Fly me to the moon

In Auto, Concepts, Toyota Lunar rover
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Swing low, sweet chariot
Coming for to carry me home

Un jour, la conquête spatiale jouera pour les constructeurs le rôle qu’ils avaient donné, jusque là, aux sports mécaniques. Et à vrai dire, le processus est déjà entamé. Quand un même Elon Musk se trouve, de façon très médiatique et spectaculaire, à la tête de Tesla et de Space X, il y a évidemment un lien mental qui se fait entre les deux entreprises. Et quand un roadster Tesla bourré de petites références geek comme on les aime, sur Terre, a été envoyée, au sommet d’une fusée, afin qu’elle traverse notre système solaire, l’événement était un peu le premier étage de cette nouvelle fusée promotionnelle, la première étape vers des territoires de communication encore inconnus. 

Jusque là, rares sont les marques à s’être penchées sur cette activité spectaculaire, mélange de l’esprit des pionniers partant vers l’Ouest américain, et de génie s’appliquant dans la sphère des très hautes technologies. Ainsi, Tesla donne aussi bien dans le happening que dans la démonstration de force quand il s’agit de suppléer la NASA dans la conception et le lancement de fusées aptes à transporter du matériel, et des hommes. Mais si les connaisseurs peuvent tisser un lien théorique entre la maestria dont SpaceX fait preuve et la valeur technologique de Tesla, le seul transfert de technologies consiste pour le moment dans la promesse, qui ne sera sans doute pas tenue, que le prochain roadster de la marque sera doté de boosters inspirés des réacteurs qui équipent les engins spatiaux entrevus ces derniers mois. Et on se doute que ça n’ira pas plus loin que cette idée farfelue. 

Camping-car

Chez Toyota, on veut montrer qu’on est plus près du passage à l’acte. Et pour cela, on diffuse ces derniers jours les images d’un concept théorique, qui n’est pas sur le point d’être fabriqué, mais qui illustre la réflexion engagée, chez Toyota et l’agence spatiale japonaise, la JAXA, au cas où on voudrait se lancer dans l’exploration du col lunaire. Et à vrai dire, plusieurs agences terrestres ont bien l’intention de se lancer dans cette aventure – pour les agences spatiales non terrestres, on dispose à ce jour de peu d’informations- et déjà des partenariats sont annoncés, dont celui-ci, au sein même de l’Empire nippon. 

Oubliez le rover utilisé par la NASA, buggy dénué de toute forme de sécurité, si ce n’est la redondance de ses moteurs électriques et de ses freins, doté de batteries non rechargeables à usage unique, engin historique et jetable à la fois, des petites roues pour l’homme, mais des jantes de 30 pouces pour l’humanité. Toyota voit plus grand, et ce à tout point de vue. 

A vrai dire, on passe du rover au Camper. C’est à dire de la caisse à savon à la cabine pressurisée sur roues. Un peu comme si on mettait le camping car des playmobils en orbite. Deux personnes doivent pouvoir y vivre au quotidien pour un trip sur les rives de la Mer de la Tranquilité. Et même, en cas de catastrophe lunaire, il doit être possible d’accueillir deux personnes supplémentaires, dans ce qu’on devine être une certaine promiscuité, autorisant tout un tas de petits scénarios imaginaire au cours desquels Thomas Pesquet et ses colocataires échapperaient à mille dangers, façon Alien, à moins qu’ils passent leur temps à s’introniser eux-mêmes comme premiers membres du club des 400 000… Eau courante, chauffage, sanitaires, tout le confort moderne répond à l’appel. On devine qu’en revanche on  fera l’impasse sur l’auvent, les transats, le barbecue et le salon de jardin. Quant aux baies vitrées coulissantes, comment dire ?… Par contre, on dispose de quelques équipements qu’on peut considérer comme exclusifs, sans être pour autant premium, comme les piles à combustibles, qui ne sont pas de l’ordre de la science fiction, surtout chez Toyotan qui commercialise ce genre de motorisation depuis 2015, ce qui lui permet pas mal de choses, telles que ne pas avoir besoin d’aller sur une aire de camping car pour disposer d’électricité, ce qui est bienvenu sur la Lune, et être autonome, aussi, dans sa production d’eau. Côté autonomie, on devrait pouvoir se promener un peu, puisqu’on vise les 10 000 km, ce qui permet, quasiment, de faire le tour complet de notre satellite. Pas mal. Et pour grapiller encore quelques kw, sur le côté, ce qui ressemble à un enrouleur de store, n’est pas un enrouleur de store, mais un enrouleur de panneaux solaires, déployables à l’arrêt, et orientables à volonté, histoire de capter le moindre photon qui passe, et le transformer en chances de survie. 

Cette histoire d’autonomie est loin d’être anodine, parce qu’elle est au coeur de l’usage, et donc du sens que peut avoir un tel véhicule sur le sol lunaire. Le premier rover utilisé par la NASA sur la Lune pouvait rouler 30 km. Pas plus. Mais les progrès sont lents puisque en 2035, le rover de Mark Watney, dans Seul sur Mars (Ridley Scott, 2015) n’a que 40 km d’autonomie, ce qui plonge le survivant dans un certain désarroi quand il comprend que sa survie dépend de son aptitude à parcourir 3200 km sur la surface martienne, obligeant à customiser de fond en comble l’enfin afin de le rendre compatible avec ce raid longue durée.  Donc, passez de 40 à 10 000 km, c’est pas mal, comme progrès.

Globalement inoffensif 

Parce que, bonne nouvelle, dans sa communication officielle, les dirigeants de Toyota tiennent à le dire, ce véhicule est conçu pour ramener ses occupants en vie, ce qu’ils prendront peut-être pour une bonne nouvelle, même si nous serions sans doute envahis de sentiments ambivalents si la première phrase du manuel d’utilisation de notre voiture était « Votre automobile a été conçue pour vous ramener sain et sauf à la maison ». Mais peut-être que la conquête des nouveaux territoires autorise une relation client un peu spécifique. 

Sécuritaire, l’engin a l’air de l’être tout autant qu’un véhicule de transport de troupes. Oubliez les endormissements sur le lit king size avec vue, à travers la baie vitrée, sur un coucher de Terre : les surfaces vitrées sont réduites à leur plus simple expression. Même la face avant, qui doit permettre la conduite, est traversée par de multiples montants. Il faut dire que conduire sur la Lune ne réclame pas de dégager les angles morts : il est rare qu’un piéton traverse hors des clous, et il y a peu d’obstacles qu’on risque de heurter en négociant son créneau. Autre avantage de l’absence d’atmosphère, l’absence, aussi, de toute forme de son, ce qui permet d’économiser sur tous les dispositifs qui, sinon, auraient permis de rendre ce véhicule silencieux. Et de ce point de vue, l’univers est un peu mal fait puisque, finalement, c’est sur les astres dénués d’atmosphère qu’on devrait pouvoir rouler en échappements libres, mais c’est aussi là où la notion même de moteur à explosion n’a plus grand sens. La Lune sera l’empire de la propulsion électrique.

Mais même sur la Lune, et en l’absence de très hypothétiques autochtones, il faut avoir de l’allure. Il le faut d’autant plus que certains des terriens ont développé une forte tendance à regarder les moindres détails des images provenant de la Lune pour les passer au crible de leur esprit soi-disant critique, et décréter qu’elles sont toutes fausses. Dès lors, il faut soigner le design si on veut faire bonne impression aux yeux des théoriciens du complot. Pour être honnête, on se doute bien que le concept présenté, tout à fait virtuellement, par Toyota est susceptible de changer assez radicalement d’allure d’ici son utilisation. Mais au moins on peut saisir les intentions et l’ambiance générale du projet. 

Du rover au Cruiser

Et la première chose qu’on remarque, c’est que même dans la banlieue de la terre, on fait du marketing : cet engin, plus qu’un rover ou un camper est, de toute évidence, un cruiser. Du moins en a t-il la face avant, puisque celle-ci est tout droit sortie du génial FJ cruiser, qui était lui-même une réinterprétation du tout-terrain hyper classique de la marque, le vénérable Land-Cruiser, tel qu’on le connaît des années 60 aux années 80. Il y a même les clignotants, dont on ne sait trop à quoi ils vont servir. Et à vrai dire, ce simple élément donne à ce véhicule un aspect « fini » auquel on n’est pas habitué. 

En effet, jusque là, les engins spatiaux n’ont pas de marque, et dès lors ils ne sont pas porteurs d’une identité. Même quand Audi réalise un rover autonome pour le film de Ridley Scott Alien : Covenant, il est bien porteur du logo, mais c’est le seul signe qui permette de l’identifier, et il ne partage aucun trait avec un quelconque modèle classique de la marque. En fait, jusque là, le design des véhicules destinés à rouler là où on n’a encore jamais roulé était entièrement dicté par leur fonction, et délaissaient en apparence toute forme de recherche esthétique. En fait, c’est un peu faux. Si le rover de la NASA était effectivement purement technique, depuis, on en a créé de nombreux autres, même si c’est dans l’univers parallèle du cinéma, et les engins destinés à évoluer dans des films sont évidemment le résultat d’un design soigneux, quand bien même ils sont dessinés pour avoir l’air de ne pas l’avoir été. Et un design entièrement dévoué à la fonction, c’est déjà un design. Le MMSEV de Matt Damon dans The Martian est en apparence entièrement défini par les missions qu’il doit remplir. Mais en réalité, qu’il soit à ce point adapté à sa fonction fait de lui un bel engin. Et le fait qu’il soit dérivé, en fait, d’un engin agricole ajoute à sa cohérence, puisque le personnage de Mark Watney est agronome. Il est donc naturel qu’il conduise un tracteur customisé. 

L’autre bel exemple d’engin lunaire dont on dispose, au cinéma, se trouve dans Moon, de Duncan Jones. Le rover de Lunar Industries semble être un mélange entre un de ces camions benne qu’on peut croiser sur les mines à ciel ouvert, hauts comme un immeuble, à l’allure incroyablement compacte pour leur masse, comme un bulldog qui aurait la taille d’un éléphant, et un Poncin 6×6, ce tout-terrain posé sur ses six roues, et semblant pouvoir franchir n’importe quel relief, tant il semble entièrement conçu pour transmettre sur le sol sa force motrice. Tout, dans le véhicule de Moon, est dédié à l’usage, et ce jusqu’à ses projecteurs montés de façon asymétrique, détail qui prend grand soin de dire qu’on n’a pris aucun soin à peaufiner le look de la bête, et  c’est évidemment ce genre de fausse négligence qui donne une grosse part de son charme à un tel engin. 

Les formes du Toyota sont, elles, un mélange entre des inspirations diverses. Le sympa, dans le clin d’oeil au FJ Cruiser et à la baie de pare-brise fragmentée du rover de Matt Damon; et le moins sympa avec un corps qui fait penser au Casspir, ce véhicule de transport de troupes conçu pour les forces de l’ordre sud-africaines et vendu un peu partout où, dans le monde, il règne une bonne ambiance de politique répressive, un engin clairement offensif qu’on croise, du coup, dans le fameux Disctrict 9 de Neill Blomkamp (2009). Evidemment, le côté un peu inquiétant de tank conçu pour réprimer les masses désobéissantes est complètement gommé par le rendu très  Hymer des surfaces, mais en réalité, le convivial laisse totalement place à la nécessaire efficacité, et il n’est pas étonnant que le rover Toyota soit finalement très inspiré par le design industriel et le look martial. 

Pioneer

Mais en réalité, on pourrait aller cherche plus loin encore les références qui sont, en fait, les sources auxquelles puise nécessairement un tel véhicule, dans sa définition et dans son design. Parce que, dans le fond, s’il s’agit d’explorer des territoires nouveaux, et de commencer à s’y déplacer, alors le véritable ancêtre du concept Toyota, ce sont le chariot et la diligence. 

Le chariot, c’est cette charrette bâchée qui est un peu le prélude au Pick-up avec cellule habitable. Conçu pour rouler là où on n’a pas encore roulé, il est tout en même temps : moyen de transport, habitat, malle, camion de déménagement. Il constitue aussi une barrière efficace, à tel point que le soir, quand on monte le camp, on fait un grand cercle en alignant les uns derrières les autres les chariots, constituant ainsi une enceinte qu’on lèvera le lendemain matin. La diligence, c’est le même principe, mais après que des voies ont été reconnues et tracées sur le territoire, et qu’on sait où et contre quoi il faut protéger les passagers. Du chariot de la famille Ingalls au concept Toyota, il y a une filiation qui passe par la diligence de la Chevauchée fantastique,  le mobilhome de The Walking dead, le rover des missions Apollo,  les transports de troupe de District 9, l’engin minier de Moon, le tracteur de The Martian et quelques autres encore. D’un bout à l’autre de cette chaîne, il s’agit de protéger ceux qui sont nos pionniers, premiers explorateurs d’un univers qui, dès lors, s’ouvre à nous ; de leur fournir une sphère de survie qui participe à ce mouvement que l’homme n’a eu de cesse de prolonger, indéfiniment, cet élan qui le pousse à aller là où il n’est jamais allé, persuadé que nul autre que lui n’a jamais foulé ces sols, et habité ces espaces. Le véhicule de transport terrestre devait être cantonné à l’exploration d’une planète que nous connaissons dans ses moindres recoins. Il devait être dépassé par la fusée, et le vaisseau. Mais le voici qui envisage de renaître, une première fois, sur le sol lunaire. Et de toute évidence, ce sera une répétition, menée dans un environnement déjà connu puisque, à la différence des pionniers d’antan, le pilote du rover Toyota disposera déjà des cartes de ces nouveaux territoires. Mais plus nous irons loin de la Terre, plus nous sortirons des zones cartographiées, et plus les véhicules que nous enverrons sur place pour permettre à nos semblables de tracer les premières trajectoires sur ces surfaces inconnues ressembleront aux tout premiers qui ont sillonné les continents qu’on croyait vierges de toute présence, avant de s’y installer pour de bon. Nous sommes toujours, et pour longtemps, tributaires de cette bonne vieille roue, dont l’invention date pourtant de temps dont on n’a même pas mémoire. Aujourd’hui capable de générer son propre mouvement, elle demeure la forme même du déplacement humain dès lors qu’on se pose sur une surface qui ressemble, de près ou de loin, à une surface carrossable. 

Du pioneer au settler, la dialectique du nomade et du sédentaire

Et si le deuxième modèle de voiture le plus vendu au monde est un pick-up, c’est parce qu’il y a sans doute là, dans ce mélange d’usage quotidien et d’expéditions exceptionnelles, la définition la plus large de ce que peut être une automobile. Et chaque modèle doit se placer quelque part entre les deux bornes de ce spectre, parce que ce sont aussi les deux principales dimensions de notre existence : assurer le quotidien, et être capable de dépasser les bornes. Que nous ayons besoin d’une citadine électrique pour aller au boulot ne retirera rien au fait qu’on continuera à être fasciné par cette possibilité offerte par des voitures simultanément plus rudimentaires et plus abouties techniquement, de mettre les roues là où le terrain n’a pas été conçu pour cela. Il y a un usage du off-road qui doit sans doute être limité, c’est celle qui consiste à rouler là où, en fait, les humains se rendent déjà abondamment, et peuvent le faire à pieds. La nature n’a pas besoin d’être envahie par des tout-terrains qui ne sortent de la route que pour le plaisir de se montrer là où ils ne sont pas censés être. Mais il reste encore des zones sur Terre qui, sans être aussi vierges qu’un cratère lunaire, sont éloignées de toute présence humaine et demeureront indéfiniment non desservies par la voirie et étrangères à tout randonneur. Sans même qu’il y ait un intérêt à s’y rendre, il y a en nous une aspiration à faire, quand même, le déplacement. Ces voitures déraisonnables pour un usage quotidien existent précisément parce qu’il y a en nous, aussi, une aspiration à s’échapper de ce quotidien, et à se diriger vers les lieux qui sortent de l’ordinaire, des cartes routières et de l’espace commun. Qu’un tel usage de l’automobile sur le sol terrestre commence à poser problème, il faut que nous soyons capables de l’entendre, si on ne veut pas que ce soit un geste définitivement condamné. Mais on peut imaginer de nouveaux espaces pour cette aspiration, et l’univers ne manque pas de ce genre de territoires.

Après tout, l’univers tout entier est carrossable.

On n’en a donc pas fini avec l’automobile. 

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