Elles rentraient chez elles, là-haut dans le brouillard

In Advertising, Art, Clio V, Conductrices/Conducteurs, Cruising Areas, Renault
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A propos de :

Le Nouveau chapitre d’une grande histoire
Spot publicitaire de Sebastian Strasser

Et de :

The French exchange
Spot publicitaire de Frédéric Planchon

En s’intégrant de plus en plus dans le monde automobile, les motorisations hybrides créent de moins en moins l’événement lors de leur apparition. Si, il y a quelques années, la présentation d’une Clio hybride aurait été annoncée comme une disruption majeure dans l’histoire de la marque, aujourd’hui, alors que la Zoé en est à sa seconde génération, l’hybridation de la Clio est conçue comme une simple évolution, un « nouveau chapitre dans une histoire qui demeure bel et bien toujours la même. Il faut dire que l’hybridation aura tardé, en France, à toucher les modèles les plus petits, et il y aurait quelque chose d’étrange à faire passer la Clio E-tech pour un événement majeur, ou une révolution, alors que par ailleurs la Yaris hybridée existe, elle, depuis des années ; il n’est pas très utile d’insister douloureusement sur le retard pris, en France, en matière de motorisations alternatives. Dès lors, l’hybridation de la Clio est un événement interne qu’il vaut mieux faire passer pour la suite logique d’une déjà longue histoire.

Dès lors, la Clio E-Tech c’est une continuité dans une peau de nouveauté, ou une nouveauté déguisée en ancienneté. Du côté de la comm’, on sait qu’il faut jouer sur ces deux tableaux, pourtant antagonistes.

Quand on regarde le spot TV développé pour faire la promotion de la Clio hybride en France, et si on le compare à ce que la marque a pu faire il y a quelques mois – mais ailleurs – pour accompagner la révélation de cette cinquième génération, on se rend compte que le marketing hésite un peu sur l’angle d’attaque que doit adopter le message. Le losange semble, en effet, alterner les axes progressistes et conservateurs. Mais c’est aussi que d’un pays à un autre, on ne peut pas se permettre les mêmes discours ; et c’est ce qui fait de la publicité un bon thermomètre, qui va nous renseigner sur la température qui règne ailleurs, et sur la frilosité de nos propres représentations. La publicité parle, certes, du produit mais elle en dit aussi, énormément, sur nous.

C’est un beau roman

C’est ainsi que Renault a confié à Sebastian Strasser le soin de tisser autour de la Clio E-tech un beau roman qui puisse accompagner le passage de relais entre la famille Clio telle qu’elle a toujours existé, uniquement composée de bons vieux moteurs à explosion, et la nouvelle venue, qui est en quelque sorte la fille cachée des anciennes générations de Clio, et de la cousine Zoé. Cette continuité, c’est justement ce que raconte le réalisateur dans ce spot qui, dans sa version intégrale, déroule son scénario sur 2mn40. Une mère, un fils. Une mère seule, qui affronte en solitaire l’éducation du fiston. Aucune explication n’est donnée sur l’absence du père, et ceci va d’autant moins importer que, on va le voir, ce père est en réalité omniprésent, sans jamais se montrer. En effet, derrière l’audace très relative consistant, trente ans après Jean-Jacques Goldman, à nous refaire le coup du portrait d’une femme qui « a fait un bébé toute seule », le spot draine en réalité les représentations les plus conservatrices sur le rôle respectif des hommes et des femmes dans l’éducation.

En apparence, le spot fait le récit d’une situation nouvelle, remettant en question le schéma classique, « un papa, une maman » (dans cet ordre, et pas dans l’autre, évidemment…), un garçon, une fille; ces bonnes vieilles silhouettes plaquées sur les t-shirts et banderoles de ceux qui sont suffisamment peu sûrs de la direction qu’ils ont suivie pour chercher à l’imposer à tous les autres, histoire de se rassurer un peu. Ici, maman est seule avec son gosse, et rassurons-nous, elle assure. En apparence, donc, ce schéma familial est une révolution.

Mais ce n’est qu’une apparence, car sous couvert de proposer une tranche de vie décalée, Renault développe en fait ici un discours établi depuis bien bien longtemps. Résumons ce propos : il suffit, pour qu’une mère seule soit une bonne mère, qu’elle soit avant tout, et même exclusivement, un père.

C’est une belle histoire

Il y a un truc qui trompe rarement quand on analyse un film, c’est le premier plan. La première image. Ce qu’on envoie dans l’œil dès l’ouverture. Et ici, c’est l’image des souliers à talon de cette femme noyés dans la boue des abords d’un terrain de foot, au milieu des tennis des pères venus encourager leur fils. Ou comment un marqueur de féminité est d’emblée enterré. Cette femme, comme tous ces hommes, encourage son fils et, tout nous montre qu’elle le fait mieux et plus fort que les mecs eux-mêmes. Elle fait d’ailleurs tout comme un gars qui serait tombé dans un chaudron de testostérone, et qui prendrait tout particulièrement à cœur de voir couler ce précieux fluide dans les veines de son fils. Plus on avance dans le spot, plus on comprend que son seul angle sera, malgré l’absence du père de cet enfant, l’éducation envisagée de l’unique point de vue de ce qu’un père doit transmettre à son fils. Donc, le foot évidemment. Et à partir de là, si on commence à tout décortiquer, on se rend compte que comme dans tous les contes, derrière la surface brillante du récit charmant, il y a un fond de matière obscure, qui s’infiltre dans les interstices de l’image, entre les plans, et s’écoule vers la surface, la recouvrant peu à peu, comme une remontée d’égouts.

Il y a l’anodin, le pittoresque du quotidien transformé en identité remarquable, qu’on reconnaît parce que c’est aussi un dénominateur commun : le défi d’arriver à arrêter le plein sur un chiffre rond, soixante francs, pile poil. Mais aussi les anniversaires, les portraits saisis au caméscope avec les copains en arrière-plan qui font des gestes de gros durs en culottes courtes, les déguisements et le premier groupe de rock entre copains, joliment filmé depuis l’habitacle de la Clio expropriée de son propre garage transformé en studio de répétition. Et puis il y a le moins anodin, qui concerne tout ce à quoi cette mère doit renoncer en elle-même pour devenir ce père qu’elle n’est pas et qui répond pourtant présent, et à tout prix malgré sa criante absence. Ainsi, ce qui est féminin dans le spot est détourné pour être confié aux bons soins de la virilité : les pots de fleurs ? Ce seront désormais des haltères. Et la mère elle-même ne cesse de se transformer en mec artificiel pour pouvoir offrir à son fils tout ce qu’elle n’est pas. Le lavage de la Clio flambant neuve se transforme en séance de car-wash s’achevant en opération t-shirt mouillé, à ceci près qu’ici c’est le rejeton qui inonde sa propre mère, avec tout ce que ce crash-test entre la relation mère-fils et l’imaginaire pornographique masculin, peut comporter ici d’un tout petit peu troublant. Même petit moment de malaise, quand il s’agit pour une mère de prendre avec un infini recul la découverte, au beau milieu du sac du fiston, d’une revue objectivant les femmes, c’est-à-dire elle-même entre autres, et de n’avoir pour seule réaction, alors qu’elle découvre le regard de son encore petit garçon sur le genre féminin, qu’un regard mi étonné, mi amusé, approbateur en tout cas . Dans un monde qui aurait pu être bouleversé par l’immense absence du père, tout demeure finalement identique à ce qui avait toujours été, rien ne peut effacer le masculin car, dans cette publicité, c’est un principe qui, à l’image des êtres divins, n’a même plus besoin de s’incarner pour s’imposer. Le magazine que le gamin planque dans son sac a pour titre Sixty9. 69, la position où chaque place est interchangeable, inversible. Celle où l’un, ou l’autre, c’est du pareil au même. Le père peut dès lors, littéralement, briller par son absence : il demeurera l’astre noir autour duquel l’univers familial continuera de tourner. Dès lors, Maman peut apprendre à son fils l’art subtil du rasoir : il lui suffit de devenir elle-même visage à raser de près, mec déguisé pour servir de modèle au fils encore imberbe. Maman peut toujours essayer d’initier son fils à la conduite de la Clio : si elle lui conseille d’aborder l’embrayage dans le calme et si ça lui casse les couilles, il n’hésitera pas à la remettre à sa place, et à les planter là, elle et son sourire moqueur, sur leur siège passager.

C’est une romance d’aujourd’hui

La fin du spot ne cesse, alors, de remettre cette mère à sa place. Sa place de pleureuse quand le fils fait sa valise pour devenir lui-même cet homme absent, qu’elle n’aura pas su remplacer pour de vrai. Et la mise en scène n’aura aucun geste d’empathie pour elle, qui devra ravaler ses larmes, que son fils a vues, et auxquelles il ne réagira pas, parce qu’un homme, ça n’est pas censé être sensible aux larmes, et que ce n’est pas dans un spot de pub qu’on va bouleverser les stéréotypes de genres, bien sûr.

A Caged bird – Imitations of life

Arrive alors le moment de signer le discours, de mettre un point final à la démonstration : le temps a passé et, comme il arrive parfois, le fils a reproduit le schéma familial. Comme souvent, le nouveau chapitre de l’histoire se contente de répéter l’épisode précédent en se contentant d’échanger les rôles. Le fils est devenu le père qu’il n’a jamais vu. Il a une fille et, manifestement, aucune mère ne les accompagne. Pour autant, se transforme-t-il en mère pour l’accompagner sur son chemin ? Pas du tout. C’est au foot qu’il l’accompagne dans une démarche imperturbablement masculine. Et c’est sa mère qui peut, enfin, jouer son rôle de femme auprès de sa petite fille, en portant sur elle un regard que la mise en scène présente comme rétrospectif, puisqu’il prend place dans le rétroviseur, comme s’il s’agissait de réécrire l’histoire en lui permettant, cette fois-ci, de jouer pleinement son rôle.

A la fin, comme d’hab’, c’est le masculin qui l’emporte, maître étalon du monde. Et le spot n’est qu’un leurre qui fait mine d’apporter du sang neuf dans le récit promotionnel, mais s’arrange pour que le flux demeure endigué dans de vieilles artères. Nouveau chapitre oui, mais histoire vieille comme le monde : les mecs ont besoin de mecs pour les encadrer, pour les faire grandir, pour faire d’eux des hommes, des vrais. Et la règle d’or de l’éducation des mâles est la suivante : on ne s’acoquine pas avec le féminin, principe adverse qui ne peut qu’affaiblir, pervertir, détourner de la droite voie qu’est, pour toujours, le masculin.

Traduisons tout ça en termes commerciaux, et mettons des mots sur ce que notre cerveau sent plutôt qu’il ne le sait : Une nouvelle Clio arrive, et elle n’est plus aussi mécanique que celles qui l’ont précédées. En elle coule des flux d’électrons qui ne doivent rien au pétrole, à l’injection, aux étincelles qui font l’explosion, et à la translation rectiligne des cylindres transformée, par le miracle des bielles, en mouvement rotatif. De toute évidence, il y a quelque chose dans le moteur à explosion que nous associons au masculin, pour des tonnes de raisons qu’on analysera une autre fois. Et l’arrivée de la fée électricité, c’est aussi celle du féminin au cœur de ce qu’on a de plus en plus de mal à considérer comme des bagnoles. Les concepteurs de cette publicité ont parfaitement saisi cette crainte, qu’on lit dans les forums, dans les commentaires des articles, et dans bon nombre d’articles eux-mêmes : les mecs se sentent manifestement agressés par la voiture électrique. Celle-ci les prive de quelque chose. Et à strictement parler, elle les castre. Et le rôle de cette publicité, c’est de les rassurer. Dans l’hybridation, c’est le principe mâle qui gagne. Gardez les mains bien au chaud dans vos caleçons les mecs, et grattez-vous là où ça vous fait du bien, l’ordre de votre monde est préservé, même si en apparence on vous efface du paysage.

C’est un peu le souci avec Sebastian Strasser : techniquement, ses réalisations sont assez bluffantes d’efficacité (je vous parlerai un de ces jours de son spot pour Audi, qu’on croirait extrait de séquences coupées au montage de World War Z), mais il n’hésite pas à mettre son art au service de propos dont on aimerait qu’ils soient discutables, précisément parce qu’ils se présentent un peu trop volontiers comme indiscutablement fondés sur l’argument fatal de toute idéologie : la « nature ».

Mais comme souvent, on ne peut pas accuser la publicité d’être elle-même l’auteur du discours qu’elle porte. Elle ne fait qu’aller dans le sens du courant tel qu’il s’écoule déjà, sans pour autant donner l’impression au premier regard d’être à ce point conservatrice. Comme Ikea rejouant, quarante ans après Kramer contre Kramer, le récit des couples divorcés, Renault donne ici l’impression de braquer le projecteur sur un phénomène nouveau tout en faisant tout le nécessaire pour que soit maintenu, tel quel, l’ordre établi. Et c’est exactement ce qui convient quand on fait la promotion d’une voiture qui utilise des moyens nouveaux pour faire la même chose qu’avant : montrer que, quoi qu’il arrive, rien ne changera vraiment, si ce n’est les apparences.

Elles descendaient dans le Midi

Mais si le spot français pour la Clio E-tech fait un peu mal, c’est qu’on peut le confronter à celui que Frédéric Planchon a réalisé pour le lancement de la Clio 5 sur le marché anglais. Intitulé The French exchange, ce spot ose exactement tout ce que la publicité française s’interdit. Pourtant, formellement, l’esthétique des deux propositions est très similaire : en plans intimes, on suit en accéléré un bon gros tronçon de vie. Début du segment en enfance, et à la fin du récit, les deux protagonistes sont adultes, et mères. Ensemble. Ou pour le dire plus clairement, elles sont mères d’une seule et même petite fille.

Autant le dire, le spot anglais met les pieds dans un tout autre genre de plat que la réclame française. Si celle-ci tire, en douce, toutes les ficelles des structures élémentaires de la parenté traditionnelle, Frédéric Planchon met en scène, le couple homosexuel et l’homoparentalité en réussissant à exposer bon nombre des difficultés rencontrées par ce genre de projet de vie. Plus fort, The French exchange parvient à ne pas édulcorer ces obstacles sans pour autant en faire son unique point de vue. Ainsi, loin d’être un film communautaire, cette publicité s’avère habile dans sa façon d’aller chercher chacun dans le recoin de ses expériences enfantines : tout le monde a, un jour ou l’autre, été cet enfant que les parents ont amené à la porte d’un bus dont la destination se trouvait loin, carrément très loin de la maison. Chacun a vécu, la boule au ventre, ce trajet dont on aurait tant aimé qu’il ne s’achève jamais, dont on aurait voulu repousser le point de destination toujours un peu plus loin, et ce à l’infini, afin de ne jamais l’atteindre, cette famille qu’on ne connaissait pas encore, d’autres enfants dont on ne savait encore rien, si ce n’est qu’on ne voyait pas trop quoi leur dire, et ce d’autant moins que leur langue nous était totalement étrangère. Chacun s’est retrouvé à l’arrière d’une voiture, silencieux, à observer un monde en même temps semblable et pourtant aussi mystérieux que s’il avait été bâti sur une autre planète, avec l’impression qu’il fait plus froid ici, que les voitures y sont davantage envahies par la buée, que les gens s’y habillent d’étrange manière et que le goût de leur chips est carrément flippant. Bref, tout le monde est allé, enfant, chez un correspondant anglais.

Ici, on assiste au même voyage, mais dans l’autre sens, puisque c’est une petite fille que ses parents amènent en Clio 16S prendre un bus qui l’amènera, sans qu’elle puisse encore en avoir conscience, vers celle qui partagera, plus tard et après un itinéraire un peu sinueux, sa vie.

Elles se sont trouvées au bord du chemin

Chacun s’est déjà attaché à quelqu’un d’autre, tout juste rencontré, au point d’avoir du mal à quitter celle ou celui qu’on ne devait côtoyer que quelques jours, chacun a repris la route dans le sens inverse, en ayant perdu pour toujours le goût de revenir à la maison. La famille ne serait plus le lieu magnétique auquel on pensait être rivé pour toujours, on aura hâte de repartir, on guettera le courrier dans la boite aux lettres. A cette histoire banale, les héroïnes de ce spot ajoutent cette tension moins commune : la peur que le courrier soit intercepté, la honte qu’il l’ait été, l’humiliation d’être remise en question à un niveau d’intimité tel qu’on se rend compte que pour l’amour reçu des parents, qu’on croyait inconditionnel, il y a parfois un prix à payer, qu’on peut être rejeté en bloc et mis au pied d’un mur qui ne laisse que deux possibilités : être fidèle à soi-même et rompre avec les siens, ou être fidèle aux siens et rompre avec soi-même. Et bien sûr c’est un pur enfer qui s’installe tranquillement sur Terre quand soi-même, et l’autre, ne choisissons pas la même branche de cette alternative.

Le plus étonnant, dans ce spot, c’est la façon dont il parvient à condenser en 2 minutes et des poussières des lignes de vies, avec leurs élans tellement puissants qu’ils semblent pouvoir renverser tous les obstacles sur leur passage, leurs retours en arrière, leurs résignations, leurs renoncements même et la résurgence de ce qu’on croyait un peu mort, l’espoir qui renaît, et le feu qui s’allume de nouveau, sur les quelques braises qui couvaient encore. Deux fils conducteurs, ici, permettent d’accompagner ces deux vies évoluant tangentiellement : la musique, puisque les premiers contacts se feront autour d’une cassette partagée, et que toute leur vie les compilations échangées accompagneront les sentiments de ces deux femmes. Et les Clio. Sportives ou plus modestes, de toutes générations. Elles seront autant de moyens de rencontre, de cabanes, d’abris contre les éléments extérieurs, d’alcôves accueillant les premiers rapprochements, de sorties de secours quand les concessions deviendront trop pesantes et qu’il sera temps de se barrer pour aller voir ailleurs si on n’y retrouverait pas des morceaux de soi qu’on aurait oublié en route ; et la Clio 5 sera, enfin, le véhicule de ce foyer commun quand le puzzle de la vie aura été reconstitué et qu’il sera temps d’accueillir ensemble une vie nouvelle qu’on découvre pionçant dans le siège-enfant, sur la banquette arrière.

Tout au long de ce récit condensé, qui semble pourtant prendre le temps de regarder, de capter chaque étape de cette histoire d’amour, avec pas mal de tact et de finesse, les Clio de toutes époques, volant à droite, ou à gauche, sont là, dans le décor. Parce que le récit se focalise sur ces deux petites filles, puis sur ces deux jeunes femmes, on ne les voit pas forcément, mais quand on regarde un peu plus minutieusement chaque plan, on est surpris de l’habileté avec laquelle la petite voiture réussit à être le fil conducteur, la compagne silencieuse, toujours prête à accueillir en son sein ces transports amoureux, celle qui sera le témoin de ce lien nécessaire se tissant entre elles deux. Et là où bon nombre de films diffusés au cinéma puent le placement produit, ici, la réalisation est tellement habile qu’alors même qu’on sait qu’il s’agit, évidemment, d’une publicité, la présence du produit parvient à se faire discrète, modeste, donnant à la Clio ce qui est, en réalité, la juste place de ce genre de voitures : elles accompagnent la vie, mais elle ne la remplissent pas, et n’y ont pas le premier rôle. Pourtant elles sont là, fidèles au poste, prêtes à la routine du quotidien et aux moments plus décisifs au cours desquels, tout bonnement, on respire un grand coup, et on change de vie.

Elles avaient le ciel à portée de mains

Et si le spot de Frédéric Planchon est quasiment miraculeux, c’est parce qu’il accompagne à la perfection l’air du temps. Le point crucial n’est pas qu’il mette en scène un couple de femmes. A vrai dire, même si ce choix capte évidemment l’attention, il n’est pas au centre de la construction de ce film. Le noyau central, ici, c’est que quelque chose, entre l’Angleterre et la France, soit en instance de divorce. Le couple lesbien, ici, est le MacGuffin qui cache le véritable objet de ce spot publicitaire. Vous ne connaissez pas le MacGuffin ? C’est un concept hitchcockien : le MacGuffin est l’objet apparent d’un film, l’appât lancé au public pour qu’une intrigue se tisse et que le spectateur s’approche pour la regarder, et s’y attacher. Mais c’est un leurre : en réalité, le réalisateur veut nous emmener ailleurs. Le MacGuffin de La Mort aux trousses, c’est cette sombre histoire de microfilms planqués dans des statuettes, histoire dont on n’aura jamais le fin mot. La Mort aux trousses prend prétexte de cet enjeu d’espionnage pour embarquer le spectateur dans une méditation esthétique sidérante sur le processus de représentation. On ne compte plus, dans le film, le nombre d’éléments, objets, figures, personnages, qui sont dédoublés en leur propre représentation, le nombre de choses que Hitchcock ne nous montre pas à la bonne échelle. Ici, Frédéric Planchon fait quelque chose dans ce genre : en apparence, il filme un couple de femmes. En réalité, il capte ce moment où France et Angleterre, chacune de leur côté, modifient leur profil en indiquant à la rubrique Situation amoureuse : C’est compliqué.

And after all…

Sur le territoire national, Renault fait mine de montrer un changement, mais en prenant soin d’indiquer que dans le fond, rien ne change vraiment. En Angleterre, la même marque prend acte d’un véritable changement, d’une déchirure qui se présente désormais comme un fait accompli, et elle construit le récit d’une histoire personnelle qui continue, malgré un éloignement qui ressemble au mouvement irrésistible de la dérive des continents, son bonhomme de chemin. Le message s’adresse au public qu’il vise, en fonction de son état, et de son aptitude à recevoir le message. On avait déjà vu avec Volvo qu’il est possible de montrer une diversité de formes amoureuses ailleurs dans le monde, et qu’il est encore très délicat, et parfois impossible, de montrer la même diversité en France. Renault, en n’ayant jamais diffusé le film de Frédéric Planchon en France, prend acte de cette impossibilité, et aucune marque n’a vocation à détruire son image sur son propre marché en épaulant quelque communauté que ce soit. Ça n’aiderait en fait ni la communauté en question, ni la marque qui se lancerait dans une telle croisade. En revanche, Renault peut saluer avec élégance l’aptitude du public anglais à accueillir la belle histoire que la Clio accompagne. Ce faisant, elle sait aussi que les images n’ont pas de frontières, et que regarde ce clip qui veut. La mère du spot français parle une langue que personne ne peut comprendre, comme si elle n’appartenait à aucun pays. Les femmes du spot anglais sont forcément bilingues. Quand on bâtit de tels récits pour faire de la publicité, on sait qu’en réalité on vise un public qui, pour une bonne part, regardera ces films pour eux-mêmes, en mettant le produit entre parenthèses. Renault s’adresse donc aussi bien aux anglais qu’à tous les autres dans The French exchange, en sachant par avance que, sans s’adresser à tous, puisque le spot n’a jamais été diffusé en France, ceux qui sont prêts à le voir feront en sorte de le trouver, le regarderont et l’apprécieront, et que dans leur esprit la Clio sera associée à ce récit, et Renault sera perçue comme une marque osant ce genre de choses.

On peut simplement espérer qu’à terme, ce couple de femmes puisse trouver dans les esprits français un accueil aussi simple que celui que leur offre ces membres de la famille Clio, qui ne cessent d’éclairer leur chemin, de leur ouvrir les portes afin de les mettre à l’abri, de les dissimuler aux regards pour qu’elles puissent se retrouver. C’est aussi à ce genre de film qu’on mesure à quel point décidément, la voiture n’est pas, et de loin, un objet comme les autres.

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