Encore

In 208 MK2, Advertising, Art, Peugeot
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Quoi de plus puissant que la rencontre, dans le ciel des événements, de deux forces dont on suit depuis le sol les trajectoires ? Il y a des conjonctions dont on se dit qu’elles donneront, forcément, quelque chose de beau, et si parfois on peut être déçu de ce genre de croisement, souvent parce qu’on en attendait trop, cette semaine, une collision de particules rares et fameuses a produit le genre d’effet qui fait plaisir aux yeux.

En effet, c’est cette semaine que Peugeot lançait véritablement les hostilités commerciales pour sa nouvelle venue, la 208. Et comme il n’y a pas de lancement de ce genre sans un bon gros spot TV, on a eu le droit, aussi, de découvrir une nouvelle réalisation de Jan Wentz, qui fait partie du petit groupe de producteurs de microfilms dont on suit la carrière, avide de voir ce qu’il a encore à proposer.

Jan Wentz fait partie de ces réalisateurs qui, parce qu’ils travaillent dans l’ombre des marques au services desquelles il se met, n’est pas connu du grand public. Et à vrai dire, comme il oeuvre surtout sur des publicités internationales, il n’est pas fréquent que son travail soit diffusé sur les chaines de télévision française. Mais tous ceux qui s’intéressent un peu au monde de la création vidéo dédiée à l’automobile ont forcément déjà croisé une de ses réalisations.

Il est toujours difficile de qualifier le style de ce genre de réalisateurs, car en se mettant pleinement au service des marques pour les quelles ils travaillent, il mettent évidemment celles-ci en avant, et s’effacent derrière le produit qu’ils mettent en scène. Mais si on devait décrire le travail de Jan Wentz, on pourrait dire qu’il est marqué par l’aptitude à saisir des moments, parfois très précis, dans le rapport qu’on peut avoir avec les marques ou les objets. Et s’il fallait discerner dans son oeuvre un spot qui serait sans doute un manifeste de sa part, on pourrait sans doute le trouver dans celui qu’il a réalisé pour Audi, mettant en scène l’A4 dans un champ-contre-champ alternant « ça, c’est ce que vous voyez », et « ça, c’est ce que vous ressentez ». Sans doute une des meilleures vidéo publicitaire, efficace dans le moindre de ses détails, totalement « Audi », mais aussi singulièrement « Jan Wentz ». Tellement réussie que, quand bien même elle est aujourd’hui vieille de plusieurs années, il est probable que je prendrai le temps, un jour, de la chroniquer ici même.

Mais cette fois ci, c’est Peugeot qui a l’honneur de travailler avec ce réalisateur pour lancer la nouvelle édition de son numéro sacré, la 208. On ne va pas reparler du modèle lui-même, dont on a déjà fait, et même plusieurs fois, le tour. On ne l’a pas encore vu « en vrai », mais quelque chose nous dit qu’on va l’aimer, pas au sens où la 208 serait invraisemblablement belle, mais parce qu’elle semble avoir du charme, tout simplement, comme si elle invitait à quelque chose, et c’est une impression qui n’est pas si fréquente que ça. Mais voila, toute voiture de grande diffusion existe sur deux plans simultanément : l’un, est ce qu’elle est, telle qu’on la découvre en photos et plus encore telle qu’on la vit au quotidien quand on en est propriétaire; l’autre, est l’image qu’elle donne d’elle dans la communication que lui offre sa propre marque. Et si il y a quelques semaines la 208 était physiquement révélée et si, il y a quelques jours, ce sont les premiers essais qui ont été publiés, c’est au tour de la publicité de se déverser sur les écrans, atteignant cette fois-ci le grand public, c’est à dire tous ceux qui ne s’intéressent pas particulièrement au monde de l’automobile, mais sont susceptibles de posséder une voiture, c’est à dire le plus grand nombre.

Tout le spot tourne autour d’une évidence, quelque chose de très simple, tellement simple qu’un enfant pourrait le comprendre. D’ailleurs, enfants, nous l’avions très bien compris. La vie d’un automobiliste commence bien avant qu’il ne soit en âge de posséder sa bagnole. L’appétit pour les plus sympathiques des engins à quatre roues se nourrit aux expériences et rêveries qu’on a eues, enfants, devant une paire de phares, un jeu de jantes qui en mettaient plein la vue, quelques courbes, deux trois lignes, un spoiler, un béquet, parfois le son rauque d’un échappement gavé par le couplage d’une paire de carbu double corps, les heures passées sur la banquette arrière à regarder les autres, dans leur autre voiture, sur l’autre file, à contempler la chute de reins d’une R12, le jeune couple dans sa supercinq Gt Turbo, et puis un jour les premiers gars au volant de leur 205 Gti, celle avec les petites roues d’abord, puis quelques temps plus tard, la vraie avec son gros moteur, et son allure géniale. On collait alors le nez contre la vitre, qui s’embuait soudainement, et à travers le brouillard répandu par notre respiration soudain plus rapide et plus chaude sur le vitrage froid, on contemplait l’objet de nos rêves en se disant qu’un jour, quand on serait plus grand, on l’aurait en main ce volant qu’à l’époque on trouvait si parfaitement petit parce qu’on ne savait pas que, trente ans plus tard, la même marque en ferait d’encore bien plus réduits, posés bien plus bas sous le combiné. On en a rêvé de cette bagnole qu’on aurait plus tard. On l’a imaginée en bas d’un immeuble encore inconnu, dans la cour des parents quand on leur rendrait visite le weekend, sur le parking du boulot, devant le regard envieux de collègues d’une entreprise dont on n’avait encore aucune idée de ce qu’elle produirait, sur les routes, dans les rues, les autoroutes, seul à bord ou bien accompagné, la bagnole était le seul élément précis d’un univers qui, parce qu’il était encore tellement virtuel n’apparaissant que fugitivement dans les brumes de l’à-venir.

Parce que chez Peugeot on est évidemment conscient qu’à chaque sortie d’un nouveau modèle de la série 200 se rejoue quelque chose de la mythique cinquième génération, parce qu’on se dit peut-être que cette fois ci, le monde automobile subissant les transformations qu’il connaît ces dernières années, il y a quelque chose à jouer, Jan Wentz a construit un spot qui plonge dans le passé, pour aller y chercher l’image du client actuel, lorsqu’il était enfant et que, déjà, il parlait un peu bagnoles, avec cette idée en tête : si c’est à cet âge que se forment les fantasmes automobiles, alors remontons jusqu’à cette source du désir, et confrontons la, directement, à ce qui trente ans plus tard, se propose de venir la satisfaire.

Quand on filme l’enfance, on a un modèle, c’est Spielberg. Quand on filme les années 80, on a un modèle, et c’est aussi Spielberg. Pas étonnant du coup si les gamins qu’on voit dans la pub semblent tout droit sortis Rencontres du troisième type ou bien d’ET. et pas étonnant non plus qu’en regardant la publicité on ait en tête de réminiscences de Super 8 et de Stranger things, qui sont finalement, surtout, des hommages à ce maître qui sut, dès ses premiers films, saisir dans la caméra ce qu’un gamin peut porter d’inquiétude, mais aussi d’espoir, et d’énergie.

Des gosses, donc, décrivent depuis les eighties ce que sera devenue la voiture, quand ils auront l’âge d’en avoir une. Et bien évidemment, ce qu’ils ont en tête, c’est la nouvelle 208. On pourrait se dire que c’est un peu cousu de fil blanc, et pourtant, ce n’est pas l’impression que ça laisse. Et si l’effet produit est efficace, c’est sans doute, tout bêtement, parce que la nouvelle 208 est, réellement, quelque chose qui ressemble d’assez près à ce dont un gamin peut rêver, s’il n’a pas en tête l’idée, sans doute un peu fausse, que plus tard il roulera en supercar. Et si on imagine le même scénario appliqué à la nouvelle Clio, on voit tout de suite que la sauce ne prendrait pas aussi bien, parce que la Clio V est une voiture devenue raisonnable, apte à satisfaire des attentes d’adultes qui se sont un peu calmés. La 208, elle, s’apparente plus à une voiture fantasmée, elle fait penser aux superballes qu’on avait gamins, faites d’un entrelacements d’élastiques coulé dans un caoutchouc capable d’emmagasiner l’énergie de sa propre chute pour la restituer dans des rebonds spectaculaire dont les lampes et les bibelots ne sortaient généralement pas indemnes. C’est un jouet, c’est un cockpit d’avion de chasse, ou d’un chasseur X-Wings, ou même d’un Tie Fighter, selon qu’on a envie de jouer les bons, ou les méchants. La 208 même le raisonnable, et l’un peu délirant, elle fait appel à l’intelligence, tout en envoyant de méchants clins-d’oeil à nos pulsions. Et depuis Freud on le sait : dès la naissance, on est assez vieux pour en éprouver, des pulsions, et ces vagues de sensations qui nous traversent le corps et motivent nos actes, ont leurs racines dans l’enfance, quand bien même l’âge venant, nous les délaissons de plus.

L’alternance des plans de gamins sépia tout compressé dans leur format 4/3, et de 208 saisies en écran large permet d’articuler la raison et la déraison, de développer le discours responsable auquel toute marque doit désormais se plier (et c’est très bien comme ça), sans pour autant tuer toute forme de passion, d’excitation et d’enthousiasme vis à vis de cet engin qui se présente, fier et audacieux, à mi-chemin de l’automobile et du jouet, un pied dans l’âge adulte, et l’autre dans la gaminerie. Par publicités interposée, la 208 semble regarder, depuis la classe de 6ème, la Clio qui, elle, évolue déjà dans la cour des grands, où on est bon élève, certes, mais on s’ennuie aussi déjà un peu.

Notons-le une nouvelle fois, les plans suivant la 208 en mouvement sont superbes dans leur façon de restituer son agilité. La petite sochalienne ne se contente pas de se déplacer dans les rues, elle est mobile sur ses propres roues, prenant un peu de gite dans les virages, presque rien, mais assez pour qu’on perçoive la force centrifuge à l’oeuvre, elle se cabre juste ce qu’il faut pour suggérer son accélération, se soulève un chouia à la sortie d’une pente en virage pour qu’on en sente le poids plume, tout est vraiment très bien restitué, de sorte que, malgré la distance et la mise en scène, quelque chose de cette puissance puisse nous atteindre.

Peu à peu, les gamins vont laisser place aux adultes. Plusieurs plans fixes, eux aussi très beaux, saisissent les visages en extase des conducteurs dans le clair obscur de l’habitacle. Manifestement, ils ne sont pas cinquantenaires, ni même quarantenaires. Et on se dit que ces jeunes gens ne peuvent pas être, maintenant, les versions adultes des gamins du passé. Alors, comme les pubs font rarement des erreurs, on peut se dire que ce décalage est voulu, et on le comprend assez bien : de la même façon qu’en son temps la 205 junior ne s’adressait pas aux jeunes qu’elle mettait en scène, mais aux retraités qui voulaient avoir une bagnole de jeunes. Ici, la 208 ne s’adresse toujours pas aux jeunes qu’elle met au volant : ceux-ci ne sont pas massivement ceux qui ont les moyens de s’acheter cette voiture neuve. En revanche, ceux qui gamins ont rêvé de la 205 Gti, et qui sont maintenant en âge de s’acheter une 208 flambant neuve n’aimeraient pas rouler dans une voiture destinée aux hommes et femmes mûrs, et pour le dire ainsi, il est fort possible que certains d’entre eux, qui entrent dans la cinquantaine, puissent tout de même se reconnaître dans les portraits de ces jeunes gens auxquels ils peuvent, au prix d’un léger flou dans le regard porté sur eux-mêmes. Peu importe, la publicité et les produits servent à ça : se raconter des histoires sur soi, se prendre, un peu, pour quelqu’un d’autre et, qui sait ? le devenir un peu.

Urbaine, jeune, branchée, plus ou moins propre sur elle selon l’énergie qui l’anime, la 208 paraît donc hors temps. Le récit que la publicité lui colle à la peau l’introduit dans un voyage qui se situe moins dans l’espace que dans le temps. Du point de vue des gamins, qui sont les vrais héros humains de ce spot, c’est un flash-forward assez conséquent vers une version d’eux-même qu’ils ne peuvent qu’imaginer, en fermant les yeux, et en tenant dans leurs mains tendues un volant imaginaire qu’ils imaginent encore trop grand. Du point de vue de la 208, c’est un flash-back qui remonte aux racines des fantasmes qui peuvent, aujourd’hui, faire aimer cette voiture qui est au croisement des espaces-temps. Il y a toujours quelque chose de puissant à faire dialoguer celui qu’on est avec celui qu’on a été. Il y a pas mal de chose que l’enfant qu’on fut aurait à dire à l’adulte qu’on est devenu. Et il y a sans doute pas mal de choses que la 205 aurait à dire à cette 208. Et on sent que d’une certaine manière, chez Peugeot, on a travaillé de façon à ce que la compacte adulte puisse répondre à la citadine adolescente.

Et finalement, il est possible qu’effectivement, dans sa manière de ne pas renoncer à tout ce que fut jadis l’automobile, la 208 actuelle permette, quand on en prend le volant, de retrouver une ardeur et une insouciance qui nous a peu à peu quittés à mesure qu’on prenait conscience que les choses qu’on avait, en fait, profondément modifiées, ne seraient plus jamais comme avant. Il y a de la nostalgie dans cette voiture, et une façon de faire survivre une forme automobile qui pourrait disparaître prochainement. Faire revenir le passé, c’est après tout un objectif esthétique intéressant, dès lors qu’il épouse la forme du futur. C’est peut-être, pour le moment, ce qui définit le mieux l’essence singulière de cette voiture. Elle est un fil tendu vers ce que nous fûmes, et une suite de points de suspension conservant encore la possibilité de ne pas renoncer tout à fait à l’être encore, un peu.

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