L’excentrique

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Transfert, auto-largue !

Si les choses semblent aller mieux au sein du groupe PSA, c’est parce que la marque mère attire à elle tous les regards, qu’on ne cesse d’applaudir la réussite des SUV de la marque, qu’on salue le succès certain de la 308, l’allure assez épatante de la 508, et qu’on voit bien que Peugeot a réussi à capitaliser des éléments sur lesquels un avenir peut être construit. Mais pour le reste du groupe, les choses sont moins nettes. On salue la façon dont Citroën parvient, en gros, à accommoder les restes, parvenant à proposer des modèles identifiables à partir d’éléments techniques pour la plupart partagés avec le reste du groupe, misant sur un style désormais reconnaissable, à défaut de plaire à tous, et sur des petites spécificités techniques qui lui permettent de conserver un tant soit peu d’identité, et on salue d’autant plus ce petit exploit qu’on sait que la marque a été comme amputée d’une partie d’elle-même quand sa déclinaison DS a pris son autonomie, abandonnant sur ses modèles le double chevron pour devenir une marque à part entière. 

La question du positionnement de DS par rapport à Citroën, c’est un peu la question du rapport qu’entretient Goldorak avec le vaisseau qui lui permet de voler. A strictement parler, Goldorak, c’est l’ensemble constitué par les deux parties. Mais de toute évidence, c’est après le transfert/auto-largue que l’engin brille le plus, et que Goldorak semble acquérir sa véritable identité. Mais on oublie alors que ce qui rend possible la présence de cette forme fascinante, c’est le vaisseau mère, le porteur. C’est un peu pareil pour DS : la marque voudrait être la part brillante du groupe, sa forme fascinante, et ce faisant, elle a tendance à pousser Citroën vers les oubliettes, faisant comme si elle ne lui devait rien, alors que, précisément, tout ce qu’elle a, elle le lui prend.

Adieu, donc, le capital sympathie des débuts, puisque pour les plus puristes des citroënistes, la nouvelle marque vole quelque chose d’essentiel à celle qu’ils aiment, et quand on dit quelque chose d’essentiel, on choisit les mots, parce qu’il est possible que ce qui lui est retiré, ce soit son essence, si celle-ci consiste à faire cohabiter, au sein de la même marque, sous le même logo, dans les mêmes concessions et les mêmes ateliers, les plus modestes, ceux qui claquent le peu d’argent qu’ils ont dans une automobile humble, dont ils vont néanmoins prendre grand soin parce que c’est un investissement majeur, ceux qui ont un peu plus les moyens, mais sont du genre à ne pas mettre tout leur argent dans leur voiture, et ceux qui ont carrément du fric, et ont envie de rouler dans quelque chose de distinctif, d’audacieux, de performant, de sidérant même parfois. Si c’est là, et c’est ma thèse de fond à propos de Citroën, l’essence de cette marque, alors ceux qui ont décidé de séparer les deux entités lui ont fait le plus grand mal. Et de fait, depuis, on voit bien que chez Citroën, on essaie de faire un peu ce qu’on peut dans l’espace laissé par DS. 

Or il est difficile de savoir quel est l’espace laissé par DS, dans la mesure où on ne comprend pas très bien quel est le territoire que la nouvelle marque prétend occuper. Ce qui est sûr en revanche, c’est qu’en finalement peu d’années, et ce au fur et à mesure qu’elle a pris son indépendance, DS a réussi l’exploit de propulser tous ceux dont elle avait acquis la sympathie, dans le plus grand des désarrois. Alors que la marque semblait sûre d’elle à ses débuts, quand il s’agissait de présenter la DS3, ou la DS5, montrant qu’elle connaissait ses gammes de références dans l’histoire de l’automobile, manifestant sa volonté de ne pas tomber dans le panneau de la réédition du passé, et mettant en évidence son habileté à proposer quelque chose de nouveau, alors que, du coup, ceux qui se sont intéressés à la marque avaient confiance en elle, attendaient avec impatience les prochaines propositions, donnant du coude à ceux qui ne connaissaient pas encore la marque en leur disant « tu vas voir, ça va être génial », peu à peu, d’approximations en approximations, de coups de frime en ratages, les fans sont devenus plus inquiets. 

Le cul entre deux chaises

Dès lors, la marque se retrouve dans une situation compliquée : d’un côté, elle doit rassurer. Et il est impossible que chez DS on ne soit pas conscient de l’inquiétude grandissante chez ceux qui ont de la sympathie pour la marque. De l’autre, elle doit toujours faire preuve de créativité. Le dilemme DS est visible dans la DS7 : on ne sait plus trop qui il faut rassurer en priorité : les fans, qui ne sont pas forcément les clients ? Ou les clients, qui ne sont pas forcément les fans ? Dans une certaine mesure, la marque est condamnée à décevoir, parce que sa définition se situe dans un domaine payant pour le succès d’estime, mais peu rentable pour le succès commercial. Et c’est en bonne partie dû au transfert/autolargue depuis le Mothership. Parce que la maison mère Citroën pouvait, elle, accueillir en son sein, un mélange d’audace et de pragmatisme, ce qui permet de répartir les risques entre des véhicules assurant le volume commercial et des bagnoles conçues davantage pour l’image. En devant porter l’identité de « l’artiste de la famille », DS se retrouve dans une situation impossible, une double contrainte qui ne peut être qu’insatisfaite. 

Bref, les concepteurs, designers, tous ceux qui travaillent dans cette boite font ce qu’ils peuvent, on n’en doute pas. Et il est probable que la fébrilité qui suinte chez DS ne soit plus celle des débuts, propice à la créativité. Et le problème, c’est que les fans ont maintenant les même sueurs froides. Si, chez DS, on n’en est pas conscient, c’est qu’il y a un souci qui commence à devenir sérieux. 

Ce qu’il faut, donc, maintenant, c’est rassurer ceux qui portent encore un peu d’intérêt à la marque, proposer quelque chose qui mette, enfin, tout le monde d’accord, provoquer l’adhésion et retrouver la magie des premiers jours. Un concept car, c’est un peu l’idéal pour faire ça, pas de contraintes de production ni de commercialisation, on peut atteindre le pur succès d’estime et réenchanter une relation au public qui commence à battre de l’aile. 

Du coup, on ne comprend pas très bien à quelles intentions correspond la DS X E-tense. 

Dr. Jekyll’n Mr. Hyde

Avant tout, quand, après avoir un peu pesté devant un processus de teasing d’autant plus long qu’il s’agit de maintenir un embargo sur des images d’un véhicule qui ne sera jamais autre chose qu’une somme d’images, quand après avoir patienté on en vient, le jour du grand dévoilement, à regretter la période pendant laquelle on ne voyait l’engin que de façon confuse, dans le flou de la vitesse, dans le tremblé du mouvement factice de la caméra, quand finalement on trouvait la voiture plus belle quand on la voyait moins bien, c’est qu’il y a un petit problème.  

On pourrait penser que c’est une question de goût, ou d’accoutumance, qu’il faut laisser le temps aux formes de s’installer dans les esprits. Peut-être. Mais on touche alors du doigt le problème devant lequel se tient DS aujourd’hui : si le génie peut déconcerter, alors, aussi cruel cela soit-il, DS ne peut plus se permettre d’être génial. D’abord, parce que cette catégorie caractérise plutôt le domaine purement artistique, c’est à dire un univers qui ne sert, à strictement parler, à rien, qui peut tout se permettre parce que les seuls enjeux sont, justement, artistiques. L’industrie peut difficilement se permettre d’être géniale. Et si elle l’est, ça ne peut pas être, uniquement, dans l’agencement des formes. Il faut que ce soit le concept lui-même qui soit le fruit du génie. Ca arrive parfois. La mini, c’est génial. La Jeep passant du domaine militaire au monde commercial, c’est génial. L’Espace, c’est génial. Mais là, le concept de bagnole schizophrène, il n’est pas certain que ce soit génial. Ca semble plutôt être la pire façon de mettre en oeuvre l’idée de crossover, qui est loin d’être nouvelle. 

La question du goût est aussi liée à quelques fondamentaux, avec lesquels il est dangereux de jouer. Et parmi eux, il y a un critère esthétique du genre solide, c’est la symétrie. Il y a peu de concepts esthétiques qui soient « naturels », c’est un sens qui est en majeure partie constitué par notre éducation. Mais s’il ne devait y avoir qu’un seul critère esthétique issu de la nature, ce serait la symétrie. D’abord, parce qu’elle est inscrite dans nos gènes : nous faisons partie de cette partie, très majoritaire, du règne du vivant qui est construite selon une symétrie totale. Du moins extérieurement. C’est un élément tellement ancré dans la nature que chez bon nombre d’animaux, c’est un critère de sélection des mâles par les femelles. C’est pour cette raison que les paons font la roue, ou que les loups on un masque dessiné par les différentes couleurs du pelage. Un loup mâle sera délaissé par les femelles si son masque est dissymétrique, parce que c’est le signe d’une mauvaise constitution génétique. Idem pour les individus qui, en exécutant leur danse nuptiale, penchent plus d’un côté que de l’autre. 

Du coup, tout ce qui, esthétiquement, rompt avec ce principe part avec un handicap. Alors, évidemment, l’art consiste à aller au-delà de la beauté naturelle pour en construire une autre, plus élevée, qui n’est pas fondée uniquement sur le critère du plaisir. Soit. Mais là, on l’a dit, ce dont a besoin DS, c’est d’adhésion. Alors, certes, le concept X E-tense est censé préfigurer la voiture de 2035. Mais la marque doit être honnête : son existence en 2035 est, pour le moment, assez hautement spéculative. Et elle dépend de son aptitude à plaire, maintenant. Alors, sans jouer la séduction commerciale à tout prix, ce n’est pas vraiment le moment de prendre des postures d’artiste contemporain qui serait comprises, au mieux, dans plusieurs décennies. Et à vrai dire, pour être franc avec cette marque qu’on aurait envie de continuer à aimer, on doute fort qu’il y ait quoi que ce soit de génial dans ce concept. 

Au dix-huitième siècle, un auteur allemand « un peu » important a défini le génie de cette façon : Kant, puisque c’est de lui qu’il s’agit, décrivait le génie comme ce processus par lequel des règles sont données à l’art. C’est à dire qu’une forme géniale semble ne venir de nulle part, ne respecter aucune règle existant déjà, mais elle est, aussi, perçue comme ne relevant pas du « n’importe quoi », elle s’impose comme le modèle de ce qui va suivre, elle donne à tout le monde une règle nouvelle qui sera suivie par tous. On comprend, donc, que dans le monde de la production en série, il soit difficile d’être génial. Même l’art connait finalement peu de génies. Et ils ne sont pas immédiatement reconnus comme tels. 

Alors, le X E-tense, peut-il devenir la norme des années 30/40 ? Franchement, on en doute. Et ce pour une raison qui le rend inefficace, y compris dans son excentricité. Parce que l’impression que ça donne, ce n’est pas celle d’une forme finie, mais de deux formes qu’on aurait fait fusionner aux forceps. Comme si les designers avaient déposé une demande de financement pour deux concepts, et qu’ils n’avaient reçu la validation que pour un seul sans parvenir pourtant à trancher et à abandonner l’un des deux. Ce n’est évidemment pas le cas, puisque c’est une pure image. Mais l’impression d’une hésitation, d’un cul entre deux baquets demeure. Il n’y a qu’en vue plongeante qu’on peut deviner une sorte de forme unifiée. Mais on est sûr d’une chose : une telle perspective est précisément celle selon laquelle une voiture n’est jamais regardée. Et pour le reste, tout tourne à vide. 

Bienvenue en Schizophrénie

L’idée de la monoplace dissymétrique, pourquoi pas. De glorieux bolides de courses ont été construits sur ce modèle, et ils ont leur pleine place dans le royaume des chefs d’oeuvre de l’histoire de l’automobile. La 404 diesel des records, la flèche d’argent W196R, au faciès magnifiquement déséquilibré par l’admission d’air, la très célèbre Jaguar type-D, ou encore plus récemment la délicieuse et immensément désirable Morgan EV3 (l’édition 2018, pas celle de 1909 !), qui est flanquée d’un regard décentré et unique, ce qui lui donne tout son étrange charme. Même le concept Asphalte, chez Peugeot, parvenait, dans sa version monoplace dissymétrique, à provoquer une certaine séduction. Mais la beauté des modèles qu’on vient d’évoquer vient de leur cohérence : leur forme est, pour certaines le résultat des contraintes d’usage, pour d’autres un clin d’oeil lancé aux amateurs de bagnoles vers ce passé constitué de glorieuses références asymétriques.  Il n’y a rien de ce genre dans le concept DS. Juste le mariage de la carpe et du lapin, de deux usages qui ne sont pas compatibles : y a t-il quelque chose de plus ridicule, si on roule à ciel ouvert, que de ne pas partager cette sensation avec son passager ? Ou alors pense-t-on que d’ici 2035, la mode des majordomes et des chauffeurs sera de retour, et qu’on traitera de nouveau avec mépris ces petites gens en les reléguant à des conditions d’existence soumises aux intempéries, comme on le faisait jadis, pour les cochers et les chauffeurs, l’habitacle étant réservé à leurs employeurs ? Il y a décidément quelque chose qui ne colle pas du tout dans ce concept.

Quant aux modèles de série qui ont joué sur l’asymétrie, ils l’ont toujours fait sur des détails, ou en absorbant ce déséquilibre dans un concept, lui, cohérent. Il y a les modèles dont l’asymétrie ne se voit que si on regarde les deux profils simultanément, ce qui a priori est impossible (Hyundai Veloster, Mini Clubman MKI), ou alors c’est un élément légèrement décalé qui se glisse dans un ensemble, lui, nettement proportionné. Comme la calandre des  géniales Fiat Ritmo par exemple, comme les multiples prises d’air décentrées qui ont pu apparaître sur les capots des Peugeot 206, des Renault Twingo MKI et, de nouveau, de la Fiat Ritmo ou bien comme la fameuse plaque d’immatriculation déportée côté conducteur sur les Alfa, une petite spécificité introduite pas la 156, qui puise sa cohérence dans l’image de quelques modèles américains qui nous ont habitués à cet emplacement dans diverses séries ou films. Idem, mais à l’arrière pour certains millésimes du Range Rover Discovery. Jusque là, en série, l’une des tentatives les plus poussées pour introduire une véritable asymétrie dans le dessin, c’est le Nissan Cube qui en est le fruit, dont la partie arrière assume totalement d’être dessinée comme pourrait l’être une porte de frigo. Mais rien de semblable à ce que propose DS ici n’avait été produit. Et quelque chose nous dit que ce n’est pas seulement parce qu’on n’en avait pas eu l’idée.

Une perspective, une ligne de fuite ?

Reste une toute petite piste : les flancs du concept sont, finalement, ce qu’il y a de plus crédible, et les deux côtés semblent relativement semblables. Il peut y avoir des raisons de penser qu’il y a, dans ce motifs de losanOns, quelque chose qu’on puisse retrouver en série sur de prochains modèles. A vrai dire, ça fait un moment que les dessinateurs semblent savoir que le profil de la DS3 Crossback, qui devrait être dévoilée à l’automne, sera structurée selon des motifs obliques. Mais jusque là, aucune revue n’a su proposer une interprétation convaincante de ce détail de finition. On pourrait imaginer qu’il y ait, dans ce relief intéressant, une ébauche de ce que la marque pourrait prochainement proposer en série. 

Reste que l’opération communication est, de toute façon, ratée. Même à imaginer qu’on soit en train de passer à côté d’un véhicule génial sans s’en apercevoir (ce dont on doute), ce dont la marque a besoin, c’est d’une reconnaissance rapide, si ce n’est immédiate. Là, en voulant jouer au plus malin, la marque semble prendre le public de haut, sans que sa proposition soit, si élevée que ça. Il va être temps que chez DS on revienne à un peu plus de modestie et d’efficacité, parce qu’après avoir fait rêver le public, et après l’avoir déçu, la plus grande erreur consisterait à le mépriser. 

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