Rendre à César

In Advertising, Art, Nissan, R5, Renault
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On évoquait il y a quelques jours la campagne de promotion lancée par Renault pour lancer sa R5 sur son orbite commerciale et on applaudissait l’idée d’insérer la petite électrique dans l’indolence de l’univers Lofi Girl, perpétuant ainsi la tradition originelle consistant à lier la Renault 5 aux univers de l’animation et de la bande dessinée tout en affiliant ce nouvel ancien modèle à la culture asiatique dont sont souvent friands les early adopters de technologies contemporaines, généralement peu motivés par la performance brute, attirés plutôt par la fluidité des usages, l’interconnexion des techniques et leur intégration globale dans un univers fait de machines interagissant en réseau, constituant une bulle protectrice, bienveillante et sereine au cœur de laquelle on peut se livrer, indifféremment et sans établir de frontière entre ces activités, au travail ou à la rêverie vaguement éveillée, casque sur les oreilles, regard oscillant d’un écran à l’autre, pensées absorbées par le duo musique et pixels, conscience flottant entre l’ici et l’ailleurs.

Mais si ce projet publicitaire est si malin que ça, il est peut-être juste qu’on lui attribue sa véritable paternité : car Renault n’est pas la première marque à avoir associé un de ses modèles à l’univers Lofi Girl : en février 2023 les cousins lointains, Nissan, utilisaient exactement le même procédé pour lancer leur nouveau modèle, lui aussi électrique, l’Ariya. Pas vraiment destiné à aligner les descentes de cols alpins en négociant les épingles au frein à main, ce gros SUV s’affiche comme plutôt débonnaire, au point de ressembler à un bloc de pâte à pain pas encore passé au four, un peu mollasson, le ventre déjà bien rebondi par les levures qui le travaillent intérieurement. L’idée de cette vidéo de quatre heures mettant en scène en plan séquence le défilement du paysage en arrière plan d’une conductrice absorbée par la route et la musique apathique baignant l’habitacle, c’était de proposer une expérience auditive et visuelle aussi longue que l’autonomie de la voiture vendue, pour peu qu’on la conduise avec le calme absolu auquel invite cette infusion d’herbes musicales.

Derrière la vitre du conducteur, un paysage typiquement nippon, avec ses chaines de montagne, ses couchers de soleil technicolor et ses créatures godzillesques errant entre deux sommets, piétinant les plaines. De temps en temps, un panneau publicitaire annonce au monde la naissance d’un nouveau bon gros géant, l’Ariya qui, à son tour, portera une attention bienveillante à ceux qui veulent bien faire de lui1 leur compagnon de route. Tel une créature mythique tout droit issue des réserves de l’entreprise Monarch, le SUV Nissan déambule dans le paysage terrestre, un peu lourdaud, un peu pataud, à moitié attendrissant, à moitié éléphant dans un magasin de porcelaine.

Histoire d’en rajouter une couche, en octobre 2023 Nissan mettait en ligne une nouvelle vidéo fondée sur le même principe pour faire cette fois-ci la promotion d’un des prototypes un peu bizarroïdes que la marque avait présentés au Japan Mobility Show. Nouvel avatar, plus techno, répondant au doux nom de Yuki, nouvelle playlist, nouvelle bagnole aussi, un SUV à l’apparence d’autant plus compacte que ses roues sont vraiment très grandes (on est sur du 23 pouces), baptisé Hyper Punk (suivez mon regard…), nouvelle famille de modèles (Hyper Punk est accompagné de Hyper Urban, Hyper Tourer, Hyper adventure, et Hyper Force, et tout ce qu’on peut en dire, c’est qu’ils sont tous plus indéfinissablement vilains les uns que les autres, au point d’en être sympathiquement grotesques, comme si le design avait été figé sous le coup d’une gueule de bois monstrueuse et qu’un responsable plus bourré encore que tous les autres réunis avait réussi à convaincre l’équipe toute entière de remettre la destinée de Nissan entre ses mains, et qu’il était sincèrement convaincu de pouvoir gérer l’affaire seul, comme un grand), nouveau paysage aussi, citadin et nocturne, propice au virées crépusculaires baignant dans la lumière douce des éclairages urbains, et sur les lignes parallèles, les autres petits prototypes accompagnant l’Hyper Punk comme une escouade de petits monstres hystéro dont la nervosité contraste un peu étrangement avec l’ambiance douceâtre distillée au compte goutte rythmique par la sono de bord et la playlist lancinante genre « Lofi girl ».

Sur le principe, ce genre de publicité a cet avantage : elle admet à tel point n’être que du placement produit qu’on en oublierait presque qu’on est en train de regarder une publicité. A vrai dire, des heures durant, on ne la regarde pas vraiment. On y jette vaguement un coup d’oeil de temps en temps, le cerveau plongé dans l’espèce de bain de siège tiédasse aux herbes imperceptiblement distillées que constitue la musique sirupeuse qui sert de toile de fond un peu indistincte à ce travelling sans fin sur un paysage mis en boucle. Ce qui est amusant, dans le fait que Renault ait repris un concept déjà utilisé par Nissan, c’est que finalement, c’est tout juste si on s’en foutrait pas un peu, du modèle de voiture conduit par ces avatars translatant dans un univers virtuel et un peu insignifiant ; et on n’est même pas sûr que le public-cible s’en préoccupe tant que ça non plus. Une Nissan, ou une Renault, ne serait-ce pas du pareil au même ? A vrai dire, l’indifférence de ceux qui ne s’intéressent pas du tout aux bagnoles aurait tendance à les éclairer plutôt correctement : entre une R5 et une Micra, ce sera effectivement du pareil au même.

Finalement, Renault et Nissan ont encore quelques liens, même si en l’occurrence ils ne sont pas vraiment avoués : les concepteurs de la campagne Renault ne citent pas celle de Nissan comme une inspiration, tablant sur le fait qu’en France en tout cas on ait ignoré l’injection de l’Ariya dans l’univers Lofi-Girl. Le problème ici est le même qu’avec la réédition de la R5 en 2024 : les idées de génie sont un peu moins géniales quand on les a une deuxième fois. Et de la même façon qu’on attend un peu désespérément que Renault nous sorte une idée neuve qui soit susceptible d’être reprise telle quelle en 2080, l’univers publicitaire pourrait tenter, de temps en temps, d’avoir un trait de génie histoire de réussir à marquer les esprits, comme jadis il savait le faire.

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