Vorace

In 308 III, Non classé, Peugeot
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Prequel

On connait l’histoire.

Un jour, au cours d’une expérience menée dans un laboratoire secret , une 308 II fut par erreur bombardée de rayons gamma. Sur le coup, on l’examina, et on pensa que rien de particulier ne lui était arrivé. On la laissa donc dans ce hangar toute une nuit. Mais le lendemain, quand les premiers employés arrivèrent dans le laboratoire encore obscur, ils crurent deviner une petite paire d’yeux intimidants qui les observait, et dans cette lueur, comme deux dents en forme de sabre qui les menaçaient. Et quand ils allumèrent la lumière, ils comprirent que les rayons avaient produit dans la 308 un changement profond de son métabolisme : ses épaules s’étaient développées, elle semblait avoir pris de la masse musculaire, son allure était presque menaçante, elle lançait un regard par en dessous, furtif, félin, comme un prédateur aux aguets. Sous sa peau désormais vert métal semblaient s’écouler des forces fluides et denses à la fois, des énergies multiples, les unes fossiles, les autres renouvelables, contribuant en joignant ainsi leurs puissances à mettre en mouvement cet être augmenté au cœur duquel on reconnaissait encore les traits de la 308 telle qu’on la connaissait jusque là, mais maintenant transfigurée, comme augmentée, incarnée dans un corps plus puissant, plus présent, plus sûr de lui.

Ainsi eut lieu la genèse de la 308 telle qu’on la connaîtra désormais. Celle qui serait à la 308 II ce que Spiderman est à Peter Parker, ce que Superman est à Clark Kent, Ironman à Tony Stark ; ce que Hulk est à David Banner.

Avant d’être blasés

La révélation d’un modèle qui a vocation à devenir très répandu est un moment dont il faut savoir profiter : la voiture est encore rare, et donc précieuse. Seuls ceux qui s’intéressent à l’actualité automobile la connaissent et encore, seulement de loin, en photo ou en vidéo, en texte aussi. Et on sait déjà qu’on passera des semaines à guetter son apparition dans la rue, et que la première fois qu’on la croisera, notre rythme cardiaque augmentera, on se collera un torticolis à vouloir à tout prix la suivre du regard jusqu’au bout du bout de la partie visible de sa trajectoire, comme si on profitait une seule fois dans sa vie du passage d’une comète dans le ciel terrestre.

Je me souviens encore de ma première rencontre avec une 306. C’était sur le quai Rambaud à Lyon. Presque sous le pont SNCF. J’ai reconnu de loin la silhouette déjà entrevue dans Autoplus, je me suis figé en la regardant rouler vers moi. Parce qu’elle était pleine de passagers en train de l’essayer en compagnie d’un concessionnaire, elle était bien posée sur ses roues, un peu tassée sur ses suspensions. Et au premier coup d’œil ainsi, je l’aimais, sans explication mais de façon évidente. Je ne réalisais pas alors que des 306 on en verrait rapidement partout, je n’imaginais même pas que j’en croiserais tellement que je ne me rendrais plus compte de leur présence, devenue banale dans le paysage automobile français.

Avec l’âge, on a davantage conscience du caractère très éphémère de la nouveauté. Quand on a vu apparaître la 308 deuxième du nom, on a aussitôt eu le pressentiment de son succès et l’intuition de sa rapide normalisation : très vite, on la croiserait sans même se retourner sur son passage.

La spécificité de la nouvelle 308, c’est peut-être cela : on a l’impression qu’elle ne sera jamais banale, qu’on se retournera toujours sur son passage. Parce qu’à la différence de celle qu’elle remplace, la nouvelle venue joue sur le registre du spectacle, du show, de la démonstration de force. Finie la discrétion de bon ton, adieu la bienséance de bourgeoise provinciale. La deuxième 308 aurait pu jouer dans une Chabrol, si Chabrol était encore là pour si bien soigner le casting automobile de ses films. La nouvelle trouverait davantage sa place à l’écran dans des films noirs, des polars contemporains, avec guerre des gangs, go-fast lancés sur des autoroutes à la tombée de la nuit, faisceau des phares matriciels rasant le bitume tels des lasers d’armes de précision.

Hybride, mais aussi hybrique

D’emblée, la 308 en impose. A vrai dire, elle en jette tellement qu’on se demande tout d’abord si elle n’en fait pas un peu trop. Parce que cette nouvelle génération impressionne immédiatement. Elle prend le regard à la gorge sans lui laisser aucun temps pour s’adapter. Et tout d’abord, on se dit que le propriétaire actuel d’une 308 va avoir du mal à s’envisager au volant de la nouvelle. On commence en effet à toucher à un style qui peut provoquer quelques inquiétudes en mode « Mais que vont penser les voisins ? »

Cette 308 est méchante, simplement. Hargneuse, menaçante, vindicative. Quand on l’aborde par l’avant, on a l’impression que dans son cahier des charges, il y avait des indications sur la frayeur ressentie par les autres conducteurs en la voyant débarquer dans le rétroviseur. Petit regard à la Sergio Leone main droite sur la crosse du flingue juste avant de dégainer et perforer l’autre duelliste ; dents qui raient le parquet, gueule grande ouverte, mâchoire prognathe dressée au-dessus de l’asphalte. Il y a, dans cette façon de traiter tout ce qui se situe en avant du pare-brise, l’expression d’une volonté d’insister sur le caractère très massif de la partie « mécanique » de la 308. Ainsi, le relief qui creuse le bas des flancs de la voiture s’évase vers les roues avant. Résultat, le profil de la voiture est allégé le long de l’habitacle, mais il s’épaissit au niveau du compartiment moteur. Cet effet est accentué par le capot lui-même très sculpté, et perché haut au-dessus des ailes. Le petit déflecteur présent sur le bas de caisse des versions GT, qui reprend ce truc que j’adore sur la 308 GT SW actuelle, en le poussant un peu plus loin puisque cette lame s’arrête à la moitié des portes arrière, ce déflecteur donc participe aussi à cet effet : alors que la partie haute de la voiture assoit celle-ci sur son train arrière, la partie basse la pose sur son train avant en épaississant la masse située entre le haut du capot et le bas de caisse. Au point que les roues peuvent sembler, par contraste, un peu trop petites. De ce point de vue, la gestion des volumes de la 308 est assez différente de la façon dont les masses sont traitées sur la DS4. Si celle-ci privilégie une forme de simplicité dans la lecture des formes, la 308 est presque difficile à cerner. Ses volumes sont très travaillés, additionnant les plans convexes et concaves, creusant la masse par endroits, la gonflant ailleurs, alternant les reliefs et les creux. Sa carrosserie est une sculpture, et certains détails le montrent tout particulièrement. Ainsi, la forme de la trappe à carburant en dit long sur la profondeur des reliefs qui sculptent ce corps qui invite à l’exploration visuelle, et même tactile. Certaines zones sont tellement complexes qu’on se dit, en les regardant en photo, qu’on n’en perçoit sans doute pas encore le véritable effet esthétique. Ainsi, les feux arrière, mis en scène de façon particulièrement spectaculaire, sont conçus comme de véritables pièces de verrerie, jouant sur leur effet de transparence, mais aussi sur leur propre volume pour se détacher de la carrosserie, leurs formes taillées en segments de droite venant répondre aux courbes de la tôlerie. Devant ce travail mené sur les reliefs, deux idées viennent en tête. Tout d’abord, on a envie de passer les doigts dans les interstices, de suivre de la paume de la main les courbes, les coups de gouge, les stries. Puis on revient à la raison, et on se dit que cette voiture ne pourra jamais être lavée avec des rouleaux. Et en fait, ça tombe bien : on ne le fait jamais.

Nouveaux horizons

Il y a quelque chose d’immédiatement séduisant dans cette apparition, et pourtant on éprouve aussi une étrange forme de déception. Peut-être est-ce le sentiment de quitter pour de bon Gilles Vidal, et de voir son influence s’éloigner un peu. On pensait que la 308 III serait son testament, son leg, le point culminant de son travail chez Peugeot, et on se dit que finalement, elle est peut être plutôt pour Peugeot le moyen de faire le deuil de son départ. A moins que son départ soit pour lui le moyen de faire son deuil d’une direction prise par le dessin, qui n’est plus tout à fait la sienne. On se souvient de la façon dont il décrivait la ligne Peugeot en la comparant avec la façon dont sont taillés les costumes italiens, avec une façon très nette de placer les lignes pour créer des tensions entre des surfaces subtilement arquées. Un peu comme on borde les voiles d’un navire. La nouvelle 308 rompt avec cette impression qu’on pouvait avoir devant le 3008 et la 508. Tout se passe un peu comme si au sein de PSA Stellantis, la répartition des rôles avait un peu changé : DS semble s’éloigner de l’univers un peu kitsch des fashion victims, catwalks, défilés de mode, haute couture un peu prétentieuse, et la DS4 fait justement un peu penser à la façon dont Vidal tendait la tôle sur la structure de l’auto. Du coup, Peugeot joue sur un autre registre, ne visant pas vraiment le créneau du luxe, mais plutôt cet espace qui existe juste en dessous, qui concerne ceux qui sont moins attirés par le style lui-même que par l’effet que certaines formes peuvent provoquer, sur eux évidemment, mais aussi dans l’esprit des autres quand ils regardent l’objet.

De toute évidence, l’acheteur de la 308 sera maintenant quelqu’un qui se soucie un peu du regard des autres. La DS4 est une voiture qu’on peut regarder pour elle-même, et on est dans un rapport personnel avec elle. Quand on la voit, on s’intéresse à la façon dont ses volumes, ses formes, dialoguent avec soi-même. C’est comme si le reste du monde était mis entre parenthèse et qu’elle invitait à une relation intime, indépendante de la présence des autres. La 308 semble provoquer l’effet inverse. Dès qu’on la voit, on spécule déjà sur l’effet qu’on va produire sur les autres quand on sera vu à son volant. On sent d’ailleurs que pour les acheteurs potentiels, il est important de lire les impressions exprimées sur les forums et les réseaux sociaux, car ils ont du mal à supporter qu’on n’aime pas la voiture dans laquelle ils rouleront. Alors qu’il me semble que par exemple, celui qui achète une Citroën ou une DS est plus indépendant du jugement des autres, et qu’il ne s’en soucie même pas.

Et cette histoire de regard a quelque chose à voir avec ce dont les forums ont parlé pendant plusieurs jours avant la révélation de la voiture. Un détail en même temps complètement secondaire et pourtant devenu absolument primordial dans les commentaires :

La Grande Affaire des Blasons

Et c’est vrai qu’en finition GT, des blasons, on en trouve vraiment partout sur la 308. Les quatre faces de la voiture portent le nouvel écusson, et beaucoup y ont vu une façon un peu prétentieuse de se comparer à des marques autrement plus prestigieuses. Et, de fait, le simple fait de choisir un nouveau logo qui prenne la forme d’un blason dit quelque chose. Mais soyons un peu plus précis : La forme de bouclier dans laquelle se trouvent l’arme (le lion) et le nom Peugeot, cette forme est ce qu’on appelle un écu. Et cet écu est le support du blason lui-même. Il n’y a plus beaucoup de constructeurs qui utilisent encore cette forme pour se signaler. Deux principalement sont connues pour le faire : Porsche, et Ferrari très principalement. Mais sur une Ferrari, le blason ne se trouve que sur les ailes, et encore on ne le trouve pas sur tous les modèles. Par exemple, il est absent de la Roma, alors qu’on le trouve sur la SF90 Stradale. A strictement parler, il ne représente pas Ferrari, mais la Scuderia Ferrari, d’où la présence, systématique il me semble, du S et du F parmi les armes de chaque côté du Cavallino rampante. On oublie un peu que Rover avait aussi pour logo un blason en forme d’écu, tout comme Cadillac aujourd’hui encore. Maserati, enfin, pose son trident sur un ovale qu’on peut considérer comme une variation sur le thème de l’écu.

Alors, est-ce que Peugeot se prend pour Ferrari ? Après tout, ça ne serait pas la première fois que la marque emprunterait quelques codes stylistiques à des constructeurs plus prestigieux qu’elle. Et souvent, tout le monde applaudit. Ainsi, on ne tarit plus aujourd’hui d’éloges à propos du très beau coupé 504 de 1969. Et c’est vrai qu’il est très réussi. Mais notons deux détails intéressants : sur son aile avant, en arrière de la roue, un logo, celui de Pininfarina, le même qu’on trouvait à l’époque sur le flanc d’une Ferrari 330 GT même si sur celle-ci il se trouvait en avant de la roue postérieure.

Et puis, sur le même coupé 504, les feux arrière, si typiquement « Peugeot »… qui sont pourtant ceux qu’on pouvaitt voir depuis plusieurs années à l’arrière des Ford Mustang.

Et parfois, chez Peugeot, on a des idées fixes : ça fait un moment que les modèles contemporains ont repris ce motif des trois lames de feux arrière, mais de nouveau, ce motif est repris à Ford, qui le propose aussi sur ses Mustang depuis qu’elles ont repris leur forme classique. Mais sur la 208 on trouve un détail supplémentaire : sur les versions haut de gamme, on retrouve les trois griffes lumineuses a l’avant. Mais on ne peut pas ne pas remarquer que, sur une autre voiture aussi on trouve ce signe distinctif. Et comme il n’y a pas de hasard, c’est de nouveua la Mustang, et ce depuis 2010.

De façon générale, il y a peut-être bien chez Peugeot une culture de la « bagnole » qui a pour effet qu’on retrouve dans des modèles parfois modestes des détails issus de voitures plus prestigieuses auxquelles le lion aime être associé, même si c’est à travers un simple clin d’oeil.

Friday wear

Mais pour en finir avec ces blasons, comme je le disais plus haut, la forme que prend le logo Peugeot est désormais celle d’un écu. Ces écus, dans le monde textile contemporain, sont devenus des écussons dont certains vêtements sont ornés. Les scouts aiment bien ça, ils en recouvrent leurs manches de chemise pour signaler à leurs semblables tous les talents dont ils ont fait preuve durant leur vie dans les bois. Les forces armées apprécient aussi ce genre de témoignage vestimentaire de leur bravoure. Et certaines marques ont repris ce principe, juste pour le style. Le petit problème, c’est qu’en produisant ce type de référence mentale, Peugeot rejoint certes une sorte de classe de produit pour lesquels ça importe, justement, d’atteindre une certaine classe, destinée à une clientèle qui, elle aussi, voit sa position sociale dominante comme quelque chose qui mérite d’être clamé au monde. Et ce n’est peut-être pas l’univers le plus classe qui soit.

C’est assez difficile de décrire l’effet que ça fait, mais heureusement la littérature est là pour dire ce qu’on n’arrive pas à dire soi-même. Dans L’Identification des schémas, William Gibson met en scène une héroïne, Cayce Pollard, dont le boulot consiste à débouler dans des bureaux d’étude, des studios de design où on lui présente ce qu’on veut évaluer, et elle se contente de dire « oui », ou « non ». Aucune explication, pas d’argumentation, juste un verdict fondé sur un goût considéré comme absolument sûr. A un moment, on la voit confrontée à d’autres personnes, et on la suit mentalement en train de jauger les vêtements portés par ceux qui l’entourent. Et ces gens portent beaucoup de Tommy Hilfiger. Or c’est exactement l’une des marques auxquelles je pense quand je vois qu’on commence à coller des blasons à droit à gauche : j’ai en tête ces polos bas de gamme qu’on trouve dans les supermarchés, couverts de patches, d’écussons divers et variés censés exprimer une sorte d’avalanche de reconnaissance et d’activités dédiées aux CSP++. Or ces polos imitent eux-mêmes des marques cosidérées comme plus prestigieuses, telles que Polo Ralph Lauren, Tommy Jeans ou, tapons directement dans la maison mère, Tommy Hilfiger. Et voici ce qu’en pense Cayce Pollard :

 » Tommy Hilfiger, ça ne rate jamais. Pourtant elle se croyait à l’abri, maintenant. À New York, on lui avait dit qu’il était en pleine dégringolade. Comme Benetton. Que le nom allait rester, mais pour elle, le poison serait dissipé. C’est une question de contexte, ici. À Londres, elle est prise au dépourvu. La réaction est instinctive. Comme quand on mord dans une feuille d’alu.
Un coup d’œil à droite, l’avalanche déboule. Une montagne de Tommy déferle dans sa tête.
Mon Dieu, mais ils ne savent pas ? Ce truc est un simulacre de simulacre de simulacre. Un ersatz dilué de Ralph Lauren, déjà reliquat de la gloire passée des Brooks Brothers, eux-mêmes tout juste à la hauteur de Jermyn Street et de Savile Row, agrémentant leur prêt-à-porter de maille polo et de galons de régiment. Mais Tommy, c’est vraiment le degré zéro. Le trou noir. Il doit y avoir un plancher Tommy Hilfiger, en dessous duquel on ne peut pas descendre. On ne peut pas s’éloigner davantage de la source, se vider davantage de sa substance. Du moins, elle l’espère, sans savoir. Elle suppose que c’est même exactement ce qui garantit la longévité de la marque.
Il faut qu’elle sorte de ce logorinthe, et vite. Mais l’escalator vers la rue la replongera dans Knightsbridge, qui n’a plus l’air si salvateur. Elle se souvient que la rue descend. Entraîne toujours son énergie vers cet autre nexus fatal : vous qui entrez chez Laura Ashley, abandonnez tout espoir. »

Mais il y a une logique dans tout ça : Peugeot veut, paraît-il, veut s’inviter au restaurant où mangent les plus grandes marques. Audi, BMW et Mercedes y ont chacune une table réservée. Peugeot veut la sienne aussi. Or, qu’est ce qu’Audi, si ce n’est le Tommy Hilfiger de l’automobile ? C’est à ce diapason qu’il faut se mettre si on veut concurrencer l’A3, la Classe A et la Série 1. Le bon goût, lui, sera compté parmi les victimes collatérales.

Et ce qu’on peut dire de la 308, c’est que dans le cadre de cet exercice un peu particulier, elle réussit plutôt son coup, d’autant qu’elle attaque chacune de ses adversaire sur leurs points vitaux : le motif de calandre fait immédiatement penser à Mercedes. Le profil évoque assez fortement la Série 1 première génération, (LA série 1 en somme), avec cette silhouette assise sur le train arrière, quand bien même la Peugeot est évidemment une traction, alors que la BM était bien sûr une propulsion, mais comme il paraît que la clientèle n’en sait en réalité rien, autant faire semblant, même si du point de vue du design ce soit pour le moins un principe discutable. L’intérieur, sur lequel on reviendra, évoque Audi, pour le meilleur, et pour l’un peu moins meilleur. Mais dîtes-donc, il ne manquerait pas quelqu’un dans ce club ? Où est passée la Golf, dont on disait qu’elle était la cible de la deuxième génération de la 308 ? Snobée. La nouvelle Peugeot ne la calcule pas. Elle la méprise ouvertement, préférant chercher ses références plus haut dans le gratte ciel social. Et de fait, stylistiquement, il va bien falloir qu’un jour une new 308 et une Golf last gen. soient mises côte à côte et, bon sang, la Volkswagen n’aura sans doute jamais aussi bien porté son nom de famille. Elle a le mérite de la simplicité, mais celle-ci commence à sentir bon le manque de recherche. Et il y a une évidence : ce qui est réussi dans la Golf 8, c’est ce qui vient de la 7. Et ce qui est raté, c’est ce qu’on lui a apporté.

L’art de la politesse

Reste qu’en réalité, limiter l’horizon d’ambition de la 308 aux trois marques premium allemandes serait un peu insuffisant. Il y a aussi dans ses volumes, dans ses équilibres un peu déséquilibrés, quelque chose qui fait penser à la compacte de chez Lexus, la CT 200h, entre autres sa façon d’être un poil trop épaisse par rapport à la taille de ses roues, et sa façon de déstructurer ses propres éléments, et en particulier ses optiques arrière.

Surtout, en matière d’horizon, on sent que la 308 est aussi dessinée pour laisser le champ libre d’autres modèles, d’autres marques du groupe, auxquelles elle ménage poliment une place. Maintenant, on peut considérer que la C4 a un espace devant elle : la 308 sera sans doute sensiblement plus chère que la Citroën, et PSA pourra ratisser un peu plus large, dans les différents pouvoir d’achat, mais aussi dans les différentes représentations que la clientèle peut se faire d’une compacte. De même, la DS4 se situe clairement dans un univers parallèle, et touchera d’autres personnes que celles que séduira la 308. Et on imagine même assez bien comment l’Opel Astra, qui partagera les mêmes dessous que la DS et la Peugeot, pourra elle aussi trouver une place dans cette équipe. Et cette place, c’est celle que la nouvelle 308 laisse partiellement vide.

On ne pourra pas faire le tour de l’extérieur, et c’est plutôt bon signe : tout ça est tellement soigné qu’il est probable qu’on pourra longuement regarder cette voiture sans s’en lasser. Probablement, certains jours, on l’aimera plus que d’autres. Parfois elle nous agacera un peu, parfois elle nous fera regretter une forme de sobriété que Peugeot entretenait jadis. Et certains jours on sera amoureux de ses excès. Ce qui est sûr, c’est que désormais, elle n’a pas vraiment d’équivalent sur le marché en terme d’impact visuel. Et dans un monde où il faut impressionner pour exister, c’est plutôt bon signe.

Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme

Reste l’intérieur, auquel on est presque tenté d’accorder moins d’attention. Pourtant, il mérite qu’on s’y arrête un peu. Evidemment, il est dans la continuité de ce que, mine de rien, la 308 II avait initié. Le combiné perché tout en haut est donc de la partie, et le petit volant aussi, qui est désormais chauffant. Et on peut remarquer ceci : tout en entretenant une ambiance qui se situe dans la lignée de ce que les modèles précédents ont dessiné, Peugeot continue à redéfinir une majeure partie des éléments qui composent l’intérieur de cette 308. Ainsi, le combiné d’instruments est spécifique à ce modèle. Et si on peut regretter la petitesse des écrans sur la C4 et la DS4, ici, il est de très généreuses dimensions. Mais la raison est simple : ici, il n’y a pas de projection tête haute, et c’est normal : un tel équipement serait parfaitement redondant avec le i-cockpit, qui est ici décliné comme sur la 208 en version 3D, mais avec un écran large. Comme sur la DS4 on trouve un écran tactile au milieu de la planche de bord, débarrassé si on veut du rappel de température sur les côtés (à quand une mise à jour sur 208, 508 et les SUV sur ce point ?). Mais la nouveauté consiste en un petit écran tactile supplémentaire qui se trouve juste en dessous, et sur lequel on peut paramétrer des raccourcis, parfois très précis (l’appel de tel contact, la navigation vers telle destination). Visuellement, ça le fait, ergonomiquement, ça complète les petits toggle switches qui se trouvent en dessous, discrets mais répondant à l’appel dans la liste des éléments qu’on est désormais censé trouver sur une Peugeot.

On parle tout de suite du truc qui fâche dans cet intérieur ? Tout le monde le voit. Et à vrai dire il est même possible qu’on ne voit que ça : cet écran n’est pas, comme sur les autres modèles Peugeot, simplement « posé » sur la planche de bord, ou planté dedans. On a voulu l’intégrer davantage, et du coup il fait corps avec une sorte de boitier qui se trouve derrière lui. Et je ne sais pas quelles raisons conduisent à cette situation, mais l’espèce de raccord triangulaire en plastique laqué noir, qui fait la jonction entre le bord droit de l’écran et la planche de bord est tout simplement indigne. Et ce détail est juste en plein milieu. Le passager, lui, ne verra que ça, tout le temps. Il le verra d’autant plus que ce qui se trouve devant lui, une grosse masse en plastique un peu incurvée pour aller rejoindre le fameux écrans, semble être parfaitement dénuée de tout forme d’intérêt. Ajoutons que cette pièce qui borde l’écran semble jointer de façon un peu approximative avec la finition métal qui fait le tour de cette partie « écrans ». Bref, à ce niveau, ça va pas trop, et j’ai beau me dire « si on le voit, ils l’ont vu aussi, donc c’est forcément voulu », je n’arrive pas à reconstituer la chaine logique qui a pu mener à une telle situation. Le plus étrange, c’est que ce détail fait d’autant plus tâche que tout le reste semble vraiment réussi. Ainsi, on voit que Peugeot a bossé des trucs qu’on pouvait reprocher à d’autres modèles. Exemple ; sur la 208, les éléments en finition métal de la planche de bord produisent des reflets vraiment éblouissants les jours de grand soleil. Ici, la bordure métal qui longe toute la coiffe du combiné et court sur la largeur de la planche de bord est dans une finition mate qui devrait limiter cet effet indésirable. Idem pour la commande d’aides à la conduite, qui migre maintenant sur le volant, et devrait être dès lors bien plus ergonomique. Enfin, la console centrale entre les passagers reçoit un beau traitement, et sans copier celle, maintenant archétypique, du 3008, elle propose elle aussi une impression quasi architecturale dans sa façon de ménager plusieurs plans dans l’épaisseur de ce meuble, jouant en même temps sur la superposition des surfaces et sur la mise en scène de la profondeur pour exploiter l’espace, répartir les fonctions, et procurer une impression générale qui correspond à celle qu’on pourrait chercher dans des modèles de taille plus grande, ou de marques plus exclusives.

On verra si la navigation dans les écrans est rapide, fluide, efficiente. Mais comme ça, visuellement, l’ensemble présente bien et on devine une ambiance nocturne très inspirée de ce qu’on imagine être les cockpits de supersoniques.

Un Nouveau monde

Derrière cette débauche de style, il y a deux risques. Le premier, c’est celui de la décadence. Et de fait, quand on voit la 308, on se dit qu’il y a une sorte d’arythmie avec ce que proposait le concept E-Legend. Celui avançait dans une grande pureté et simplicité formelle, et le moins qu’on puisse dire c’est qu’il ne reste pas grand chose de tout ça dans le modèle qu’on découvre ici. Ceux qui pariaient sur une face avant qui s’inspirerait du regard de ce petit coupé moderne et classique à la fois sont forcément un peu décontenancés (et pour être franc, je fais partie de ceux-là). Mais peut être que les esthètes charmés par le style du concept ne sont pas les clients capables de claquer une somme d’argent un peu déraisonnable pour s’acheter une compacte. Pour autant, on aurait dû être un peu plus attentif à ce que Peugeot nous disait à travers ses concepts, car pour l’avant au moins, le Fractal indiquait assez bien la manière dont la face avant de Peugeot évoluerait. On y trouve les fausses entrées d’air latérales, le raccord longiligne vers le centre de la voiture, et une sorte de prémonition de ce petit regard perçant.

Le second risque, c’est de provoquer ce qui s’est passé lorsqu’Alfa Roméo a remplacé la 156 par la 159. Je roulais alors en 156, et j’étais ravi de cette voiture, vraiment. Et j’ai tout de suite aimé la 159 aussi, mais tout en fantasmant beaucoup sur ses formes suggestives, je me rappelle m’être dit que désormais, Alfa Romeo, ça ne serait plus pour moi, car la marque affichait des prix qui me disaient clairement d’aller voir ailleurs. On ne dispose pas des tarifs de la 308. Mais l’apparence même de la voiture peut être un message lancé à ceux qui roulaient dans les versions les plus modestes du modèle actuel, comme s’il fallait les dissuader de franchir une nouvelle fois la porte d’une concession. Commercialement, ce n’est pas forcément une perte. Un client acquis d’un modèle très optionné vaut bien deux clients perdus de versions de base. Mais culturellement, il y a là un cap qui, une fois qu’il est franchi, éloigne une partie du public qui se sent exclu de l’évolution d’une marque à laquelle il était jusque là attaché. Il n’est pas certain que ce public là aille vers Citroën, dont la proposition est très atypique. Et il n’est pas certain qu’il ait saisi qu’Opel est en fait maintenant la marque qui s’adresse à lui. Restera alors Renault. Si la Megane demeurait une compacte à vocation populaire, il est possible qu’à terme elle puisse attirer ceux que la Peugeot, désormais, intimidera un peu trop.

Faut-il arriver sur le marché le couteau entre les dents ? Faut-il faire une voiture qui plaise aux réseaux sociaux et aux animateurs de chaines Youtube ? Evidemment, Kwamé (à voir ici)adore cette bagnole : elle est dessinée pour lui. Il a une image que je lui jalouse à propos de la 208, qu’il reprend à propos de la 308, c’est celle d’une voiture qui a une allure de Tortue Ninja. Et c’est vraiment un raccourci très juste. Mais le client actuel d’une 308 peut-il vraiment se retrouver dans ce style ? La question finalement, c’est de savoir si les goûts de ces nouveaux médias sont représentatifs des tendances du marché réel. Fantasmer sur l’allure de la voiture, ce n’est pas tout à fait la même chose que claquer plusieurs dizaines de milliers d’euros pour la commander. Assez étonnamment, Peugeot nous sort un véhicule image sur un créneau qui était jusque là considéré comme plutôt conservateur. La démarche peut signifier deux choses : ou bien le public de cette partie du marché change, et ses goûts évoluent dans la direction suivie ici par le Lion. Ou bien en réalité le marché des compactes s’étiole tellement qu’il est possible d’y faire preuve d’audace puisque le risque pris est réparti sur un ensemble plus large de modèles, et qu’il est maintenant rentable d’être plus clivant sur ce secteur. On va voir comment tout ça évolue. Mais on voit Peugeot planter ses griffes sur un territoire qui n’était pas encore tout à fait le sien. On est curieux de voir ce qui restera à Alfa Roméo, on est curieux de voir comment la marque va nourrir mécaniquement cette bête qu’elle a créée. On est curieux tout court. Et mine de rien, qu’un constructeur encore considéré comme généraliste soit susceptible de provoquer ce genre d’intérêt, c’est en soi déjà une réussite.


6 Comments

  1. Comme d’habitude, je retrouve beaucoup de mes impressions dans tes analyses. Et aussi ces petites sensations et réflexions de bagnolard, que je croyais être le seul fou à avoir (la réaction au 1er modèle croisé dans la rue, le pli de bas de caisse de la 308 II, l’évocation de la CT200h, etc…). Bref !
    Il a été souvent évoqué dans la presse auto que cette génération de 308 resterait assez proche de la II, à l’image de ce que fait VW avec la Golf. Et c’est une jolie surprise de voir qu’il y a tout de même une franche rupture! J’ai l’impression que Peugeot, engaillardie par le succès insolent du 3008, se permet d’oser cette direction stylistique extravertie. Et, rassurée par la bonne réception de sa nouvelle image, la marque pousse un peu le curseur pour, comme tu l’évoques, donner de la place aux marques du groupe.
    A voir l’ambiance des images de lancement, dans des tons sombres, couverts, des environnements inamicaux, cette 308 se la joue un peu ”badass”, limite gothique, et ça me paraît du jamais vu dans la catégorie.
    L”inquiétude vient plus de la présentation du modèle avec un seul et unique niveau de finition. J’imagine bien que le Lion aimerait ne vendre que cette finition GT. Mais que va t’il rester à la version Active, débarrassée des grandes jantes, des blasons latéraux, des caches-écrous monoblocs, des sabres de jour (pauvre 508 Active avec ses canines rabotées!) et des fausses canules d’échappement ?
    J’ai souvenir, comme toi sans doute, des lancements presse de la 306, lors desquels on faisait connaissance avec l’ensemble de la gamme, de la dépouillée XN à la sportive XSI, en passant par les intermédiaires XR, XT et XS, sans oublier un peu plus tard le cab ou la décalée ”berline” 4 portes (qui n’à finalement fait carrière que dans l’armée ! ). Loin de moi le ”c’était mieux avant”, mais chacun, suivant sa situation sociale, pouvait se projeter au volant de celle qui lui correspondait (tout en rêvant de la Roland-Garros !) . Mais ceci rejoint ton paragraphe sur la 159.
    En tout cas, et comme d’habitude, j’ai hâte de croiser le premier exemplaire dans la rue pour me faire une opinion définitive. Il me semble qu’il faudrait toujours attendre ce moment là pour exprimer pleinement son avis (je dis ça pour les nombreux commentateurs des forums et réseaux sociaux qui prédisent la destinée de chaque nouveau modèle avant de l’avoir vu en vrai… ).
    D’ailleurs, c’est assez curieux, mais j’ai tendance à reconnaître facilement les endroits où j’ai croisé tel ou tel modèle pour la première fois. Les premières fois sont souvent mémorables !

    • Il est étonnant et rassurant de trouver chez d’autres les échos de ses propres impressions ! Et pour le coup on semble être vraiment en phase. C’est drôle parce le lieu où je vis actuellement a ceci de particulier qu’à quelques maisons de la mienne semble vivre un collaborateur PSA qui gare dans la rue des modèles qui ne sont pas encore en vente. C’est comme ça que j’ai pu découvrir en partant au boulot au petit matin le nouveau 2008, ou la dernière C4. Et du coup, un emplacement précis de parking dans cette rue restera dans ma mémoire GPS associée à ces découvertes matinales qui m’ont déjà fait rater, deux fois, mon bus ! Je m’attends dont, dans les semaines qui viennent, à découvrir une 308 ronronnant la pour la nuit, et il es probable que je passe quelques minutes à lui tourner autour, car comme toi, je pense qu’on n’apprécie pas vraiment la puissance esthétique des voitures tant qu’on ne les rencontre pas « en vrai », et mieux encore, en les voyant rouler. Alors j’ai hâte aussi, forcément !
      Il y a donc de nouvelles « premières fois » en perspective. C’est quand même une bonne nouvelle !

  2. No matter praise, outcry or indifference, PSA and Peugeot cars in particular have been on an incredible run during the Tavares years. PSA products catapulted the Groupe to uncharted territory when it comes to profitability. H2 2020, the margin on PSA cars was 9,4%. This is unheard of in the European generalist segment. In fact, the 9,4% (as was the 8,5% in 2019) blows some ‘premium’ brands out of the water. Let’s hope the design choice Peugeot made with the 308 III doesn’t backfire. Like Xavier, I am a tad afraid the exuberant styling and elongated droopy snout, could look silly on cheaper versions.

    • Thank you for your comment !

      I think that, simply, Peugeot does exactly what the brand has to do to drive customers to choose expensive versions. Look at a poor 208 allure, look at the face of a GT version : Here’s the recipe of margin increasement for Peugeot !

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