Mémoire morte
La 500 fait partie de ces rares automobiles dont, en les voyant, on imagine immédiatement la ville dans laquelle elle est censée évoluer. Petites rues pas bien droites, bordées d’un côté par les voitures parquées à la queue-leu-leu, de l’autre par un trottoir à peine assez large pour qu’on puisse y marcher, obligeant l’un des piétons à empiéter sur la chaussée afin qu’on s’y croise, places aux arcades ombragées couvrant des terrasses de café endormies le jour, survoltées la nuit, du linge au fenêtres évidemment, des gamins qui font semblant de jouer pour mieux reluquer le cul des femmes, posé de part et d’autre de la trop fine selle de leur bicyclette, une mère qui appelle son fils depuis la fenêtre de l’appartement situé au troisième étage d’un immeuble situé à, approximativement, trois-cent mètres du rejeton qui, pourtant, percevra l’appel maternel mais fera mine de ne pas l’avoir entendu. C’est ça l’univers de la 500, un charmant labyrinthe de ruelles tout droit venu des années 60 et par conséquent fragile, alors que pour que tout aille plus vite les villes se sont dessinées autour d’avenues plus larges, plus rectilignes, mieux à même de servir de véritables artères pour le flux de mobilité permanent qui doit s’écouler, vaille que vaille parce que le temps, on le sait, c’est d’l’argent, et que de l’argent, on pourrait toujours en grappiller un peu plus, pour peu qu’on aille encore un peu plus vite.
La ville qui va avec la 500 disparaît peu à peu. Ces ruelles, ces places avec leur fontaine au milieu, ces mecs qui oscillent entre joli-cœur et rude-boy, on irait plutôt les chercher dans quelques villages paumés à la jonction des plaines et des montagnes. Il y a là un panorama de l’intemporalité provinciale qui survit tant bien que mal, dont ne sait s’il appartient au passé révolu ou au nécessaire avenir, parce qu’on a conscience qu’il y a deux trois choses du passé dont on n’est plus très sûr qu’on ait gagné à les perdre.
Sam’Suffit
Le truc magique avec la 500, c’est que cette imagerie fonctionne quelle que soit la génération de cette petite Fiat qu’on a en tête. Et si la toute, toute première, la Topolino, n’a pas marqué les mémoires en France, peut-être parce qu’elle était distribuée, en France, sous le nom de Simca 5, la véritable carrière de la 500 commence à la fin des années 50, avec l’archétype dont on reconnaît encore les traits dans le modèle actuel, quand bien même son moteur n’est plus du tout au bon endroit. Depuis 2007, la nouvelle 500 a repris le flambeau de l’évidence, et semble depuis inamovible. Au-delà de la ressemblance flagrante avec son ancêtre, elle a aussi su apporter et imposer sa propre réinterprétation des lignes des sixties, au point qu’elle semble aujourd’hui définitive, irremplaçable. Et sans doute, chez Fiat, a-ton regardé la façon dont Mini perdait peu à peu le contact avec celle qui avait servi de géniale inspiration depuis les mêmes années 60; sans doute aussi n’avait-on pas eu les moyens de développer quelque chose de radicalement nouveau, ce qui a permis de maintenir une belle constance, et de conserver à la petite citadine toute son identité, et ce jusque dans ses quelques défauts. La 500 est bel et bien contemporaine, mais elle dessine autour d’elle le monde qui va avec elle, fait de plaisirs simples, d’une certaine forme de modestie coquette, de virées dans les boutiques où on se contente de trucs pas chers mais jolis. On la conduit en vêtements simples, bon marché et pourtant bien dessinés, on y écoute la pop du moment et les chansons populaires d’avant. Petit volant en mains, on se faufile dans l’entrelacs de voies et impasses, filant à 40km/h, avec l’impression de rouler trois fois plus vite. Elle fait partie de ces voitures qui sont, tout simplement, suffisantes. Bien sûr, on regarde les déclinaisons pimentées de chez Abarth avec une bonne grosse gourmandise, mais on sait qu’on prendra aussi du plaisir à bord d’une version plus conventionnelle, et plus sage.
Améliorer la qualité de l’ère
Alors, faut-il changer ce qui suffit ? Fiat semble avoir longtemps préféré proposer la 500 telle qu’elle était, persuadé qu’elle avait encore son public. Et c’était vrai. Mais il lui faut maintenant s’adapter à un environnement nouveau, toujours fait de petites places ensoleillées, de ruelles ou sèche du linge, mais aussi de réglementations visant à améliorer la qualité de l’air. Et pour ça, il faut un changement technique radical, permettant de polluer encore, certes, mais ailleurs. L’électricité à cette qualité étrange : elle déporte ses propres nuisances et peut sembler, dès lors, vertueuse et propre. La Fiat 500 se doit maintenant de proposer ce petit air innocent qu’affichent les électriques urbaines qui passent dans un silence serein aux abords des marchés, et devant les écoles, sourire à la calandre. Mais voila, pas moyen d’électriser l’actuelle 500. Ou plutôt : c’est possible, puisqu’un tel modèle existe sur le continent américain. Mais voila : la 500 américaine est à ce point non rentable que le patron du groupe Fiat-Chrysler appelait à ne pas l’acheter, pour ne pas creuser le déficit auquel chaque vente participait. A un moment où la rentabilité des modèles citadins est, de façon générale, tellement questionnée qu’on voit des grands constructeurs déserter ce marché, ou l’investir de façon radicalement nouvelle, la question a dû vraiment se poser chez Fiat, de persévérer, ou d’abandonner. Or, persévérer, ça signifie investir, surtout quand on appartient à un groupe dans lequel aucune autre marque ne propose de modèle aussi petit. Résultat, au moment de fusionner avec le groupe PSA, Fiat va être la marque dissidente sur ce créneau. Mais après tout, si les 108 et C1 s’effacent, elles laisseront plus de place à l’italienne, qui pourra davantage prendre ses aises.
La conséquence de ce choix, c’est que la nouvelle 500 n’est pas une voiture populaire. Et c’est sans doute sur ce point que Fiat rompt avec sa propre tradition. Avec un prix fixé à 37 000€, pour une voiture dont l’usage sera forcément cantonné à la ville, on sait à l’avance qu’elle ne sera pas la voiture des classes populaires, et qu’elle entre pour de bon dans la catégorie des petits objets précieux qu’aime acquérir la bourgeoisie urbaine pour se donner l’impression qu’elle a des goûts modestes. Mais, parce que l’électrification a un coût réel, Fiat a dû se retrouver dans le même dilemme que Citroën : demeurer populaire, ça signifiait sacrifier tellement de choses que le résultat pourrait ne plus s’apparenter à ce que chacun appelle, d’habitude, une voiture. Citroën pouvait franchir ce pas, parce que l’Ami ne remplace aucun modèle précédent. Fiat ne peut pas ainsi dévaluer celle qui demeure son cœur de métier. Il fallait donc assumer cette ascension vers un coût plus élevé, et proposer un objet désormais porteur d’évidents signes extérieurs d’enrichissement. Chez PSA on le sait bien : c’est comme ça qu’on vend peut-être moins, mais qu’on rend chaque vente plus rentable.
Dès lors, la 500e empiète davantage sur le territoire naturel de la mini, et sur les prétentions budgétaires de celle-ci. Pour autant, on ne peut pas les comparer terme à terme. Si la Mini privilégie la puissance en délivrant 184cv, la Fiat est sur ce point plus modeste, en revendiquant 118cv. A vrai dire, la Fiat est plus cohérente. Si la définition d’une citadine a quelque chose à voir avec la notion de ville, alors 184cv, c’est totalement inutile, et excessif. On peut toujours plaider que c’est une puissance théorique, et que le conducteur est libre de faire preuve de responsabilité en levant le pied en permanence, mais la conduite d’une électrique est une expérience particulière, qui lisse considérablement les sensations de puissance et de vitesse, et on peut douter du fait qu’il soit si facile de se retenir. Bref, la 500 semble moins bien pourvue, mais elle est plus cohérente. Et en proposant une batterie de 42 Kw, qui lui permet théoriquement de viser 320 km d’autonomie, elle vise 100 km de plus, pile poil, que la mini. Et sur les superchargeurs, l’italienne se recharge aussi plus rapidement que l’anglo-teutonne. Fiat a soigné sa copie, mais la note est tout de même salée.
Uptown girl
D’où, sans doute, l’angle très bourgeois-chic choisi pour dévoiler la nouvelle venue, qui vient s’ajouter à la gamme thermique, sans la remplacer. Coexisteront donc deux 500 : l’ancienne, avec ses motorisations « d’avant », et la nouvelle, avec l’électricité pour carburant. Et pour assumer pleinement ce positionnement, trois signatures connues dans le monde du luxe viennent décliner la 500 selon leurs propres codes respectifs. Sur les photo ci-dessous, vous reconnaîtrez le modèle Bvlgari à sa peinture orange dorée (et il semble qu’elle soit vraiment dorée à l’or, carrément), et à son intérieur assez génial, même s’il est très, TRES « flashy les coloris ». Le modèle le plus sombre, recouvert d’une texture mate brun sombre tendant vers le noir pur et simple, est signé Armani. A l’intérieur, une ambiance ultra sombre, faite de sellerie cuir noir, et de bois recyclé obscur. C’est un peu l’antithèse de la 500, et on frôlé le hors-sujet à notre humble avis, mais il n’est pas exclu que ça puisse séduire deux trois clients. Enfin, Kartell s’occupe du modèle bleu, le plus reconnaissable au premier coup d’œil. Et c’est peut-être là que la démarche générale de la voiture trouve le mieux du sens, en associant l’électricité à des techniques de recyclage dont sont issus une bonne partie des plastiques constituant la planche de bord, mais aussi les textiles qui habillent l’auto (issus des plastiques sortis des océans et des mers, ensuite recyclés sous cette forme). Il y a là une cohérence de fond qui transforme la voiture en un tout pertinent, et pensé de façon globale. C’est évidemment du marketing avant tout, mais celui-ci installe une idée qui, après tout, a au moins autant de valeur que le fait de pouvoir faire, comme la mini, le 0 à 100 km/h en 7,4 secondes.
Et si c’était, massivement, dans cette direction que devait aller Fiat sur le niveau des petites citadines, alors on se dit qu’au sien de PSA/FCA, on n’a pas fini de s’arracher les cheveux quant à la répartition des rôles, parce qu’en regardant les détails intérieurs de cette 500e, je me disais que, finalement, la petite italienne mettait les pieds, non seulement sur le territoire de la Mini, mais aussi sur celui de DS. On verra si Fiat se sent pousser des ailes dans cette ascension vers les finitions plus chères. Mais il serait curieux de voir la marque se situer, dans la hiérarchie du groupe, se hisser plus haut qu’Opel et, bien sûr, que Citroën.
La voiture qui murmurait à l’oreille des piétons
Reste la cerise sur le gâteau, le truc qui fait parler, et qui fera se retourner les gens dans la rue, en leur collant un bon gros sourire sur le visage. C’est un détail, pile poil celui que n’a pas du tout soigné Peugeot sur ses 208 et 2008, alors que le concept Fractal avait promis un travail de fond mené en partenariat avec Focal sur l’univers sonore des prochaines Peugeot. Dans la vidéo de présentation de sa nouvelle création, Olivier François, le patron de Fiat, n’est pas peu fier de présenter le signature sonore de la 500. Et, de fait, ils ont eu l’idée géniale de lui faire murmurer une mélodie, qui l’inscrit immédiatement dans la spécificité des sonorités qui font l’Italie. Ainsi, au coeur du son électronique qui accompagne l’accélération de la voiture, on devine les premières notes de la musique d’Amarcord de Fellini, signée par Nino Rota. Entre toutes les musiques de film, ces quelques notes sont immédiatement reconnaissables, suffisamment évanescentes pour être discrètes, et assez présentes pour distinguer la 500 des autres voitures électriques. Mieux, Fiat prévoit de proposer des sonorités qui permettront de personnaliser sa voiture comme on le fait avec ses sonneries de smartphone.
Ce dispositif est tellement une évidence qu’on est surpris qu’aucune marque n’y ait encore pensé, et on imagine assez bien comment, à l’avenir, les voitures pourraient communiquer ensemble pour que dans le même embouteillage, elles puissent chantonner ensemble, renouvelant ce qu’on appelait, du temps du thermique, les vocalises mécaniques. Cette signature sonore dans laquelle infuse juste un peu de musique est le signe que cette voiture est, tout simplement, pensée. Et ce qu’on constate, en regardant ces petits modèles électriques, en conduisant une e208, en découvrant l’intérieur de la Honda E, en observant l’évolution de la Zoé, en ayant en mémoire l’audace la BMW i3, ou ici en explorant de loin cette 500e, c’est que les marques ne vont pas à reculons vers l’adoption du moteur électrique. Au contraire, cette contrainte décuple leur inventivité et les force à réflechir de nouveau à ce qu’est une voiture, et à la relation qu’on peut tisser avec elle, qu’on en soit le conducteur, le propriétaire, ou le passant qui la voit juste évoluer dans le paysage. C’est ainsi que les voitures futures se fondront dans l’univers auquel elles participent, en étant moins contraignantes, moins provocantes, moins agressives, et en développant des façons ludiques d’habiter l’espace.
Des photos, une vidéo, tout ce qu’il faut pour découvrir plus intimement ce nouveau pot d’yaourt. J’ai peu commenté les lignes de cette évolution. Je pourrais simplement dire qu’elles sont rudement réussies, que l’ensemble ne trahit rien de la précédente, tout en ne se contentant pas de la paraphraser. Elle a quelque chose de nouveau à dire. Et si elle fait plus solide, plus dense, elle n’a pas, pour autant, l’air massif. Elle garde une vraie sympathie, tout en semblant plus aboutie. Peut-être y a-t-il simplement, sur le volet arrière, un relief un poil trop important qui enfonce la plaque d’immatriculation un peu trop profondément sous la ligne de care qui ceinture la voiture. Mais pour le reste, tout tombe particulièrement bien. Et s’il ne fallait garder qu’un seul détail, ce serait le répétiteur de clignotant, qui évoque les éléments d’éclairage rétro qu’on trouvait sur les voitures des années 60, en relief par rapport à la carrosserie, mais ici l’optique est traitée de façon particulièrement contemporaine, tant dans son dessin que dans les matériaux utilisés. C’est à ce genre de petit détail qu’on reconnaît le soin apporté à la conception d’un modèle, et sur ce point, la 500e ne déçoit pas. Et comme on s’apprêtait quasiment à être déçu, le sentiment qu’on a en la découvrant, c’est que quelque chose d’inespéré vient d’arriver.
Enfin, la vidéo de présentation de la 500e par Olivier François, le patron de Fiat. Tout en maîtrisant parfaitement l’exercice, c’est un plaisir de le voir partager, avec une gourmandise qui ne semble pas feinte, ce qu’il a à proposer. On est un peu au-delà de la simple vente d’un produit. Ajoutons que l’exercice tel qu’on le voit est bien entendu dû au fait que le salon de Genève soit annulé, et que chaque marque met en scène ses nouveautés sur l’espace virtuel qu’est la toile mondiale. Et si la présentation semble un peu longue, rendez-vous directement à la huitième minute, au moment où on peut écouter la 500e passer. Avec le rappel de clignotant, il me semble qu’on tient là quelque chose qui signe l’auto, et que les autres marques ne pourront pas reprendre sans rendre hommage à Fiat. Et on se dit que ça faisait un moment que ça n’était pas arrivé.
Ne quittez pas ! Ce n’est pas tout : Nespresso a Clooney, Fiat a Dicaprio. Il faudra un jour que je bricole un article sur les stars américaines qui font pitié dans des publicités européennes. Je souffre trop de voir De Niro prendre la route, tout tassé sur le siège réglé trop bas, très « pépère » au volant de sa Kia homonyme. Tout comme on avait honte pour Tom Hanks dans les spots Fiat destinés, eux, aux USA. Ici, Leonardo n’est pas plus crédible que la moyenne de ses collègues. Mais il fait l’Italian job, regard pénétré, hyper-conscience qui a épousé, carrément, la taille de la planète toute entière. On ne le voit pas prendre le volant, mais on a presque envie de le suivre, ou de le prendre en stop.
Enfin, les présentations d’usage :