Last trip : la 7 à fond de 5G

In Advertising, Art, BMW, E38, Juan Poclava, Movies, Série 7
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On l’a souvent répété : certaines des meilleures publicités mettant en scène des bagnoles ne sont pas des publicités pour des bagnoles. On mesure d’ailleurs, là, la puissance symbolique de certaines marques en général, de certains modèles en particulier, et on a déjà évoqué les raisons pour lesquelles, si souvent, ce sont des modèles Volvo qui sont mis à contribution pour apporter l’image du mouvement à des produits demeurant ou des services immobiles, pour susciter des impressions de sécurité physique, ou au contraire de précarité économique. Plus rares sont les apparitions de BMW dans des publicités dont elles ne sont pas les héroïnes, peut-être parce que le risque, quand elles sont à l’écran, c’est qu’elles volent la vedette au produit dont il s’agit de faire la promotion.

Voila une menace qui n’a pas fait peur à Juan Poclava, réalisateur argentin ayant ponctuellement oeuvré pour l’industrie automobile (MG new gen en particulier), mais préférant le plus souvent intégrer des bagnoles dans l’univers d’autres objets et services dont il a en charge de susciter en nous l’envie de les acheter. Ainsi, pour faire la promotion de la couverture 5G proposée par la compagnie chilienne WOM, Juan Poclava n’hésite pas à recourir à toutes les ficelles du genre épique contemporain, poussant consciencieusement tous les potentiomètres du gigantesque dans le rouge, en mode shameless. Et, parfois, il est tout simplement plaisant de laisser la bride un peu souple sur l’encolure des chevaux, et leur donner le signal qui va les libérer pour qu’ils se lâchent un bon coup et fassent parler la poudre de leurs sabots, entrainant derrière eux l’attelage au grand complet, suivant comme il peut la cavalcade lancée dans un grand 8 dantesque, cosmique, tellurique, musical et, donc, automobile.

Ce qui nous irait bien, là, c’est la contemplation d’une E38 filant, conductrice pied au plancher à la poursuite d’une comète embrasant le ciel, poursuivie par une horde d’autres bagnoles toutes plus cool les unes que les autres, tandis qu’une guitariste joue Thunderstruck tout en haut d’un canyon, sous la voûte céleste incendiée.

On peut faire ça ?

On peut oui.

Et ça tombe rudement bien : on avait besoin de se laver un peu les yeux, abimés semble-t-il après avoir découvert il y a quelques jours la nouvelle mouture de la série 7. Pour faire couler sur nos pupilles maltraitées un collyre réconfortant, il fallait remonter le temps jusqu’à la source, quand les vagues de séismes stylistiques n’avaient pas encore frappé BMW. C’est là qu’on pourrait retrouver la 7 tel un cheval sauvage, parcourant la Terre vierge dans la simplicité de ses formes évidentes, simples, pures, originelles. Et même si on nourrit une passion même pas secrète pour la génération E32, parce qu’elle a quelque chose de brutal, un physique de truand habillé juste bien comme il faut pour ne pas paraître trop apprêté, on ne boude pas non plus notre plaisir quand c’est une E38 qui pointe le bout de son shark-nose, dans la pureté simple de son volume longiligne. De tout l’arbre généalogique, elle est sans doute la plus économe de ses charmes, celle qui ne prétend tenir aucun propos stylistique. C’est la dernière série 7 à n’avoir nécessité aucune explication, aucune interprétation de la part de l’équipe qui l’a conçue. Et ce n’est pas qu’on refuse à BMW la possibilité de créer, mais de fait, la marque devrait s’apercevoir qu’il y a une appétence, et même un manque manifeste, envers cette simplicité et cette évidence dont la marque savait, jadis, faire preuve.

Ce qui fait bien plaisir aux yeux, c’est de voir Juan Poclava maltraiter la 7, en la plaçant sur un territoire qui n’est pas d’habitude le sien : roulant pied au plancher dans la poussière, hors goudron, à la poursuite d’une étoile filante, comme un Roi Mage magnétiquement attiré par un projectile céleste croisant à faible altitude, dans une belle trajectoire tangente à la course de notre planète dans l’univers. Ce manque de respect envers la bagnole, cette génération précise de BMW est la dernière à la supporter. Parce qu’elle est sans fioritures, sans préciosité, sans équipement à la con ajouté à la liste d’options juste pour épater la galerie. Cette E38, on peut encore la traiter en mode bourrin, la sortir de la route, la bousculer, la pousser dans ses retranchements. Solidement charpentée, on peut envisager de la prendre en mains sans prendre de gants.

Du coup, le spot réalisé par Juan Poclava est une sorte de croisement entre une mise en scène digne d’une énième destruction planétaire provoquée par Roland Emmerich, la séquence d’ouverture de la première saison de The Grand Tour, la publicité réalisée par Mark Jenkinson pour la Corolla, la cavalcade orchestrée par Joe Baratelli pour Honda, et le clip dirigé par Romain Gavras pour le titre de M.I.A. Bad Girls, dont l’Alfa 156 surfe sur le bitume exactement comme le fait, en fin de parcours, la 7, fonçant sur la moitié de ses roues dans la perspective tracée dans le firmament par la lumière bienfaitrice, sa conductrice hissée par la fenêtre latérale, chevauchant sa monture lancée à bride abattue.

Signe de bon goût de la part du réalisateur, la plupart des bagnoles qui se trouvent dans le sillage de cette série 7 sont, elles aussi, des morceaux d’anthologie dans le panthéon des bagnolards. Le casting mécanique, dans ce genre d’exercice, est un élément crucial du plaisir, et ici, ce sont des morceaux de choix qui figurent à l’image, comme autant de combattants venus prêter main forte à la BM dans sa course vers l’inaccessible étoile, comme un dernier rush avant que cette présence extra-terrestre aspire les âmes de tout ce beau monde et fasse passer les terriens de l’ère du déplacement à celui de la communication, et que tout le monde se contente de se coller la tête dans un casque de réalité virtuelle pour avoir l’impression de partir, tout en restant posé là, immobile, le cul sur sa chaise de bureau qui, ironiquement imite un baquet de bagnole de rallye. Le moment où la conductrice ouvre la porte, smartphone en main, pour mieux décoller dans le vortex du réseau, est peut-être aussi le point d’arrivée d’une certaine conception de notre rapport au monde. La BM, délaissée, aura fait le job, l’humanité, elle, s’apprêtant à passer à autre chose. Abandonnée là, la petite armée des véhicules arrêtés en plein désert pourra témoigner : ce monde d’avant avait, encore, de beaux restes :

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