Grande Gueule

In BMW
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Les évents du bonheur

Était-ce une anticipation du besoin quasi planétaire d’ouvrir grand les naseaux pour avaler un air qui nous a fait défaut ? Ou bien les designers de BMW n’ont-ils plus vraiment d’idées ? Toujours est-il que, bien avant que les uns s’asphyxient par insuffisance pulmonaire, et que les autres étouffent dans le cloître de leur propre appartement, on s’était dit à Munich qu’on allait doter la nouvelle série 4 d’une calandre qui lui barrerait tout le face avant, de haut en bas. D’une traite. Au point qu’on ne sachant plus trop où caser la plaque d’immatriculation, on décidait de la superposer à la calandre. Tant pis.

Le public était prévenu. On connaissait cette face avant depuis des mois, et on la sentait venir comme une menace, un malheur auquel on espérait échapper, sans y croire, et par lequel on n’est finalement pas surpris quand il nous tombe dessus. Comme prévu. Quand on pousse ainsi le bouchon un peu loin, on fait en sorte de le faire savoir, histoire que le public, à défaut de s’habituer, en parle. Et de ce point de vue, ça a marché.

Il fallait oser, doter ainsi un visage automobile de ces deux lames de moustache, comme si le regard perçant de la 4 ne suffisait pas à lui donner un air autoritaire. A moins qu’il ne s’agisse pas de moustaches, mais d’une paire d’incisives sur-développées, du genre à vous faire dire, avec dans la voix d’étranges résonances métalliques, « Hmmmm… Quoi d’neuf Doc’ ? », ou à vous faire chanter Bohemian Rhapsody.

Avant la révélation, cette calandre aura fait parler d’elle. Depuis qu’on connaît la 4 dans son intégralité, elle continue à le faire. Accusée de tous les excès, de gigantisme, d’ostentation, de m’as-tu-vuisme, on se demande jusqu’où ça ira, s’ils oseront déchirer le capot plus loin encore pour que ces ouvertures s’y déploient, si elles mangeront le pare-brise et peut-être un jour, qui sait, le toit ? On plaint les marchés sur lesquels on apprécie ce genre de choses, on ironise sur ces autres cultures, là, où ça plaît bien, où on a ce mauvais goût, en se disant que vraiment tout fout’l’camp, qu’on n’est plus maître chez soi, et qu’on perd peu à peu ses marques. On prie le ciel enfin, pour que le ridicule ne tue pas, surtout que par le temps qui courent, on n’a pas vraiment besoin de ça.

Branding

En fait, on n’ose pas trop l’avouer bien sûr, mais on s’y fait à cette calandre. Bien sûr elle est vraiment très, très grande. Evidemment, elle a quelque chose d’excessif et elle sonne étrangement faux, puisque sa taille n’est pas du tout proportionnée à une fonction technique : elle mime une ouverture que, juste derrière la grille, elle occulte aussitôt pour d’évidentes raisons aérodynamiques. En réalité, elle n’a de sens qu’en tant que signe. C’est comme un second logo, qui a l’avantage, par rapport au blason classique de la marque, de pouvoir être ainsi étendu, étiré, gonflé autant qu’on veut. L’écusson représentant la fameuse hélice stylisée, lui, n’est valide que s’il garde sa taille originelle. A la différence du logo Alfa-Roméo, qu’on peut agrandir pour en faire un véritable motif, le cercle BMW n’a pas cette plasticité. Mais depuis longtemps la marque sait qu’elle peut jouer avec la double ouverture de sa calandre, et l’utiliser comme un véritable marqueur. Ce geste, consistant à barrer le produit d’un immense signe représentant la marque, le domaine de la mode le pratique depuis bien longtemps. Personne ne s’émeut de voir un t-shirt envahi de haut en bas par un Swoosh Nike qui déborde même sur les manches. Ça ne gène personne de voir les trois bandes Adidas dévorer intégralement la surface des produits sur lesquels elles s’étendent. Même les marques de grand luxe posent sur les objets qu’elles vendent des logos démesurés, qui saturent la vue de leur présence tapageuse. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le marché aime ça. Et comme le luxe se le permet, alors cette invasion de la signalétique liées aux marques signifie désormais, elle-même, le luxe.

Tant pis pour le bon goût ?

A vrai dire, au-delà d’un certain prix, on a depuis longtemps largué les amarres et laissé loin derrière soi le continent du bon goût. Le bon goût, c’est précisément ce qui pourrait inciter à un peu de retenue, dans la dépense tout d’abord, afin de ne pas être tout à fait indécent aux yeux des autres, mais aussi dans une certaine façon de ne pas exposer aux autres la valeur de ce qu’on achète, histoire de ne pas susciter chez eux l’envie, ou de leur mettre sous le nez un objet qui leur dit « Ça, c’est pas pour toi, mon pauvre ». Le luxe n’est pas compatible avec un goût qui serait reconnu comme « bon », puisqu’il cherche moins l’intégration que la distinction et le dépassement de la moyenne. Vous l’aurez remarqué : l’amateur de luxe se plaint de ce qu’il appelle le mauvais goût des pauvres, se demandant pourquoi tout le monde ne roule pas en belle berline ou en coupé, mais en réalité, il est jaloux de sa propre singularité, et ça le ferait bien chier que tout le monde possède ce qu’il a acheté.

Rictus

Alors voilà : si la calandre de la série 3 est moyenne, c’est qu’elle est une berline destinée à ceux qui n’ont pas encore totalement démonté les garde-fous de la modestie et de la réserve. Mais la 4, elle, est faite pour ce genre de personnes qui débarquent et lancent « Salut, Jeune entrepreneur » avant de donner des leçons de vie, du haut de leur manque total d’expérience de la vie. Elle ne la joue pas low-profile, elle est gonflée, arrogante, crâneuse, elle ouvre grand la bouche sur les photos, pour bien bien montrer qu’elle voit la vie comme un truc dans lequel il faut mordre, avant de l’avaler.

Si on se fait à cette calandre, c’est parce que toute la face avant de la voiture est structurée de telle façon qu’on avale cette couleuvre esthétique, tout en se laissant avaler par elle. Et c’est sans doute pour cette raison que l’allure vraiment très tourmentée des finitions M (Sport ou Performance) passe finalement mieux : au moins, l’excès y est totalement assumé, ce qui lui donne un air tout compte fait plutôt sincère, tout en étant parfaitement artificiel. A l’opposé, on voit bien que la version de base ne sait plus quoi faire, réellement, de sa calandre, et tente tant bien que mal de l’intégrer à un ensemble plus sage. Un peu comme si Marie Ingalls avait le visage de Harley Quinn. Dans les déclinaisons M, la 4 affiche une gueule qui semble non seulement dévorer le goudron, mais aussi y être en permanence en mouvement. Les lignes obliques qui dessinent le bas du bouclier lui procurent une allure dynamique, comme si on regardait déjà la voiture en appui en plein virage, légèrement inclinée dans une courbe abordée à haute vitesse. Et on ne croit pas que ce soit un hasard si les photos du dossier de presse mettent précisément l’accent sur cette position en sortie de virage. Seul le rictus, dessiné de part et d’autre de la calandre, semble être encore excessif. On a l’impression d’avoir devant soi Hannibal Lecter incarné par Gaspard Ulliel, nous souriant juste assez pour qu’on comprenne qu’il n’y a rien de vraiment rassurant dans ce sourire, et qu’on ferait bien de garder l’œil ouvert si on ne veut pas se retrouver à déguster sa propre cervelle au dîner.

Oui, oui, je vous ai déjà fait ce coup avec la nouvelle Golf, je sais.

Le truc, avec les éléments focalisant l’attention, c’est que justement, ils focalisent l’attention. Et ce faisant, ils la détournent d’autre chose. Et ici, on comprend assez vite qu’en effet, le dessin de cette voiture a quelque chose à cacher, et que la calandre est peut-être le moindre de ses soucis. Ce n’est pas que tout soit raté. Loin de là. On n’est pas horrifié en la regardant, et il y a même des détails qui sont intéressants. Mais, alors qu’on parcourt la carrosserie du regard, on ne cesse de se dire, y compris devant les détails réussis, que globalement, « ça va pas, ça va pas ».

Un design en décantation

Un exemple de réussite ? Le pli de carrosserie qui barre obliquement l’aile avant, entre la roue et la portière. Orienté dans un sens a priori contre-intuitif, il joue pourtant un rôle important dans l’allongement visuel de tout ce qui se trouve en avant de l’habitacle, poursuivant presque naturellement la ligne du montant de pare-brise, pour projeter tout ce qui n’est pas mécanique davantage en arrière. C’est juste esquissé, comme si on regardait le dessin de la voiture, sur lequel le designer aurait laissé apparaître quelques traits de construction qu’il n’aurait pas pris la peine de gommer, et cet effet, de plus en plus fréquent dans le dessin des automobiles contemporaines (on le retrouve chez Audi, sur l’A6 par exemple, mais aussi sur la 208 II), marche ici assez bien.

Mais cet heureux effet est un peu noyé dans un ensemble d’autres lignes qui peinent un peu à former un ensemble qui parvienne à s’articuler de façon évidente et lisible. Ainsi, la ligne de carre désalignée, ne se situant pas à la même altitude sur la carrosserie selon qu’elle surligne les ailes ou, qu’au contraire, elle souligne, plus bas, le flanc de la voiture. J’y reviendrai, parce qu’on retrouvera cette impression ailleurs, mais on a parfois l’impression de regarder une voiture qui aurait avalé une autre voiture. Et qu’il ne l’aurait pas suffisamment digérée.

De façon générale, cette auto a un gros souci d’épaisseur. Au point que son profil en devienne un peu dramatique : dans la masse générale de la voiture, les roues semblent égarées, l’arche du passage de roue arrière se trouvant particulièrement loin du vitrage. Evidemment, cette épaisseur est renforcée par la largeur de l’aile, mais il est tout de même paradoxal qu’une 508, qui est une berline, et qui est elle aussi caractérisée par un épaulement assez spectaculaire de ses ailes arrière, présente un profil plus affûté que ce coupé.

Evidemment, la comparaison s’arrête là : la « cote de prestige » de l’allemande est bien sûr nettement plus prononcée que sur la berline française, et l’avant de la BMW, de profil, est une réussite. Le problème, c’est que plus l’œil glisse vers l’arrière, et plus c’est une impression de lourdeur qui domine. Et c’est là le contraire de ce qu’on attend d’un tel modèle.

De même, on retrouve ici un problème qu’on avait déjà rencontré avec le coupé de la série 8 : le point culminant de son toit se trouve quasiment en haut du pare-brise. , en avant de la tête du conducteur. Et pour provoquer un peu, j’ajouterai : comme sur le Cybertruck de Tesla. Tout ça parce qu’on veut à tout prix, chez BMW, avoir un toit qui descend vers le coffre. Il faut vraiment que quelqu’un leur dise d’arrêter ça. Ou alors, ils regardent comment les autres s’y prennent, et ils retiennent la leçon. Porsche, sur l’ensemble des 911, toutes générations confondues, suit la même ligne directrice. Et ça marche, alors que leur ligne fuit carrément jusqu’au bouclier. Quand on regarde bien,, on s’aperçoit que chaque génération de 911 utilise des petits subterfuges pour que ça soit joli sous tous les angles ( déconnectant parfois un peu la ligne du pavillon et le profil dessiné par le vitrage, par exemple ), mais dans le cas des coupés BMW, ça n’est pas bien géré du tout. D’une part, le toit entame sa descente trop tôt, et d’autre part, pour parvenir à rejoindre le coffre, le dessin est obligé de faire remonter celui-ci trop haut, cambrant la totalité du profil, comme si la voiture s’apprêtait à recevoir les hommages d’un SUV. On a déjà vu position plus distinguée, et ici cet effet est très fortement appuyé par la ligne de bas de caisse qui remonte avant le train arrière, et rejoint le haut du bouclier. C’est dramatiquement massif, tout simplement. Inversement, la lunette arrière semble être implantée trop bas par rapport au toit. Je vais vous faire hurler. Mais la série 4, de profil, me fait penser à la Renault Fluence. Fermez la bouche et baissez d’un ton, je vous rassure : dès que je mets les deux photos l’une au-dessus de l’autre, je retrouve la raison et ça suffit à me dissuader de vous imposer cette vision, mais il y a quelque chose de ce genre de déséquilibre dans ce coupé, qui ne devrait pas donner lieu à ce genre d’évocation.

Victime collatérale de ce profil discutable, le célèbre et iconique Hofmeister knick, ce dessin distinctif de la surface vitrée latérale, au niveau de la custode, qui disparaît. Il ne s’accorderait effectivement pas au dessin général de cette voiture. En soi, il n’y aucune règle dans l’univers qui veut qu’une voiture dessinée à Munich doive, nécessairement, adopter ce dessin. Mais puisqu’il est profondément ancré dans le design de la marque, on pourrait souhaiter que, tant qu’à l’abandonner, ce soit pour une proposition esthétique qui soit immédiatement perçue comme juste.

Pour résumer, on revit ce qu’on avait déjà éprouvé lors de la découverte de la Giulia, qui fait partie de ses concurrentes : ça aurait pu le faire, et il s’en faudrait de pas grand chose pour que ça le fasse. Et étrangement, les raisons pour lesquelles l’une, et l’autre, sont partiellement décevantes sont très proches, au point qu’on peut leur trouver des ressemblances. On trouvait que l’Alfa mimait un peu trop l’allemande ; et aujourd’hui c’est à celle-ci qu’on peut trouver des airs de la transalpine. Et à ce niveau de gamme, de prix, mais aussi de passion, il suffit d’un tout petit peu de déception pour que la fête soit, pour de bon, gâchée.

Under the skin

Et c’est de plein arrière, et au niveau du bouclier qu’on saisit un peu mieux ce qui se passe : l’ensemble formé par le bouclier, les échappements et l’extracteur d’air, est encadré, à droite et à gauche, par un volume supplémentaire, qui intègre des extractions d’air verticales dont on se demande bien ce qu’elles peuvent avoir à extraire. Ce volume semble englober, ou recouvrir une forme qu’on ne peut deviner sous ce qui pourrait ressembler, au mieux, à une extension, au pire à une sorte de camouflage. On a l’impression qu’une autre voiture, plus étroite et aux proportions générales plus contenues, se cache sous ce déguisement de gros coupé. Si je me hasarde à cette comparaison, c’est que BMW avait déjà exploré une voie esthétique de ce genre avec le concept 3.0 CLS proposé en 2015. On y devinait une réinterprétation du mythique coupé CLS, recouvert d’extensions le développant à la dimension de la compétition. Mais on lisait, sous cette couche sportive, ce que pouvait être la silhouette de la belle auto qui se tenait sous ces sur-vêtements. Le problème, ici, c’est que c’est la sur-couche qui semble s’être développée, comme une excroissance généralisée qui aurait avalé la forme originelle.


Et ce dont a envie, en regardant cette série 4, c’est qu’on nous montre ce qu’elle pourrait être, débarrassée de tout ce qu’il y a, en trop. Parce qu’après tout, qu’est ce qu’une Série 4, si ce n’est la Série 3 originelle ? C’est à dire une berline de taille contenue, à l’habitacle de laquelle on n’accède que par deux seules portes. Et à l’arrière, un coffre, classique, sans hayon. Une petite berline comme on en faisait dans les années 70-80. Une forme simple, évoquant en même temps la solidité et une certaine légèreté, campée sur des trains roulant juste un poil surdimensionnés pour donner l’impression d’une carrosserie qu’on aurait montée sur un châssis destiné à un modèle de gamme supérieure. Un équilibre et des proportions qui laissent imaginer que quelque chose de puissant se cache sous les formes sages.

Refus d’héritage

La série 3 ayant pris du volume et deux portes supplémentaires, la 4 pourrait être cette version deux portes de la berline, et incarner ainsi la pleine et entière héritière de l’ancienne 3. Mais si on prend la définition que je viens d’en donner, on comprend à quel point elle en est, au contraire, l’antithèse.

Est-ce une erreur de la part de BMW ? Non. C’est un glissement du marché. Le client actuel d’une 4 ne pense absolument pas à ce que furent les premières séries 3. Et il est peu probable qu’il leur trouve un quelconque charme, elles dont l’artifice tapageur tenait dans l’adoption d’une calandre à quatre phares ronds, c’était tout, et ça suffisait à faire tout l’effet qu’il fallait faire. Est-ce tout à fait perdu ? Pas tout à fait. Chez BMW, ça fait un moment que cet héritage se trouve, un peu, réinvesti dans le coupé série 2, qui prend soin de conserver son profil de mini-berline. Sans doute surjoue-t-il un peu son propre rôle, transformant en adorable jouet ce qui était à l’origine une sérieuse berline dont on devinait simplement qu’elle offrait à ses passagers une qualité de performances qui se situait au-delà de ce qu’on attendait d’habitude d’une berline.

Mais voila, entre les années 70 et les années 20 du siècle suivant, tout est devenu spectacle, et la simplicité d’un modèle dont l’intensité tenait à ce qu’il était très exactement ce qu’il devait être, sans en faire ni beaucoup, ni pas assez, n’a plus de public aujourd’hui. La pureté du concept initial de la 3 ne peut qu’être mimé sous une forme cartoonesque, ou carrément dénoncé par une proposition qui, de fait, lui tourne résolument le dos.

Comme toujours, les objets ne sont que le reflet du monde qui les fait naître. Et si on voulait retrouver les BM qu’on a aimées jadis, il faudrait d’abord construire le monde qui va avec.


Une bonne grosse galerie de photos, ci-dessous, et pas de vidéo. Mais on ne perd rien pour attendre : les vidéos, c’est pour demain, parce qu’elles méritent à elles seules quelques commentaires.

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