Rouge sur blanc

In Movies, Stratos HF Groupe IV
Scroll this

On connait le sage adage des lendemains de cuite : blanc sur rouge, rien ne bouge ; rouge sur blanc, tout fout l’camp. J’avais ce dicton populaire en tête lorsque, l’esprit embué par l’écoulement, dans mes veines, des vapeurs conjuguées de champagne, de haut-Médoc et de grains nobles dégustés la veille au soir, j’en étais à me demander si le Père-Noël était habillé de rouge, avec des détails blancs, ou bien si ses vêtements étaient plutôt blancs, avec des finitions rouges.

Bonne question, dont j’étais heureux que, occupés à déballer les cadeaux déposés nuitamment par des émissaires du Père Noël ressemblant tout de même très fortement à leurs parents, oncles et tantes, mes neveux et nièces ne me la posent pas : je ne me sentais pas tout à fait en état de leur répondre, mes méditations nébuleuses n’ayant pas encore atteint le rivage d’une réponse satisfaisante. Tout occupé à ne plus savoir où donner de la tête entre un Crazy Sharky, un Gravitrax et une escadrille d’enceintes connectées dont on regrettera, quelques heures plus tard, qu’elles puissent être utilisées simultanément pour écouter, l’une, Vitaa et Slimane s’époumonant, l’autre, les hymnes susceptibles de mettre en transe tout ce que le monde peut connaître de supporters de foot, une autre encore l’intégralité des œuvres de Wejdène, une dernière une compilation rassemblant la crème de la crème de la variété hexagonale ayant choisi comme cœur de cible les deux extrêmes de la partie de l’arbre généalogique encore en vie : les enfants d’un côté, les grands-parents de l’autre, réunis comme un seul homme autour du culte voué à Claudio Capéo, Soprano, Bigflo & Oli et Vianney, j’en étais à me dire que j’allais avoir du mal à trouver un moment de calme dans cette maisonnée un peu tonitruante, pour parvenir à poser sur la platine l’une des galettes colorées du coffret vinyle consacré aux derniers albums de Christophe ; quand un coup d’oeil sur Twitter me prit par le col pour me ramener vers mes méditations SantaKlaussiennes : alors, du rouge et du blanc ? Ou plutôt du blanc et du rouge ? Le tenancier du joli site Rangé des voitures me signalait que, le 25 décembre, son article le plus lu était celui qu’il avait consacré, un an plus tôt, à la façon particulière dont Girardo & C°, célèbre maison de vente aux enchères d’automobiles patrimoniales, située à Belchers Farm, pas très loin d’Oxford, créait des vidéos virales comme autant de cartes de voeux souhaitant à tous les bagnolards du monde de joyeuses fêtes de fin d’année.

Quel rapport avec la couleur du père Noël ? Ceci : ce message venu d’un gars pas aussi rangé des voitures que le nom de son site aimerait le faire croire, me fit prendre conscience que je n’avais pas été jeter un coup d’oeil aux voeux que Girardo &C° avait pu nous concocter cette année. Aussitôt, je furetais sur leur site et découvrais que j’aurais eu tort de passer à côté de l’épisode 2021 : il met en effet en scène un des engins qui m’aura fait, gamin, le plus puissamment rêver : l’invraisemblable Lancia Stratos. A la frontière de la bagnole et de l’engin conçu pour être propulsé dans l’espace, son cockpit cerné d’un parebrise évoquant l’aéronautique plutôt que l’univers automobile, me faisait plonger dans des rêveries au cours desquelles Alcor en prenait les commandes, accompagnant au sol les opérations aériennes de Goldorak. Fruit des amours contre nature d’une ballerine et d’un haltérophile, la Stratos semblait être une prémonition de ce genre de cinématique mécanique qu’on ne rencontrerait guère, des décennies plus tard, que dans les rebondissements souples du buggy de Gorillaz.

Ici, c’est sous les couleurs du Jolly Club, écurie de course italienne qui participa, plus qu’activement, à l’histoire du rallye en particulier, et de quelques autres disciplines des sports mécaniques en général, que la maison Girardo présente cet exemplaire de la Stratos. C’est le chassis #1004 qui roule ici sous nos yeux, celui-ci même qui avait été essayé en août 2020 pour le site Classic Driver, en compagnie d’une 037 Evo II. Les dénominations made in Lancia vous font toujours un petit effet ? Alors précisons le nom complet de cet engin né en 1974 : Lancia Stratos HF Groupe IV. On peut juste fermer les yeux et laisser ces mots infuser dans les neurones ; ils vont y tracer des jolies trajectoires. Et, comme si l’engin lui-même n’était pas un cadeau suffisant, cette livrée de compet’ se trouve être dominée par le rouge flamboyant de la carrosserie, et le blanc des déflecteurs aérodynamiques (naturellement spectaculaires sur la Stratos), des lettrages racing, et du logo Bertone, sur le montant latéral, puisque c’est ce légendaire bureau de style qui est à l’origine de ce dessin magique.

A la réflexion, j’avais la réponse à ma question depuis longtemps. Il suffit de regarder cette berlinette foncer dans la campagne anglaise pour le voir : si blanc sur rouge, rien ne bouge, alors cette Stratos est évidemment une masse rouge fondue sur une base blanche : à la moindre sollicitation du V6 par le pied droit, on sent bien que tout le train arrière est pris d’une sérieuse envie de foutre le camp.

Alors, évidemment, on peut dire que les membres de la maison Girardo ne sont pas sur le point de gagner un Oscar du meilleur acteur. Mais peu importe, vraiment : il faut regarder ça comme ces scénettes qu’on préparait jadis en secret dans la journée pour les proposer le soir à la veillée. C’est évidemment mal joué, mais c’est ce qui fait le charme de la chose. Et puis ce petit côté amateur du jeu des acteurs est amplement compensé par la technique de prise de vue, qui exploite à plein rendement les possibilités offertes par les drones. Et puisque le microfilm prend le temps de nous présenter un générique, il semble qu’on puisse décerner un prix spécial à Josh Henriques, de la société Crashing Drones pour ses plans millimétrés saisis au beau milieu des forêts. A vrai dire, on devine que c’est dans ce genre de prises de vues, qui réclament des dons de pilotage équivalents à ceux que réclament la prise en mains d’un volant de voiture de rallye, que résiderait la possibilité, pour cette discipline, de retrouver une place dans les médias. Ici, les images et la bagnole sont jointes par une unité de forme qui donne toute son allure au film, et toute son efficacité à la mise en scène.

Depuis 2016, Girardo & C° nous régale, une fois l’an, pour nous rappeler qu’en fait, c’est toute l’année que, chez eux, la bagnole est une fête. De Pères Noël en déroute en sapins oubliés, de cadeaux dispersés sur la route en virées menées fissa pour rejoindre la famille là où la fête est donnée, ce sont autant de mini-scénarios qui, comme dans tout bon film X qui se respecte, ne poursuivent aucun but véritable, si ce n’est de donner la vedette à leurs stars : ces engins sévèrement motorisés, construits le plus légèrement du monde, afin de virevolter devant nos yeux ébahis, comme des flocons de neige dansant dans le vent, ou les lumières scintillant dans le sapin. En réalité, à Belchers Farm, c’est tous les jours Noël.

Submit a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Follow by Email
Facebook0
LinkedIn
LinkedIn
Share
Instagram