Incept-Car

In Art, Christopher Nolan, Concepts, Movies, Peugeot Inception
Scroll this

Moteur. Ca tourne. Action !

On peut imaginer qu’un designer automobile soit avant tout un amateur de carrosseries, d’habitacles, de matériaux allant de la plus ancienne tradition au dernier cri technologique. Mais pour qu’une bagnole nous raconte une histoire alors même qu’on ne la conduira jamais, il faut qu’à sa seule vue une bonne grosse dose de références nous tombe dessus comme une vague déferlant sur nos neurones, chamboulant le cerveau et tout le système nerveux qui va avec pour reconfigurer nos sens et nous embarquer dans une rêverie vécue, les formes et les matériaux se téléchargeant directement en nous, prenant la commande de nos hormones, de nos centres nerveux, de nos zones érogènes pour qu’on se mette, pour de bon, en mouvement à la seule vue de l’objet. La majeure partie du public n’est pas assez cultivée, bagnolistiquement, pour être sensible à des formes qui évoqueraient, exclusivement, l’histoire de l’automobile. Il faut que les modèles proposés à la vente et les concept-cars exposés soient porteurs d’autres influences, plus largement partagées, qui agiraient comment autant d’interrupteurs, de détonateurs déclenchant des programmes intimes, des routines secrètes, tout un petit cinéma intérieur qui s’appuiera sur les références partagées, la culture commune, la mémoire embarquée chez chacun, parfois profondément oubliée, que les formes vont exhumer au moment où on va les observer, comme une armée de petites réminiscences activées par les doigts délicats et habiles des designers, loin loin dans nos expériences passées. Parfois, devant un objet, on se sent envahi par une marée de petites sensations qui nous parcourent comme un flot d’insectes chatouilleurs se glissant partout, sous les vêtements, le long des membres jusqu’aux jointures, aux plis les plus secrets tout ça, tout bêtement, pour nous faire frissonner. Pour réussir cet effet, il faut que les designers soient eux-mêmes bourrés de références, de repères, de formes, de sensations visuelles, tactiles, sonores, qui seront autant d’instruments qu’ils pourront mettre en oeuvre pour nous toucher, parfois là où on ne s’y attend pas vraiment, et là où on n’oserait pas admettre que oui, ok, ça ne nous laisse pas vraiment indifférent.

Et pour le dire simplement, en voyant Inception en vrai, j’ai eu l’impression que chez les designers Peugeot, on avait passé pas mal de temps devant les films de Christopher Nolan. Pas seulement, pour le préciser tout de suite, parce que leur dernière création porte pour nom le titre du film le plus connu de ce réalisateur : il y a dans ce concept-car des évocations plus profondes et plus fortes encore qui ramènent aux principes essentiels de l’esthétique nolanienne, qu’on va utiliser comme guides pour faire une nouvelle fois le tour de cette machine cinématographique.

Plan d’ouverture

Avant de plonger précisément dans l’univers cinématographique de Nolan, on peut observer dans Inception une propension générale à évoquer le septième art, son habitacle pouvant être considéré, tout à tour, comme une salle de projection, un lieu de tournage ou un projecteur.

De la salle de projection, ce concept-car reprend le principe de l’écran XXL se déployant en ligne d’horizon pour le regard du public. Dans une cinématique d’effacement d’une grande simplicité, le combiné d’instruments et le volant disparaissent, laissant place à un écran d’un tel format qu’il faudrait tourner des films spécifiquement conçus pour lui afin de l’exploiter pleinement. Les fauteuils, par la position à laquelle ils invitent, rappellent que, vu depuis un habitacle, le paysage qui défile n’est rien d’autre qu’un traveling infini, filmé et restitué en plan séquence. Tout voyage en automobile est, quand les yeux se portent sur le vitrage comme on regarde un écran de cinéma, un road-movie.

Mais une disposition particulière de l’habitacle d’Inception pourrait en faire, aussi, un lieu de tournage idéal. Et si les futures Peugeot reprennent bel et bien ce détail, elles pourraient devenir les bagnoles préférées des réalisateurs. Tout le monde voit bien que les scènes se déroulant à l’intérieur d’un habitacle d’automobile souffrent d’un détail un peu crispant pour ceux qui ont besoin d’un minimum de réalisme pour croire ce qu’ils voient : afin que l’espace visuel soit libéré de tout obstacle, et que les visages ressortent sur la toile de fond qu’est le paysage, les équipes de tournage enlèvent les appuie-têtes des sièges avant. Inception épargne à l’accessoiriste cette manipulation puisque ceux-ci sont intégrés au dossier, un peu comme sur les 504 : on pouvait les emboiter au sommet du siège, pour les faire disparaître. Une telle disposition était déjà proposée sur le concept E-Legend, et c’est sans doute le signe qu’une réflexion est en cours sur cette question, liée à la volonté de dégager la vue afin de profiter pleinement des surfaces vitrées, celles-ci abandonnant les tons sombres qui donnent l’impression de porter des lunettes de soleil 24H/24. Bonjour la profondeur de champ et les visages qui ressortent sur le paysage défilant par le vitrage arrière, sans avoir besoin de bricoler l’habitacle et d’énerver ceux qui, dans le public, sont un peu sensibles à ce genre de détails.

Enfin, on l’a déjà évoqué, le Halo-Cluster fait bien penser aux tout premiers écrans sur lesquels sont apparues les premières formes d’images animées, en particulier les zootropes qui présentaient la même forme circulaire, à ceci près qu’on y regardait l »image sur sa face interne alors que le dispositif Peugeot utilise, évidemment, sa face externe. Vu « en vrai », on ne perçoit pas ce cerclage comme un espace vide, et son inclinaison permet aux passagers de le regarder une surface très proche du classique écran rectangulaire, dont les côtés fuiraient cependant vers l’horizon. C’est de l’extérieur que le cercle est perceptible, suscitant une forme de curiosité, comme si un espace spectaculaire attendait que les spectateurs s’installent autour de cette arène. En y réfléchissant davantage, on peut se dire qu’il y a, dans ce cylindre offert à la vue de tous, quelque chose qui pourrait être le substitut du démarrage d’un moteur thermique. Les cylindres du moteur à explosion disparaissent peu à peu de la circulation, et la propulsion électrique manque un peu d’une mise en scène qui permettrait de visualiser la mise en route de l’auto. Ici, un cylindre de bonnes dimensions prend place là où se trouvait avant le moteur et peut signaler le démarrage de la voiture comme le son des premières explosions le faisait auparavant. Le dispositif est avant-gardiste, au sens où pour le moment on n’a jamais rien vu de tel dans la production automobile, et il est pourtant lié à des formes anciennes de spectacles populaires, la piste de cirque, le manège ou, donc, le zootrope.

Mais, puisque le nom du concept nous y invite, on peut aussi se servir de l’oeuvre de Christopher Nolan comme guide, afin d’explorer plus profondément la dimension cinématographique d’inception.

Dunkirk

S’il y a bien une dimension commune au cinéma de Nolan et au design Peugeot, c’est le rapport au temps, et plus encore à la synchronisation du passé, et parfois de l’avenir avec le temps présent. Dans une conférence donnée en 1987 à la Femis, ( Qu’est-ce que l’acte de création ? ) Gilles Deleuze décrivait l’art du cinéaste comme un agencement de blocs de « mouvement-durée ». Un film serait un dispositif, une mécanique faite de blocs d’unités de temps agencées les unes avec les autres pour former un mouvement. On pourrait dire que Nolan est un des archétypes d’une telle ingénierie, sans doute un des réalisateurs chez lequel ce mécanisme cinématographie est autant mis à nu qu’une mécanique Ferrari peut l’être sous son capot translucide. Mais on pourrait dire que, parfois, le design suit une piste un peu semblable, et ce particulièrement quand il s’agit de Peugeot. Car, si beaucoup de marques ont du mal à gérer leur rapport actuel avec leur propre passé, la marque sochalienne a toujours su faire de la suite logique de ses modèles une banque de données formelles, constituant peu à peu un vocabulaire qui, comme dans toute langue vivante, évolue, se complète de nouveaux signes perpétuellement réagencés dans des formulations inédites ou réinventées à chaque génération de nouveaux modèles, et dans chaque concept. Inception ne fait pas exception : on y trouve, simultanément, le passé, le présent et l’avenir de la marque, comme si le cours du temps était saisi au vol pour être condensé en un seul et même instant, offrant aux sens une synthèse théoriquement impossible, une véritable explosion temporelle.

On a déjà évoqué les réminiscence de l’histoire du Lion perceptibles dans les formes de ce concept-car. Le retour à une face avant qu’on avait quittée avec le remplacement de la 505 par le duo 405/605, l’insertion de la lunette arrière en enchâssement entre les deux montants C, la projection du pare-brise vers la pointe avant de la voiture, comme sur le concept Proxima. On pourrait ajouter cet élément, que je n’avais pas encore décrit, qui rappelle un des concept-cars les plus mignons de la marque : la mise en scène de la calandre archétypique Peugeot, placée plus bas que l’altitude du capot, cassant celui-ci à l’aplomb du passage de roue pour tronquer le volume du compartiment moteur et obtenir une sorte de nez busqué. Cet effet, on le trouvait déjà sur la Peugette, le concept dessiné par Pininfarina en 1976 pour célébrer les 25 ans de sa collaboration avec Peugeot. Double concept proposé sous la forme d’un speeder deux places, et d’une barquette monoplace, la Peugette croisait la sympathie d’un modèle populaire et simple au brutalisme de ses formes constituées de plans et volumes géométriques. Des thèmes visuels qu’Inception revisite aujourd’hui, sous une forme bien plus sophistiquée.

Cette façon de raconter une histoire en tissant un fil mêlant des vitesses de déroulement du temps différentes pour en faire une seule et même forme, c’est la mécanique profonde de Dunkirk (2017) : trois lieux, trois temporalités différentes pour trois formes d’action qui vont constituer, intimement mêlées, un seul et même récit. La plage de Dunkerque, sur une semaine, la mer, sur une journée, et le ciel, en une heure. Le tout tressé ensemble, avec tous les effets d’échos que ça peut produire, toutes les résonnances induites, les mêmes formes vues, puis revues sous un autre angle, à une autre vitesse, vécues autrement puisque cette fois-ci re-vécues, interprétées de nouveau, déclinées dans un espace-temps qui se déploie et re-déploie à l’infini.

Mine de rien, le vocabulaire du style Peugeot est constitué de signes et de formes qui sont eux aussi conjugués selon des temporalités et des modes sans cesse réinventés. C’est ainsi qu’Inception devait être l’annonce de figures de style censées débarquer en concession dans quelques années, avant de découvrir une poignée de semaines plus tard que le facelift de la 508 en reprend déjà les codes génétiques, et de réaliser que les trois griffes qui vont devenir la signature de la face avant étaient déjà présentes dans le visage de la 208. Comme si les designers étaient les devins de leur propre travail futur, comme si chaque modèle était le prophète d’un récit mystique qui s’affranchit du déroulement commun du temps, comme si le design était un récit a-temporel déployé dans un univers qui, à la différence de nous autres, êtres humains, ne serait pas concerné par cette dimension contraignante qu’est le temps.

Interstellar

Si, a priori, l’oeuvre conjointe de Sébastien Criquet et Guillaume Lemaître renvoie vers le film du même nom, de nombreux aspects évoquent, aussi, l’autre chef d’oeuvre de Nolan, son Space & Time Opera, Interstellar. Tout d’abord parce que c’est le récit d’un passage de relai entre une génération et une autre. Très tôt, Joseph Cooper parle de sa propre paternité en des mots très simples, essentiels : une fois qu’on est parent, on n’a plus qu’une chose à faire, devenir le fantôme de ses propres enfants. Interstellar propose à ce père de prendre cette formule au pied de la lettre, mais ce que met en scène Nolan de façon extraordinaire, c’est en réalité une relation de transmission assez commune : le temps partagé avec ses enfants constitue les souvenirs qu’ils auront en tête quand on ne sera plus là. Les objets sont un des moyens de cette transmission ; et parmi eux la bagnole, tout particulièrement. C’est pour cette raison qu‘Interstellar propose un des plus beaux plans de l’histoire du cinéma, mettant en scène la séparation entre un père et ses enfants, un travelling saisi sur le flanc du pickup de ce père en partance pour un autre espace-temps, cadrant dans la poussière d’une planète asséchée son fils qui le regarde partir mais sait déjà qu’il sera le prochain conducteur du RAM Heavy Duty qui sert ici de rail de translation de la caméra, puisque son père vient de le lui léguer, comme un héritage anticipé. On est chez Nolan, le temps n’est jamais à sa dimension normale alors, tandis que la bagnole s’éloigne, c’est le compte à rebours qui s’égraine au milieu des champs de maïs. Encore au volant, Joseph Cooper est déjà en train de décoller.

Regarder une nouvelle Peugeot est une expérience singulière parce que la marque est suffisamment fidèle à elle-même pour que ses nouveaux modèles puissent renvoyer à ceux qu’on a connus jadis. Ainsi, en tournant autour d’Inception, j’avais en tête l’image de mon père, et de sa 504. Bien sûr, le concept est assez éloigné, dans ses intentions, de la berline de mon enfance, mais on y retrouve cependant certains gènes, des traits de caractère qui traversent le temps pour ressurgir, au présent, dans une forme qui anticipe déjà l’avenir.

Ca ne m’était pas venu à l’esprit sur les photographies, mais ça m’a sauté aux yeux quand j’ai pu regarder le concept dans toute sa présence, le temps d’une présentation au public français : l’intérieur de ce concept a quelque chose à voir avec un des éléments esthétiquement très réussis d’Interstellar. Les sièges sont en effet composés de surfaces très planes, de pans rectilignes agencés selon des angles qui donnent, de profil, une énergie cinétique à cet habitacle, comme s’il était doué de sa propre capacité de mouvement. Soulignées par l’éclairage d’ambiance, les obliques tendent les forces vers l’avant, effaçant les volumes pour mieux mettre en valeur la tension traversant ces formes élémentaires. Cette géométrie fait beaucoup penser, dans son usage des segments de droite mais aussi dans son aspect très métallique, au dessin des ordinateurs de bord du vaisseau qui va emmener Cooper et son équipage vers de nouveaux horizons, au-delà de l’univers visible. Tout réalisateur de film de science fiction sait, en effet, qu’il passe après Kubrick dans ce cercle fermé des cinéastes ayant mis en scène un space-opera, et chacun souhaite tout autant s’en démarquer que lui rendre hommage. Parmi les passages obligés de ce genre cinématographique, il y a l’ordinateur de bord, qui est destiné, pour le pire dans 2001, a Space Odyssey, et pour le meilleur dans Interstellar, un personnage à part entière du film. Il fallait donc trouver un successeur à HAL. TARS et CASE relèvent ce rude défi, et ils le font dans une simplicité formelle dont on se dit qu’il se pourrait qu’elle ait habité la mémoire des concepteurs d’Inception (le concept-car) consciemment, ou inconsciemment. Esthétiquement simples au point d’en être presque brutaux, parallélépipèdes rectangles aux surfaces lisses, intégralement paramétrables, ils sont les assistants rêvés d’une humanité perdant le contact avec elle-même. Capables d’accompagner l’équipage, mais aussi de le porter si nécessaire, ces formes basiques sont plus articulées qu’elles n’en ont l’air, plus protéiformes aussi, ce qui leur permet d’être de simples écrans géants, ou d’adopter des configurations plus agiles. HAL était avant tout un oeil et une voix. TARS est plus proche de la main. Mais si on observe les sièges d’Inception, ils présentent, exactement, la même plasticité : moins rigides que ce que laisse imaginer leur allure, plus souple dans leurs formes que ce qu’on devine au premier coup d’oeil, ils peuvent s’adapter aux circonstances, accompagner les passagers dans leur fatigue, les délasser s’ils sont tendus, les réveiller s’ils s’assoupissent. L’automobile est aux petits soins pour les humains qu’elle emporte, et elle manifeste ce sens de l’accueil en disposant, pour qu’ils s’y installent, des êtres quasi vivants, quand bien même leurs formes les efface presque dans l’univers intérieur de cette automobile.

The Dark Knight

La présence physique d’une automobile peut changer pas mal de choses à la perception qu’on en a, parce que ses proportions sont soudain saisies dans l’espace. Et ici, on mesure l’incroyable tension qui se noue entre les volumes conjugués de l’habitacle et de son empreinte au sol. Car les trains roulants, et donc les ailes de cette machine, étendent ses formes bien au-delà de l’espace qui accueille les passagers. Un peu comme un engin militaire, une voiture extrêmement sportive, ou une Batmobile. C’est quand les portes s’ouvrent qu’on comprend mieux l’architecture d’Inception, parce qu’on découvre à quel point ses roues immenses jaillissent littéralement hors du volume habitable. Elle adopte alors une allure moins statutaire, et nettement plus bestiale. Vous voyez Bruce Wayne en smoking ? C’est Inception portes fermées, quand seul le cintrage de ses flancs permet de deviner sa musculature. Portes ouvertes, c’est la brutalité taurine qui apparaît, et on devine le lien de parenté morphologique qui unit dans une même violence potentielle les corps de Wayne et de Bane. A l’arrière, les roues sont simplement cerclées d’une aile intérieure noire mate, dont le matériau recyclé est laissé tel quel, sans finition supplémentaire, comme une tenue de combat portée à même la musculature. Entre la furtivité et la démonstration de force. Moitié rêve éveillé, moitié cauchemar.

Following / Memento

Le premier film de Nolan met en scène un type qui tue le temps en suivant, comme en filature, des inconnus. Un peu naïf, il rencontre un truand qui le pousse à aller plus loin pour entrer pour de bon dans la vie de ceux qu’il suit. Depuis, Nolan ne cesse de faire de son spectateur un fin limier, un enquêteur captant les indices, les signaux, afin de forger en lui-même ce qui deviendra son oeuvre constituée. Il a bien appris la leçon du maître Hitchcock : un film n’existe nulle part ailleurs que dans la tête de ceux qui le regardent. Et si on veut rencontrer Hitchcock, Kubrick, Spielberg ou Nolan, il vaut mieux regarder leurs oeuvres, puisqu’elles parlent d’eux.

C’est très tentant de connaître, aussi, les designers. Parce que lorsqu’on est passionné par le cinéma, on aime les auteurs des films, et donc tout particulièrement les réalisateurs, ceux qui font qu’une idée, un concept, peut devenir une réalité projetée sur l’écran. Et quand on aime les bagnoles, on aime de la même façon ceux qui les créent. Les designers forment, ensemble, l’équivalent d’une équipe de tournage. Associant leurs métiers, ils permettent à une forme rêvée de devenir réalité. Inception, comme certains autres concept-cars, est comme un storyboard : on y devine la forme des expériences à venir dans l’univers Peugeot. Des impressions visuelles faites de griffes trouant la nuit, des sensations tactiles avec un nouveau type de volant en mains.

Pour ceux qui aiment lire les formes, un tel concept parle aussi de ceux qui l’ont créé. Ecrire à propos du travail des autres, c’est un peu comme les suivre du regard sans les rencontrer, et à travers ce qu’ils font, les rencontrer quand même. Je regarde le travail des designers en général, et de ce bureau de style en particulier en lisant les formes à rebours, comme une mémoire qui se constitue strate après strate, du présent vers le passé, sur le modèle de l’exercice qu’impose Memento. Peu à peu se dessinent des perspectives, dont on ne saurait dire où elles plongent. On serait tenté de le demander, on a plein de questions en tête, des tonnes même ; mais il y a là quelque chose d’un peu trop intime, qui va chercher parfois jusque dans l’enfance, où se trouvent les germes de ce qu’on fait, adulte. Ce sont ces racines communes que les designers vont chercher en nous, sans vraiment les connaître, en s’appuyant juste sur la conviction qu’il y a, nécessairement, quelque chose de commun entre nous et eux, des sources partagées, des souvenirs enfouis qui peuvent être ravivés par une courbe, une surface plane, un reflet sous le soleil, une texture sous les doigts. Inception est le résultat d’un travail qui nous travaille à son tour.

C’est un récit sur roues, une histoire en mouvement.

C’est de la mémoire cinétique ; une machine qui nous projette dans son propre film.

Epilogue : TENET

Les formes esthétiques nous font des choses. Elles constituent, avant tout, des expériences. L’effet que ça nous fait peut être décrit, on peut essayer de le partager. Mais il n’est pas toujours nécessaire de le comprendre. Si Gilles Vidal avait joué dans Inception (le film), il y aurait incarné deux personnages. Cobb (Leonardo DiCaprio), l’artiste, le metteur en scène, mais aussi Arthur (Joseph Gordon-Leavitt), l’intercesseur, celui qui a pour mission d’expliquer, par les mots, ce qui se passe. Matthias Hossann inaugure une ère qui fait davantage penser à la façon monolithique, frontale, dont l’esthétique brute de TENET s’est imposée au public : quasi aucune explication, très peu de commentaire. Depuis que Matthias Hossann a pris la tête du design Peugeot, les formes se suffisent à elles-mêmes et le réalisateur, tel Nolan, parle peu, demeurant dans une certaine réserve. Il montre, et ne se charge pas de démontrer par le commentaire, afin de laisser les formes seules parler. Beaucoup sont passés à côté de TENET, car on est volontiers animé par la volonté de comprendre, au lieu de se laisser aller à éprouver. Parmi les maîtres de Nolan, on trouve Hitchcock. Et manifestement, en réalisant TENET, il avait North by Northwest (La Mort aux trousses) en tête. Il aura fallu des décennies pour qu’Hitchcock entre dans la cour des grands, au moment où les Cahiers du cinéma réévaluèrent son oeuvre et montrèrent qu’il y avait là un langage formel incroyablement abouti, un cinéaste qui parlait, avant tout, de cinéma, créant un univers cohérent à l’intérieur duquel toutes les dimensions se pliaient à la volonté de l’artiste, au point d’évacuer le récit et l’intrigue (ce ne sont que des pièges, des macguffins lancés en bande-annonce pour appâter le spectateur, le coincer dans la salle et le saisir au col pour qu’il vive l’expérience cinématographique, au plus profond de lui-même). En révélant ainsi Hitchcock comme cinématographe, les Cahiers contribuèrent à créer ce qu’on appelle la politique des auteurs, c’est à dire la conviction que le réalisateur est le véritable auteur d’un film, autant que Delacroix ou Rodin, Berlioz ou Mozart.

On a une intime conviction : dans l’univers du design, aussi, il y a des auteurs. Dans leur propre domaine, ils mettent en scène des formes qui ont pour dessein de nous toucher, d’une façon qu’on n’attendait parfois même pas. C’est une relation forte, parfois touchante, parfois déstabilisante, qui va au-delà de l’usage des objets. On a bien l’impression que Peugeot, dans le style que cette marque développe, cultive quelque chose de ce genre, et que ceux qui y travaillent peuvent être considérés comme « auteurs de bagnoles ». Il n’est pas étonnant, dès lors, que ces créateurs dialoguent avec d’autres formes artistiques. On l’a souvent montré : le cinéma rend régulièrement hommage à l’automobile, sans doute parce que l’un et l’autre de ces domaines partagent un même regard en translation sur le monde. Il est naturel, finalement, que parfois la référence se fasse dans l’autre sens. Un pare-brise partage avec un écran la même forme. Et celui d’Inception est de telle taille, qu’il serait dommage, en le regardant, de ne pas se faire, un peu, des films.

1 Comment

  1. entre rétro futuriste Inception, concept magnifique et fulgurant, renvoyant presque tous les autres concepts Peugeot et DS (sauf ASL quand même) aux oubliettes, et le historico futuriste Oli, merveilleux néo carrosse coloré sans chevaux, mon coeur balance ! Quelle chance de pouvoir contempler 2 propositions aussi éloignées et spectaculaires, le 2ème étant en fait probablement plus novateur et intéressant même, bien que moins attirant, surtout pour les amateurs de cinéma d’anticipation, où le premier serait bien entendu parfait.
    il y a juste la notion de jukebox qui m’est apparu à plusieurs endroits dans les photos et rais de lumière, qui n’apparait pas dans le texte il me semble, mais qui est peut être difficile à rattacher au reste, et que je ne sais pas développer pour ma part, tout le monde n’a pas ton talent!
    Pour ma part je préfère de beaucoup Inception à e Legend qui a tant marqué le public, déjà conçu pour être assez proche d’une mini série, mais qui m’est apparu comme à la fois trop proche de la 504 coupé, et finalement beaucoup moins beau que lui pour mon goùt. Ze suis trop inzuste!

Submit a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Follow by Email
Facebook0
LinkedIn
LinkedIn
Share
Instagram