Moteur à explosion

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Une automobile n’est rien d’autre qu’un assemblage de pièces détachées. 

Et pourtant, elle n’est pas que cela car, tel un organisme, l’ensemble de ces pièces n’est une automobile qu’à partir du moment où elles accomplissent ensemble ce pour quoi elles ont été conçues et assemblées : un mouvement. 

A la différence des motos, qui exhibent fièrement leurs entrailles, l’automobile s’est habituées à habiller ses dessous d’une enveloppe carrossée qui a pour effet que pour chacun, une voiture est avant tout définie par la forme de sa carrosserie, alors qu’une moto est avant tout définir par sa cylindrée. Autant dire qu’au moment où soulever le capot d’une voiture conduit à se trouver face à face avec un nouvel emballage interdisant d’accéder à la mécanique, cette distinction est encore plus marquée, contribuant à faire de l’automobile un objet mystérieux, mû par on ne sait quoi. Et on peut imaginer que la fée électricité, investissant de plus en plus les groupes motopropulseurs, va accentuer encore ce phénomène. 

Ce n’est sans doute pas un hasard si Fabian Oefner, dans sa série de voitures dont les pièces, méticuleusement séparées les unes les autres, semblent être un univers en expansion à elles toutes seules, privilégient des modèles anciens, dont les rouages sont mécaniques, matériels. Sur un modèle actuel, un tel big bang provoquerait des entrelacs labyrinthiques de câbles, de fils, de connexions dans lequel on ne reconnaîtrait rien de spécifiquement automobile si quatre roues ne se tenaient aux quatre coins. 

Derrière un tel processus d’explosion, il y a évidemment un travail de folie, effectué sur des miniatures hyper détaillées, qu’Oefner scie, découpe, décolle, dessoude pour en extraire, une par une, chaque pièce avant de la positionner photographiquement un peu au-delà du point où elle se situe en temps normal, comme si, propulsée sur sa lancée, son mouvement se perpétuait alors que la voiture à laquelle elle participe s’est, elle, arrêtée. Mais il y a là, aussi, une certaine définition de l’objet en mouvement en général, et de l’automobile en particulier : de la même façon que dans l’antiquité, on se demandait si le bateau de Thésée, une fois qu’on en avait remplacé chaque pièce, chaque voile, chaque cordage, était encore le bateau de Thésée (avec cet argument génial qu’en récupérant chaque pièce changée du bateau initial, on pourrait, finalement, le reconstituer, clônant alors l’objet, affirmant simultanément sa gémellité et son unité), on peut se demander si l’automobile n’est que l’ensemble de ses pièces détachées, ou si son « être » ne se situe pas au-delà de cet assemblage. Or, de fait, on le voit bien : l’être de l’automobile est le mouvement. En faisant exploser ainsi les bagnoles, et en saisissant artificiellement ce mouvement dans l’instant photographique, Oefner parvient à unifier ce qui, sinon, demeurerait paradoxal : le repos et le mouvement, la cohésion et la dissémination, la force en puissance, encore contenue, potentielle, et l’explosion libératrice. 

Comme quoi l’automobile est, décidément, objet d’art. 

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