tout de quoi la machine est capable : les décrochages du train arrière sont l’effet de l’usage d’un frein à main dont on doute un peu qu’il soit présent sur le modèle définitif (on dit ça comme ça, mais la GR Yaris en est pourvue, elle…), et la mise en scène ne suffit pas encore pour faire illusion.

Speed of light

Mais cet effort montre que l’A290 va dans la bonne direction. Elle cherche les moyens d’exprimer visuellement ce dont le son ne peut pas rendre compte, sauf à utiliser un artifice qui imite la tonitruance thermique de façon tellement fausse qu’elle est contre-productive : ce n’est pas en diffusant un son à fort volume via des haut-parleurs que les voitures de course électriques donneront l’impression d’aller plus vite. Cette sensation doit venir de ce qu’elles sont, et non de ce qu’elles prétendraient être. Le travail des éclairages sur ce concept montre que chez Alpine, on a compris que le passage de la gamme à l’électricité allait demander une réflexion sur ce point, dont on commence ici à voir les fruits.

Mais le spot de présentation mettant en scène Pierre Gasly et Esteban Ocon montre qu’il va falloir aller plus loin dans la mise en scène : aussi soigné soit-il, ce petit film ne parvient pas à donner une véritable impression cinétique. Il y a une façon très propre sur elle de présenter ce jouet qui lui fait perdre son caractère fondamentalement ludique, et le dénature un peu. A vrai dire, tant qu’à jouer sur les atmosphères nocturnes et électriques, tant qu’à mettre en scène la symbiose singulière qui unit la ville électrique et la bagnole qui s’y déplace, il faut pousser ce bouchon plus loin. Quelque chose, en Renault, tourne autour du pot sans oser mettre les pieds dans le plat. Même les initiatives extérieures à la maison Renault (on pense au reboot qu’est le projet de R5 Turbo 3 mené par Legende Automobile ) semblent orbiter autour d’un univers mi-mécanique, mi-numérique, un peu post pos-cyberpunk, un peu synthpop, surfant sur la tendance plus tout à fait actuelle mais encore présente, à surfer sur la powerpop des années 80 pour la remixer selon les filtres low frequencies façon Justice, Daft Punk ou, plus radicalement encore, LFO. Néons à tout va, obscurité envahissante, à croire que le soleil a passé un deal avec Satan, l’autorisant à dépasser la barre fatidique des 5 milliards d’années contre un engagement définitif à ne plus se pointer à l’Est chaque matin, plongeant la planète dans une nuit sans fin dont n’émergent que les îlots urbains, oasis de lumière attirant à elles les humains comme la lampe photocatalytique séduit à distance les moustiques pour qu’ils viennent s’y griller, corps et ailes. Le jour urbain est celui des lampes. Des vampires déguisés en Brian Molko pourraient y circuler dans leur dégaine plus dark qu’un ristretto sans entrer en autocombustion. Mais bagnolistiquement, le déguisement de vampire est déjà pris par Cupra, qui surjoue le côté techno-mystique et rebellion suburbaine, comme s’il fallait vraiment se prendre pour un succédané de Bruce Wayne pour oser mettre les roues dans un boulevard en 2023. La future concurrente de l’A290 a beau avoir échangé son nom de concept, Urban Rebel, pour un Raval dont on ne sait trop, nous autres français, quoi penser, elle conserve cette orientation prisée par la marque, ce côté badboy d’opérette dont on persiste à penser que c’est très exactement ce dont l’univers automobile de demain n’a pas besoin. Dans sa tenue blanche, on ne sait trop si l’A290 est un des membres des Stormtroopers, ou bien si elle porte le kimono de Luke Skywalker, mais elle choisit de faire contraste avec l’obscurité ambiante, et de se fondre dans les ondes électromagnétiques qui baignent cet univers saturé en particules lourdement chargées en potentiel énergétique. Mais pour libérer cette charge positive et la balancer à la figure du paysage, il faut quand même avoir quelques intentions lubriques derrière la tête, nourrir après minuit un mauvais fond notoire, et l’arroser par dessus le marché pour cultiver cette noirceur intérieure dont Renault n’ose pas, jusque là, prendre l’initiative.

Flood Machines

Le film réalisé par Antoine Desanti est bien foutu, et il est même sans doute ce qui pouvait se faire de mieux dans le cadre nécessairement restreint des exigences fixées par la marque et par le groupe qui lui sert de Mothership. Respectabilité, demeurer propre sur soi, tout ça tout ça. Ne surtout pas égratigner les valeurs familiales qui sont une des composantes majeures de l’identité Renault. Mais si on veut aller sur le terrain du jeu, il va falloir aller plus loin dans l’irrespect d’un certain nombre de convenances. La mise en scène des automobiles répond encore à des conventions qui ont été établies pour valoriser des engins bruyants, vibrants, fumants. Nos rétines et neurones sont déjà marqués par l’image persistante de l’automobile telle qu’elle fut. Le spot Alpine peut se superposer à ces images, au point de ne pas réussir à s’en démarquer : on a déjà vu évoluer le Nissan Juke dans ce genre d’univers. On a même déjà regardé de paisible voitures électriques se promener en ville à la lueur des arcs électriques qu’elles provoquent. Alors si Alpine veut marquer le coup, il va être nécessaire de propulser cet engin dans une autre dimension visuelle.

Si on voulait trouver un univers taillé à la dimension de ce petit engin sérieusement joueur, on lui réserverait bien l’exoplanète déjà investie par le duo réuni sous ce seul nom : Seth Ickerman. On avait déjà partagé leur incroyable travail de mise en scène visuelle pour la musique de Carpenter Brut, sur le clip de Turbo Killer. On trouverait tellement fort qu’ils injectent l’A290 dans leur monde parallèle, qu’ils l’y fassent évoluer comme ils mettent en mouvement la Corvette de ce clip : c’est une simple maquette propulsée à la force des lentilles et de la créativité dans un espace temps dans lequel peut s’ébrouer sans limite la cavalerie virtuelle qui dormait jusque là sous son long capot. Une machine faite non plus d’explosions rythmées dans des chambres à combustion et de martèlement de cylindres, mais de flux d’énergie s’écoulant le plus massivement possible de leur stockage vers les roues trouverait là le milieu qui lui convient car c’est, finalement, d’une origine nécessairement numérique que vient toute bagnole électrique, son carburant se tenant en équilibre entre matière et immatière, entre réalité physique et pure virtualité.

On rêve un peu, dès lors, qu’Alpine prenne contact avec Raphaël Hernandez et Savitri Joly-Gonfard, et leur confie son joli jouet blanc, histoire de salir un peu sa conception un peu trop immaculée sur les routes maudites qui traversent leur univers, qu’il en fassent une puissance cosmique, une divinité sur roues, une de ces force de la nature qui ne se révèlent qu’une fois mises en orbite dans les outre-mondes. Les bagnoles électriques sont un peu trop propres sur elles pour être tout à fait honnêtes. Et si elles ne rejettent aucune fumée, on peut les imaginer projetant dans l’atmosphère des résidus ambigus, sous la forme d’échos visuels, de traces lumineuses inscrites sur la rétine comme autant de cicatrices profondes, d’images rémanentes, de fantômes errant entre visible et invisible, dans cette interface se tenant pile poil entre les choses et la conscience des choses, entre l’objet et l’image de l’objet. Que la décharge électrique irradie les gaz toxiques qui constituent l’atmosphères des planètes en orbite autour des cerveaux jumeaux de Seth Ickerman, qu’elle les liquéfie dans une gigantesque électrocution pour en faire un nouveau fluide vital. Extinction des feux, rébellion de l’étincelle. Entre deux bornes humides grésillent les premières lueurs d’une nouvelle vie.

Finalement, c’est comme dans une chambre à combustion : une bougie, une étincelle. C’est là que tout redémarre.


Des lumières, comme des guides dans la nuit :

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