Mon précieux

In Constructeurs, DS
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Le grand bain

Avoir à renouveler le premier modèle qu’elle a sorti est, pour une marque, une démarche qui consiste, nécessairement, à sortir de l’innocence. Mais pour DS, la question de l’après « DS3 » est forcément épineuse, parce que le modèle originel portait le logo Citroën, parce qu’il semblait tomber du ciel pour une marque dont on n’attendait plus forcément grand chose, parce qu’il y avait une forme d’insolence, même, pour Citroën, à sortir un véhicule aussi immédiatement sympathique en recyclant des morceaux pourtant très identifiables de la débonnaire C3, parce que, aussi, la cellule qui avait imaginé et construit la DS3 avait réussi à entretenir avec la presse auto une relation saine, fondée avant tout sur la passion automobile. On comprend mieux, alors, pourquoi il a fallu faire vivre ce modèle aussi longtemps. Dans le passage de relais entre Citroën et DS devenue, entre temps, une véritable marque, la DS3 était comme la barre que le mettre nageur tient à portée de la main de celui qui se lance dans le grand bain. 

Et on peut reconnaître à DS au moins ceci : la barre a été lâchée. Le DS3 Crossback n’est pas une copie du premier modèle DS, il en est plutôt une forme d’extension. Son nom l’indique clairement d’ailleurs, laissant la place, au moins dans la nomenclature, à une DS3 tout court, bien qu’on puisse se demander si une telle proposition puisse avoir encore une clientèle. Et on commence à le deviner : le positionnement de la DS3 originelle, c’est désormais la 208 qui le tiendra à l’avenir, les premières photos de modèles camouflés de la prochaine génération montrant à quel point c’est la rivale théorique de la DS3 qui sera visée : l’Audi A1. Il fallait donc que DS investisse le secteur de la voiture urbaine sous un autre angle. Et le Crossback est le petit décalage vers le haut qui lui permet de réaliser l’exercice. 

Ce que ceci montre, c’est qu’il y a encore chez PSA un chassé-croisé identitaire entre les marques, et quelque chose nous dit que l’arrivée d’Opel dans le groupe ne va pas vraiment simplifier ce genre de problématique. On pourrait, certes,  essayer de regarder ce DS3 Crossback en faisant abstraction de ces considérations, en le regardant, le plus possible, pour lui-même, mais en réalité, parce que DS est un peu, encore, la marque « en plus » dans le groupe, parce qu’elle est l’invité surprise pour lequel on n’avait pas vraiment prévu de place, on aura du mal à ne pas lire dans ses lignes et sa définition les négociations que la marque aura dû mener avec le reste du groupe. 

Les dents de la mère

S’il y a bien un sujet qui avait animé, pendant des moins, peut-être même des années, les forums de discussions qui suivaient la gestation de ce modèle, c’était la destinée de l’aileron de requin, élément essentiel du design de la DS3 MK1 : allait-il survivre à l’apparition des portes arrière ? Allait-il demeurer sur le pilier B, se déplacer jusqu’au montant C ? Mais alors, il y aurait une vitre de custode ? Toutes les hypothèses ont été émises, toutes ont été débattues, au point de provoquer des querelles et des running gags; et on peut se dire que des échanges un peu semblables ont dû être menés, en interne, sur le même sujet. 

En réalité, c’est le gabarit du DS3 Crossback qui a dû dicter la réponse : il est plus court qu’on ne l’avait supposé, rendant impossible le positionnement de cet artifice de style sur le montant C, puisqu’il n’y a pas de vitre de custode. Et si on y réfléchit un peu, on devine pourquoi il était impossible de proposer un montant C sans vitre qui prenne la forme d’un tel aileron : ça ferait quand même beaucoup penser au dessin de la custode du Citroën C4 Cactus, qui reprend justement ce motif. Or, comme la forme même de la partie arrière, comme les proportions générales du DS3 Crossback font assez facilement penser à l’équilibre général du Cactus (alors que les deux modèles ne partagent pas du tout la même plateforme), il était nécessaire de ne pas pousser le mimétisme plus loin. 

Et puis, à vrai dire, cet aileron trouve ici sa place naturelle. D’abord parce qu’il est le seul clin d’oeil clair de la DS3 Crossback vers son aïeule. Mais en réalité, il joue un rôle un peu différent. D’abord parce que la surface vitrée est plus haute, sur ce nouveau modèle. Dès lors, l’aileron s’approche moins du toit, semblant proportionnellement plus petit que sur le premier modèle. Mais, surtout, cet élément de style joue de façon astucieuse et harmonieuse avec les reliefs sculptés dans les panneaux des portières. Tout se passe comme si, visuellement, une lame de fond se creusait dans la partie basse de la voiture, pour émerger sous la forme d’une vague dans le bas du vitrage, Cet ensemble constitué par le travail de tôlerie et cet aileron apporte un dynamisme intéressant au profil, et il ne s’agit plus d’évoquer simplement la vitesse, ce que des lignes obliques suggèrent facilement, ici, il s’agit plus d’une force intérieure qui semble s’exprimer, une énergie contenue, qui s’emmagasinerait pour être restituée sous la forme d’un mouvement. 

Et il est intéressant, du coup, d’observer que de l’aileron de requin, on est plutôt passé à l’évocation d’une vague. On comprend mieux pourquoi, parmi ceux qui ont conçu ce modèle, et qui en traduisent aujourd’hui les formes en mots, on dit que c’est une voiture pensée pour les surfers. D’un point de vue pratique, on voit bien que ce n’est clairement pas le cas. En revanche, on comprend mieux ce que ça peut signifier quand on commence à discerner ce motif de « vague » sur le profil. On peut sourire à l’idée que DS puisse espérer toucher cette branche un peu particulière de l’humanité que sont les surfers. Mais cette branche est parfois surprenante : après la sortie de L’Anti-Oedipe et de Mille plateaux, les deux volumes de Capitalisme et Schizophénie, Gilles Deleuze et Félix Guattari avaient évidemment conscience d’avoir publié deux livres dont la compréhension serait quasiment impossible. Pourtant, quelques années plus tard, dans une interview, Deleuze racontaint qu’il avait été surpris, et heureux, de recevoir des courriers de surfers qui lui racontaient combien ils avaient été sensibles à ses distinctions entre surfaces lisses et surfaces striées, entre les représentations du monde que produisent les peuples sédentaires et les cultures nomades. Et à vrai dire, il y a quelque chose de ce genre qui se joue, ici, dans le dessin des panneaux latéraux du DS3 Crossback. 

Le monde entier est un Cactus

Une fois l’aileron positionné sur le montant B, il restait le problème du montant C à régler : on en fait quoi ? Et sans doute est-ce l’élément le plus décevant de ce DS3 Crossback. Sur la DS3 MK1, le mimétisme avec la Mini avait réglé le problème : la vitre arrière se noyait dans le montant C, qui profitait de l’obscurité pour se fonde à son tour dans la vite du hayon. C’était propre, net. Mais c’était possible parce qu’à l’arrière d’une DS3 originelle, rien ne s’ouvre; le dessin est donc simple parce que technique, tout est simple aussi. Ici, les designers ont du composer avec des contraintes nouvelles, dont ils ne se sont manifestement pas sortis. Ainsi, la custode tente de se faire oublier, optant pour une teinte sombre qui pourrait effectivement la faire disparaître dans la continuité des vitres fumées des vitres de porte arrière et de hayon. Mais l’effet ne fonctionne pas, parce qu’il aurait fallu, pour que ça fonctionne, que les vitres soient affleurantes, que les portes soient sans montant, autant d’effets de style que les contraintes techniques, et économiques, n’ont pas autorisées. Mais ce qui vient flinguer pour de bon le dessin de cette partie de l’auto, et lui porter le coup de grâce, c’est le fait qu’il faille que la vitre arrière du DS3 Crossback soit capable de s’ouvrir, et de s’ouvrir vraiment, en descendant dans le bas de la porte. En regardant le profil de l’auto, on comprend vite le problème : la surface vitrée est trop petite pour y ménager une partie fixe, Un tel choix serait visuellement incompatible avec le dessin de l’aileron en montant B. Il ne reste alors qu’une solution : combler toute la partie de vitrage qui ne peut pas descendre, à la verticale du passage de roue, par de la surface tôlée. Et ça donne ce dessin un peu rustre de la custode du DS3 Crossback. 

Vous savez quoi ? On a là le signe le plus éclatant du léger désordre conceptuel qui règne encore entre Citroën et DS. Chez Citroën, marque censée être pratique, conviviale, ouverte sur le monde, au moment de dessiner le Cactus, on a pourtant opté pour l’intransigeance du design : pour sauver les lignes du Cactus, on l’a doté de vitres à compas; et on sait combien ça a défrayé la chronique. Chez DS aujourd’hui, on ruine le dessin de l’auto pour apporter aux vitres arrière une fonction qui ne sera quasiment jamais utilisée. Pourtant la marque se veut transgressive, révolutionnaire, jusqu’au-boutiste. On a envie de leur dire de revoir toute leur conceptualisation, tous les tenants et aboutissants de leur logique de gamme, parce que ce n’est, certes, qu’un détail. Mais ici c’est un détail qui fait beaucoup. Et pour s’en convaincre, il suffit de regarder les dessins dont on dispose, qui montrent le travail que les designers ont mené sur le DS3 Crossback, et on remarquera que, comme par hasard, c’est ce montant C qui a fait l’objet du plus grand nombre de variantes, et qu’aucune d’entre elles n’a été retenue sur le modèle final. Et s’il y a un point sur lequel les designers de chez DS auront dû avaler une grosse couleuvre industrielle, c’est bien celui-ci. 

Les yeux de la tête

Pour le reste, ils semblent avoir pu faire, plutôt, ce qu’ils avaient en tête, et ce jusque dans une face avant dont la lecture n’est pas évidente au premier regard. Et à vrai dire, au second non plus. Car le dessin des phares tranche avec ce qu’on avait pu connaître jusque là. Ils ne sont pas révolutionnaires, même si techniquement, en réalité, ils mettent en oeuvre une technologie d’habitude réservée à des modèles de segments supérieures, mais ils sont, disons-le un peu comme ça, un peu étranges. Et du coup, on a du mal à discerner en eux un regard. Ca ne veut pas dire que la voiture n’en ait pas un, mais pour le moment, on a du mal à le deviner. Pourtant, assez étrangement, il y a là quelque chose qui pourrait faire penser à l’effet produit, il y a bien longtemps, par la face avant de la Citroën Ami 6, dont les courbes jouaient avec les phares ovales de telle façon qu’elle semblait nous regarder bizarrement. Il est possible que ce soit ça, que les designers aient essayé de produire : une petite étrangeté, de l’insolite. Et peut-être que, dans un ensemble qui, par ses proportions, pourrait semble faire preuve d’une bonne dose de « bonhomie », ce dessin un peu singulier des phares apporte une dose de caractère qui, sinon, pourrait manquer. Et sans doute, comme pour d’autres détails de cette voiture, faudra-t-il attendre de voir ‘en vrai’, et surtout en mouvement, ce que ça donne. Et de plus en plus, il semble qu’on ait du mal à se faire une idée fiable de la présence physique des automobiles, tant qu’on ne les a pas vue évoluer sur les routes, et dans la rue. 

Vent d’Est

Dans l’ensemble, si on compare les formes du DS3 Crossback à celles d’un Renault Captur, par exemple, on peut trouver son dessin un peu outré, un peu « too much », comme si on y avait été un peu fort sur le maquillage. Mais il est probable qu’en réalité, le public visé ne voit pas dans le Captur une option possible. En fait, il est possible que le DS3 n’ait pas de concurrent direct, qu’il soit sans équivalent. Et c’est sans doute un peu ce que cherche la marque : brouiller un peu les repères pour éviter les comparaisons directes. Mais ses formes ne sont pas, non plus, sans références. Cette façon un peu baroque d’entrelacer les volumes fait tout de même penser au design tel qu’il se développe chez les marques haut de gamme asiatiques. Que, de fait, ça ne nous parle qu’à moitié pour le moment, ce n’est pas étonnant. Mais peu à peu, cette influence culturelle s’immisce dans nos propres habitudes, ces formes viennent se conjuguer à nos regards. Et à voir comment les post-ados et les kidults, et ce tout particulièrement dans les couches les plus bourgeoises de la population, sont littéralement passionnés par les cultures asiatiques, tout particulièrement coréenne et japonaise, il est possible de se demander si, après tout, DS ne ferait pas preuve d’anticipation dans son vocabulaire de formes. 

Intériorité

Si la DS3 première du nom concentrait toute sa spécificité dans les formes de sa carrosserie, mettant toute son énergie à correspondre, le mieux possible, à ce qu’un passionné d’auto pouvait imaginer, enfant, être une « petite voiture », la DS3 Crossback semble avoir compris qu’entre temps, la marque a fait des intérieurs singuliers sa marque de fabrique. Sans doute ne retrouvera-t-on pas de sitôt quelque chose d’aussi invraisemblablement décalé que l’habitacle de la DS5. Ce cockpit importé directement du futur tel qu’on l’imaginait dans les années 70 restera l’audace suprême de DS en matière d’aménagement intérieur. Alors, forcément, depuis, on voit sortir les nouveautés en se disant qu’elles constituent une forme de régression. Pourtant, l’intérieur du DS3 Crossback est loin d’être banal, quand bien mêmes les éléments de cet intérieur sont situés là où, dans les autres voitures, ils se trouvent aussi. Ou presque. On peut se dire, oui, que ça pourrait aller plus loin, qu’on pourrait pousser les curseurs dans le rouge. Mais en réalité, s’il y a encore une marge d’excentricité à explorer, les intérieurs DS sont, c’est le moins qu’on puisse dire, soignés, et ils manifestent, immédiatement, la volonté des designers d’imposer un dessin, une conception intérieure qui ne soit pas le simple résultat d’études de marché. 

Dès lors, comme toutes les formes qui sont le résultat d’un véritable parti-pris, l’intérieur du DS3 Crossback impose d’accepter la direction prise par les designers, et de la suivre. Sinon, on reste au seuil de porte de la voiture, et on n’en profite pas. Mais une fois entérinée la définition très « bourgeoise-pop » de ce modèle (et de toute la marque qui va avec), avec toute la préciosité que ça suppose, (et choisir cette voie, c’est toujours prendre le risque d’un certain ridicule), on peut apprécier le boulot effectué sur ce modèle. On jugera sur pièces de la finition, de la qualité de l’ensemble, mais dans la conception visuelle, c’est manifestement soigné, et tout ce qui sert de lien entre les passagers et la voiture, boutons, matières, est spécifique à cet univers, au point qu’il semble qu’il n’existe pas d’équivalent de cette expérience sur des modèles concurrents. Si, de l’extérieur, on pourrait se dire qu’après tout, cette DS3 est comparable à une Kia Stonic, une fois la porte ouverte, les deux modèles semblent n’avoir absolument plus rien à voir. I y a dans cet univers intérieur quelque chose d’absolument spécifique qui peu à peu constitue la signature identitaire de la marque, un territoire qu’elle commence à maîtriser pour de bon, dans lequel on la reconnaît. Quelque chose qui peut faire passer la pilule d’un design extérieur qui en fait peut-être un peu trop dans l’esbroufe (on n’a pas parlé des sorties d’air ouvertement factices, à l’arrière, mais tout est là), et d’une définition mécanique qui manque, elle, de distinction. On verra à l’avenir si cette seule marque de fabrique peut suffire à motiver un achat. Mais de fait, on peut dire que DS a développé, ici, un savoir-faire, une culture interne qui définit la marque, quelque chose qui permet d’imaginer un futur à la marque.

Et si comme on le disait à l’instant, tous les éléments sont à une place plutôt traditionnelle dans cette automobile, on observera tout de même deux spécificités. La première est déjà connue, puisqu’on la trouve déjà sur le DS7 : les commandes de vitres se trouvent entre les deux sièges, sur la console centrale. Ce qui permet de leur offrir des commandes sculptées dans le métal, qui apportent indéniablement une touche très particulière à ces modèles. La seconde est spécifique au DS3, c’est le positionnement de la commande d’ouverture de la porte. Si, à l’extérieure, les poignées de porte tirent leur originalité de leur disparition dans l’épaisseur de la porte, un peu comme on l’a déjà vu faire chez Tesla et Aston Martin, à l’intérieur, la commande d’ouverture est située très bas, plus bas que l’accoudoir. On devine que c’est dû à l’implantation des aérateurs dans les portes, qui aurait obligé à installer cette commande trop en arrière. C’est un détail, mais ça impose un geste spécifique à l’utilisation, qui ne semble pas plus gênant que celui qu’on exercerait dans un autre modèle. Mais c’est aussi à ce genre de détail qu’un rapport particulier s’entretient avec sa voiture, qu’un lien de familiarité se tisse entre et soi, et qu’on l’habite plus qu’on ne l’occupe. 

L’espoir est permis

Au final, c’est peut être ça, une DS : une voiture qui propose d’en être plus l’habitant que l’occupant ou le passager. Un objet en mouvement qui soigne l’accueil de ceux qui, à son bord, vont aller d’un point à un autre. Tout, dans cette définition, n’est pas encore tout à fait en place, parce qu’on ne parle pas d’architecture d’intérieur, et il faut que la conjugaison avec tous les autres éléments qui définissent une voiture soient autant soignés que cet habitacle. Mais DS exprime une voix qui devient reconnaissable. Elle le fait dans une période de son existence qui n’est pas facile, car elle est désormais attendue au tournant. Et en tant que marque française prétendant jouer sur le terrain d’habitude réservé aux automobiles allemandes, elle doit supporter bon nombre de sarcasmes. On l’a déjà dit dans d’autres articles : certains de ces sarcasmes sont mérités. La marque a, dans sa communication, une façon un peu prétentieuse de se hisser par le discours à une place qui n’est pas encore pleinement la sienne. Et ça ne contribue pas à la rendre sympathique. Mais ceci mis à part, on peut reconnaître à la marque une façon de faire qui lui est spécifique, un vocabulaire de formes qui ne copie aucune autre marque, un univers général qui lui est spécifique. Et mine de rien, là où on s’attendait à voir la marque se prendre les pieds dans le tapis de sol de son nouveau modèle, on s’aperçoit qu’en réalité, ils ont plutôt réussi leur exercice, et on envisage l’avenir avec un peu moins d’ironie, et un peu plus d’espoir


Et maintenant, quelques images : 

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