Dans le vizeur

In GTX Experimental, Opel
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C’est parfois des anciens volcans, qu’on croyait trop vieux, qu’on voit rejaillir le feu. On connait la chanson, et cet été, c’est Opel qui semble vouloir l’interpréter à son tour. Mieux que ça, on dirait qu’on veut carrément l’incarner. Alors qu’on s’était fait à l’idée que cette marque persévérerait dans un design sérieux et rassurant, mais aussi un peu atone et ennuyeux, alors qu’on s’était d’autant plus fait à cette idée que la reprise de la marque par PSA ne laissait pas entrevoir de possibilité, pour la marque à l’éclair, de revendiquer une identité visuelle forte au sein d’un groupe dont certains membres sont déjà franchement affirmés, et d’autres sont en quête de personnalité, Opel communique soudain sur son nouveau faciès, et on découvre, la bouche un peu bée, que cette allure sera franche, volontaire, et assez profondément identitaire ! 

Il fallait bien qu’un jour la reprise en mains par PSA fasse parler d’elle sur un autre plan que celui de la restructuration « à la française », c’est à dire sans considération pour les employés. Alors, évidemment, l’enthousiasme qui va suivre fera preuve d’une certaine amnésie envers ce qu’ont dû vivre les femmes et les hommes qui travaillaient pour Opel avant d’être pris en mains par Peugeot, Société Anonyme. En réalité, on tentera de ne pas être oublieux. Malgré la passion qu’on peut avoir pour les bagnoles, on demeure convaincu que cette passion ne peut pas faire abstraction de ceux qui en sont les réalisateurs, c’est à dire les ouvriers qui, sur les chaines de montage, chez les constructeurs mais aussi chez les équipementiers, font naître ces objets, qui sont plus que des objets, pour les mettre sur les routes, sous nos yeux, et entre nos mains. 

Mais voila, l’histoire d’une marque redevient plus belle quand on la regarde depuis la vitrine. Et la vitrine d’Opel, aujourd’hui, c’est un concept qui commence à se dévoiler un peu, qu’on appelle GTX Experimental, et qui a pour mission de raconter un peu de l’histoire à venir de la marque.  Et comme on le disait en préambule, alors qu’on pensait que le futur d’Opel serait comparable à un disque de Florent Pagny, on découvre que ça pourrait, en fait, sonner comme du Daft Punk. 

Parce que le nouveau visage de la marque ressemble à un casque. Ou plutôt, à la visière d’un casque. Je n’ai pas trouvé cette comparaison tout seul. Non seulement elle vient naturellement à l’esprit, mais la marque propose au regard une direction en donnant un nom à ce nouveau visage : chez Opel, on l’appelle « Vizor« , et on se méfiera de cette appellation, comme on se méfie des faux-amis : il ne s’agit pas d’un viseur, quand bien même certains visuels de la comm’ peuvent faire penser à une cible de tir. Non, cette face avant en forme de masque fumé s’apparente plutôt à une visière : elle cache quelque chose. Et tout le propos de ce design est précisément de mettre en scène cette dissimulation : en masquant, la visière révèle qu’il y a quelque chose, là, derrière. C’est la même dialectique que celle qu’on trouve dans la plupart des écrans : l’écran, c’est en même temps ce qui dissimule et ce qui révèle. C’est la surface qui fait écran au regard, mais c’est aussi celle sur laquelle peut se projeter l’image. 

La visière Opel fonctionne ainsi : elle est censée masquer des dispositifs qui sont présents, mais qu’il n’est pas nécessaire de montrer. En ce sens, elle résout un problème que se posent manifestement la plupart des marques : les fonctions hi-tech contemporaines nécessitent des capteurs, particulièrement sur la face avant des voitures. Deux écoles s’affrontent dès lors : soit on montre ces capteurs, soit on les dissimule. En les dissimulant on préserve le dessin de la voiture. Mais le client aime parfois moins disposer de certains équipements que montrer qu’il en dispose. Or, la dissimulation des capteurs empêche de signifier leur présence, ce qui constitue une perte en terme de valorisation du propriétaire. Le vizor est une réponse intelligente à ce dilemme : il permet un dessin pur, qui échappe à l’invasion visuelle des capteurs, comme on peut l’observer sur les calandres des dernières productions Audi. Mais parce qu’il se manifeste comme un écran, il suggère la présence de ce qu’il dissimule. On peut donc deviner les équipement technologiques qui sont installés derrière, y compris (et c’est malin), si le modèle n’en dispose pas.  Et l’astuce de style qui permet cette projection, c’est la dissimulation des phares, qui sont eux-mêmes noyés dans cette visière, car le regard suppose nécessairement leur présence, derrière ce masque. Ainsi, on « sait » quelle est la nature de ce dispositif, et peut « voir », comme en transparence, ce qui ne s’offre pourtant pas au regard. 

Ajoutons ceci, qui a déjà été écrit et lu : cette forme rappelle la mise en scène du regard de l’Opel Manta première génération, et il était temps que la marque lance un clin d’oeil vers son passé, comme Peugeot ose enfin le faire vers l’époque de la 504, car l’histoire de la marque semble un peu diluée dans les propositions réussies, certes, mais parfois un peu fades qui ont plus récemment été porteuses du logo à l’éclair. Là, le visage proposé jette un coup d’oeil dans le rétroviseur vers ce sympathique coupé, et enfonce le clou avec un capot noir qui projette en nous l’image des Commodores des années 70 qui, dans leur version GS/E, s’équipaient elles aussi d’un capot noir mat, suggérant la compet’. Le fait que la com’ autour de la philosophie générale du concept GTX Experimental s’accompagne de la référence à l’Opel CD, concept de 1969 fascinant, tant par sa pureté que par l’équilibre de ses formes, incarnant parfaitement la puissance paisible qui semble être une des caractéristiques de la marque, ajoute à la façon dont on devine que l’accueil au sein de PSA libère, stylistiquement, les dessinateurs. 

Si on élargit un peu le regard, on se rend compte que cette forme, dont l’horizontalité est soulignée par les éclairages diurnes auxquels on est désormais accoutumé chez Opel, rigoureusement horizontaux, uniquement ponctués en leur extrémité par une virgule qui vient dessiner les contours du visage, est contrebalancée par un relief vertical, qui sépare ce visage, sur le capot et le bouclier, surligné par une encoche dessinée sous le logo, dans cette fameuse visière, donnant à l’ensemble l’aspect d’u viseur, si on a l’imagination d’un tireur d’élite, ou d’une boussole, si on a l’âme d’un boyscout. Et chez Opel, on est plutôt dans la référence aux pionniers et aux éclaireurs, puisque ce faciès, on le nomme Compass. Voila qui confirme que ce modèle a bien pour vocation de donner une orientation à la marque toute entière. On assiste donc à la révélation d’un principe de face avant identitaire, et fort, un peu comme ce que Citroën avait inauguré en 2013 en révélant successivement le C4 Picasso et  le Cactus. Il est d’ailleurs intéressant d’observer qu’il y a une forme de mimétisme entre la déclinaison plus affirmée que donne le C5 Aircross de ce visage, et celle qu’annonce aujourd’hui Opel, dont il faut cependant reconnaître qu’il semble pousser les choses encore plus loin, visuellement et techniquement.

Sur le plan technique, on est d’ailleurs curieux de voir comment Opel passera à l’industrialisation d’une telle face avant. On se souvient que DS avait proposé par le passé, sur certains concepts, l’idée d’une calandre fermée, mais il semble que le projet ait un peu achoppé pour des raisons techniques : un écran en face avant se trouve en position particulièrement vulnérable face aux éléments et projectiles divers. Il risque donc de s’abîmer rapidement. On verra comment chez PSA on aura réussi à trouver une parade à ce problème. Ajoutons qu’on ne sait pas quel est le matériau qui constituera le masque en lui-même. En revanche, l’entourage de ce visage est souligné d’un trait à l’aspect métallique, qui vient achever le dessin; mais ce qui peut sembler intéressant, c’est d’en imaginer des déclinaisons plus radicales, simplement dénuées de toute forme d’entourage, laissant le dessin et la matière bruts, sur des versions sportives par exemple. Une telle face avant pourrait donc se prêter à des ambiances diverses, raffinées, mais aussi brutales. Et le jeu du dévoilement des optiques pourrait permettre aussi divers regards, allant du rassurant au menaçant. 

Ce qui est marrant, et bien joué, c’est que c’est au moment où on lit partout qu’Opel va devoir s’affranchir de sa tutelle américaine, que la marque nous sort un concept dont la face avant fait quand même, un peu, penser à la radicalité du regard « par en dessous » d’une Chevrolet Camaro. Et c’est finalement logique : c’est maintenant que la marque n’a plus besoin de se démarquer comme essentiellement européenne qu’elle peut oser afficher des traits de caractères venus d’outre-Atlantique. D’un point de vue identitaire, c’est presque une leçon de vie : on n’assume jamais autant son identité familiale et son histoire que lorsqu’on prend un peu d’autonomie et de distance vis à vis de ses racines.

A l’intérieur, ce qui fait face au conducteur, c’est la planche de bord. Et on sait que chez PSA, il y a un gros travail effectué, depuis l’apparition du 3008, sur l’identité intérieure des différentes marques. Là aussi, on aurait pu imaginer, en observant la déclinaison Opel de la famille de SUV (3008, C5 Aircross, DS7), que la marque allemande serait un peu le parent pauvre du groupe, le Grandland X proposant un intérieur bien bien classique, sans dalle numérique, élégant, certes, et rassurant sans doute, mais sans éclat particulier. On s’était dit, en le voyant, que ce se serait ça, Opel, désormais : une marque qui s’adresserait à ceux que la déferlante d’écrans inquiétait un peu. Et après tout, pourquoi pas. Mais le seul visuel dont on dispose pour le moment de l’intérieur de ce concept GTX Experimental nous indique que nous nous trompions : chez Opel, on va bien passer, aussi, à l’affichage numérique, mais sous une forme qui semble techniquement un peu différente, puisqu’il s’agirait d’une image projetée sur… un écran. Il y a donc une réflexion de fond qui est menée sur le design du ce concept, et on apprécie la cohérence de ce qui nous est proposé jusque là, et le dialogue entretenu entre l’intérieur et l’extérieur de l’auto. On ne sait trop ce qui restera de cette idée en série, mais on apprécie la façon dont elle fait écho à l’idée de visière développée sur la calandre, et ce d’autant plus que, visuellement, cet écran ressemble comme deux gouttes d’eau à un masque de ski, ou de plongée. On disposerait donc d’un écran, au sens cinématographique du mot, sur lequel seraient projetées les informations. Et on imagine déjà ce que ça pourrait donner comme ambiance intérieure. Si, matériellement, le résultat est à la hauteur de ce que ce simple visuel propose, on pourrait imaginer qu’Opel, comme les autres marques du groupe désormais, puisse tenir une véritable identité intérieure, aspect qui jusque là faisait un peu défaut à la marque, qui s’en tenait à des présentations qui ne participaient au bon goût que parce qu’elles évitaient tout parti-pris et toute audace. Et comme aujourd’hui tout doit porter un nom propre, retenez cette information : ce qui chez Peugeot se nomme I-cockpit, s’appellera chez Opel Pure Panel.

On nous aurait dit, en Juin, que fin août on attendrait impatiemment la révélation totale d’un concept Opel, on n’y aurait pas cru. Pourtant, on doit admettre que ces derniers jours, on revient régulièrement sur les quelques sources d’information dont on dispose pour le moment au sujet de ce GTX Experimental, tout simplement parce qu’il est prometteur, et qu’il semble être l’annonciateur d’une forme de renouveau. On retiendra, aussi, que c’est un des très rares début de révélation conceptuelle de l’été, et que le paradoxe vient, aussi, du fait que ce n’est pas annonciateur d’un concept exposé au salon de l’auto de Paris, puisque la marque Opel en sera absente, comme bien d’autres. Tout indique, donc, que la marque proposera, à l’automne, un événement médiatique venant compenser cette absence. Et après tout, c’est peut-être cela, aussi, faire preuve de modernité de nos jours : jouer sur le thème de la dissimulation et de la révélation, du masque et du visage. Et absent et présent à la fois, se tenir dans la discrétion, qui est une forme paradoxale et intrigante de présence absente, plutôt que dans le spectaculaire. C’est une façon pour la marque de se revendiquer comme essentiellement européenne, tout en échappant à la mièvrerie.  Et en ce sens, il y a dans cette direction des espoirs qui dépassent le seul cadre automobile. Tout en jetant un dernier regard vers l’Ouest, cette auto semble donner le Nord. Ce concept sera sans doute, durablement, un repère. 


Quelques sources d’informations : 

Principalement, deux sujets du forum Worldscoop, auquel participe un designer Opel, qui partage de façon intéressante, enthousiaste et généreuse son expérience : 
Le sujet consacré au concept GTX Experimental

Le sujet consacré au design Opel 

Suivez en particulier les contributions de Quentin. Vous trouverez des liens vers d’autres interprétations de ce nouvel élan stylistique., et sans doute d’autres révélations à venir. 

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