Le Soldat de l’hiver

In Advertising, i4
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La Mariée était en blanc

La 4 vient mettre les point sur les i dans la gamme BMW. Finie la période des électriques qui ressemblaient à des voitures tout droit venues du futur, qui se seraient dit que tant qu’à atterrir quelque part, autant le faire dans des concessions BM. Les voitures à watts rentrent désormais dans le rang, adoptant une allure conventionnelle, et cette BMW i4 ressemble fort à ce qu’on pourrait aussi appeler une Série 4 GranCoupe (prononcez ce mot avec un semblant d’accent italien, si possible) auquel on aurait ajouté quelques détails bleus, pour faire « électrique ». Car, comme chacun sait, l’électricité c’est bleu. Bleu comme le ciel pur, bleu comme l’eau qui coule naturellement dans les ruisseaux de montagne, et peu importe que rien de tout ça ne soit réellement bleu. Le marketing est comme la plupart des effets d’optique, affaire d’illusion. On met du bleu pour signaler que la voiture est pure. Ou presque. Disons que là où elle circule, elle crée effectivement peu de nuisance. Mais là où on produit l’électricité qui lui sert de carburant, c’est une autre histoire : irait-on s’installer volontairement à côté du centrale nucléaire ? Poserait-on sa maison au dessus d’un site d’enfouissement des déchets (rassurez-vous, ça ne risque pas d’arriver, il n’y en a pas en France. On préfère garder l’uranium usé dans des piscines dont le système de refroidissement est censé durer 100 000 ans (mais quelle bonne idée !)), rêve t-on de vivre aux abords d’une centrale à charbon ? Je ne crois pas non. La voiture électrique exporte la pollution qu’elle suscite. Oh mais je vois les amateurs de moteurs à explosion se frotter les mains. Bien bien. Maintenant qu’on a tapé sur l’électrique, vous pouvez m’expliquer pourquoi vous actionnez le recyclage de l’air intérieur quand vous passez sur l’autoroute, au sud de Lyon en bordure des raffineries de Feyzin ? Il va falloir se faire à cette idée : No one is innocent. Il n’y a que des mauvaises solutions aux problèmes dont nous sommes les auteurs.

Toujours est-il que, pure comme l’eau qui s’écoule du glacier, l’i4 fait son apparition, blanche comme neige, propre comme un sous neuf. Immaculée. Innocente.

Immaculée conception

Le truc drôle évidemment, c’est que BMW nous la montre évoluant dans un paysage qui semble avoir été filmé lors de la dernière ère glaciaire : l’environnement est carrément givré, et si quelques points de design ne contrastaient pas dans cette carrosserie, elle pourrait se fondre dans le décor. Dieu merci, l’énorme calandre, en grande partie occultée pour la simple raison qu’elle est bêtement aussi grande qu’inutile, reçoit une finition noire bordée de… bleu (évidemment), permettant de repérer la voiture dans la tempête de neige qui semble être un équipement livré avec l’engin.

Peut-être est-ce un aveu : il n’y a rien de très très passionnant à dire de l’allure extérieure de cette voiture. Le bouclier arrière, à la rigueur, présente un petit intérêt, semblant simuler une voiture plus petite qui aurait été avalée par une carrosserie plus enveloppante. Bon, voilà.

Réchauffement électrique

L’i4 évolue donc à vive allure, sur la glace, et elle semble parfaitement à son aise. Du coup, on oublie deux choses : d’une part elle est nécessairement lourde, et on imagine le nombre d’aides électroniques qui doivent veiller au grain pour que la force centrifuge ne la catapulte pas directement sur un autre continent à la dérive ; d’autre part, si on en est à électrifier tout le parc automobile, c’est parce que la planète connait un réchauffement un peu excessif. Alors certes, grâce à quelques films catastrophe, on sait que le réchauffement peut être la cause d’une brusque glaciation, mais quelque chose me dit que cette mise en scène est une façon de nier l’évidence, et de faire comme la question ne se posait pas du tout.

Soyons désinvoltes, n’ayons l’air de rien, on sera en phase avec le public, et avec la clientèle.

Reste un détail, qui chagrinera les acheteurs et fera rire les initiés à la conduite de véhicules électriques : l’hiver, l’autonomie d’une électrique fond comme neige au soleil. Tout concourt à faire d’un trajet hivernal sur autoroute une suite de sauts de puce de borne de recharge en borne de recharge. Alors, faire la promotion de ce genre de voiture dans ce genre d’environnement a quelque chose qui invite à ironiser un peu sur la mise en scène d’un imaginaire qui présente quelques décalages avec la réalité. Mais ça, c’est l’angle mort de la communication sur les voitures électriques : on ne montre jamais la vie qui va avec. Pourtant, cette vie a ses charmes, et elle a même quelques vertus. Mais voila, tout dans cette vie contredit les valeurs sur lesquelles une marque comme BMW s’est construite. D’où ces très légers symptômes de schizophrénie, qu’on devine dans le propos de la marque.

Trompe-l’oeil

La voiture elle aussi présente sa petite dose de mise en scène : en bonne vieille BMW , elle est dessinée dans l’enfilade d’un compartiment moteur généreux, permettant de dessiner un capot long, et un habitacle posé sur le train arrière. Des proportions somme toute plutôt classiques, dictées par l’époque où on faisait en sorte de pouvoir glisser des multicylindres en ligne, longitudinalement en avant du pare-brise. Reste qu’aujourd’hui, techniquement, rien ne justifie un tel dessin, et que du coup l’i4 se présente comme une électrique déguisée en thermique qui se pare de quelques atours électrisants pour signaler sa vraie nature quand même. Tout ça parce que, finalement, l’i4 est une 4 GC qui, simplement, roule à l’électricité au lieu de consommer de l’essence. Comme l’iX3 n’est qu’un X3 électrisé, l’i4 est la confirmation que pour BMW, la gamme électrique ne sera plus aussi différenciée qu’elle l’était jusque là du reste de ses produits. Certes, l’iX est très spécifique, et contribue à créer une proposition nouvelle chez le constructeur bavarois. Mais du côté de ce qui s’approche le plus du segment traditionnel des berlines, l’i4 a manifestement pour mission d’aller chercher ceux qui sont attachés aux formes traditionnelles de la routière, tout en commençant à être séduit par les charmes de la motorisation électrique.

De quoi être fier ?

Ce faisant, BMW semble avoir le cul entre deux chaises, elle paraît ne plus savoir sur quel pied danser. Dans sa publicité actuelle, la marque affirme qu’on peut éprouver de la fierté de rouler en BMW, parce que le iX3 est propre et vertueux. Mais non ! C’est une voiture, donc elle n’est ni propre, ni vertueuse. Si la vertu s’achetait chez un concessionnaire, ça se saurait. Au moins quand BM vendait une bagnole de plus de 500 cv en vantant ses performances, c’était honnête, et on savait pourquoi on en avait envie. Quand à Munich on conçoit un univers virtuel intégralement dédié aux plaisirs délicieusement irresponsables prodigués par sa division M, la marque dit quelque de vrai à son propre sujet. Mais quand aujourd’hui la marque essaie de jouer sur tous les tableaux, avançant une puissance qui est en réalité déraisonnable, tout en essayant de faire passer sa démarche et celle du client qui franchit la porte de la concession pour un acte de dévouement envers le monde, on a l’impression d’être de nouveau spectateur d’un de ces grands moments de mensonge auxquels nous avons eu droit ces derniers temps (ça fait penser à, au hasard, Sibeth N’Daye affirmant avec un aplomb désespérément comique qu’il serait irresponsable de porter des masques pour se protéger d’un virus siégeant dans les voies respiratoires), et on est pris d’une profonde gène à voir une marque qu’on aimerait aimer encore un peu, autant qu’il sera encore possible de le faire, se perdre elle-même dans un discours en total décalage avec sa propre identité, laissant croire qu’on désirait les BMW du passé non pas pour ce qu’elles étaient, mais pour l’effet qu’elles produisaient dans le regard envieux des autres.

Les bagnoles telles que l’i4 naissent de ce genre de stratégie marketing : elles ne visent à résoudre aucune équation. Elles sont juste là pour jouer la scène du scientifique dont le monde entier méconnait le génie, penché sur son bureau accroché à sa craie traçant toute seule sur le tableau noir des formules imprononçables, en train de pondre sous nos yeux ébahis la formule qui sauvera le monde. C’est du cinéma, et c’est loin d’être le summum du septième art. L’i4 est juste là pour se porter caution d’une réputation qui, dans les années à venir, serait vouée à sombrer dans les forges de l’enfer si la marque ne donnait pas ce genre de gages à l’humanité. Mais d’une part, si l’i4 visait vraiment à sauver quoi que ce soit en dehors de la marque qui l’a fait naître, elle serait beaucoup plus légère, ses performances seraient amputées d’au moins les deux tiers, et BMW s’engagerait à la distribuer partout, à chacun, gratuitement, pour qu’on en finisse avec le pétrole. Evidemment, ça s’accompagnerait d’un programme de réduction de l’usage de la voiture, ayant pour effet que chacun aurait droit à des jours de bagnole, durant lesquels on serait autorisé à recharger de si gourmandes batteries, les autres jours étant dévolus aux transports en commun ou aux déplacements « doux » (on ne sait pas qui a décidé, un jour, d’appeler « doux » ces modes de déplacement qui ont lieu dans ce qu’on peut tout de même appeler la jungle urbaine). Est-ce là l’engagement de BMW auprès de cette planète ? Est-ce d’un programme aussi radical que les clients BMW pourront être si fiers quand ils sortiront de la concession ? On ne croit pas non.

Alors, bien qu’elle soit habillée de blanc et de bleu, les couleurs mariales, ce n’est pas tout à fait la Vierge Marie qui apparaît dans ces étendues glaciales, et il ne faudrait peut-être pas accorder à cette voiture le Bon Dieu sans confession. Si elle nous apparaît ainsi vêtue, virginale, immaculément blanche, c’est moins pour prendre pitié de nous, pauvres pécheurs, que parce qu’elle a elle-même deux trois trucs à se faire pardonner.

BMW surfe sur cette opportunité consistant à proposer de la puissance et des performances tout en se convaincant et en persuadant les autres qu’on peut se permettre d’avoir bonne conscience tout en profitant ainsi de la puissance, et surtout du couple des moteurs électriques. Tesla a ouvert la voie. Mais à tout prendre, la fantasque marque américaine est plus honnête : elle n’affirme pas qu’elle va sauver le monde, et elle braque les projecteurs sur son côté déraisonnable, sa propension à se laisser aller, son désir de déboiter des cervicales dès qu’on enfonce le pied droit dans le plancher. Tesla, en fait, laboure le terrain sémantique d’une marque telle que BMW. Et celle-ci s’égare parce qu’elle ne sait pas lire le discours de son concurrent : BMW croit que parce que Tesla est électrique, son univers doit être celui des professions de foi écologiques. Du coup, la marque allemande attaque la firme d’Elon Musk sur ce qu’elle croit être ses fondamentaux : la fierté de sauver la planète, le plaisir moral qu’on peut entretenir en soi en étant hyper responsable des « générations futures » et du « développement durable ». Comme si Tesla en avait quoi que ce soit à faire de tout ça. En croyant aller marcher sur les plates-bandes de Tesla, en dévoilant un modèle virginal paré d’ornements bleu électrique (mais qui développe, chez BMW, de tels codes esthétiques dignes d’une décennie dont on se rappelle d’autant moins qu’a priori, on peut raisonnablement penser qu’elle n’a jamais existé ?), roulant dans le Grand Nord, là où tout est encore neuf et sauvage, BMW délaisse son propre territoire, et ne voit pas que pendant qu’elle a le dos ainsi tourné, le fameux concurrent, lui, ne se gène pas pour venir piétiner l’univers munichois, prend plaisir à venir marquer un terrain de jeu qu’il compte bien administrer quelques dizaines d’années à son tour.

Le marché automobile connaît, lui aussi, des changements de climat. Des espèces jadis prospères peuvent soudainement être un peu moins adaptées à leur milieu et avoir du mal à générer rapidement une descendance un tant soit peu acclimatée à ces nouvelles circonstances. L’i4 telle qu’on nous la présente est blanche comme un ours polaire. A la voir évoluer ainsi, puissante et paradoxalement habile sur la glace malgré son poids conséquent, on a l’impression qu’elle n’est pas vraiment le prédateur qui va tout dévorer sur son passage; Car il n’y a plus rien à dévorer, et que ça fait un moment que les ours blancs errent dans un paysage qui ne veut plus d’eux, trouvant ponctuellement refuge sur un créneau commercial qui leur permet encore de flotter un peu, le temps de se faire croire qu’ils ont encore une place dans ce monde. La place de ce genre de survivants n’est rien d’autre que celle qu’on leur laisse. On le voit dans les gestes un peu maladroits de BMW, son espace vital se rétrécit, et la marque munichoise doit se contorsionner de plus en plus pour parvenir à y adopter une position qui ne lui soit pas trop inconfortable. A force de nier sa propre nature pour ne pas se confronter au fait qu’on a promu exactement ce genre d’existence qui a détruit ce que soudainement on prétend sauver, il est possible que tôt ou tard, ce genre d’espèce en voie de disparition s’en aille dormir un peu, dans ce paradis blanc.

Un mini Moodboard pour finir :

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