Ironic

In AMI, Citroën
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A traffic jam when you’re already late
A « No Smoking » sign on your cigarette break
It’s like ten thousand spoons when all you need is a knife
It’s meeting the man of my dreams, and then meeting his beautiful wife
And isn’t it ironic, don’t you think?


Alanis Morissette

C’est armée de ce bon vieux sens du énième degré que l’agence Buzzman s’est mise au service de Citroën pour lui confectionner, sur mesure, une campagne de publicité comme le monde automobile en voit assez peu. Car si on a parfois recours à l’ironie pour mettre en scène des produits dématérialisés tels que des abonnements à Sosh, il est plus rare de voir ce ton servi en accompagnement d’objets physiques conçus pour incarner physiquement des valeurs de sérieux, de sécurité et de confiance. Autant dire dès lors que ce n’est pas dans l’univers des marques automobiles qu’on aime le plus manifester un sens de l’humour débordant quand il s’agit de montrer le produit.

Ca ne veut pas dire qu’il n’y ait pas d’humour dans la publicité automobile. Mais généralement, ce n’est pas la voiture vendue qui en fait les frais. Si Volkswagen ironise volontiers à propos de sa clientèle, c’est pour mieux montrer que, justement, la voiture se situe un cran au-dessus de son futur propriétaire, et que celui-ci gravit les marches de la gloire en posant ses fesses dans le siège de sa Golf (de quoi aurait-il peur, maintenant ?). Mais du produit, on ne rit pas. La voiture demeure un gros objet, un achat onéreux, et il semble inenvisageable de convaincre un client de débourser des milliers d’euros pour un objet que sa marque nourricière ne prendrait pas elle-même au sérieux.

Et si chez Buzzman on s’est dit qu’on allait faire exception, c’est parce que l’objet à vendre est un peu particulier. Quelque part entre le caddie de supermarché, la voiturette de golf et la cabine de téléphérique montée sur roues, l’AMI est un objet tellement atypique dans le monde automobile qu’à strictement parler elle n’est même pas vraiment de ce monde. Abordant l’univers de la voiture par en-dessous, elle évolue plutôt dans le cercle un peu restreint de la voiturette, sans avoir encore reçu sa carte de membre du très sélectif club des nano-bagnoles, dans lequel se retrouvent la Mini originelle, l’A112, la 500, l’Isetta ou la Copen, autant de micro-réussites miraculeuses s’étant glissées dans des créneaux du marché comme d’autre s’immiscent au chausse-pied dans des emplacements de parking tellement réduits qu’on ne pensait même pas pouvoir y engager une roue. Concurrente même pas frontale du Twizy de Renault, l’AMI tente d’attirer à elle tous ceux qui ne veulent, ou ne peuvent, pas accéder à la véritable automobile, exactement comme le fit, jadis, la deuche.

Mais là où le Twizy peut être perçu comme un sur-scooter, l’AMI, elle, est bel et bien une sous-voiture et l’erreur, dès lors, consisterait à la faire passer pour ce qu’elle n’est pas, et à la vendre selon les critères habituels du monde automobile. Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette série d’affiches ne tombe pas dans ce piège, et qu’elle jette par-dessus bord toutes les précautions d’usage dans le monde très codifié de la réclame et de la vente : oublié, le respect du produit ; abandonnée, la nécessaire valorisation du produit ; adieu, la promotion fictive d’un bien qu’on fait péter nettement plus haut que son pot d’échappement (l’AMI n’en a pas) ; bonjour dérision et honnêteté : Citroën prend le parti d’en rire, puisque de toute façon, il va être difficile de prendre l’AMI très au sérieux.

Et si Renault pouvait, lors du lancement de la première Twingo, jouer la carte de la convivialité et tout miser sur le capital sympathie de sa nouvelle voiture, chez Citroën on sait qu’on ne peut pas jouer cette carte : le client serait cruellement désillusionné par la rencontre avec cet objet qui fait trop de concessions pour qu’on puisse faire semblant qu’elle n’en fait pas. Car le maître mot de l’AMI, c’est la contenance : si le volume et les prestations sont particulièrement réduits, c’est parce que le prix doit, lui aussi, l’être. Et il faut lire la totalité de la voiture selon ce critère simple si on veut la comprendre. C’est là son discret tour de force, qu’il ne faut pas sous-estimer, car il est probablement plus difficile de faire un véhicule vraiment pas cher, qu’un bolide ultra-performant qui n’aurait à respecter aucune limite de prix, et de rentabilité. Mettons les ingénieurs de Bugatti sur ce défi, il est probable qu’ils y perdront un peu de leur superbe. On dit volontiers que l’AMI n’est pas une voiture. Et si on osait proposer l’hypothèse exactement inverse : et si l’AMI était la seule proposition à n’être, d’un bout à l’autre, que l’expression exacte, réduite à l’essentiel, de l’automobile, les autres étant un mélange de cette essence avec tout un tas d’autres caractéristiques, accessoires ?

Le problème, c’est que l’AMI est une pilule un peu plus amère que prévu, car le peu qu’elle est censée faire, elle ne le fait pas très bien : portières s’ouvrant seules, charge parfois inopérante, brusques chutes des performances pourtant déjà pas très élevées à « pleine » puissance, étanchéité comparable à celle d’une passoire, l’AMI qu’on a livrée à ses premiers propriétaires ne réclame pas seulement de leur part de la modestie, elle exige qu’ils cèdent sur tout, y compris sur le nécessaire, à tel point que Citroën a dû se fendre d’une campagne de rappel de grande envergure, déplaçant les AMI déjà vendues pour les renvoyer à l’atelier afin de leur faire suivre un programme de mise à niveau susceptible de gommer ces défauts de naissance qui, sinon, pourraient bien lui pourrir durablement l’existence, et avec elles, celle de ses propriétaires.

Puisque tout le monde voit bien que cette voiture n’en est pas une – du moins pas une voiture au sens qu’on donne actuellement à ce mot -, et puisqu’à vrai dire personne n’est vraiment surpris par les déboires qu’elle fait endurer à ses courageux premiers propriétaires, autant jouer franc jeu et communiquer en mode « Bon, on va pas s’mentir ». Cette démarche logique a donné naissance à une ribambelle d’affiches dont on croisera sans doute quelques exemplaires dans les rues dans les semaines qui viennent. Au fil des slogans sarcastiques, ce sont tous les défauts supposés de l’engin qui sont retournés sur eux-mêmes comme on pourrait le faire d’une chaussette, pour subvertir toutes les valeurs qui sont censées faire de l’AMI l’exemple par excellence de la faiblesse.

Ainsi, tout en admettant que la puissance de ce quadricycle est, vraiment, très faible, Citroën fait de la puissance une valeur désuète. Tout en reconnaissant que le design de l’engin est déconcertant, la marque l’assume, précisant que la voiture est exactement telle que ses concepteurs voulaient qu’elle soit. Et à strictement parler, elle l’est : l’ouverture doublement antagoniste des portes est une nécessité économique, tout comme le sont tous les éléments symétriques qui sont autant de pièces exactement semblables sortant des mêmes presses et des mêmes moules industriels. Comme nous l’avons dit pour la C5X, il faut comprendre que désormais, le prix d’une Citroën fait intégralement partie de son design et de son esthétique. Et le problème que posait le concept AMI One, c’est qu’il n’incarnait pas physiquement cette économie, là où le modèle final, lui, porte dans ses volumes, ses formes, cette volonté. L’AMI est une voiture qui aurait confondu les rouleaux du Carwash avec le rasoir d’Ockham, et qui aurait été réduite à sa plus simple expression. Une redéfinition. Une analyse conceptuelle faite à la sableuse.

Dès lors, ceux qui reçoivent cette campagne publicitaire comme une façon, pour Citroën, de se foutre de la gueule du monde, se trompent. L’AMI n’est pas une petite branleuse qui se la coulerait douce. Elle se donne très exactement, et au gramme près, les moyens de ses ambitions. Et la publicité met très précisément cela en valeur. Ce n’est ni un passage au confessionnal, ni une séance d’interrogatoire qui s’achèverait par les aveux de l’accusée : si le designer n’est pas viré, c’est qu’il a fait du bon boulot. Si la puissance est contenue, c’est parce que la législation l’impose. Si la finition est très, très légère, c’est parce qu’il faut qu’on voit qu’elle l’est. Si l’AMI est telle qu’elle est, c’est non seulement parce qu’il est nécessaire qu’elle soit ainsi, mais aussi parce que son allure est le témoignage, le langage, de cette nécessité.

Dès lors, mettre en parallèle ce discours ironique et les déboires de naissance de ce quadricycle n’a pas vraiment de sens, car dans cette campagne le propos de Citroën n’est pas de s’excuser, mais de prendre l’AMI pour ce qu’elle est. Maintenant, savoir si ses défauts de conception font partie de l’économie qu’elle met en scène, ce serait aller un peu loin. Néanmoins, on sait que les 2cv ont été, aussi, à l’origine de bon nombre de mésaventures communément partagées par leurs propriétaires : portes qui ne fermaient pas, rétroviseurs qui se rabattaient avec la vitesse (pourtant modeste), vitres basculantes qui se refermaient brutalement sur le coude, capote arrachée, avec la lunette arrière par la même occasion, en croisant un poids-lourd par jour de grand vent. Ce sont aussi ces défauts qui créent, entre les conducteurs de certains modèles très spécifiques, une culture commune qui peut servir de terreau à une communauté. Or l’AMI commence à générer, parmi ses quelques early adopters, quelque chose dans ce genre. Peut-être parce qu’ils doivent s’auto-convaincre qu’ils ne se sont pas fait avoir, peut-être aussi parce qu’ils ont l’impression, pas tout à fait injustifiée, de participer à une aventure commune.

Evidemment, ceux qui ont une préférence nette pour les marques réputées plus sérieuses s’offusquent à bon compte d’une telle stratégie commerciale. Peut-être ne se souviennent-ils pas qu’à la fin des années 50 une autre marque investissait elle aussi dans un discours à rebrousse-poil au moment où elle investissait les Etats-Unis avec un modèle pas vraiment taillé pour ce continent : La Käfer, appelée Coccinelle en France, et Beetle dans le monde anglo-saxon, aborda la presse américaine accompagnée d’une présentation simple et lapidaire : Ugly. Dans le développement de cette campagne conçue par l’agence DDB, ce sont tous les défauts supposés de la Voiture du Peuple qui furent passés en revue, et glorifiés. Trop petite, trop lente, trop chère pour ce qu’elle était. Aux yeux d’un conducteur d’Oldsmobile, la Beetle devait être à sa longue Sedan ce qu’une AMI est, pour le client actuel de Volkswagen, à sa Polo.

On replongera avec délectation dans cette leçon de publicité tout droit venue des fifties finissantes. On y replongera cependant avec un peu de distance, car certains de ses aspects ne relèvent pas de l’ironie, ni du second degré. Ainsi, on n’hésitait pas en ce temps là à expliquer que si la Beetle était moche, ce n’était pas bien grave : son propriétaire serait moins déçu quand sa femme la lui ramènerait toute cabossée après une journée de lèche-vitrine. A l’époque, la publicité Volkswagen méprisait la femme du client. Aujourd’hui, c’est au client lui-même que la marque s’en prend. On n’est pas sûr que ce soit un progrès, mais on en reparlera un de ces jours.


4 Comments

  1. Joli pari également de la part de Darty que de s’associer à la campagne. L’auto-dérision a le mérite de rendre sympathique. Et VW est allé très loin pour la Cox, et effectivement trop loin pour 2021 !

    • Un de ces 4′, la cancel culture va réclamer d’effacer Volkswagen de la carte rien que pour ce genre d’épisode historique !

    • J’ai vu l’information hier en effet, et j’ai dû vérifier qu’on approchait bien du 1er mai, et pas du 1er avril ! Mais non, ça a l’air d’être un vrai projet. Ce qui est marrant, c’est qu’on imaginait déjà PSA conquérir l’Amérique avec la 508 ou un SUV Peugeot, et voila que c’est l’AMI qui sera le fer de lance du groupe aux USA. Effectivement, il y a là une forme d’ironie de l’histoire !

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