Dans les yeux de sa mère

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Depuis que chez DS on a montré qu’on s’intéressait au format de la berline statutaire, la marque nous a laissé pas mal de temps. Le temps d’espérer, le temps de faire des plans sur la comète, le temps de se dire qu’il fallait leur laisser du temps pour faire les choses correctement, le temps de pester en voyant un gros SUV griller la priorité à la berline, le temps de voir DS se découpler de Citroën et de réaliser que décidément, la Metropolis resterait lettre morte, le temps de conserver malgré tout, dans un coin de la tête, le concept DS9, au cas où, on sait jamais, le temps de trouver le temps long, le temps de commencer à s’inquiéter, quand-même, le temps de se mettre en colère, de se fâcher avec les citroënistes et puis, tiens, avec la plupart des autres forumistes, le temps de voir le lancement de la 508, le temps de la voir s’allonger sur le marché chinois et de se dire que, décidément, la berline DS laissait vraiment toutes les autres lui passer devant, le temps de se dire que ça y était, elle était sur le point d’être révélée, de patienter juste encore un peu et de ne rien voir venir, de se dire que ce serait peut-être pour plus tard, ou que la marque, symbole du luxe à la française, était peut-être bien en train de nous dire d’aller nous faire foutre, le temps de se dire que mais non, c’est quand-même pas possible ! Et puis le temps de prendre date pour aujourd’hui, lundi 24 février 2020, 17h, en direct totalement différé de la Tour Eiffel, pour découvrir celle qu’on a tellement imaginée qu’on pensait ne plus avoir vraiment besoin de la découvrir, ou peut-être plus trop envie.

Et la voici. Et si je bossais pour un journal télévisé, je dirais que la DS9 est telle qu’on s’y attendait. Mais pas que.

L’impression est étrange, car la voiture qu’on découvre maintenant vient en fait du passé. Comme on l’a dit, elle a été doublée par d’autres qu’elle. La DS7 tout d’abord, dont façon Alien on ne sait plus laquelle est la mère de l’autre; une généalogie que ni l’une ni l’autre ne peut renier, car elles partagent les mêmes yeux, transmis tel quels de l’une à l’autre et un intérieur qui est manifestement issu du même codage génétique, devenu en peu de temps typique, reconnaissable. Et puis il y aussi une autre berline, plus basse, plus courte, plus racée; une concurrente fratricide, une adversaire commerciale aux dents particulièrement longues. Telle la cavalerie, la DS9 arrive un peu tard, comme après coup, à contretemps. Et c’est tout juste si on a envie de se donner la peine de lui accorder de l’attention.

Pourtant, on aurait sans doute tort de lui être indifférent. Et pas seulement parce qu’elle met les petits plats dans les grands pour nous séduire. En fait, au-delà de son aspect conventionnel, elle cache son jeu. Et derrière l’allure classique d’une aimable berline trois volumes elle ménage ses effets, jouant sur plusieurs tableaux à la fois.

Une simple photo pour commencer, et un souvenir. Chez la maison mère Citroën, la vénérable C6 manifestait un certain goût pour l’ambiguïté. De profil, on aurait juré qu’elle était équipée d’un hayon venant épouser ses formes arrière, en deux volumes. Et si on déplaçait le regard en travelling latéral vers une vue en plein arrière, on découvrait que sa lunette concave ménageait en réalité une véritable porte de coffre quasi horizontale, une vraie malle, à l’arrière d’une héritière de la DS et de la CX, une façon esthétique et assez géniale de disposer du meilleur des deux mondes, celui des berlines classiques, et celui des routières en deux volumes. La DS9 cultive le même genre de double jeu, et articule le même genre de langage, mais avec prudence, comme si DS faisait en sorte de ne pas piller tout à fait le patrimoine de Citroën, tout en le revendiquant quand même. Ainsi, pas de lunette concave à l’arrière de la DS9, qui ne rend donc pas ce genre d’hommage à la CX. Mais pour autant, cette lunette est étonnamment plate, ne suivant pas l’arc que forment les montants arrière, entre lesquels elle est enchâssée. Sur son bord inférieur, un rebord presque horizontal, qui recèle le large feu stop central. Et en dessous, la vaste pente de la porte de coffre, qui descend façon fastback vers le bouclier. Dès lors, cet arrière apparaît simultanément simple au premier regard, et complexe au second. On pourrait croire à la présence d’un hayon, tant la pente quasi continuelle fait penser aux lignes arrières typique des Audi A7, mais des indices discrets indiquent qu’il s’agit bien d’une berline, dont l’habitacle demeurera isolé de la malle, et qu’il ne s’agit pas là du genre d’outil avec lequel on fait les antiquaires, ou le parkings Ikea. On imaginait la DS9 ennuyeuse, et on se surprend à l’examiner dans le détail et à faire circuler le regard, presque sensuellement, sur cet arrière-train qui semble sculpter les forces intérieures de la bête et notre mémoire, sur ses chromes dont on ne sait s’ils sont audacieux ou excessifs, flamboyants ou kitsch, dont on voit bien en tout cas qu’ils permettent de guider le regard afin qu’il se promène sur ces volumes qui ont l’art de faire des formes simples, avec des détails complexes.

Juste une autre photographie, sur laquelle l’auto est tronquée. Et c’est exprès. Si on observe la façon dont les flancs sont creusés sous la ligne de care, on s’aperçoit que le volume inférieur qui sculpte le profil descend doucement vers l’arrière le long des portières. Et le regard ne peut s’empêcher de prolonger cette ligne au-delà du point où elle rebondit pour contourner par le haut la roue arrière. Et ce volume, qui n’est pas achevé, esquisse le dessin classique des grandes routières Citroën du passé, DS et CX, sans pour autant le rééditer. Il s’agit juste d’une évocation discrète, poétique, qui ne regarde en arrière vers le passé que pour aller de l’avant et construire quelque chose de nouveau, plus conforme aux attentes du temps présent.

Ainsi, en peu d’éléments, les dessous partagés avec la 508 sont oubliés. La DS9 a ses caractéristiques propres et nourrit une personnalité qui lui est spécifique, qui renvoie clairement, et sans ambiguïté à la marque qui la fait naître. Cette distinction, on la retrouve à l’intérieur; et si on peut reprocher à celui-ci d’être trop proche de celui du SUV de la même marque, il faut reconnaître que c’est aussi ce qui permet à DS d’installer ses codes, et de marquer son territoire. A rebours de l’architecture particulière de la 508, en laquelle on reconnaît désormais le style Peugeot, la planche de bord de la DS9 place devant le passager un mobilier très vertical, faisant barrage entre les sièges et le paysage. C’est un dessin à l’ancienne, qui réclame de proposer de belles matières pour habiller cette surface qui est posée là, frontale, rythmée cependant par les surpiqûres, les aérateurs, et le grand écran qu’on retrouve ici tel qu’on le connaît déjà sur le DS7. On est en territoire connu, et pour une marque qui est encore en phase d’installation, c’est évidemment voulu.

Reste qu’on ne peut pas regarder cette nouvelle venue, aussi réussie soit-elle, sans la comparer à ce qu’on avait pu fantasmer à son sujet. DS ne peut pas porter ce nom sans manifester la conscience qu’elle a d’être héritière de quelque chose que la marque ne peut pas incarner tout à fait, pour la simple raison qu’elle ne porte pas de chevrons. Cette mémoire, elle la porte dans ses feux haut-perchés en bordure de lunette arrière, façon clignotants de DS. Et si l’effet visuel semble finalement réussi, on n’est pas sûr que l’hommage soit à la hauteur du passé de la marque. En fait, même si on comprend les considérations commerciales qui ont eu pour effet de séparer DS de Citroën, on ne se sort pas des regrets et doutes qu’une telle séparation suscite encore en nous.

Ce doute, on le retrouve dans la vidéo, conventionnelle, qui accompagne la naissance de la DS9. Loin des outrances patriotiques qui avaient accompagné la révélation de la DS3 CB, le spot monte en parallèle la mise en route de deux heureux personnages, un homme, et une femme, qui prennent chacun la route au volant de leur berline DS. Evidemment, leurs trajectoires vont converger de telle sorte qu’ils finissent par se croiser. C’est classique et attendu. Tout au long de ce très court-métrage, on se dit que ces deux-là pourraient être ensemble, et peut-être le sont-ils, ou le seront-ils; à moins qu’en fait ils l’aient été. Leur union est un potentiel qui se tient là, tendu sous le récit; et pourtant ils vivent chacun leur vie, séparément.

On doute que le marketing ait prévu de mettre ainsi en scène les vies parallèles que mènent désormais DS et Citroën, mais à moins de proposer un jour des véhicules qui ne doivent rien au passé et orientent résolument DS vers un horizon nouveau, il est probable qu’on persiste à regarder la DS9 en ayant en tête, comme si c’était un écho, ou une image fantôme, la C6 qu’elle aurait pu être.


J’allais annoncer une petite galerie. Mais en fait, elle est plutôt conséquente : DS a été généreux en photographies pour cette révélation :

5 Comments

  1. c’est une belle voiture, avec un arrière très beau, ou très très beau….une grande subtilité dans la façon de poser ce couvercle et ces feux sur un socle bouclier doucement enveloppant. Une sorte de Superb superbe, vue de dos et 3/4 ar, qui a ses feux un peu enfoncés de la même façon… Et n’en déplaise à certains…..malgré la vraie réussite de la 508, et même de la Talisman, c’est et ça reste un cran en dessus en terme de design qui manifeste une certaine opulence bourgeoise . C’est la Talbot Tagora de 2020 peut être plutôt qu’une nouvelle CX. Personnellement ça me va très bien, et si DS se débrouille bien, avec notamment ses acquis ou son expertise dans la voiture sportive électrique, cette marque n’est peut être pas un feu de paille…maintenant si ça le fait comme Talbot , en effet ça peut ne pas aller bien loin!

    • J’adore cette comparaison avec la Tagora ! C’est vraiment assez proche, comme effet effectivement. Sauf que la Tagora, il y avait un petit quelque chose qui n’allait pas. Je me souviens qu’ado, quand je l’ai découverte dans la cour du garage de mon oncle, qui était concessionnaire Talbot, je me suis tout de suite dit que les roues étaient un peu trop « en dedans ». Et pourtant, il avait un modèle avec les chouettes jantes alliage à quatre branches (choix assez étonnant dans cette catégorie). Là, sur la DS9, je trouve que tout tombe assez bien. Et évidemment, le morceaux de bravoure, c’est l’arrière, que je trouve vraiment particulièrement maîtrisé moi aussi.

  2. je n’avais pas encore revu la Tagora en écrivant ces lignes, et finalement après le passage Google, je suis assez d’accord avec moi même ! Grande, ou élancée sans que le profil ait quelque chose d’original, une calandre plutôt statutaire, et cette troisième vitre pointue mais pas tout à fait, comme une réinterprétation moderne. Peut être aussi l’intérieur, un peu décevant pour un haut de gamme sur la Tagora, et un peu décevant sur la DS9 car pas du tout distincte de la DS7.
    Ah donc ton oncle était concessionnaire Talbot…..et donc Simca puis Chrysler avant de revendre ou changer à nouveau d’enseigne? Tu es le Luc Ferry caché du 95 !

  3. finalement, au risque d’exagérer, je vois qu’il y a aussi un large coup de gouge latéral sur la Tagora, et qui fait le tour de la voiture, un peu comme une certaine DS9…..Est ce qu’on peut dire que ses 2 phares accolés étaient déjà comme 2 projecteurs diamants?
    Finalement ce qui ne me plait pas sur la DS9, c’est son bas de bouclier avant, un peu trop roturier, au moment où Renault vient juste de ré hausser le standing visuel de la Talisman à cet endroit….

    Si ton oncle est toujours de ce monde, que penserait il de ma théorie?

  4. Mon oncle fut, successivement, concessionnaire Simca, Simca-Chrysler, Talbot, Peugeot, Citroën, et acheva sa carrière chez Fiat. Mais il était surtout mécanicien, capable de tourner des pièces de moteur pour les reconstruire, passant des heures à caler des arbres à cames. Son garage était une caverne d’Ali Baba de vieux modèles, de pièces détachées.
    Et c’est évidemment grâce à lui que j’ai pu faire des tours en Tagora. Et à l’époque, elle en imposait un peu. Et ce coup de gouge qui la ceinturait s’est finalement retrouvé sur la 405, puis la 605. Les traits de caractère se transmettaient vraiment d’une marque à l’autre de ce groupe auto.
    Et c’est vrai que la DS9 joue un peu ce jeu là. En espérant qu’à la différence de la Talbot, elle en sorte gagnante, et la marque avec elle !

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