Il y a des marques dont on parle peu ici. C’est pas qu’on n’aime pas dire du mal (on aime ça, même si on tente de ne pas développer outre mesure cette tendance sadique), mais en fait, le plus souvent, c’est surtout dû au fait qu’on n’a vraiment rien à en dire de particulier, qu’on n’est pas inspiré tout simplement. C’est le cas des marques chinoises en général (même s’il faudra bien s’y coller un jour), mais aussi de certaines marques occidentales qui, à un moment donné, ont délaissé leur propre histoire pour essayer d’en écrire une, ailleurs, sans lien avec leur propre passé, comme si elles n’avaient pas existé avant la mondialisation.
C’est un peu le cas de Volkswagen. Et je me dis parfois que si la voix féminine qui prononce le nom de la marque à la fin des spots de la marque, sur un jingle qui pourrait être celui qu’on entend sur les quais de gare au moment où on annonce la prochaine perturbation, semble presque avaler ce nom au moment même de sa prononciation, c’est peut-être le signe que le marketing tend à faire abstraction de sa propre marque, dans une démarche consistant à tout reprendre de zéro en faisant table rase du passé. Comme si la voiture du peuple était créée là, en ce début de 21e siècle, à partir de rien.

Et pourquoi pas après tout ? Le problème, c’est que pour balayer le passé d’un revers de design et pour proposer quelque chose de nouveau, il faut justement avoir quelque chose de nouveau à proposer ! Et s’agissant de Volkswagen, précisément, on peut se demander en quoi elle consiste, cette radicalité nouvelle. L’électrification ? Pourquoi pas, mais on sait à quel point la marque a galéré dans sa gestion de cette conversion. Et ce pour deux principales raisons : d’abord parce qu’elle s’est tout simplement plantée techniquement. Et ensuite parce qu’elle a pris ce train sans génie, sans idée ni sur le fond, ni sur la forme. Ce qui donne aujourd’hui des modèles terriblement normcore, dont l’esthétique aurait pu être proposée par n’importe quelle autre marque, de façon absolument indifférente.
Et le problème, c’est que ce mal qui touchait les modèles électriques s’est étendu à l’ensemble de la gamme, comme s’il fallait que toute l’esthétique devienne neutre, anodine, commune à défaut d’être véritablement populaire. La Golf, tout particulièrement, paraît avoir être dévisagée, façon Les Yeux sans visage, la face avant décomposée par une maladie inconnue qui n’aurait laissé que les orbites vides, posées sur une bouche béante et lourde, comme si un cadavre de silure se mettait en tête de nous dévisager, flottant entre deux eaux. Et encore, la Golf est peut-être le modèle de Volkswagen qui a aujourd’hui le plus de personnalité.

Dès lors, quand la marque dévoile son T-Roc, on se dit que c’est le moment où jamais d’écrire quelque chose à son sujet ou, au moins, de faire preuve de bonne volonté à son égard mais voila : si on n’a strictement rien à redire à ce modèle, on doit reconnaître qu’on n’a, aussi, strictement rien à en dire. Ou alors il faudrait reprendre les termes du dossier de presse, et c’est exactement ce qu’on ne fait jamais (pour être franc, c’est à peine si on les lit). Et ça, c’est embêtant, surtout pour un modèle qui veut incarner le versant « fun » d’une gamme par ailleurs passablement morne. Vous me connaissez : je pourrais passer des heures à écrire à propos du fait que je n’ai pas grand chose à écrire au sujet de ce T-ROC. Ce serait bourré d’ironie et de sarcasme, cinglant et irrespectueux. Mais à quoi bon ?
Mieux vaut se demander un instant pourquoi la marque en est là. Et la réponse qui nous trotte en tête, c’est celle-ci : précisément parce que Volkswagen est devenu la marque repère, celle à laquelle les autres marques devaient se comparer. Du coup, elle est devenue le choix de ceux qui ne savent pas choisir. Et ça ne date pas d’hier, puisqu’on peut retrouver cette identité problématique dans le vieux – et fameux – slogan : « C’est pourtant facile de ne pas se tromper ». A ce moment précis, la VW Golf est devenue la bagnole qu’on choisit sans trop savoir pourquoi, juste parce que tout le monde la choisit aussi, le modèle destiné à ceux qui sont paniqués face au risque de faire le mauvais choix. La meilleure façon de ne pas se tromper, c’est de ne pas vraiment choisir et faire juste comme les autres parce que sur le marché des produits même l’erreur, si elle est pratiquée par la majorité, devient le bon choix. Vous vous demandez pourquoi le client, dans les publicités Volkswagen, a l’air si peu sûr de lui ? C’est exactement pour ça : la marque sait qu’elle s’adresse à des personnes qui ne brillent pas par leur autonomie de jugement1. Mais voila : quand on joue à ce jeu là, il faut proposer des modèles qui ratissent large et ne prennent surtout pas le risque de décevoir qui que ce soit. Et pour ça, il faut plaire à tout le monde. Alors, pour être sûr que le design ne sera ni trop chaud, ni trop froid, on le fait tiède. Pour que les volumes ne soient ni trop rigides ni trop mous, on fait des formes mollassonnes à travers lesquelles on trace des lignes censées apporter un semblant de force. On dessine petit bras, on conçoit avec retenue, on s’applique à réaliser la recette en respectant scrupuleusement les instructions, pas à pas, en n’improvisant surtout pas, en faisant très attention à ne surtout rien créer. C’est pas qu’on soit pas créatif, c’est qu’on a peur que la clientèle ne suive pas, qu’elle ne comprenne pas la création, qu’elle soit désorientée par l’audace. Et une clientèle déroutée, ce sont des acheteurs qui vont voir ailleurs. Dans cette démarche, on n’est pas à l’abri d’une bonne surprise. La Golf 7 fut réussie par exemple, parce qu’elle respectait sobrement les tenants et aboutissants de ce modèle, conjuguant les surfaces tôlées selon la grammaire créée, déjà, lors de l’apparition de la toute première Golf tout en transposant ces éléments dans une proposition contemporaine et juste. Pour le reste, et tout particulièrement en ce qui concerne la famille électrifiée, on a un abonnement chez le chiropracteur, tellement on se déboite la mâchoire en baillant d’ennui devant ce que la marque nous propose.
Le T-Roc n’est pas vraiment laid, ni même franchement terne, mais la ficelle se voit tellement que la proposition met un peu mal à l’aise : on reprend la recette du précédent, en radicalisant un peu plus les traits. Et pour que l’engin soit plus édifiant, on lui colle un faciès qui est mélange du regard de la gamme électrique et, en finition R, d’un bouclier dont les éléments évoquent, même si c’est approximatif, un Lamborghini Urus. On est à peu près certain que chez VAG, un marketeux a proposé un jour que chez VW il y a une finition « Lamborghini line » qui aurait pour objectif de susurrer à l’oreille du client « Tu vois ? C’est un peu pareil ! ». J’ai déjà entendu un propriétaire de Clio Esprit Alpine me parler de sa voiture en disant « Oui, je me suis fait plaisir, j’ai acheté l’Alpine ». Je pourrais faire un cours sur le langage à mes élèves en ne m’appuyant que sur ce genre de supercherie. Autant dire qu’avec ce T-Roc, conformément à un certain esprit de ce temps, on est dans la cohérence entre la forme et le fond, dans le sens des proportions et dans la sincérité stylistique2.
Et pour qu’on saisisse bien à quel point le modèle est en errance totale du côté du concept, on le présente dans une espèce de fiction carrément gênante au cours de laquelle un couple de jeunes actifs gamifient leur vie au point de transformer le simple fait d’aller à une soirée entre amis en une espèce d’escape game (c’est le nom cool qu’on donne aujourd’hui à ce qu’on appelait jadis un jeu de piste, ou un rallye), au sein duquel l’un et l’autre se font croire qu’ils s’amusent alors qu’ils ne font que cocher, une à une, toutes les cases de la simulation contemporaine de l’épanouissement personnel. On les regarde se regarder eux-mêmes faire leur petit numéro. Tout, absolument tout, est factice. Le couple, l’environnement, les activités, leurs attitudes, leurs réactions, la temporalité aberrante de leur parcours, leur fausse expérience d’urbex dans une usine qu’on dirait construite par les décorateurs de Fort Boyard et le bar pathétique censé être le clou de leur journée. Sur le fond, on nous vend une voiture qui joue à être une autre voiture qu’elle-même, en nous montrant deux personnes qui passent leur temps à simuler leur jouissance de vivre. Ils ne font pas ce qu’ils font, ils font comme s’ils le faisaient, comme des enfants. Ils ne conduisent pas, ils font comme s’ils conduisaient. Ils ne reculent pas pour se garer, ils s’amusent avec la commande de parking automobile sur un lieu où cette fonction n’a strictement aucun sens. Il n’y a aucun esprit festif dans le semblant de fête auquel ils se rendent.
De façon générale, le marketing Volkswagen a tendance à ne pas prendre sa clientèle au sérieux. Il a même souvent pour principe de la ridiculiser en la présentant sous l’angle de l’irresponsabilité, du manque de confiance en soi, du doute, de la recherche de confirmation de son propre comportement dans le regard des autres. Il confirme cette tendance ici en mettant en scène deux adultes qui – c’est génial dans le fond – passent leur journée à suivre des instructions dont ils ne sont pas eux-mêmes les auteurs, décodant des énigmes qu’une sizaine de louveteaux résoudrait en cinq minutes, pour parvenir, tout contents, à une soirée qui, visuellement, fait tout simplement pitié. Ici, la fête est censée représenter le nouveau T-Roc lui-même, ce qui en dit long sur son propre esprit ludique.
Quant à ce qui met le T-Roc en mouvement, comment dire ? C’est pas qu’on refuse à tout prix d’applaudir les bons derniers et de soutenir ceux qui sont à la traine, mais on a un peu de mal à être épaté par l’apparition d’une version hybride quand chez Toyota le concurrent direct on propose cette motorisation depuis belle lurette. Le retard est rattrapé, certes, mais à strictement parler, c’est la taille du retard qui fait qu’aujourd’hui on remarque qu’il a été comblé, ce qui n’est pas très bon signe.

Alors, pourquoi se taper un article sur Volkswagen si on n’a pas grand chose de glorieux à écrire ? Parce qu’en fouillant un peu la comm’ de la marque, on est tombé sur une campagne qui s’adresse, elle, au marché anglais. Et là, soudain, la marque populaire parvient à toucher de nouveau, en renouant avec son histoire et en essayant de lier le présent au passé. Treize petits films mettant en scène treize Volkswageniens et Volkswageniennes retraçant leur relation, parfois fort ancienne, avec la marque. Et là, même si on n’est pas tout à fait dupes quant au caractère véritablement historique de ces témoignages, la mayonnaise prend, parce que nous sommes tout de même capables d’empathie, mais aussi parce que ces séries rejoignent l’universalité de l’expérience automobile quand elle n’est pas centrée sur le produit automobile lui-même, mais qu’elle dépasse la voiture pour se concentrer sur son usage, les expériences auxquelles elle ouvre, les sensations et souvenirs qu’elle génère. Treize raisons pour lesquelles on peut encore s’attacher à la marque à travers les conducteurs qui en prennent le volant. Treize trajectoires de vie qui s’inscrivent dans les déplacements entre des milliers de points A et de points B qui sont autant d’étapes dans la cartographie d’une existence, de traces laissées sur un jeu de piste autrement plus important que ce que le marketing du T-Roc met en scène.
Si j’ai un film à vous conseiller en particulier, c’est celui qui raconte le vol d’un Combi, puis les retrouvailles inespérées avec ce modèle, longtemps après. Il dit beaucoup sur la façon dont une voiture, tous modèles confondus, peut être un réceptacle à souvenirs, une véritable mémoire ambulante, une bloc de matière offrant des surfaces sur lesquelles on peut poser aujourd’hui nos doigts là où nos prédécesseurs les ont posés avant nous, des sons qui ont fait vibrer les tympans de ceux qui ne sont plus là aujourd’hui, des vibrations qui les ont traversés. Conduire la voiture de son père, c’est mettre ses pieds dans ses propres traces de pas, chausser à son tour ses chaussures et reprendre la marche là où lui-même l’a arrêtée. Se voir confier le volant par la génération précédente, c’est aussi recevoir un relai qui se transmet depuis les cavernes jusqu’à aujourd’hui, et espérer qu’on puisse le confier ensuite à d’autres mains, auxquels on apprendra le petit craquement au passage de la seconde, la vibration dans l’échappement quand on reprend à 1500 tours minute, l’odeur de l’embrayage qui souffre un peu, le ralenti instable aux petits matins froids.
Ici, peut-être parce qu’on est sur un autre marché, sur lequel on s’adresse au client de façon un peu moins humiliante, et plus humaine, la publicité réussit à renouer les fils d’une histoire commune. Certes, l’objectif demeure de faire prononcer à des clients de modèles électriques les louanges d’un mode de propulsion qui semble ne rien changer à leur vie d’avant, du temps où ils roulaient en Passat thermique. Mais les microfilms les plus touchants sont ceux qui sont consacrés aux modèles traditionnels : le fameux combi volé et retrouvé, et Hanzalah, qui entretient et upgrade amoureusement le Sirocco offert par son père. Plusieurs de ces spots célèbrent les valeurs de l’héritage. Ce qui est paradoxal finalement, c’est que la marque ici semble consciente de l’importance de l’héritage reçu, du respect qu’on doit au passé, de la nécessité de prendre soin de ce que nos prédécesseurs nous ont légué. On comprend mal dès lors pourquoi cette attention à ce qui nous a été transmis semble devoir être pratique davantage par la clientèle que par la marque elle-même. Au point que finalement, les modèles actuels semblent assez indifférents à ceux qui les ont précédés dans l’histoire de leur propre marque.
Mais ce sont là les limites de la communication.
Et pour regarder la série entière de ces petits spots, il suffit de suivre ce lien :
https://www.volkswagen.co.uk/en/life/yourvolkswagen-stories.html
- Evidemment, l’éventuel propriétaire de Volkswagen qui lirait cette phrase ne doit pas le prendre trop personnellement : il y a quelques modèles précis qu’on peut avoir choisi pour de très bonnes raisons. On parle ici davantage du client générique tel que la communication de la marque le conçoit et le présente, plutôt que du client réel qui pousse la porte de la concession parce qu’il sait que c’est ici, et pas ailleurs, qu’il trouvera ce qu’il cherche. ↩︎
- Et un jour, je vous écrirai un article sur un break Passat turbo diesel, simple et paisible, à bord duquel j’ai pu jadis, au 20e siècle, partage un moment sincère et pur, de plaisir automobile, sans effet de style ni artifice. ↩︎