« L’homme est comme le lapin, il s’attrape par les oreilles »
Mirabeau
Au milieu d’un océan de complications, travailler en zone d’éducation prioritaire présente quelques avantages. Celui-ci par exemple : on croise dans les rues alentours, de temps en temps, une berline, préférentiellement allemande, d’espèce clairement supérieure au tout venant automobile ; pas une simple Mercedes diesel assortie de deux paires de jantes un tout petit peu valorisantes, avantage en nature considéré comme élément de rémunération de tel ou tel employé bien content de se voir ainsi valorisé en métal et en plastique à la hauteur du cœur u’il met à son ouvrage. Non non, un vrai engin, une bête dont on reconnaît la présence avant même de la voir apparaître à l’angle de la rue, dont on perçoit l’approche telluriquement, comme dans les westerns on mettait l’oreille sur les rails pour deviner à distance l’approche du train, en quête d’une vibration, d’un signe avant coureur, des prémices de la secousse sismique à venir.
Parfois, on vient chercher un de nos élèves au volant d’une forme évoluée des Merco Benz : une AMG. Et on le sait bien avant que la portière s’ouvre pour que lui, son survet Lacoste et la sacoche LVMH qui lui tient lieu de cartable s’y engouffrent. On sait à l’avance que ce n’est pas Maman qui arrive à bord de sa Mégane, avec le siège enfant de la petite sœur à l’arrière. On le devine au martèlement des gamelles du V8 à bas régime, injectant dans la ligne d’échappement ses basses fréquences qui labourent l’atmosphère à longue distance, imprimant dans le vitrage de tout le voisinage sa cadence comme à l’approche d’un animal préhistorique avançant en mode bulldozer furtif dans un paysage dont les poils se hérissent, dont les sons se taisent soudain pour mieux guetter l’apparition, au coin de la rue, de la bête menée par sa boite auto en mode rampage. Dans l’habitacle en général, et au volant en particulier la moyenne d’âge est trop basse pour que quiconque ait pu reconnaître la paternité de ce passager qu’on ne ramène probablement pas à la maison pour qu’il y prenne un bon goûter avant de s’installer à son bureau pour y faire, studieusement, ses devoirs. Il y a une autres école que l’école, et son bus scolaire peut prendre la forme d’une Classe E chaussée de jantes de sept lieues.
Dans le métabolisme de l’automobile tel que l’évolution l’avait jusque là constitué, le son faisait clairement partie de la chose. Parce que son mouvement était fait d’explosions enchainées, de plus en plus rapides, précises, efficaces, sa nature était intrinsèquement liée à sa propre signature sonore, au point que les ouïes exercées, comme celles de ces soldats reconnaissant à l’oreille l’approche d’un projectile, ou bien son éloignement, baissant ou relevant le casque selon cet instinct tout droit dicté par le tympan, sont capables de reconnaître un douze cylindres à plat, un refroidissement à air, la présence d’un compresseur, la stridence d’un turbo, un six en ligne BMW, un cinq Alfa, un trois puretech, ou un rotor Wankel. Ceux qui n’entendent là que du bruit oublient que la bagnole est fille de cheval et de locomotive, qu’en ses gènes fusionnent le transport individuel du lonesome cowboy et le mouvement de masse du chemin de fer, qu’elle incarne tout ce que le monde industriel peut avoir de plus heavydemment pesant, dense, rigide. Que la tessiture de son moteur ait quelque chose à voir avec le cataclop des sabots et le Tchoum, tchoum-tchoum de la locomotive à vapeur, ça n’a en fait rien d’étonnant. Si les chiens ne font pas des chats, les pur-sang et les Pacific 231 ne font pas des oisillons muets surfant en mode mute sur les courants d’air. On doit voir à travers la carrosserie et le bloc qui l’anime la fonderie au coeur incandescent de laquelle on a coulé cet agencement de métaux. Et on ne déplace pas une tonne et des poussières lourdes de pure métallurgie dans un silence de monastère tibétain. La bagnole, c’est le tintamarre.
Pleurs et chuintements de dents
Que reste-t-il de cet orchestre quand le mouvement ne trouve plus son premier geste dans l’étincelle qui met le feu aux poudres au cœur de la chambre de combustion mais dans un flux sans fin, et donc sans début, d’électrons s’écoulant à haut débit des batteries vers les roues, quand ces intermédiaires industriels installés comme une les machines-outils d’une usine entre le moteur et les roues, le volant moteur, l’embrayage, la boite de vitesse, la transmission, les cardans, autant de dispositifs interposés, jouant chacun un rôle qu’on est capable de se figurer, sont remplacés par la fluidité sans obstacle d’une puissance liquide et invisible s’écoulant via des cables, encore plus abstraits qu’une tuyauterie, mettant en branle les roues sans qu’on parvienne à voir comment elle le fait ? A strictement parler, de cet orchestre ne reste qu’un vague écho. Comme si la tonitruance qui avait accompagné l’histoire de l’automobile, faite de détonations, de pétarades, de crashes, de coups de klaxon, de sirènes beuglant à s’en époumoner le compresseur leurs notes déformées par l’effet doppler, devait soudain être stoppée net par la main du chef d’orchestre et laisser place à un vide que ne connaissent même pas ceux qui sont sourds de naissance. Car nous avons la mémoire de cette vie mécanique, et pour ainsi dire nous l’attendons. Nos boites crâniennes sont comme autant de caisses de résonnance accoutumées au sound & vision du spectacle automobile : à chaque passage d’une bagnole les neurones attendent leur dose de décibels. Plus que ça, au passage d’une grosse cylindrée ou d’un moulin compressé, le corps tout entier veut son shoot de secousses, les impacts corporels, bien profond dans les os, s’enfonçant à travers le cartilage jusque dans la moëlle pour la malaxer comme le ferait un marteau piqueur percutant au ralenti chaque cellule d’un métabolisme qui se mettrait à vibrer tout en chœur, au point d’envoyer dans le cerveau des images que l’âme, où qu’elle se trouve dans la chaine de montage de nos jouissances, considère en vrac comme belles, sans discernement ni censure, sans hiérarchie ni tabou ; et on sait bien ce qui nous vient à l’esprit. Quelque chose en soi a soif de se faire piétiner la cage thoracique par les sabots d’un troupeau de mustangs, se faire labourer les entrailles par les essieux innombrables d’un train de marchandises bien trop lourd pour être freiné pour si peu, servir de sac de frappe à Jake Lamotta alors que tourne en boucle dans son cerveau la question « He fucked my wife ? », se plaquer le torse contre les enceintes d’un show de Iron Maiden et attendre, ainsi ligoté devant 100 000 métalleux, que Steve Harris frappe sa première corde et que les ondes porteuses de sa de sa Fender Precision plongent leurs doigts de bûcheron au sein des trippes, au fond des poumons, dans tout ce que le corps peut comporter de plus inconnu, aux autres et à soi-même. Dans le fond, on veut que ça tape, que ça cogne dur, que ça tabasse sévère, que ça nous refasse le portrait, mais de l’intérieur.
Alors, une AMG sans explosions, c’est une perspective qui nous laisse un peu de marbre. Comme si soudain on était privé d’un de nos sens, et pas des moindres. C’est comme regarder Titanic sans le son et voir, façon carrosse citrouille, le navire redevenir maquette. Le charme vénéneux n’opère plus, l’appetite for destruction est déçu, la soif de catastrophe reste sur sa faim, animal triste qu’aucune viande ne vient plus rassasier. L’AMG amputée de ses cylindres, c’est le fauve qu’on condamne, pour le restant de ses jours, à n’être plus que végétarien, le chat sans les griffes, le walking-dead sans la mâchoire, le tunnel concluant North by Northwest, sans le train de voyageurs qui s’y enfile.
Et pourtant, on a beau s’appeler AMG, il faut bien passer de la percussion à la fluidité, des bacchanales métallurgiques aux liturgies électriques psalmodiées en mode messe basse par des cables haute tension, du rugissement aux pas feutrés bref, du moteur à la batterie. Forcément, du côté de la comm’, on ne sait plus trop à quels saints se vouer. Si les bagnoles classiques étaient les temples secrets au cœur desquels on s’agenouillait devant Arès, Dieu de la guerre certes mais surtout du boucan engendré par le choc des armes, le crash-test des projectiles, les hurlements des amputations à vif, l’automobile électrique ne sacrifierait même pas un rétroviseur à Crepitus, dieu des pets et des flatulences, elle qui, même pied au plancher, accélère en ne faisant pas plus de bruit qu’un simple vent. Et on sent bien que le service marketing a un peu de mal à nous vendre le concept, les bras ballants devant cette ironie de l’histoire : il n’a jamais été aussi facile de produire des voitures incroyablement puissantes ; et pourtant il n’a jamais été aussi difficile de faire percevoir cette puissance aux badauds, et aux clients potentiels.
Dépasser l’entendement
Dans la deuxième moitié du 20e siècle, Gûnther Anders avait discerné ceci, au cœur des processus industriels (et on parle ici aussi bien de la production telle que le capitalisme la conçoit et la met en oeuvre, que des camps de la mort, ou du principe même des bombes atomiques) : leur puissance est telle qu’on ne peut la figurer que sous la forme de chiffres qui ne correspondent, en nous, à aucune image. Savoir qu’une tête nucléaire aéroportée française déploie 300 kt de puissance n’a pas grand sens, dans la mesure où ce sont 12 kt qui se sont abattus sur Hiroshima et qu’on a un peu de mal à imaginer ce que ça peut donner, 25 fois Hiroshima. De la même façon, savoir qu’une Ionic 5N revendique 650 chevaux ne provoque pas grand chose, tant le gap avec les puissances connues jusqu’à aujourd’hui, et la façon très peu palpable dont ce potentiel se met en action, empêchent de se représenter mentalement ce à quoi de tels chiffres correspondent en réalité.
Puisqu’on ne peut pas former d’image de la chose, on mise tout sur les ressemblances. Après tout, si tout ça n’est qu’électricité, donnons à voir celle-ci de la seule façon qu’on connaisse déjà : l’éclair qui zèbre le ciel, le flash de la lampe à incandescence, l’arc électrique reliant deux bornes tellement tendues l’une vers l’autre qu’elles n’attendent que ça, la première occasion de décharger leur flux d’électrons dans l’atmosphère, la foudre qui tombe et électrise tout ce qui se trouve dans le périmètre de son impact, tuant et donnant vie à la fois. Dès que le marketing veut mettre en scène la puissance électrique, la lumière de la publicité clignote comme un sapin de Noël. Les néons hésitent à s’allumer pour de bon, oscillant entre les deux seuls états qu’ils peuvent connaître ; par les fenêtres on devine, dehors, le temps orageux. On baisse un peu la tête, de peur qu’un tir en rase-motte de Zeus nous scalpe sans prévenir, on n’aimerait pas devenir un simple dégât collatéral dans le désordre climatique qui, simultanément, contraint les constructeurs automobile à faire preuve de bonne volonté, et sert de décor aux nouvelles productions, faisant mine de sauver la chèvre et le chou dans un contexte où la nécessité de devenir raisonnable est finalement un bon prétexte de ne pas l’être du tout.
Mais voila, tant qu’à perdre tout sens de la mesure, il faudrait quand même que ça se voit un peu. Qu’à cela ne tienne : associons la bagnole électrique aux puissances déchainées d’une nature en roue libre. Et peu importe si, en réalité ces éléments sont d’autant plus déchainés que nous ne sommes pas raisonnables dans le rapport que nous entretenons avec l’écosystème qui nous abrite. Rassurons nous : la nature humaine aussi, est dans la nature. Et elle aussi revendique son droit à se déchainer.
Thunder my thumb
Si Lamborghini a souvent lié ses productions classiques à l’univers volcanique, façonnant ses productions dans les forges d’Héphaïstos, injectant dans nos pensées l’image de machines coulées directement dans les coulées de lave de l’Etna, fondues brut de décoffrage à partir de magma en fusion comme si ces modèles étaient faits d’acier naturel, on voit la marque hésiter un peu au moment de donner une identité à son futur SUV monospacisant, le Lanzador. Alors, dans le film de présentation, on accumule un peu tout et n’importe quoi : son lot d’éclairs, comme il se doit, et une tempête de poussière, mais aussi la ville contemporaine, faite de blocs et de tours, les engins de conquête spatiale et encore, la robotique humanoïde, l’atelier d’artiste, des enfants un peu figés dans la rue, une cantatrice lançant sa voix dans une salle d’opéra vide, puis un circuit, avec ses vibreurs rouge et blanc, un tunnel (ah… les tunnels…), des caresses sur la carrosserie puis, de la pluie sur les vitres, de la poussière soulevée en roulant à pleine vitesse sur une piste en rase campagne, du vent, de la roche en suspension, du tonnerre ; des éclairs dans le ciel, et des éclairs inscrits dans le sol aussi la route, parcourue à très haute vitesse alors que dedans on est tranquille, on est peinard, le bras sur l’accoudoir, on jette un coup d’œil narquois au spectateur, parce qu’on sait qu’on lui est définitivement supérieur et que, dans le fond, on le méprise un peu : ceux qui s’achèteront vraiment un Lanzador ont mieux à faire que regarder des spots de promotion pour leur propre bagnole. Dans le prix de vente est compris ce service pas banal : les publicités sont créées pour que les autres, les pauvres, regardent le produit sur leur écran. Quand on arrive à cumuler autant de signes divergents en moins de deux minutes, c’est qu’on navigue à vue au sein de son propre produit, et qu’on ne sait pas très bien comment on va bien pouvoir le vendre.
Chez AMG, on a les idées un peu plus claires. La stratégie est clairement celle du foudroiement. Dans l’Evangile selon Saint Luc, Jésus prononce cette parole un peu énigmatique : « Je voyais Satan tomber comme l’éclair ». Dans le spot réalisé par Maik Schuster, l’œil du spectateur se trouve précisément installé au cœur de cette foudre qui fond vers le sol, frappant le toit panoramique d’une Mercedes-AMG EQS 53 4MATIC+, la pénétrant pour mieux la posséder, corps et âme. Qui n’a pas déjà imaginé l’étincelle de vie entre les index tendus de Dieu et d’Adam ? La foudre est question de vie ou de mort. Tombant sur une berline jusque là inanimée, il est naturel qu’elle lui offre son premier souffle, ses premières contractions. L’illumination est immédiate, la mise en branle instantanée. Aucune attente, aucun délai, parce que l’électricité se passe de tout intermédiaire. A strictement parler, cette façon d’engager directement la puissance dans le mouvement pourrait définir, exactement, ce qu’on appelle la jouissance. C’est le plaisir sans désir du jardin d’Eden, la satisfaction telle qu’on la connaissait avant de devoir manger à la sueur de son front, et enfanter dans la douleur. On n’a même pas le temps de prendre conscience du manque, qu’il est déjà satisfait.
Dans ce spot, l’électricité est en libre service, présente en chaque être, en toute matière. Elle tombe du ciel, illumine les calandres, trace au plafond des tunnels des perspectives tendues les unes vers les autres à l’infini, convergeant vers un horizon éternellement propulsé plus loin encore, toujours en quête d’un vanishing point dans la ligne de mire. Ruée vers l’aurore, elle se love dans la paume de la main, électrisation statique effleurée du bout des doigts, elle signale la trajectoire de l’engin dans la nuit, traçant derrière lui un sillon rouge qui déchire le paysage dont les repères luminescents sont eux aussi étirés en vecteurs de force par le balayage du regard alors qu’on essaie d’accommoder la vue sur ce projectile trouant la nuée ; on croit un instant voir double avant de réaliser qu’une EQE 53 4MATIC+ s’est jointe au mouvement, s’appliquant à décrire des courbes exactement parallèles aux arabesques tracées par son vaisseau amiral. Deux étoiles jumelles propulsant leur masse dans leur univers, signalant leur présence bien plus loin encore en projetant leur signature photonique dans l’hyper-espace. De l’autre bout du monde, depuis la toute fin de celui-ci, on n’y verrait que du feu : ultimement, il est difficile de faire le tri entre les cavaliers de l’apocalypse et les dieux créateurs. Irradié par l’arc électrique, le cerveau devient extra-lucide, il voit le tout dans tout, il synthétise la complexité de l’univers en quelques schémas connectant entre eux les neurones antipodes, fusionnant les hémisphères comme si on déversait dans la boite crânienne une louche de lave encore ardente.
Electrochocs
Maik Schuster fragmente l’image et le son, il hache finement tous les mouvements, les découpe en fines lamelles afin de leur retirer leur fluidité et les restituer ensuite sur l’écran selon le rythme saccadé du crépitement électrique. Comme si le temps, qui est la véritable dimension de tout déplacement, devait être redistribué à l’image pour qu’on prenne conscience de ce qui se joue vraiment, derrière l’apparente fluidité de la translation. Si le principe intime de l’automobile électrique est abstrait, Schuster lui donne de la matière, il l’expose sous forme de sensations esthétiques, de perceptions tout à fait physiques, comme si les très hautes tension qui transitent à travers ces AMG devenaient perceptibles, irradiant les habitacles luxueux jusqu’à cramer l’image elle-même, saturée par ce rougeoiement, carbonisant les capteurs d’image. On pense un peu en regardant cet Electric Thrill à la façon dont Peter Tscherkassky déconstruit le temps cinématographique pour le reconstruire ensuite dans ses films expérimentaux; et on n’est pas très étonné de retrouver dans ceux-ci le motif du train dans L’Arrivée (1997), puis à nouveau dans Train again (2021), et celui de la bagnole dans Get ready (1999), garée en bord de mer, et plus encore dans Manufaktur, dont le second plan contemple l’image altérée d’une 911 masquant à moitié une Beetle à l’arrêt, avant que déferlent sur l’écran le mouvement automobile redistribué comme un jeu de cartes dont on s’ingénierait à reclasser chaque photogramme sur une planche contact qu’on balaie du regard sur le banc de montage. On passe le mouvement au scanner du regard, photogramme par photogramme, on les replace l’un à côté de l’autre pour les faire se succéder à nouveau, scrutant l’interstice de temps entre chacun d’entre eux, comme si c’était là, au cœur du temps, que se glisse un secret qu’on ne pourrait saisir nulle part ailleurs. C’est comme ça, après tout, que dans The Fabelmans (2023), le jeune Spielberg met en scène le secret de sa propre famille, qu’il révèle à son public le mystère de sa propre filmographie tout en montrant à l’écran la matière même dont est fait le cinéma.
Montrer la matière même dont est faite l’automobile électrique, c’est un des enjeux de son acceptation, et de sa commercialisation. Ca passe par la mise en scène de la machine elle-même, et ce n’est sans doute pas un hasard si l’avènement de la voiture à batteries est contemporain de la recherche de signatures lumineuses aisément identifiables : il s’agit de montrer de la façon la plus directe qui soit de quelle nature est l’énergie qui l’anime. Mais il y a une dimension que les designers et le marketing peinent encore à investir pleinement : la présence sonore. Sur les films de promotion, la question est facilement traitée : la musique remplit le silence. Ici, la mise en sons du film de Maik Schuster, composée par Daniel Junior Thibaut, organise dans les oreilles les phases d’électrisation, et les moments d’accalmie, qui sont comme autant de reprises du souffle. Ca sonne comme une respiration artificielle, des plages de pur rush cinétique, comme une stridence passée au ralenti, une excitation de tout le système nerveux faite de microdécharges traversant le corps, avant que le mouvement fasse une pause et qu’on recharge les batteries. Comme la mise à feu successive des étages d’une fusée, propulsant par accélérations progressives le projectile plus vite, plus fort, comme – et c’est là une forme de paradoxe – si on avait besoin, encore, de ressentir la mise en oeuvre d’une telle puissance sous la forme de paliers successifs en imitant la façon dont les anciennes boites de vitesse organisaient la montée vers le plaisir en un enchainement de rapports, de démultiplications.
Les automobiles électriques pouvant difficilement se déplacer en musique (on se souvient du prototype de la Fiat 500 qui fredonnait l’air d’Amarcord, de Fellini, composé par Nino Rotta), il faudra bien qu’elles occupent l’espace sonore autrement. On est à moitié convaincu par les sonorités actuelles, évoquant la translation douce de vaisseaux spatiaux dans l’éther cotonneux d’un espace froid. Le film de Maik Schuster ébauche d’autres pistes sonores. Le crépitement, le grésillement, on pourrait imaginer le son du court-circuit qu’accompagnerait l’odeur du plastique commençant à fondre, le cliquetis du tube néon qui s’échauffe avant de resplendir, mais aussi le bruit caractéristique que font les transformateurs urbains capables d’alimenter un bloc d’immeubles tout entier,
Vigilance orage
Un jour, les potes de mes élèves viendront les chercher à la sortie des classes dans une berline Mercedes de 658 chevaux dont le capot atrophié ne dissimule même pas une paire de cylindres. On devinera son approche à l’oreille, en percevant le grondement d’un orage qui couve résonnant depuis le bloc d’immeubles deux rues plus loin, le craquement identifiable de l’éclair qui déchire l’atmosphère juste après le carrefour, puis, au moment où l’AMG passera devant l’arrêt de bus où on patiente sous la pluie, plaquant d’un coup de pied droit brutal la pédale au plancher pour faire se cabrer les presque trois tonnes de la bête une fois ses cinq places occupées et arracher l’équipage à l’inertie qui devrait le clouer à l’arrêt, le tonnerre qui éclate, la décharge qui saisit et s’empare du corps pour le traverser de part en part alors que les doigts se referment résolument sur le cable haute tension.
Passant du culte de Vulcain à celui de Jupiter, la bande d’influenceurs locale indiquera au voisinage qu’une puissance nouvelle vient d’arriver en ville, faisant fuir les passant. Finis les roulements de tambours, bonjour les signes avant-coureurs d’une nature sur le point d’exploser. En échangeant le déluge d’explosions contre la fulguration des tirs balistiques de Zeus en personne, en troquant le tonnerre mécanique contre la crémation électrique la bagnole sait, d’une façon ou une autre, cultiver son art de la mise en scène. Avant même que le rideau se lève sur son apparition au coin de la rue, elle se donne les moyens de nous faire savoir qu’elle est en approche, que sa puissance déferle au ralenti vers nous. Nos oreilles se dressent soudain, notre pilosité se hérisse toute en chœur. Le corps raidi par l’appréhension, les surrénales essayant de construire des digues d’adrénaline pour ne pas être submergé par la vague de stress pré-traumatique qui inonde tout ce qui peut l’être en nous, veines, artères, moëlle épinière, corps caverneux, substances spongieuses, on se sent comme paralysé, mimant par instinct la mort pour que la bête-fauve nous confonde avec le mobilier urbain et ne nous foudroie pas de son simple regard avant de planter sa mâchoire faite d’électrodes au beau milieu du mollet. On sent la rue entière devenir conductrice, le goudron fondre comme la gaine de plastique autour d’un cable en surchauffe, on tient les mains à distance respectueuse de tout ce qui pourrait être, dans le paysage, métallique. Juste derrière l’angle de l’immeuble, la centrale électrique badgée AMG lance un dernier signal d’alerte, sous la forme d’un grondement magnétique.
Pas la peine qu’elle en rajoute. On sait qu’on ne va pas y échapper. On est au courant.
Franchement, un blog est un blog et peut peut être se suffire à lui même, et il y en a plein d’autres probablement de par le monde de qualité; mais avec les contacts que cela génère sur les réseaux sociaux, personne n’a pensé à te mettre en contact avec un éditeur pour je ne sais pas faire une sélection et éditer un beau bouquin (pour les fêtes?). Je veux pas faire le flagorneur, et je suis le plus souvent critique tout le temps et partout, à fortiori donc pour dire ici que tes textes sont d’une qualité qui justifieraient d’être édités….sans besoin d’expliquer pourquoi, ils parlent d’eux même, et sont un axe d’exploration toujours original et suffisamment personnel pour pouvoir parler d’un auteur. J’arrête là; mais bon, ça a peut être déjà été envisagé….et si non mériterait évidemment de l’être!
mon commentaire c’est envolé ou bien? Je me/te posais la question de savoir si tu avais approché des éditeurs pour un recueil de tes meilleurs textes; ou si on t’avais incité à le faire….Un blog est un blog, plus ou moins de qualité, avec ce que cela comporte de commentaires éphémères, mais là je trouve que le tien mériterait largement d’être fixé sur support papier avec les belles photos qui vont bien. Evidemment d’autres y ont forcément pensé avant moi donc je me demandais si cela avait été tenté. La difficulté serait même qu’il y aurait trop de matière, et seul un vrai spécialiste pourrait s’atteler à la tâche de savoir quels textes mettre en avant parmi les centaines déjà disponibles. Rien que ça serait compliqué, quand les mettre tous serait j’imagine impossible.
Ou bien, serait un choix de ta part de rester dans ce format « démocratique », sans chercher à laisser une trace sous forme de « beau » livre, même si on y pense au moment des fêtes.
En résumé, la question serait: si ce sont des textes d’un auteur, est il en droit d’être édité? Normalement la réponse serait oui.
Pardon, j’ai délaissé l’ordinateur quelques jours, et à la reprise j’ai découvert que j’avais été inondé de commentaires (des centaines) qu’il a fallu que je trie un par un. Que des tentatives d’arnaques ou des prises de contact un peu louches. Restent les deux tiens !
L’édition est une tentation. Mais je ne fais rien pour. J’ai un blog de philosophie, pour mes élèves, ça a dû mettre une grosse dizaine d’années pour qu’une rédactrice en chef me contacte afin de collaborer, et ça fait maintenant des années que j’écris régulièrement pour sa revue. Je me dis que si un jour un rédacteur en chef ou un éditeur est intéressé par mes textes, il me contactera de la même façon. Il n’y a ni urgence, ni nécessité. En réalité, internet est un territoire d’édition et, sans y tenir à tout prix, j’aime bien l’idée de la gratuité. Il se trouve que sur le terrain de la philosophie, la revue dans laquelle j’écris me laisse toute liberté d’écriture, et nous travaillons vraiment en confiance. Mais j’ai conscience que de telles conditions d’écriture sont rares. Et dans l’édition automobile les choses me semblent tout à fait contraintes. Si un jour la possibilité de faire quelque chose de beau se manifeste, je ne dirai pas non !
Merci en tout cas pour cet encouragement 🙂