I am Legend
Le problème des légendes, c’est qu’elles magnifient toujours un peu leur héros. Dès lors, quand on prétend être héritier d’une légende, on est rarement à la hauteur de celle-ci, car le récit légendaire se situe déjà à une altitude que leurs propres héros n’avaient, en fait, jamais atteinte.
Ainsi, la Citroën C5X doit à son tour monter sur un trône de métal et de matériaux composites dont on ne sait plus très bien si on l’a construit avant, ou après le règne de ses ancêtres. La CX était-elle vraiment, au moment où on pouvait l’acheter, l’engin de rêve que nous avons en tête aujourd’hui ? De son vivant, considérait-on la XM comme l’une de ces Citroën qui serviraient à jauger l’aura de celles qui lui ont succédé ? Et la C6, l’a-t-on accueillie comme une nouvelle héroïne de cette légendaire lignée de berlines Citroën ? Mettons à part la DS, quasi initiatrice de cette saga. Roland Barthes a déjà écrit en quoi elle participe à sa propre légende, et il est probable que son texte mythologique ait contribué à la placer un peu plus haut encore dans le firmament des étoiles automobiles, sur une orbite dont on peut douter qu’un autre modèle puisse s’y hisser prochainement.
Il est possible, alors, que les véritables éloges que pourraient recevoir la C5X, on ne puisse les entendre et les lire qu’à la fin de son propre règne. On saura alors si les choix de Citroën sont aujourd’hui les bons, si la marque devine quelque chose dans les orientations à venir du marché, si une place, à ce jour encore tellement hypothétique qu’on peut la considérer comme très incertaine, existe pour elle dans le cœur, mais aussi les intentions d’achat, du public.
Citroën, Citroën, Oh oui Citroën
– Moi non plus
Ceux qui se plaignent en permanence de tout ce que peut proposer Citroën affirment le cœur sur la main que s’ils ont la dent aussi dur, c’est parce qu’ils sont les amoureux authentiques de la marque aux chevrons. Mais toute personne suffisamment adulte sait qu’il faut un peu se méfier de certaines formes de déclaration d’amour, parce qu’il y a une certaine manière d’aimer qui consiste à s’attacher à un être pour ce qu’il était, avant, et non pour ce qu’il est devenu entre temps ou ce qu’il pourrait devenir à l’avenir. Cet amour, qui relève plutôt du fétichisme, est parfois une pathologie (ceux qui l’éprouvent cherchent avant tout à souffrir), parfois une façon de se donner à bon compte l’impression de dominer quelque chose : une bonne part des critiques portées sur Citroën sont le fait de personnalités qui prétendent être capables de diriger à elles seules une marque, mieux en tout cas que ceux dont c’est le métier.
Et c’est là tout le problème avec une marque telle que Citroën : ses choix sont suffisamment tranchés pour qu’on puisse avoir en permanence l’impression qu’elle aurait pu en faire d’autres. Si les orientations de la marque étaient plus tièdes ou consensuelles, Citroën prêterait moins le flanc à ce genre de critique. Quoique, en réalité, une telle hypothèse ne soit pas certaine, car de cette marque plus que de la plupart des autres on attend tout, et son contraire : qu’elle soit mainstream sans rien céder aux modes de l’époque, qu’elle soit audacieuse tout en ne déplaisant à personne, qu’elle fasse des gros chiffres de vente tout en clivant la clientèle, à moins que non, on lui demande plutôt d’être non clivante tout en développant une certaine exclusivité.
Je ne sais pas comment ils gèrent la chose chez Citroën, mais de fait, je n’ai jamais trouvé dans un manuel de développement personnel, au chapitre « bien être et estime de soi » un conseil préconisant de travailler au centre de style de la marque chevronnée. On espère pour eux qu’ils travaillent de façon un peu étanche aux injonctions du public.
Trouver sa place dans le collëctif
On va essayer de tourner autour de cette Citroën C5X en présupposant qu’elle est telle qu’elle doit être, qu’elle n’est pas le résultat d’une erreur ou de croisements aléatoires opérés un jour de gueule de bois. Et on va s’épargner vous et mois l’hypothèse selon laquelle Peugeot, désormais drapé dans le grand manteau de Stellantis, concevrait exprès des Citroën invendables pour que cette légendaire marque française périclite, puis disparaisse.
On va plutôt partir de cette hypothèse, qui nous semble plus raisonnable : dans le groupe Stellantis, il y a déjà des marques conçues pour faire du volume. On pense prioritairement à Opel, qui est vraiment le membre de la famille qui vise la partie du public ayant besoin d’être rassurée et de se retrouver en terrain connu quand elle achète une voiture. On peut aussi penser désormais à Fiat, qui a une vocation clairement populaire, et tente de proposer à la clientèle des modèles qui soient en phase avec les attentes du marché. Peugeot semble, certes, aller vers des propositions un peu plus osées, qui pourront effrayer les plus conservateurs, mais en réalité, la marque reste fondée sur des conceptions assez classiques de l’automobile, comme le sont les autres marques du groupes visant un public un peu plus restreint, Alfa Roméo, Lancia ou DS. La seule marque du groupe qui, au milieu de ces identités très affirmées, puisse se projeter vraiment dans le No Man’s Land de l’inconnu, c’est Citroën, qui n’a jamais cherché à correspondre à une définition préexistante de l’automobile, mais à créer de nouveaux concepts et de nouvelles formes, explorant et défrichant à l’avance les tendances à venir. Citroën peut être considéré comme un laboratoire, une marque expérimentale, qui peut se permettre de sonder des tendances, de flirter un peu avec les frontières qui sont dressées entre les genres, afin de les subvertir. Ce rôle pourrait aussi être attribué à DS, mais la spécificité de Citroën, c’est de proposer cet esprit d’exploration tout en demeurant populaire. C’est à dire qu’elle doit s’adresser au plus grand nombre, y compris économiquement. Et c’est avec ce critère en tête qu’on doit regarder la C5X, pour ne pas la juger selon des exigences qui ne sont pas les siennes.
Inclassable
Expérimentale, la C5X l’est, comme le furent certaines de ses ancêtres, au point de ne pas entrer dans une case très précise de la taxinomie automobile. A priori, c’est une berline. Mais dans cette catégorie, elle n’a rien de commun avec sa cousine 508. Plus habitable, plus longue, elle est aussi nettement plus haute sur ses grandes roues. Sa garde au sol pourrait être celle d’un SUV, mais sa ligne de toit fait plutôt penser à un modèle fastback, ou à un break, ou un break de chasse. Bref, elle brouille les pistes. Sans doute est-elle un crossover, mais tel un cocktail particulièrement exotique, on ne parvient plus à reconnaitre les ingrédients que Citroën a versés dans le blender. Surtout, ses proportions sortent de l’ordinaire : ce n’est pas que l’empattement soit court. C’est plutôt que les porte-à-faux sont longs et que rien n’est fait pour masquer ces volumes en surplomb au-dessus de la route. L’effet visuel, c’est d’être confronté à une architecture qu’on aurait posée sur des roues, comme si on avait doté une cabine qui n’était pas prévue pour ça d’une aptitude à se déplacer. L’impression est très particulière dans l’univers automobile contemporain, au point de mettre la C5X en porte-à-faux de cette galaxie. C’est une voiture, certes, mais dès le premier coup d’œil, on repère le fait que c’est une voiture « autrement ».
Pour autant, elle n’est pas un mobil-home monté sur de grandes roues. De l’univers automobile elle respecte certains usages, que sa petite soeur, la C4, avait déjà mis en oeuvre. Parmi ceux-ci, un principe de mise en valeur du compartiment moteur qui est commun, même si les outils formels ne sont pas les mêmes. Si la C4 prolonge visuellement le bloc moteur sur les flancs, allongeant visuellement les ailes avant en recourant à des reliefs qui empiètent généreusement sur les portes, la C5X recourt, elle, à un artifice plus discret, mais efficace lui aussi : une baguette de finition trace un trait entre l’aile avant et la porte, dans l’exacte continuité de la signature lumineuse avant. Comme si celle-ci se prolongeait naturellement au-delà de l’arche de roue en s’enfonçant dans la profondeur de l’aile, qui semble ainsi plus musclée. De cette façon l’aile est prolongée visuellement, compensant un peu le poids visuel du porte-à-faux, élançant la silhouette vers l’habitacle et conférant à cette carrosserie de la puissance à défaut de lui offrir de la sportivité.
Autre élément fort du style de cette nouvelle berline, les passages de roue, qui vont nous permettre d’échafauder une hypothèse intéressante. Leur dessin associe le cerclage noir qu’on rencontre de façon assez générique sur les SUV, et les à-plats qui projettent cette C5X dans un univers déjà peuplé de BMW iX, et de Peugeot 3008 First Gen. Et à vrai dire, découvrir cette nouvelle Citroën confirme un pressentiment qu’on avait déjà alors qu’on ne devinait encore que les proportions singulière de cette familiale sur les spyshots. : Citroën tente de refaire le coup du premier 3008 en proposant une allure qui n’emportera pas immédiatement tous les suffrages, mais attirera suffisamment l’attention pour qu’on pose le regard sur elle, et qu’on puisse, simplement, l’envisager. L’idée m’était venue en lisant les avis déjà très fermement exprimés vis à vis de cette C5, alors qu’on savait encore très peu de choses d’elle : on pronostiquait à l’avance non seulement le naufrage esthétique, mais aussi la débâche commerciale de ce modèle. Et je ne pouvais pas m’empêcher, en lisant ces commentaires un tout petit peu prématurés, de me souvenir des mêmes avis qui avaient précédé le succès du 3008, dont tout le monde dira ensuite qu’on ne l’avait pas vu venir. Choisira-t-on la C5X malgré son physique ? Peut-être, mais on peut aussi supposer que les acheteurs du premier 3008 aimaient sincèrement leur voiture. Ils étaient simplement conscients que leur choix ne correspondait pas aux critères esthétiques de leur temps. On se dit que si un client Peugeot est capable de cette audace, un citroëniste devrait le pouvoir aussi. Reste évidemment une question, cruciale : il en reste combien, de véritables citroënistes ?
Embarquement pour Citroëre
Si on résume, c’est quoi cette C5X ? En une expression simple : une invitation au voyage. Un vitrage ouvert sur l’extérieur. Plutôt que cultiver un habitacle fermé sur lui-même et hermétique au monde, cette Citroën semble revenir aux éléments fondamentaux de l’automobile : cet engin sert à aller quelque part, à partir. Et si Citroën partage avec Volvo quelque chose, c’est ceci : la voiture passe après les lieux qu’elle permet de rejoindre. Chez Citroën, on est conscient que l’automobile est un peu la matérialisation toujours présente, là, sur le parking ou en dessous, dans le garage, de cette possibilité permanente d’aller ailleurs, d’ouvrir la porte, mettre le contact, et filer là où on n’est pas encore. Et s’il est possible d’envisager de rouler pour rouler à bord d’une Citroën, ce n’est pas pour cela qu’elle est tout d’abord conçue. Si vous observez bien les publicités pour les bagnoles vous verrez qu’on peut le plus souvent les répartir en deux catégories : dans les unes, on monte dans les voitures pour ne plus jamais en descendre, parce qu’elles sont conçues comme des fins en soi, elles ne sont mises au service de rien d’autre que leur propre usage. Dans les autres on se sert de la voiture pour aller quelque part, et une fois la destination atteinte, on en descend, et on la laisse là pour explorer réellement le monde. Le film de présentation; réalisé par Thomas Tyman met en scène cette caractéristique culturelle : la C5X appartient à cette seconde catégorie de voitures, celles dont on descend un moment pour faire autre chose.
Sans doute regardera-t-on cette voiture, selon l’humeur du jour, avec un œil plus ou moins bienveillant. Les bons jours, on verra en elle un chariot confortable, déjà attelé, prêt à embarquer ses passagers pour explorer le monde. Sa garde au sol généreuse permettra de ne pas s’inquiéter au moment de sortir un tout petit peu du billard des routes bien goudronnées, son espace intérieur généreux autorisera à embarquer pour voyager confortablement. Les mauvais jours, on verra en elle une sorte de Ford Scorpio surélevée, un engin pataud qui n’a pas grand chose à voir avec les grandes routières que Citroën a pu proposer par le passé.
Mais c’est ça une Citroën : une voiture qui n’a rien à voir. Y compris avec sa propre marque.
Ne regarder cette C5X qu’avec le mauvais œil serait un peu injuste, car cette Citroën, en réalité, maintient le lien avec son propre passé. Simplement, elle ne cherche pas à le réitérer. Ainsi, elle peut évoquer la XM dans sa façon de laisser sa ligne de vitrage décrocher vers le haut à l’approche de la custode. Mais ce faisant, elle évoque aussi habilement le 3008, dont il est probable qu’elle espère capter quelques adeptes, un peu lassés par le tsunami des SUV, mais qui ont pris goût à cette façon de s’installer dans une voiture sans avoir à y descendre. De la même façon, elle cultive l’art et la manière de traiter la vitre de custode, qui est un des signes distinctifs de Citroën, auquel on avait déjà consacré tout un article. La signature lumineuse est évidemment respectueuse des codes visuels développés par la marque de modèle en modèle, et la ligne chromée qui surligne le vitrage latéral permet de délimiter en hauteur la voiture, tout en ménageant, au-dessus, un volume investi par le pavillon. Une façon de structurer la hauteur de la voiture qui est classique chez Citroën, puisqu’on la retrouve sur la déclinaison break de la CX, mais aussi sur la DS.
On ne reviendra pas plus que nécessaire sur la face avant, car on a déjà beaucoup écrit à propos de ce nouveau visage, inauguré par la C4. On précisera simplement que ce n’est pas un carry-over de la compacte vers la routière : si le thème est commun, l’interprétation diffère beaucoup : les phares apparaissent plus près du sol, plus petits aussi proportionnellement dans cette face avant, et l’ensemble semble aussi moins complexe, plus sobre, laissant simplement le regard interpréter les formes et les volumes, comme il est souvent possible de le faire sur les Citroën. Ainsi, on peut isoler mentalement les deux blocs optiques principaux, et faire abstraction de la signature lumineuse diurne. La voiture semble alors assez classique, l’air un peu mélancolique avec une face avant très frontalement verticale, à l’ancienne. Mais on peut aussi, comme sur la petite vidéo qui avait teasé la voiture quelques jours avant son dévoilement, faire abstraction de ses phares, et ne voir que la signature lumineuse. La C5X prend alors une allure plus futuriste, avançant dans l’espace comme un engin sorti de Star Wars, un X-Wing roulant en translation à équidistance du sol. La perception de la voiture semble assez différente le jour et la nui; l’angle selon lequel on la regardera sera aussi déterminant dans l’impression qu’elle renverra.
Si vous voulez éprouver un certain nombre des éléments que je viens d’évoquer, je vous conseille d’aller regarder la galerie de photos publiée par le toujours bon site Le Nouvel Automobiliste. A plusieurs reprises, j’ai eu le sentiment de simplement mettre des mots sur les photos prises par Fabien Legrand. Et sans son regard, je pense que certains aspects de cette voiture m’auraient échappé. J’en profite pour préciser que la plupart des autres clichés de cet article sont dus à William Crozes, qui travaille régulièrement pour Citroën et DS, et a aussi fait un joli travail autour de cette voiture.
Petite précision supplémentaire sur la face avant, tant qu’on y est. Ce qui est frappant, c’est la somme de travail mise en œuvre pour parvenir à ce résultat. Ainsi, la paupière qui recouvre les projecteurs apparait comme une « simple » lame de métal courbée, qui vient mourir sur la calandre, donnant l’impression d’un véritable travail de tôlerie, comme si un artisan avait véritablement travaillé et sculpté une feuille d’acier pour venir recouvrir le phare, comme si une aile à l’ancienne, détachée du compartiment moteur, recouvrait la roue avant. De même, le fil de lumière supérieur et très graphiquement cintré à l’intérieur du motif désormais traditionnel constitué par le prolongement rectiligne des chevrons sur les côtés. Avec les virgules inférieures, cela contribue à donner à la signature avant un aspect quasiment calligraphié, qui apporte de la vie à cette signalétique. Le phare, lui, avec son trait de lumière oblique, fait un peu penser au regard de la Ford Mustang, sous certains angles. Regardez mieux. Vous la tenez ? Oui je sais, je sais, c’est fugace.
L’arrière, lui, est plus naturel que celui de la C4, et il est marqué par la recherche de formes aérodynamiques efficientes. Raison pour laquelle on se retrouve avec ce combo de déflecteurs. L’un au sommet du hayon, très sculpté et hérité du concept DS9 (qui a fait don, aussi, de sa ligne chromée supérieure venant surligner la custode), visant à guider le flux d’air au plus près de la lunette arrière. L’autre en bas, quasiment en queue de canard. Et peut-être est-ce dans cet appendice qu’il faut chercher l’impression qu’ont eue certains en regardant cette C5X dans le dos, d’éprouver une réminiscence de Porsche Cayenne coupé, ou de Panamera. Sans doute la forme des feux y est-elle pour quelque chose – du moins pour sa partie la plus conventionnelle -, peut-être leur position haute en surplomb d’une face arrière un peu massive elle même appuyée sur un parechoc maousse-costaud et épaulée par des hanches larges contribue-t-elle aussi à cette impression, mais c’est aussi la forme de cet aileron qui rappelle un peu la marque allemande, quand bien même ni la Cayenne, ni la Panamera ne sont équipées d’un aileron ducktail.
De façon générale, à défaut de beauté, la C5X apporte une certaine prestance, et c’est une voiture qui a de la présence, sans pour autant voler la vedette à ses occupants. Car dans le fond, cette voiture est avant tout un habitacle.
Salle de séjour
Et cet habitacle apparaît, dès le premier coup d’oeil, comme fondamentalement conçu pour être accueillant : hauteur, longueur, ces deux dimensions sont généreuses. On sait que la voiture est fondée sur une version de la plateforme EMP2 partagée par les nouvelles 308 et DS4, modèles du segment inférieur. On craignait que ce choix technique, qui va contribuer à maintenir la C5X dans une fourchette de prix compétitive dans sa catégorie, engendre une créature trop étroite par rapport à ses dimensions. Il n’en est finalement rien, car cette plateforme aussi utilisée pour les modèles de catégorie supérieure, est particulièrement souple dans son utilisation : la C5X mesure 186cm de large, soit un centimètre de plus que la DS9. Son empattement peut sembler visuellement un peu court, mais à l’intérieur, cette impression s’efface, l’habitacle proposant un volume conforme aux modèles de sa catégorie. On regrette sans doute un peu un effet de similarité avec la C4, dont l’intérieur reprend bon nombre d’éléments, mais pour autant, par quelques détails, dont le choix de certains matériaux, la C5X apporte ce quelque chose de plus qui permet à cette grande voiture de se démarquer suffisamment, sans pour autant snober sa petite sœur.
Ce n’est pas la peine d’en rajouter
Et c’est peut-être sur ce point que le design Citroên joue une partition qu’on peut applaudir. En effet, par rapport à la C4, la C5X apporte une forme de distinction qui exprime sa position plus élevée dans la hiérarchie de la gamme. L’élément le plus significatif, dans ce registre, c’est la finition boisée qui court sous le tableau de bord, le soulignant de façon plutôt légère puisque cet étage structurant visuellement l’habitacle est joliment mis en lumière par un éclairage d’ambiance qui met en scène la profondeur de cet élément. La finition bois est une solution très classique pour apporter un peu de classe à un habitacle. Mais ici, il ne s’agit pas de vrai bois et ce choix est parfaitement assumé : Citroën prend soin de proposer un effet visuel agréable, sans mettre en œuvre des artifices qui auraient pour but de tromper l’œil sur la marchandise : c’est la raison pour laquelle une trame est discrètement superposée sur le motif « bois », reprenant les chevrons distinctifs de la marque (qu’on retrouve littéralement partout dans l’habitacle), évitant de mimer à l’excès le vrai bois.
Pourquoi ? Parce que la proposition Citroën évite soigneusement de mettre en scène une quelconque richesse. Et ce faisant, elle va à rebours d’une tendance lourde dans l’automobile contemporaine, dont les lois sont dictées par les principes discutables du « premium ». Résumons ces principes en une formule simple : il faut montrer qu’on a les moyens de s’offrir des trucs. L’esthétique « premium » met en avant la présence d’éléments dont tout le monde sait qu’ils coûtent cher. Ca va des finitions un peu clinquantes (le chrome, les surfaces noires brillantes) aux équipements onéreux (optiques de phares dignes des étapes de rallye se faisant de nuit, dans le brouillard, radars en tous genres,, prises d’air, jantes larges, spoilers évoquant la sportivité…) en passant par les inévitables écrans et leurs graphismes hyper démonstratifs ; autant de détails qui disent au reste du monde « J’ai les moyens de m’offrir des trucs, y compris des choses qui ne servent à rien ». Peugeot est passé maître dans l’art et la manière d’attirer le public vers les finitions très hautes en privant ceux qui ne jouent pas ce jeu commercial de tout ce qui pourrait un peu épater la galerie : signature lumineuse valorisante, jantes un peu sympathiques, optiques de phares aiguisées, tout ce qui fait qu’on se retourne un peu sur le passage d’une Peugeot, tout ce qui fait aussi qu’on a payé plus cher un pur effet cosmétique. La C5X ne joue pas à ce petit jeu là. Evidemment, toutes les finitions ne bénéficieront pas des jantes en 19 pouces. Bien sûr, tous les modèles n’auront pas la sellerie cuir proposée sur les modèles révélés hier. Mais on voit bien que la voiture évite soigneusement cette segmentation économique visant à humilier les clients les plus modestes, et à survaloriser artificiellement les clients qui aimeraient faire croire qu’ils sont riches.
L’habitacle joue cette carte de l’efficience modeste : tout est à sa place, tout semble fonctionnel et efficace, mais l’ambiance générale respecte une volonté de modestie qui étonne un peu dans le paysage automobile contemporain.
Le Charme discret de la bourgeoisie de province
Et il y a là, sans doute, une clé de lecture du design Citroën en général, dont il faut tenir compte pour juger correctement des effets qu’il produit : la marque a comme mission de demeurer populaire. Et derrière cette volonté, il y a une exigence : ses prix doivent demeurer contenus. Dans le groupe Renault, Dacia joue aussi ce rôle mais la marque le fait en proposant des modèles très consensuels, ratissant très large pour ne choquer personne et faire venir à elle la majeure partie des clients qui ne souhaitent pas investir plus que de raison dans leur voiture, tout simplement parce qu’ils s’en foutent un peu. Mais la mission de Citroën est un peu plus compliquée que ça : les modèles proposés par les chevrons doivent être en même temps singuliers, étonnant, intéressants, et accessibles financièrement. Résumons ça en une formule un peu contradictoire : Citroën, c’est l’exclusivité pour tous. Pour cela, il faut que le design évoque immédiatement la distinction, la singularité, tout en évitant soigneusement tout les éléments répertoriés comme excessivement chers, et tout ce qui entrerait dans le registre de l’étalage de richesse.
D’où l’absence des matériaux nobles, qui laissent ici la place à des plastiques aux reliefs et textures travaillées. D’où une allure générale qui évite soigneusement d’évoquer la sportivité, et une silhouette qui croise les registres un peu contradictoires de l’élégance et de la bonhommie. C’est certes un peu antinomique, mais c’est une antinomie à laquelle on est familier : la C5X, c’est un peu Tata Christine qui n’a pas un physique de top-model, mais qui met un ensemble qu’elle a acheté chez Desigual quand elle veut s’habiller « chic », c’est tonton Christian qui met ses bottes Aigle avec un jean et une vieille veste sur son col roulé pour se promener avec mamie, bras dessus, bras dessous, dans un chemin creux, c’est les salades de tomates en pique-nique l’été au bord d’une rivière. C’est la voiture pour aller à la messe le dimanche, emmener les gosses au rassemblement de scouts, rejoindre un point de départ de randonnée sur le chemin de Saint-Jacques. C’est la modestie bourgeoise de ceux qui sont assez confiants dans leur patrimoine pour ne pas se sentir obligés de se rassurer sur leur pouvoir d’achat en cherchant dans le regard des autres des lueurs d’envie à leur égard.
D’où l’absence du support pour tablette que la C4 avait inauguré : dans la C5X, le passager ne surfe pas sur sa tablette, il lit le guide vert aux enfants ou amis qui, derrière, écoutent religieusement en regardant le paysage défiler dans le mouvement lent et chaloupé de la grosse berline. Son smartphone, il l’a mis sur le support de charge, et il a tiré le volet coulissant par dessus, parce qu’il n’est pas trop sur les réseaux sociaux, et n’a pas le regard rivé sur les écrans.
D’où, enfin, l’absence de combiné d’instruments digne de ce nom en face du conducteur. C’est le point le plus étonnant de cet intérieur, et le plus décevant aussi, parce que nous sommes très habitués aux interfaces tout droit sorties du casque d’Ironman. Mais clairement, on ne va pas acheter une C5X si on se prend, de près ou de loin, pour Tony Stark. Cet écran de taille et de définition modeste, juste sous les yeux du conducteur, semble rappeler à celui-ci qu’il a fait voeu d’abstinence, et qu’il ne doit pas céder aux tentations du monde contemporain. « Détourne ton regard de ton écran, regarde à travers le pare-brise, et là, regarde : 4m au-delà de celui-ci, tu verras tout ce que les autres cherchent sur leur tableau de bord incrusté dans le paysage en format XXL ». A vrai dire, ce qu’on regrette presque, ce n’est pas que ce combiné soit petit. C’est qu’il ne soit pas réduit à sa plus simple expression comme il pouvait l’être sur la C6, ne délivrant que les informations strictement nécessaires pour laisser la part belle à l’extended head-up display, qui prendrait ici tout son sens s’il permettait de structurer le tableau de bord de façon finalement moins conventionnelle, et plus épurée. Une belle manière de faire preuve de résilience envers la débauche technologique, c’est d’accepter qu’elle se dématérialise peu à peu, qu’elle n’accapare plus notre attention et qu’elle disparaisse presque, ce faisant transparente.
La Voiture du monde d’après
Cette voiture va à rebours des tendances officielles du marché. Et ce qu’elle a d’épatant, c’est qu’elle suit cette voie en contre-sens de façon tout à fait obstinée : que ce soit sur le marché français, où elle sera importée, ou sur le marché chinois, où elle est construite, son porte-à-faux par rapport au marché est proportionnel à ses disproportions physiques : une telle attitude low-profile n’est pas exactement ce qui assure le succès, actuellement, là-bas. Et il faudrait une communication carrément agressive de la part de Citroën, pour tenter de créer une nouvelle révolution culturelle chinoise, visant à célébrer les valeurs de la modestie, de la vie commune bref, les valeurs du communisme, pour espérer percer.
En France, il est possible que cette C5 ne soit pas en phase avec les valeurs actuelles du marketing. Mais après tout, par définition, le marketing n’est pas en phase avec la réalité puisqu’il est le moyen mis en œuvre pour que les gens fassent ce qu’on veut qu’ils fassent, tout en ayant l’impression d’être parfaitement libres. On pourrait imaginer que la C5X soit une voiture post-marketing, une voiture post-bagnole comme il y a eu le post-rock après le rock. On a beaucoup parlé, lors du premier confinement, d’un hypothétique « monde d’après » qui ne serait plus celui qu’on avait connu jusque-là. Evidemment, on aime bien se payer ainsi de mots. En réalité, l’absence de marketing, c’est encore du marketing. Mais il y a là une tendance tout de même, une orientation qui, à défaut d’être désirable, pourrait apparaître à terme comme raisonnable, et peut-être comme nécessaire.
Citroën est sans doute, sur Terre, la marque qui manie le mieux le contre-temps. C’est à ses risques, et à ses périls. Cette liberté, elle la doit maintenant à son intégration dans un groupe aux reins solides, qui peut se permettre de la laisser expérimenter, palper le marché, tenter de choses. Ca n’est pas sans contrainte, et ça ne peut pas se faire dans une pure perte financière, mais c’est le prix à payer pour que Citroën en perde pas totalement son identité. Il y a des tonnes de raisons de râler sur le sort de cette marque, et sur ce que sont les modèles quelle propose. Mais ces raisons évoquent toute une marque Citroën et des modèles qui, dans le monde tel qu’il est, ne peuvent pas exister. La C5XX n’est, finalement, que ce que sont les rêves automobiles, quand ils deviennent réalité.
Ton analyse semble effectivement ilustrer qu’il y a eu une vraie réflexion sur le positionnement de Citroën chez PSA (débutée avant Stellantis vraisemblablement), et non la volonté que tu évoques de couler les Chevrons.
Une autre illustration flagrante: la campagne d’affichage pour l’Ami qui joue à fond sur l’auto-dérision : https://lareclame.fr/buzzman-citroen-ami-247953
Je souhaite a cette C5x autant de succès que le 3008 1st gen que tu evoques, mais je pense que ce dernier doit son succès d’abord à son intérieur, bien fini et particulièrement agréable notamment pour le conducteur, avec sa console centrale enveloppante. Et ses autres qualités ont terminé d’écrire l’histoire. Il n’est jamais devenu un canon de beauté…
Xavier
Je ne connaissais pas cette campagne de publicité, tu me la fais découvrir, et je viens de voir que c’est un slogan parmi toute une ribambelle d’autres tous plus fondés sur la dérision les uns que les autres. La démarche est intéressante, et elle rappelle furieusement la démarche commerciale suivie par Volkswagen pour sa coccinelle, qui surjouait sa laideur pour qu’on lui dise « Mais nooooon… ». QUelque chose me dit que la marque ne pourra pas suivre ce genre de marketing pour faire la promotion de la C5X.
Et je suis d’accord, le 3008 a convaincu, je pense, ceux qui l’ont acheté dès qu’ils ont ouvert sa porte pour découvrir son intérieur, vraiment très réussi. Mais je pense que, miraculeusement, son physique extérieur pas vraiment frimeur a été précisément ce qui a permis à Peugeot d’attirer une clientèle qui auraient évité d’aller vers des modèles plus démonstratifs, et de lui donner le goût d’un certain nombre de plaisirs qu’elle vivait un peu en cachette, à l’intérieur de leur SUV. Je ne sais pas si l’intérieur de la Citroën peut provoquer un tel déclic. Il est pas mal, mais il ne me semble pas provoquer immédiatement une attraction irrésistible. Mais peut-être faut-il le voir « en vrai » pour être séduit. En tout cas, j’ai l’impression que peu à peu on s’était fait au physique du 3008, à sa calandre découpe frites, à son embonpoint, à ses proportions un peu étranges. Alors je me dis que le miracle n’est pas impossible pour cette Citroën. Pour le savoir, il va falloir attendre un peu !
Merci encore une fois pour la lecture, pour le retour, et pour le signalement de la campagne Citroën, dont il n’est pas impossible que je fasse prochainement quelque chose !
JC
Une campagne aussi décalée mérite bien ton analyse !
Hehe, je ne suis pas sûr qu’elle le mérite, mais elle me tente bien !
Et voila qui est fait ! 🙂