La desaxée

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Crache ton venin

Je n’aurais peut-être pas dû, mais avant de jeter un coup d’oeil aux images du concept DS, j’ai vu la bande-annonce du nouveau Marvel, Venom. Et il est possible qu’une association d’idées se soit tissée dans mon esprit entre cet anti-héros symbiotisé, et ce concept-car qui ressemble à un coupé hanté par une barquette, ou un cabriolet possédé par un coupé, on ne sait trop. Et je me disais que ce serait une expérience cruelle et intéressante : mixer ensemble deux schizophrénie, et concocter un cocktail, façon Billy Milligan. Le mix X E-tense / Venom est d’autant plus prégnant, dès qu’on l’a en tête, que ça fait un moment que DS tisse, c’est le mot, des formes qui font penser à cet autre héros Marvel, qui est à la source de Venom : Spiderman. Le motif de la toile est récurent dans les concepts. Il est particulièrement présent sur la planche de bord de l’E-tense, première du nom, qui étire de façon vraiment originale, et réussie (comme quoi on est loin de tout détester chez DS), son écran vers le conducteur, semblant étirer la matière du tableau de bord, façon toile d’araignée. Ce motif, on le retrouve dans les feux de la X E-tense, qui ne sont plus constitués que d’un maillage lumineux dont la source demeure invisible. On le retrouve d’autant plus que la voiture toute entière étant déformée par son symbiote, l’un des feux, à l’avant comme à l’arrière, se trouve démesurément étendu vers sont voisin, plus petit. Problème : cet artifice de style qui, à l’intérieur de l’E-tense, apporte un efficace effet de mise en tension de la matière, procurant un mélange de sensation de légèreté et de force, provoque, à l’extérieur de l’X E-tense une sensation plus grotesque, peut-être parce qu’on intègre assez bien l’idée d’une telle déformation dans un design intérieur, parce que c’est un dessin presque organique, et on sait bien qu’à l’intérieur du corps se trouvent de semblables tissages de matière, de nerfs, de fibres musculaires. On a déjà vu des écorchés, et on a intégré à nos codes esthétiques cette visions, alors que sur une surface extérieure, une telle déformation relève du monstrueux, de la difformité, ce qui entraîne l’imaginaire vers le grotesque. 

Maintenant, on ne peut pas reprocher à DS de ne pas jouer carte sur table : le moins qu’on puisse dire, c’est que les rendus numériques du concept ne donnent pas dans la demi-mesure, certains choisissant même, par les angles de vue choisis,  de pousser à l’extrême les disproportions du véhicule, jusqu’au caricatural. En même temps, le mal est fait, autant l’assumer désormais. 

Androgyne

Bref, il aurait été possible, avec un tel concept, de communiquer sur cette espèce de force qui fait tenir ensemble deux entités étrangères l’une à l’autre, un peu à la façon dont, dans l’antiquité, on pensait que les êtres humains, quand ils s’aimaient, étaient liés l’un à l’autre par une espèce de force qui les dépassait, et leur imposait cette présence commune, envers et contre tout. Dans le Banquet, de Platon, on voit soudain débarquer Héphaïstos (Vulcain, pour les romains), avec en panoplie tous ses instruments de fondeur-soudeur, apparaissant par surprise dans la chambre de deux amants et leur proposant de les souder l’un à l’autre pour toujours, puisqu’ils s’aiment. Il y a quelque chose de ce genre qui se joue dans la vidéo de présentation du concept, au moment où le coupé fusionne avec la barquette. Mais paradoxalement, la force de l’image, qui suggère quasiment une fusion sidérurgique, est totalement gommée par l’ambiance sonore qui semble avoir décidé de ne pas tenir compte de ce qui se passe à l’écran. 

Au lieu d’axer la communication sur cette force d’union, DS choisit d’orienter le spectateur vers des notions plus subtiles, nuancées, faisant appel à la délicatesse des sens pour expliquer pourquoi ce concept est tel qu’il est. Encore une fois, c’est beau de parier sur le fait que l’humanité devienne, d’ici 2035, hyper délicate, et super attentive aux micro-sensations perçues par les occupants du véhicule, mais enfin, soyons honnêtes, la comm’, elle vise une clientèle qui vit en 2018, et même à Pékin, on nourrit quelques doutes sur le fait qu’on ait atteint ce degré de préciosité. 

Et puis, tant qu’à jouer sur l’infinité des micro-sensations auxquelles accéderait une hypothétique ribambelle d’acheteurs fortunés et poètes, il faudrait le faire pour de bon, et proposer quelque chose qui soit, vraiment, une forme destinée aux esthètes et aux intellectuels. Dans l’histoire, de telles audaces ont existé. Elles n’ont pas connu un immense succès commercial, mais elles ont au moins laissé dans l’histoire du design des traces qu’on retient, et qui prennent de la valeur avec le temps. Ainsi, le travail de Zagato, singulier, parfois étrange et incompris, gagne avec le temps une reconnaissance qui lui donne toute sa justification, après-coup. Et il pourrait y avoir là, pour DS, une source d’inspiration, une référence historique à laquelle la marque puisse penser pour se concevoir elle-même, à ceci près que Zagato n’était pas un constructeur, mais mettait son talent artistique au service de constructeurs. DS a choisi de ne pas être dans cette situation, et c’est un peu là le problème. Comme concept, l’X E-tense pourrait être une invitation lancée à tous les esthètes du monde. Mais pour tout un tas de détails, la sauce ne prend pas. Et à voir la diversité des visuels mis en ligne par la marque, chez DS, on n’est pas très sûr de soi non plus, et on a eu du mal à finaliser les lignes de cet engin. 

La singularité peut-elle se trouver dans la duplicité ?

Avant d’attaquer l’intérieur, ou plutôt les intérieurs, puisqu’il y en a deux, et presque trois, un dernier coup d’oeil à la carrosserie bicéphale. Il y a tout d’abord quelque chose d’intéressant dans la vidéo : la moitié découverte du concept, avant de fusionner avec sa soeur désormais siamoise, est elle-même asymétrique sur sa face arrière. Ainsi, la disproportion entre les deux feux arrière n’est pas que la conséquence de cette fusion, elle est un geste esthétique voulu dès le départ. Et à vrai dire, ça fonctionne mieux ainsi. En design, de façon générale, tout ce qui n’est pas directement dicté par les nécessités fonctionnelles gagne à être une pure affirmation d’une décision esthétique, une proposition formelle, et ce surtout si la forme est inhabituelle. Ainsi, avant que cette déformation n’apparaisse comme l’effet accidentel de la rencontre des deux autos, une sorte de dégât collatéral, une blessure de guerre qui donne l’allure d’une gueule cassée, ce choix esthétique de disproportion pouvait trouver, dans le regard une justification naturelle qui, en plus, correspondait à la définition 1+1 de la barquette. On retrouve ce trait de caractère dans un vieux concept, roulant, lui, puisqu’il a connu une véritable histoire sur laquelle on pourra revenir un jour : la Plymouth XNR, de 1960, qui est elle aussi un roadster centré sur son conducteur, à tel point qu’on pourrait croire qu’il n’y a de place que pour lui. Le dessin est donc, ici aussi, asymétrique, épargnant la calandre, classique, mais déséquilibrant de façon vraiment très réussie la face arrière de la voiture. C’est radical, très affirmatif, et c’est tout simplement beau. L’erreur fondamentale de DS, ici, c’est probablement d’avoir raté l’avant du concept, en ayant installé une calandre tout à fait symétrique et classique au beau milieu d’un ensemble qui, lui, ne l’est pas. De là semble venir toute l’incohérence du dessin, qui a pour conséquence que, quelle que soit la façon dont on regarde le résultat final, ça ne passe pas, on ne peut pas y adhérer. J’ai cherché sur le net si on trouvait d’autres exemples de face avant franchement dissymétrique, histoire de voir si le souci venait du fait qu’on ne puisse pas, de toute façon, s’y faire, et j’en ai trouvé au moins un, un dessin qu’on trouve sur le compte Deviantart d’un dessinateur allemand, Manuel Schöttle, qui propose un modèle Audi totalement asymétrique, et néanmoins frappant d’efficacité visuelle. Sans doute ce dessinateur ose-t-il cette audace parce qu’il n’a aucune contrainte d’image, de normes à respecter. Il faut avouer que, dans la production automobile, et même dans les concepts, la symétrie fait encore loi pour les face avant. Même chez BMW, qui a lancé quelques concepts qui jouaient avec la dissymétrie, comme le concept Vision connected drive, ou plus osé encore, le X-coupé de 2011, on se gardait bien de répandre cette audace sur la face avant, qui demeurait classique. Maintenant, si DS voulait vraiment remettre en question ce principe de symétrie, il fallait le faire pour de bon, et ce jusque dans la calandre elle-même, parce qu’ici, elle nie le principe selon lequel l’ensemble du véhicule est conçu. Ce faisant, visuellement, elle fait obstacle à la circulation du regard. Ou plutôt, par le détails, intéressant, des reliefs de la calandre se poursuivant sur le capot, elle propose au regard de se déplacer verticalement, alors qu’elle devrait le diriger latéralement, afin d’unifier les deux parties de ce visage dis-harmonique. Pour cela, il faudrait que cette calandre soit, elle-même, touchée par la déformation générale des traits provoquée par la fusion. Il faudrait quelle l’incarne vraiment. Et l’échec de la proposition tient sans doute partiellement dans ce manque de confiance des concepteurs dans leur propre projet. Ajoutons que cette calandre DS, qu’on retrouve ici sous des traits déjà connus dans leurs grandes lignes, ne parvient décidément pas à trouver sa juste place. Ici, le principe consistant à la faire descendre tout en bas de la face ne fonctionne pas. Elle semble plaquée sur un ensemble qui communique trop peu avec elle, comme si elle constituait un élément que le reste de l’auto rejetait. Ca ne va pas. Plus on avance dans le temps, et plus les wings me semblent être, justement, une tentative d’intégration de cette calandre dans le visage de l’auto qui trahit, en réalité, le fait que cette intégration échoue : ce sont des éléments qui émergent de la calandre sans lui appartenir vraiment, mettant en évidence, finalement, le fait que cette calandre aux formes très artificielles, sans véritable nécessité, n’a pas de raisons particulière d’être là, si ce n’est que les modèles concurrents en ont une, aussi, et qu’il fallait bien en avoir une aussi. Là aussi, il y a quelque chose de crucial que la marque doit parvenir à mieux gérer. 

Mon truc en plume

Mettons l’extérieur de côté, et essayons de regarder l’intérieur avec un regard vierge, ce qui est difficile, puisque conformément à son concept, l’intérieur est, lui aussi, double. Et presque triple dans la mesure où, en réalité, la X E-tense est une 1+2. C’est à dire que (et il faut vraiment agrandir l’une des illustrations du dossier de presse pour le deviner) l’habitacle clos permet d’accueillir deux passagers, en tandem. Pourquoi pas. Donc, en théorie, on a deux interprétations très différentes de ce qu’est censé être l’habitacle d’une voiture en 2035. Le problème, alors, c’est qu’on cerne mal, à part l’ouverture irrémédiable de la partie conducteur, et l’enfermement nécessaire du reste, ce qui distingue vraiment les deux moitiés de l’habitacle. C’est à dire que l’élément distinctif central est le point le moins cohérent du projet. Parce que si c’est une voiture « plaisir », alors on se demande pourquoi celui-ci ne serait pas partagé. En terme d’usage, il y a là quelque chose de complètement illogique. Tout le plaisir qu’il peut y avoir dans un Spider Renault, pour prendre un engin génial ayant atteint le stade de la production, c’est précisément cette possibilité de partager les mêmes sensations. Ici, on a un pilote qui est censé se faire plaisir dans son univers sportif, pendant que le passager se fait les ongles dans son cocon luxueux. Bon sang, qu’est ce que c’est que cette idée ?!! 

Si on ajoute que l’univers sportif n’a pas vraiment grand chose qui fasse penser au sport, et que l’univers luxueux ne présente pas grand chose qui fasse vraiment penser au luxe, du moins, pas grand chose de nouveau, et on se retrouve avec une proposition dont on commence sérieusement à se demander où sont ses bonnes idées. Et on espère que ça ne se réduit pas à l’espèce de présentoir à capsules nespresso qu’on croit deviner, caché sur le côté gauche de la partie « luxe ». Il faut vraiment arrêter d’essayer de faire croire qu’on va intégrer des coins cuisine ou des placards à vaisselle dans les habitacles des bagnoles. On retrouve le même délire dans cette autre proposition tapageuse qu’est le concept Ultimate Luxury chez Mercedes-Maybach, avec tout un service à thé planqué dans l’accoudoir arrière. Le truc vraiment marrant, en fait, c’est que le dossier de presse de DS parle d’un soin tout particulier mis en oeuvre pour flatter les sens des occupants. Odorat, regard, toucher, tous les sens sont censés être sollicités par cette voiture. Bon, pour la vue, on sait ce qu’il en est. Quant à l’ouïe, que DS semble avoir un peu découvert l’eau tiède en ayant installé une barre de diffusion sonore face au passager (n’y a t-il pas, là, un effet de déjà-vu, et même de déjà dépassé ?), c’est une chose. Qu’ils n’aient jamais écouté le bordel sonore que sont capables de déployer une poignée de capsules Nespresso livrées à elles-mêmes et s’entrechoquant au gré des trépidations de la route, c’en est une autre. 

Oh, un instant, revenons au toucher, sens primordial paraît-il. Dans la description de l’auto, il est précisé que le haut du siège passager est ceint d’une étole en plumes. Bon, les gens de chez DS, on loue votre effort discret pour couper un peu l’automobile de son univers jusque là principalement masculin. Vous nous invitez, nous autres indécrottables machistes, à nous intéresser au point-perle, et on fait l’effort de s’y intéresser, ou plutôt on fait l’effort d’ouvrir cet univers qui était jusque là fait de rugosité, de matières froides et techniques, de métal, à d’autres expériences sensorielles, à davantage de préciosité. Et on disait jusque là « pourquoi pas ! », en ayant une pensée émue pour ce que Zemmour pourra écrire dans trente ans à ce sujet. Mais le coup de l’étole en plumes était-il vraiment nécessaire ? Ce n’est pas que la proposition fasse penser à une sorte de boa de meneuse de revue. Ca, pourquoi pas. C’est juste que… qui a envie d’être en contact physique avec des plumes ?! Sans même parler de l’aptitude qu’ont les plumes à devenir poussiéreuses (et il suffit d’aller lire sur les forums l’expression de la maniaquerie avec laquelle certains clients premium exècrent ne serait-ce que les surfaces traitées façon « piano-black » en raison de leur tendance à mettre bien en évidence les poussières et les traces de doigts pour se faire une idée de la façon dont une telle proposition esthétique peut être reçue), nous avons envers cette matière un rapport très étrange, sans doute dû au fait qu’elle nous est étrangère. Après tout, le cuir, c’est de la peau, et ça, on connait bien, parce qu’on en est couvert. Mais la plume, c’est pour nous par excellence une matière qui nous est étrangère, avec laquelle nous n’avons aucune familiarité. Dès lors, il est illusoire d’imaginer que, majoritairement, on soit près à se sentir cerné par une matière avec laquelle on a un tel problème tactile. 

Des-espoirs

Finalement, que reste t-il ? Une vague proposition de plancher transparent à la demande. Pas vraiment un détail qu’on puisse imaginer passer en production un jour. Une ligne latérale intéressante qui semble destinée à connaître un développement en production (selon une interview de Thierry Metroz, relayée sur le site Autocar, on retrouvera cette forme en X sur des modèles à venir, et on pense évidemment au DS3 Crossback, qui est en approche), et c’est potentiellement prometteur, car ce design apporte de la force au profil, c’est quelque chose de distinctif, un choix esthétique tranché qui apporte un élément nouveau dans le vocabulaire de la marque. Des poignées de portes furtives, aussi, dont on sait qu’elles devraient se retrouver sur le DS3. Ce n’est pas totalement nouveau, c’est un gimmick qui fait beaucoup penser à Tesla, et il n’est pas certain que ça apporte énormément de sensations dans le contact avec la voiture. Mais pourquoi pas. En terme d’originalité, c’est à dire d’aptitude à être à l’origine de quelque chose, on en restera sans doute là. Et le problème, c’est que le reste du concept ne donne pas envie qu’il soit l’origine de quoi que ce soit.

Ca fait tout de même peu de choses. Et tout en étant conscient des moyens sans doute réduits avec lesquels la marque tente de faire parler d’elle, on voit bien qu’il y a là une maladresse qui laisse un peu songeur quant à la direction suivie par la marque. Un petit tour sur la toile le montre, les réactions face à ce concept sont plus que mitigées. De nombreux observateurs sont, au mieux, déçus, au pire, pris d’effroi devant une telle proposition. Ce qui est sûr, c’est qu’elle ne produit pas l’émoi positif qu’elle est censée susciter, et rien qu’en cela, c’est un échec. Or, les choses sont ainsi faites que DS n’a pas de multiples occasions de faire bonne impression, et que cette occasion est un peu ratée. Tout est-il pour autant perdu ? Pas forcément. L’auteur des lignes de ce concept, c’est à lui qu’on doit le dessin du concept Peugeot Exalt, dont le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a laissé dans les esprits un souvenir tellement fort qu’il parvient à ternir un tout petit peu la réussite esthétique qu’est la 508, dans la mesure où celle-ci ne lui ressemble pas trait pour trait. Il y a donc du talent derrière le X E-tense. Il faut juste qu’une identité et un projet clairs lui permette de faire correctement son oeuvre. Pour le moment, il semble que les conditions ne soient pas réunies. Ca peut prendre du temps, et la comparaison avec l’efficacité, sur ce point, d’Alpine, ne serait pas juste : DS constitue une gamme, là où Alpine réédite un modèle qui est un mythe à part entière, en capitalisant à mort sur le regard dans le rétroviseur. Chez DS, il faut inventer, créer de toute pièce. Il est normal que ça tâtonne un peu. Et pourtant, on ne peut s’empêcher de penser que si personne n’a d’idée claire de ce que doit être la marque, alors celle-ci est un peu en perdition. Et il serait préjudiciable de provoquer durablement, dans les esprit, une forme de désespoir.  

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