Zootrope

In Concepts, Design, Matthias Hossann, Peugeot Inception
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Inception est le nom donné, dans le film éponyme, au principe consistant à implanter dans un esprit une idée, une forme, qui sera prise par celui qui l’aura en tête pour une intuition, quelque chose qui vient de lui.

Tel est le rôle des concept-cars : installer en douce quelque chose qui fera son bonhomme de chemin dans les méandres de nos pensées, poser là une instruction qui se contentera d’attendre son jour et son heure ; alors, nous serons mentalement prêts pour que se déploie une forme nouvelle, à laquelle nous aurons été préparés. On peut mesurer l’efficacité d’un concept-car à la réponse qu’on peut donner à cette question : Qu’est-ce qu’on a dans la tête une fois qu’on l’a vu ? A ce titre, Inception est archétypal, jusque dans son nom : depuis que notre regard s’est posé sur lui, on regarde les habitacles du présent comme s’ils appartenaient déjà au passé.

Voila comment ça se passe : je roule au quotidien en 208. Un modèle de la génération actuelle, électrique. Et vraiment, j’aime cette voiture, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Je ne me relève pas la nuit pour aller la contempler mais je suis à deux doigts ; je me surprends encore à en apprécier les volumes, les lignes qui tendent son profil, la façon dont les formes s’articulent autour des ailes arrière. Et il ne s’agit pas seulement du jugement subjectif de celui qui pense que parce qu’il l’a achetée, sa voiture est la plus belle du monde. J’ai roulé en Prius II, et j’ai apprécié le fonctionnement de cette voiture mais jamais je ne l’ai trouvée physiquement séduisante, alors que cette 208 me remplit vraiment de joie dès que je la regarde. Mais il y a un angle sous lequel je l’apprécie tout particulièrement, c’est le moment où je jette un coup d’oeil dans l’habitacle alors que ma main droite actionne la poignée pour ouvrir la portière. La vue plongeante sur le petit volant noir, positionné bien bas sous l’affichage 3D du combiné d’instruments me fait toujours le même effet. Tout en sachant que certains sont un peu allergiques à l’i-cockpit, et tout en reconnaissant que dans un petit modèle comme la 208, mon mètre quatre-vingt cinq doit un tout petit peu se contorsionner pour se glisser entre le siège et le volant, je ne changerais désormais de disposition pour rien au monde, et le simple fait, dans les voitures de location, de devoir regarder le compteur à travers la jante du volant me semble relever d’un archaïsme total, auquel tous les systèmes de projection tête haute ne changent pas grand chose : tant qu’à installer les informations au-dessus du volant, pourquoi les diffuser aussi, de façon parfaitement redondante, un étage en-dessous ? Dès sa présentation sous forme de prototype, la disposition inaugurée par Peugeot m’a semblé correspondre, exactement, à l’idée que je me faisais de la bonne organisation des instruments de conduite dans un habitacle. Sauf qu’avant de découvrir l’I-cockpit je ne savais pas quelle forme avait cette idée, et que c’est Peugeot qui me l’a apprise.

Mine de rien, c’est ça qu’on attend d’une équipe de designers. Qu’ils nous révèlent ce qu’on a en tête sans le savoir encore. Qu’ils mettent une forme sur nos intuitions.

Mais du coup, depuis qu’on a vu les images d’Inception, c’est avec une petite touche de nostalgie que je jette mon coup d’oeil à mon petit volant noir au moment où je saisis la poignée, comme si bientôt cette forme allait relever d’un temps ancien, de cette période dont on dira « ah oui, c’était les années 10 et 20 ». Parce que l’ensemble formé par le Halo Cluster et l’Hypersquare s’annonce si proche de la réalité qu’on le voit déjà faire des appels de phare dans le rétroviseur, contraignant l’i-cockpit tel qu’on le connait à se rabattre sagement sur la file de droite, pour laisser passer son successeur. On sait déjà que l’Hypersquare ne va pas changer fondamentalement la position de conduite : ce volant se tiendra toujours bas, et on visera toujours les informations au dessus de sa jante – pour peu qu’on puisse encore parler d’une jante. Mais la forme, et donc la perception de l’objet n’est plus du tout la même. L’Hypersquare présente une surface très plane, beaucoup moins complexe que les volumes du volant Peugeot actuel. Ses contours sont très réguliers, sans décrochés, et les orifices qui permettent de le saisir sont eux-mêmes très purs dans leur géométrie. L’évidence, au premier regard, c’est que ce lien entre le conducteur et la voiture est plus lisse que ce qu’on connaissait jusque-là, plus épuré, et qu’il diffère de tout ce qu’on connaît chez cette marque jusqu’à aujourd’hui. A vrai dire, ce que j’appréhende un peu, par avance, c’est un changement radical de toucher. A priori, c’en est fini du cuir, de la souplesse de la jante entre les doigts. On peut craindre un contact similaire à celui d’un gamepad. Et dans mes rêveries esthétiques, j’aurais un peu espéré que ce soient les manettes de jeu qui tendent vers le toucher d’un volant, plutôt que l’inverse.

Digitalisation

S’il y a une petite appréhension à l’avant-veille de ce changement, c’est parce que l’ambiance semble changer, radicalement : l’Hypersquare a beau avoir été présenté, sous une forme extrême, dans le concept 9×8, il n’a pas une allure très sportive. D’une certaine façon, cette évolution accompagne le changement génétique que connait l’automobile alors qu’elle devient électrique : moins sauvage, plus éthérée, elle devient moins charnelle. Les sensations qu’elle distille ne sont plus celles des vibrations suivant le rythme des explosions synchrones sous le capot. On passe du martèlement au flux. Il est naturel que le lien entre le conducteur et la voiture suive cette évolution. La notion même de sportivité n’est plus au coeur de l’essence de ces automobiles : sur la gamme électrique de la 208, jusqu’à l’apparition du moteur de 115 Kw (ou 156ch) sur la GT, toutes les finitions étaient motorisées de la même façon, faisant de la 208 like une espèce de sleeper dotée, malgré sa dotation très modeste en équipement et en esthétique, d’un propulseur déversant 136ch dans les roues, comme le haut de gamme. La sportivité devient, dès lors, très relative, et l’apparence plus musclée d’une finition GT relève plus de l’histoire qu’on se raconte que d’une réelle propension à abattre des temps sur une montée de col.

L’Hypersquare est un peu le témoin de ce passage de relai, et une façon honnête de dire, esthétiquement, à quel point les temps changent dans l’univers automobile. Il entérine la disparition de la liaison mécanique entre les roues et le volant, le drive-by-wire prenant le relai de ce vecteur d’informations. On peut imaginer qu’on puisse simuler, sans doute de façon très fine, l’impression d’être en relation avec le goudron. Mais ce volant est, mine de rien, à l’automobile ce que le numérique est à la photographie : la perte du lien direct avec le réel, et l’entrée dans un monde de simulation.

Et on pronostique, par avance, que Peugeot comme toutes les autres marques devra, un jour, proposer quelque chose qui sera dans le monde automobile l’équivalent du retour du vinyle en musique, ou de l’argentique en photographie. Et si on s’amusait à faire des pronostics, on affirmerait volontiers que, chez les généralistes, c’est sur le terrain de véhicules très modestes qu’un tel marché s’ouvrira, peut-être sur le territoire défriché chez le cousin Citroën, par l’Ami. Quelque chose nous dit que chez Peugeot, le BB1 n’est pas encore tout à fait oublié.

You found another home, I know you’re not alone, on the nightshift

Ce qu’on sait de cet Hypersquare, c’est qu’il ouvre la voie à une configuration plus souple, à une personnalisation plus vaste, à un paramétrage plus adapté à chaque conducteur, mais aussi aux mises à jour promises par Peugeot pour ses prochaines générations de voitures. Passant de 15 à 25 ans, la longévité des modèles sera supportable par la possibilité, pour chaque véhicule, d’être updaté et upgradé tout au long de sa carrière. Ce volant paramétrable pourra donc bénéficier, toute sa vie, d’évolutions qui sont aujourd’hui étrangères aux interfaces figées que nous connaissons. C’est une nouvelle forme de relation à l’automobile qui s’ouvre, dès lors, rythmée par la découverte et l’appropriation progressive des nouveautés téléchargées entre deux parcours. On devine que la voiture pourra dès lors s’adapter aux circonstances, à l’état du trafic, au type de route parcourue, à l’humeur et à la condition physique de son conducteur.

En échangeant avec Matthias Hossann sur quelques détails des sketches du tableau de bord, on comprend par exemple que le passage de la conduite diurne à la conduite nocturne sera particulièrement soigné, l’ambiance de l’habitacle changeant du tout au tout selon qu’on roule de jour, ou de nuit.

Coup de Pouce

Ce nouveau dispositif reconfigure aussi le conducteur, dont les gestes sont nécessairement modifiés par cette nouvelle façon de saisir la voiture. On devine que la disposition des mains ne va pas être si différente de ce que nous connaissons déjà : les orifices sont répartis de telle façon qu’ils ménagent l’équivalent des prises dont nous disposons actuellement sur la jante d’un volant classique. Ce qui change finalement, c’est que désormais les pouces vont trouver à s’occuper.

En fait, c’est un peu comme si l’objet avait été dessiné autour cette prise en mains à laquelle nous sommes habitués. A partir de cette position, l’Hypersquare se dessine un peu comme l’iphone 5 se matérialisait, sur les publicités qui le révélaient, autour du geste simple d’un pouce parcourant la diagonale de la paume d’une main. Il n’est pas anodin que cette démarche de design aboutisse à une forme relativement proche du premier smartphone : un rectangle tactile. Peugeot, mine de rien souhaite imprimer dans l’habitacle automobile une révolution comparable à celle qu’a connue la téléphonie quand Apple s’est mis en tête de proposer à l’humanité des gestes, des usages, des habitudes renouvelés et, finalement, une vie nouvelle. On devine par avance que le reste de l’industrie automobile devra se positionner par rapport à cette configuration, certaines marques l’adaptant à leur propre culture, d’autres y résistant absolument. Mais ce qui se construit ici, sous nos yeux un peu écarquillés, c’est l’identité de la marque à très long terme.

La conduite au carré

Que restera-t-il de nos habitudes, qui constituent ce qu’on peut appeler la culture automobile ? Quelques « gestes héritages ». Une zone de mystère plane autour de la face cachée de l’Hypersquare, celle qu’on ne verra pas, et qu’on connaîtra du bout des doigts plus que du regard, de l’autre côté de ce volant. Il faut sans doute comprendre qu’il restera quelque chose des commodos actuels. Les photographies de l’intérieur d’Inception et les sketches permettent de distinguer des palettes derrière le volant. On devine que sur le concept, elles sont liées à des fonctions telles que les phares, peut-être au défilement et au choix des fonctions que les cerclages permettront de commander. On peut penser qu’une part des commandes, liées tout particulièrement à la sécurité, échappera au paramétrage, ne serait que pour des raisons réglementaires. Les gestes liés aux clignotants, par exemple, peuvent difficilement être profondément modifiés, dans la mesure où ils concernant la sécurité ; pour soi, mais aussi pour les autres. On ne peut pas imaginer un univers automobile dans lequel chaque constructeur cultiverait des habitudes radicalement différentes, auxquelles le conducteur devrait s’adapter à chaque location ou emprunt. Il faut donc s’attendre à ce que les premiers modèles déployant cette configuration soient invités à mettre un peu d’eau dans ce vin, afin de pouvoir être pris en main de façon immédiate.

Mais tout en conservant sans doute les habitudes liées à l’usage de l’index et du majeur, l’Hypersquare va donner du sens au fait que nos mains soient dotées de pouces opposables. Exploitant les gestes tels que le glissé, ou le clic, les surfaces internes des cerclages creusés dans la surface plane de ce volant vont donner accès à de nouvelles gestuelles, qui seront aussi bien intégrées à la conduite que les combos le sont par les joueurs de jeux vidéo. Ce qui est aujourd’hui une nouveauté deviendra une habitude, ce qui nous semble artificiel deviendra une seconde nature. Le grand avantage qu’a le fait de concentrer sous nos doigts ces commandes, c’est que nos phalanges sauront immédiatement où les trouver. Si on observe l’habitacle d’Inception, il n’y a plus ni commandes physiques, ni écran tactile au milieu de l’habitacle. Tout est sous les doigts du conducteur. La conséquence, c’est qu’il n’est plus nécessaire de chercher les fonctions des yeux. C’est autant de temps pendant lequel ceux-ci peuvent rester sur la route. C’est aussi autant de surface de tableau de bord débarrassée des écrans. On tient ici l’antithèse d’un intérieur de Mercedes contemporain.

Halo ? Is it me you’re looking for ?

Quand je regarde Inception, je suis forcément influencé par le discours de ceux qui l’ont conçu. La parole officielle met en avant l’Hypersquare, du coup le Halo Cluster semble passer un peu au second plan. Il peut y avoir deux raisons à cela : la première, c’est que ce cercle tenant lieu de combiné d’instruments soit un délire de designer qui n’aurait en réalité aucun avenir. Dans ce cas, il n’y a rien à en dire. Mais nous allons suivre la seconde piste, diamétralement opposée, en osant émettre cette hypothèse : et si ce Halo Cluster allait, en réalité, bien plus loin que ce qu’on en voit ici ?

Au pire, on va se tromper, mais on se sera noté quelques idées, pour plus tard. Si un concept-car peut tenter d’introduire quelques idées dans les esprits, un article peut tenter le coup, lui aussi.

Jusque-là, le Halo Cluster est le parent pauvre de la communication et du commentaire autour d’Inception. On pourrait dès lors croire qu’il sera abandonné dans la vraie vie. Pourtant, plus je regarde les sketches, plus je me dis qu’il apparait tout de même comme une sorte de développement naturel de l’Hypersquare, comme un prolongement esthétique et technique de celui-ci. Dès lors, si ce dernier est destiné à devenir réalité, il semble évident que le Halo Cluster le sera aussi. C’est du moins l’hypothèse qu’on va creuser.

Esthétiquement, cet affichage est une sorte d’écho à la quadrature du cercle développée sur le volant : un cerclage foré au beau milieu du rectangle formé par cette partie de la planche de bord. On reste dans les formes géométriques élémentaires qui dictent le dessin du volant, reportées à une autre échelle et dans une autre orientation plus loin, en direction de l’horizon. Tout ça est formellement trop cohérent pour être abandonné. Pour appuyer ce scénario, on peut tenter d’imaginer le nouveau volant devant un combiné conventionnel, et on réalise très vite que ça ne matche pas du tout. L’Hypersquare semble exiger une reconfiguration profonde de l’habitacle, tout particulièrement dans la ligne de mire du conducteur. Car si ce volant est une première surface d’affichage, il faut que le reste de l’instrumentation se mette au diapason de ce premier plan afin de former, à partir de lui, une perspective.

C’est à partir de ce point de départ que j’imagine ce que ne montre pas le concept, et ce qui me semblerait pourtant logique. Autant dire qu’on entre ici dans de la pure extrapolation et que les faits vont peut-être totalement contredire les suppositions que je vais former. Mais on va suivre ce filon tout de même

. A vrai dire, un des sketches de l’intérieur d’Inception m’a mis la puce à l’oreille comme on dit. Le voici :

Ce qui m’intéresse ici, c’est quelque chose qu’on perçoit sur les images dont on disposait déjà : le cerclage qui sert de combiné est incliné vers l’avant. Ce faisant, il se trouve dans l’alignement du regard du conducteur. C’est d’autant plus curieux que pour le moment, le commentaire officiel de ce dispositif consiste à voir en lui la possibilité d’afficher des informations destinées aux personnes qui se trouvent à l’extérieur de la voiture, un message de bienvenue, ou des signaux envoyés aux piétons. Mais avec une telle inclinaison cette forme jouerait moins bien ce rôle. Je préfère supposer que cet angle permet d’aligner, dans le regard du conducteur, les deux côtés de ce cercle. Evidemment, ça n’a de sens que si la partie la plus proche est constituée d’un élément transparent à travers lequel on pourra voir la face interne du cylindre, située plus loin dans la perspective. Mais après tout, c’est un dispositif transparent de ce genre, sur lequel vient se refléter l’image que voit le conducteur, qui permet d’obtenir l’effet 3D des i-cockpits actuels. On pourrait imaginer de nombreuses solutions techniques permettant d’obtenir ainsi un affichage en profondeur encore amplifié, partant de l’Hypersquare pour se prolonger loin en avant sur la jante intérieure de ce cerclage.

Le Cirque du Soleil

Cette intuition m’est venue en essayant de saisir quelles images le Halo Cluster convoquait dans mon esprit, à quels éléments culturels je pouvais le rattacher. Je voyais des collègues commenter cette partie de la voiture en parlant de moule à gâteau, de couscoussière et autres ustensiles de cuisine du même acabit, ayant tous en commun d’être peu valorisants. En creusant un peu, il me semblait que ce cerclage me faisait penser, moi, à la piste d’un cirque classique, au carrousel dans lequel évoluent les chevaux, à l’agora, à la scène des théâtres antiques, ou au zootrope dont on peut voir un exemplaire au musée de la Cinémathèque. Ancêtre assez lointain du cinéma, il s’agit d’une des premières formes de production artificielle d’images animées, jouant avec le principe de persistance rétinienne. Ecran cylindrique permettant la visualisation de sujets en mouvement, on regardait les images vivantes à travers des fentes pratiquées tout autour de la paroi, qui séparaient chaque image de la suivante, le cerveau se chargeant de relier le tout pour reconstituer la scène. je vois dans le Halo Cluster quelque chose qui pourrait être, à l’ère des écrans numériques, aussi spectaculaire que purent l’être les zootropes, les phénakistiscopes ou praxinoscopes du passé.

A vrai dire, plus je regarde ce cylindre, et plus il me semble insensé qu’il reste vide. Il se tient là comme une scène sur laquelle on attend qu’un spectacle soit donné. Sur ce point, il y a un type de mise en scène autour duquel tourne le design automobile depuis longtemps, sans se décider à passer véritablement à l’acte : l’hologramme. Des tentatives ont été lancées sur des concept-cars, chez BMW ou Volkswagen entre autres, très ponctuellement et sans lendemain : pour le moment, aucune n’a franchi le cap de la série. Il faut dire aussi qu’il y a là un pas décisif à franchir en matière de dématérialisation. Mais le passage à l’électricité est peut-être l’occasion de tenter un tel dispositif, et ce d’autant plus que Peugeot a déjà expérimenté les informations flottantes dans l’I-cockpit 3D ; on s’attend maintenant à ce que la marque creuse cette piste, et le Halo Cluster, dans toute sa dimension mystérieuse, nous incite à penser que quelque chose se prépare autour cette scène.

La Compagnie des spectres

Halo fait référence au jeu vidéo, dont il est un des titres les plus connus, tout en évoquant par proxinomie l’hologramme dont on se dit qu’il pourrait habiter cette scène circulaire. Curieusement, en regardant ce tube s’extraire de sa matrice on a en tête des images venues de la science-fiction, des sas s’extrayant de la coque d’un vaisseau pour établir un premier contact avec une espèce intelligente inconnue, une Stargate sobre et efficace, l’anneau en rotation du spaceship Kubrikien de 2001, on songe à des dispositifs artistiques mis en scène par Matthew Barney à la frontière de la technologie et des mécaniques sexuelles, on pense au déploiement de l’écran Grand Large devant le balcon du Grand Rex pour une projection XXL, on se souvient de Madonna, lors de son Sticky & Sweet Tour, chantant Devil would’nt recognize you enfermée dans un cylindre translucide dont la surface semblait intégralement faite d’images en rotation, à l’extérieur comme à l’intérieur, abolissant l’écran lui-même pour laisser, pleinement, place à la transparence et au mouvement.

Au milieu, la chanteuse, spectrale, présente et absente à la fois, image réelle cernée par les fluides numériques qui la baignent.

On imagine assez bien le relief de la route se déployant, telle une cartographie fantomatique, dans ce cercle magique, qu’on manipulerait du bout des pouces au creux des orifices de l’Hypersquare, dans des mouvements habiles et sensuels. On devine les bains de lumière qui pourraient émaner d’un tel anneau, les ondes gravitant au rythme de la musique, le rappel des informations importantes au moment où il est nécessaire qu’on en dispose.

S’y voir

On est curieux de voir comment il est possible, sur un tel anneau, de jouer entre le souple et le rigide, entre le plein et le vide, entre l’opaque et le translucide. On se demande quels sont les matériaux qui peuvent construire une telle planche de bord, désireux de voir ce que ça donnerait en pur métal, comme on peut l’entrevoir sur les sketches, tout en ayant envie de tenter d’autres formes de revêtements.

Bref, on s’y voit par avance, on se surprend à imaginer, déjà, les pouces jouant sur les surfaces tactiles, le regard tentant de s’adapter à la plage entière de la profondeur de champ, de l’Hypersquare jusqu’aux confins du Halo Cluster. Bref, on a déjà cette nouvelle gestuelle au bout des doigts, et l’image de ce tableau de bord en tête. Ce concept-car joue son rôle, il met en place deux trois éléments dans nos méninges, il pose les premières pierres dans nos pensées d’un édifice dont on n’a encore qu’une idée floue. Le jour venu, nous serons convaincus que les formes, nouvelles, qu’on nous présentera nous sont déjà familières. C’est comme ça qu’on crée de futurs classiques. Une force supérieure nous glisse des idées en douce, nous susurre des formes à l’oreille, tellement bas qu’on a l’impression que c’est une voix intérieure qui nous parle, que tout ça vient de nous. On a des visions. Notre cerveau est piraté au point d’être consentant voilà, nous sommes la cible d’une Inception.


La publication, sur le compte Instagram de Matthias Hossann, de sketches réalisés par l’équipe de designers ayant travaillé autour d’Inception, m’a permis de bricoler cet article focalisé sur l’intérieur de ce concept, et ce qu’on pouvait tenter d’y lire, entre les lignes. Au-delà du caractère informatif de ces visualisations, on apprécie tout particulièrement leur sens graphique, et on a envie d’applaudir et suivre le travail de Guillaume Daniel et Guillaume Lemaître, tant pour le boulot mené sur le concept lui-même, que pour l’évidence graphique dont ces images font preuve. On a là un bel exemple d’expression visuelle d’idées, et ça augure de réalisations passionnantes sur les voitures qu’on aura un jour entre les mains.

Mais il y a trois autres sketches, qui sont de nouvelles vues sur l’extérieur d’Inception, qu’il me semble intéressant de partager, en guise de post-générique final, avant que ce concept plonge dans les eaux profondes de la mémoire, pour resurgir dans quelques années sous la forme de modèles de production : trois vues de la carrosserie, un peu fantasmées évidemment, mais parlantes aussi, quant à l’expression que les futures Peugeot pourraient adopter. En particulier, ces vues permettent de porter un nouveau regard sur l’arrière de la voiture, dont les proportions sont très différentes une fois qu’on les regarde, ainsi, de plus bas. L’ensemble dégage une force contenue qui sied particulièrement bien à cette marque.

On doit ces sketches à Sébastien Criquet, l’un des concepteurs d’Inception. La liste des participants à ce concept est un générique de film dont on a envie de suivre, précisément, chacun des noms pour voir comme ce concept s’articule à leur propre trajectoire, et comment il infusera leurs travaux à venir. Deux vues sur cette forme nouvelle, cette allure redéfinie, cette façon d’utiliser l’histoire de la marque comme arc-boutant des voûtes à venir. Deux dessins qui témoignent d’une intention qui en dit long sur le caractère des modèles à venir, deux occasions d’observer encore un peu ce concept et réaliser que, décidément, il est ce genre d’objets dont on se dit quelque chose comme « C’est ça », ou bien encore « Bon sang, mais c’est bien sûr ! »

1 Comment

  1. ces sketchs de Maxime Blandin montrent, un peu malheureusement, la façon dont le concept si merveilleusement radical et aiguisé, va obligatoirement s’affadir pour peut être devenir un véhicule ou plutôt être intégré bouts par bouts dans divers véhicules. Si nouvelle 508 il y avait nul doute qu’elle aurait l’allure d’une new 505, qui aurait d’ailleurs peut être un succès fulgurant, mais probablement plutôt d’estime, et qui ne verra donc pas le jour.
    Si c’est intégré à divers modèles, la calandre biseautée pourra t’elle reprendre cette inclinaison inversée si spectaculaire, ou tout cela est désormais impossible avec les normes? Remise dans le « bon » sens, ou même verticale dans l’idée du Vizor, ne perdra t’elle pas tout son attrait ou une bonne part? Et à l’arrière également, peut être dans une moindre mesure. Toute la beauté de ce concept risque de s’envoler, en plus d’être vendu à la découpe!
    Finalement c’est à l’intérieur, suite à l’I-cockpit, qu’il y a des chances de retrouver le plus franchement les nouvelles idées, où personne n’ira reprocher à Peugeot de les avoir rendues réalistes et utilisables au quotidien sans trop de fautes ergonomiques.
    On aurait le paradoxe d’une auto futurisante dedans, et peut être, malheureusement édulcorée, adoucie, dehors. c’est un peu ce que ces sketchs laissent craindre.
    Est ce que M. Hossian a pu te parler de cette interrogation?
    Pour faire suite à une remarque sur un autre article, notre propension à adorer ce que l’on ne regardait même pas à l’époque de leur vente, j’ai pu admirer le passage d’une 305 rénovée dans un beau gris actuel il me semble, et quelle joie de voir cette voiture fine, légère et finalement élégante dans la circulation, ballerine au milieu des voitures obèses, comme si le fade crapaud de l’époque était devenu princesse ! Etonnant ce basculement du regard….

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