Redonnons toute sa place à la contemplation sur ce blog un tout petit peu trop critique ces derniers temps. Ca tombe bien, j’avais envie de partager un motif qui me trotte dans la tête, et de l’analyser un peu. Les éléments signifiants dans le design automobile, par les temps qui courent ne sont pas si fréquents.
Si le montant C (que les anglosaxons appellent C-Pillar) est un enjeu considérable dans le dessin des voitures compactes, c’est en grande partie parce que la reine de cette catégorie en a fait un véritable signe distinctif, au point que les autres constructeurs ont dû, s’ils voulaient se faire une place sur ce segment, prendre en compte ce modèle et se positionner par rapport à lui ; en le copiant parfois ou, au contraire, en s’en distinguant.
En effet, s’il y a un fil conducteur qui perdure à travers la totalité de la lignée des Golf, un trait de caractère qui s’est plus particulièrement affirmé à partir de la quatrième génération, c’est le traitement singulier de son pilier C, et la façon dont celui-ci se prolonge en une bande délimitée parallèlement d’un côté par la découpe de la portière, de l’autre par celle de la porte de coffre. Sur toutes les Golf, ces deux lignes sont comme l’écho l’une de l’autre, donnant à cette partie de la voiture un caractère fort, solide, une impression de masse qui déporte l’équilibre du profil sur le train arrière, comme si l’essieu postérieur avait besoin d’un appui pour faire son œuvre. Ce dessin, qui va peu à peu apporter quelque chose d’assez massif à la voiture, est aussi ce qui contribuera à lui donner cet aspect solide, motivant un nombre considérable de conducteur à lui apporter leur confiance. Partout dans le monde, quand on choisit une Golf, c’est en partie parce que les autres le font aussi, en partie parce que tout le monde le sait : la Golf, c’est du costaud.
Avoir les épaules
Ce montant C, esthétiquement, joue un peu le rôle d’une épaule sur laquelle on sait qu’on peut s’appuyer. Rouler en Golf procure cette impression, qu’on la conduise ou qu’on en soit passager : c’est comme avoir un pote bien costaud, pas forcément un gars qui fait de la muscu; plutôt un copain déménageur, ou travaillant sur les chantiers de construction. Ou un bûcheron, un routier. Un marin peut-être. Bref, ce genre de mec qui n’a rien de violent mais peut, le cas échéant, soulever de terre le type qui tenterait de l’emmerder, juste pour lui faire perdre pied trente secondes, et l’essouffler un peu. Si on veut saisir l’impression esthétique produite par cette nuque solide, on peut avoir en tête l’incarnation actuelle de Jack Reacher par Alan Ritchson : quelque chose de tellement solide que ça pourrait être tout à fait inamovible.
Mais voila, même les valeurs les plus établies ont leur moment de faiblesse. Et la huitième génération de la Golf constitue peut-être ce petit passage à vide que peuvent connaître, une fois dans leur carrière, les plus grands champions. Ce n’est pas que cette édition soit mauvaise. Mais il suffit que son Excellence ait un peu perdu de sa superbe pour que soudain elle rentre dans le rang. Une face avant un peu frivole, un peu moins froidement sérieuse. Une planche de bord, surtout, dont la réalisation n’est pas à la hauteur de son propre projet, qui a été immédiatement ridiculisée par des concurrentes trop heureuses de pouvoir profiter de cette zone de turbulences et tenter d’être, enfin, calife à la place du calife.
Et parfois, certains challengers n’hésitent pas à donner une petite leçon en reprenant les fondamentaux de la reine. Le dernier exemple en date est donné par Kia, qui vient de redéfinir son Niro, pour lui donner un petit air de tueuse de Golf. Signe qui ne trompe pas : au passage de la première génération à la seconde, on a envie de changer le genre de cette voiture : si on parlait originellement du Niro, on est plutôt tenté de désigner cette nouvelle génération au féminin, comme si le modèle changeait de catégorie. Dans cette aventure, la Niro perd l’air un peu débonnaire de la précédente génération, pour arborer une allure un peu plus décidée, un caractère plus volontaire, des volumes un poil plus incisifs. Globalement, la Niro New Gen est plus graphique ; pour s’en convaincre, il suffit d’observer la façon dont son profil est souligné par les protections noires courant en bas de sa carrosserie, qui permettent à sa masse d’avoir l’air assise sur le bitume.
Au passage, on espère qu’on va pouvoir, enfin, cesser de détester Kia pour cette seule raison : avoir bousillé l’image de Robert de Niro en faisant cette sale blague publicitaire consistant à associer le nom de l’immense acteur et celui de cette automobile qui, dans sa première version faisait un peu « pépère ». On a eu envie d’en vouloir éternemment à Kia pour cette publicité : Montrer l’interprète de Ragging Bull à son volant, chemise hawaïenne sur le dos, c’était quelque chose qui frôlait l’impardonnable.
Mais dans sa métamorphose, la Niro ose un détail qui ressemble à une déclaration de guerre : non seulement l’ensemble formé par l’aile arrière et le montant C ressemble énormément à celui qui dessine la nuque de la Golf, mais en plus, pour mieux souligner ce trait structurant, Kia a décidé de parer cette partie de l’auto de couleurs contrastées qui la mettent en valeur. Pourquoi la jouer discrète alors que l’occasion est trop belle de planter quelques banderilles dans la marque repère et profiter de son coup de mou pour lui voler la vedette ? Si l’audace de Kia ne consistait qu’en l’imitation surlignée d’un effet de style de la championne de sa catégorie, l’opération s’apparenterait à ce que quelques amateurs de tuning avaient déjà fait subir à l’arrière des précédents générations de la Golf. Mais justement, ici, le montant C de la Niro n’est pas qu’une disposition esthétique : il renferme aussi un choix technique qui structure cet arrière, et le démarque de ce que la Golf peut proposer. En effet, si on s’approche de la voiture, on constate que le panneau de custode est en réalité une surface qui sert à guider l’air s’écoulant le long des vitres en le canalisant vers l’intérieur pour qu’il s’écoule entre le montant et l’habitacle, avant de ressortir au niveau du hayon. Ainsi, ce montant propose un raffinement technique et esthétique nouveau, qu’on ne trouve à vrai dire sur aucun modèle de ce niveau de gamme. Et dans le même temps, il capte le graphisme qui dessine les trapèzes, la nuque et les épaules des Golf depuis des générations, et il en fait sa propre signature, mettant en scène cette musculature comme jamais Volkswagen n’avait osé le faire, et offrant à cette pièce une fonction aérodynamique que la marque allemande n’avait jamais envisagée.
Histoire de parachever l’effet, cet ensemble s’achève sur une pièce lumineuse qui suit le dessin du montant, contribuant à affiner l’ensemble sans pour autant lui faire perdre de sa force. Le propos est ici vraiment esthétique, car les fonctions d’éclairage sont en réalité déportées dans le bouclier, beaucoup plus bas. Il s’agit d’une pure signature lumineuse qui vient dessiner la jonction entre l’aile et la face arrière, contribuant à raccourcir visuellement la voiture tout en donnant du poids à l’arrière, asseyant la silhouette sur son train postérieur… exactement comme le fait une Golf. Notons, mais c’est sans doute une référence purement subjective, que cette façon d’encadrer la lunette arrière par les deux lignes optiques verticale fait aussi penser, sous certains angles à la Ford Focus deuxième génération. Ce qui est frappant, c’est la discrétion avec laquelle les designers ont réussi à intégrer la fonction aérodynamique de ce montant, sans surjouer visuellement son rôle, au point qu’il faille une observation assez patiente des clichés disponibles pour enfin discerner ce détail.
Les limites de la politique du « en même temps »
Il a autre chose, que la prochaine Niro met en œuvre, qui ressemble à une leçon donnée à la Golf, c’est l’intégration des écrans constituant son poste de conduite. Très sobre dans son dessin général, l’intérieur réussit tout simplement l’effet de continuité visuelle entre le combiné d’instruments, face au conducteur, et l’écran central, aspect complètement raté chez Volkswagen, qui n’a pas réussi à réaliser l’idée qu’avaient au départ les designers. Reconnaissons à la marque allemande ceci : elle a essayé de, en même temps, upgrader son intérieur et le doter des technologies contemporaines, dont fait partie l’écran central, aujourd’hui quasiment incontournable (sauf si on s’appelle Audi et qu’on fait le choix audacieux d’en priver son coupé, juste parce que c’est un coupé et que, merde, on a autre chose à y faire que tapoter un écran pour y faire défiler des applis), et en même temps conserver une architecture globale classique, avec un combiné d’instruments rangé sous une casquette, délimitant ainsi la zone réservée au conducteur et ce à quoi les passagers peuvent accéder. L’idée était sans doute aussi de permettre à la Golf de conserver une identité qui soit sans compromis avec celle de l’ID.3, dont l’intérieur est beaucoup plus convivial. Mais le résultat, c’est un ensemble disparate de pièces, de volumes, d’emboitements de surfaces brillantes alternant les écrans et les plastiques durs, qui à aucun moment n’offre le sentiment d’une quelconque continuité.
Là où chez Mercedes on mène une réflexion intéressante sur cette question, Volkswagen s’est manifestement trouvé dans une impasse budgétaire, cherchant à sauver à tout prix l’idée de départ, et accumulant les concessions techniques et stylistiques, jusqu’à gâcher complètement l’intuition initiale des designers. La planche de bord de la Niro est bien plus simple, parce qu’elle assume le choix d’installer devant le conducteur une véritable planche d’écrans, selon une logique qui fait un peu penser à l’architecture générale de l’Opel Astra. Détail amusant, la zone située en face du passager fait penser à la mise en scène choisie par la Golf : une partie plane est creusée dans la masse de la planche de bord, qui dispose d’un éclairage qui en souligne le relief. Comme si la marque coréenne voulait indiquer clairement la place que la Niro revendiquerait désormais. La leçon donnée par Kia est intéressante, car elle relève aussi de la modestie et de la simplicité : il y a beaucoup moins de détails dans les lignes de cet intérieur, susceptibles de venir troubler ou interrompre le mouvement du regard. Quand on regarde l’habitacle de la Golf, on passe son temps à fureter à droite à gauche pour en isoler tel ou tel aspect, et on est volontiers impressionné par la somme de détails dont cet intérieur est constitué. Ce faisant, ce que Volkswagen semble avoir oublié (et c’est sans doute ce qu’on peut reprocher, aussi, à la face avant de cette Golf 8), c’est que parmi les qualités originelles de la Golf, il y a ce don assez rare : l’évidence de la simplicité.
Le Visage de l’innocence
C’est peut-être pour cette raison qu’on ne va pas consacrer une partie tout entière de cet article à l’avant de cette nouvelle Niro : il n’y a rien de particulier à en dire. Il n’est ni particulièrement spectaculaire, ni radicalement nouveau. Pourtant, il est une expression nouvelle de la calandre de la marque, et on ne peut pas dire qu’il ressemble à un autre modèle dans la production mondiale. Sans chercher à marque les esprits, il se présente simplement comme un visage d’emblée familier, ne surjouant ni la sympathie, ni l’agressivité. Finalement, il incarne assez bien cette espèce de force tranquille qu’ont les êtres sûrs de leurs propres forces, qui n’ont pas besoin d’en rajouter pour mettre en scène leur puissance. C’est sans doute cette réserve, cette modestie dans le visage qui permet de concentrer le regard sur ces trapèzes solidement développés, cette nuque qui semble comme habillée par cette bande contrastée venant la recouvrir de façon juste suffisamment ajustée pour la révéler, la mettre en valeur, sans avoir besoin de la surdimensionner.
Et vous savez quoi ? Puisqu’on a eu notre petit moment de fascination pour les épaules un tout petit peu développées d’Alan Ritchson, on va conclure sur cet autre moment de complaisance envers ce côté parfois rassurant que peut avoir une certaine forme de masculinité. En évoquant ce montant arrière, je me disais que cet effet de style faisait penser à un t-shirt moulant des épaules bien développées et je pensais à ce moment, dans le générique stupéfiant de beauté des premières saisons de Dexter, où le détective Morgan enfilait son t-shirt comme d’autres recouvrent le visage de leurs victimes pour mieux les étouffer. Le plan, serré sur son faciès inexpressif, prenait soin de cadrer, en légère plongée, les épaules du personnage, dont on ne saurait dire à cet instant précis, quelles peuvent être ses intentions. Pas exactement le visage de l’innocence, pas non plus celui du crime. Il y a une ambivalence intéressante dans l’art de ne pas exprimer trop fortement ses sentiments. C’est un peu ce que la Golf a perdu. C’est un peu ce dont profite en douce la Niro.
Il n’est pas évident que l’époque soit en phase avec cette démarche. Mais on aura au moins pu observer une fois, et ce n’est pas si souvent, l’apparition d’une voiture qui débarque des intentions de tueuse, tout en donnant à voir un visage auquel on donnerait volontiers le Bon Dieu sans confession. Parallèlement, on est curieux de voir si la Golf va réussir à franchir le cap du changement d’époque que connait l’automobile. Elle a en effet un petit problème : chez Volkswagen, elle n’incarne pas la propulsion électrique. La Niro, elle, intègre à ses gènes cette possibilité. Au crédit de l’allemande, on peut reconnaître ceci : elle est une icone. A sa décharge, elle incarne une conception peut être un peu épuisée de la compacte qui n’est plus si compacte. Etre une icone peut devenir un poids qui empêche de passer à autre chose.
L’avenir nous dira si, au-delà de la façon dont elle met en scène son montant arrière, la Golf a pour de bon, ou pas, les épaules.
Alors pour le coup, le poste de conduite, la première chose qui m’est venu à l’esprit, c’est GS, citroen GS. Cette chute en courbe douce du combiné vers le passager, façon GS phase 1 et puisque la C4 iii devait nous rappeler son aïeul, c’est bien ce que j’aurai vu son bord. Sur ce genre de détail, mais pourquoi donc Kia comprend mieux les codes des autres constructeurs qu’eux mêmes ?
Ah je l’avais pas vu comme ça, mais maintenant que vous le dîtes, ça modifie ma perception de ce tableau de bord ! J’aime bien l’idée, d’autant que ce serait le mariage entre une espèce de rigidité à l’allemande, et de cette souplesse des courbes qu’on trouvait jadis chez Citroën, et que l’apparition des écrans a fait, un peu, perdre aux intérieurs. Merci pour ce petit coup de projecteur qui éclaire un peu le regard !