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In Art, Citroën, Mouna Karray, Phautographie
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Monnaie de Paris, jusqu’au 18 Août 2019 – The World inspired by Citroën
http://www.citroenorigins.fr/fr/exposition/inspired-citroen

Les marques ne disposant pas d’une date de naissance précise, quand elles fêtent leur anniversaire, ça dure toute l’année. Ainsi, Citroën célébrant son centenaire entretient, sur l’ensemble de 2019, une ambiance festive qui lui donne de multiples occasions de plonger le regard dans son riche passé et de lancer quelques images de ce que pourrait être la suite, toujours incertaine, de cette histoire.

Parmi les événements proposés pour ces cent ans, une exposition, qui se tient cet été à la Monnaie de Paris, vénérable institution dont le programme d’expositions a tout de l’inventaire de Prévert, et dont on ne sera dès lors pas surpris qu’elle ouvre ses portes à une proposition somme toute assez simple :

On a invité sept photographes, chacun basé dans une ville quelque part dans le monde, de saisir sur le capteur de son boitier ce que lui inspire Citroën. Sept villes, donc, visitées à travers le prisme des chevrons autour de quelques modèles récurrents – les plus classiques, ceux qui viennent immédiatement à l’esprit, donc l’incontournable DS, l’inévitable 2CV, l’évidente traction – mais aussi des outsiders bienvenus dans cet univers visuel qui aurait pu être, sinon, un peu trop prévisible : le sous-estimé Berlingo, la modeste C3, toutes générations confondues, Une Cactus par ci par là, une amie 8 disproportionnée.

Sept photographes dans sept villes différentes, ce sont autant d’univers visuels qui ne communiquent entre eux que par la marque qui les invite à se réunir ainsi.

Clichés

Certaines propositions sont très attendues. On pense au travail, très léché, certes, des new-yorkais Formento + Formento, impeccable dans sa réalisation, mais tellement « cliché » dans les mises en scène, le choix des modèles (automobiles et humains) qu’on a l’impression de plonger dans le passé, non seulement, de la marque, puisqu’ils n’ont aucune considération pour son présent, mais aussi de la photographie. Idem pour la proposition de Sonia Sieff, si parisienne, c’est à dire si marquée par les clichés : joli modèle féminin, jolies robes, jolies vues. Les lumières sont gérées, mais on n’a pas vraiment de regard, ni sur Paris, ni sur cette femme, perpétuellement déguisée pour intégrer des scénettes sans véritable inspiration, ni sur Citroën. Le propos semble un peu vain, et ce n’est pas le texte bêtifiant qui accompagne les photos qui convaincra; malheureusement, il confirme un peu l’impression générale laissée par cette série.

Points de vues

Mais il y a de bonnes surprises aussi. Ainsi, Delfino Sisto Legnani qui, depuis Milan, propose un croisement entre les formes et le style de multiples modèles de la marque, toutes époques confondues, et des vues de bâtiments dont l’architecture fait écho, de façon changeante, avec les Citroën. Une belle manière de renouveler le regard qu’on peut porter sur une Visa, une C3 ou une XM.

Belle série aussi, proposée par Erwin Olaf autour des profils d’une quinzaine de Citroën saisies dans la pénombre d’un noir et blanc très soigné. La proposition vaut par la mise en scène sérielle, ponctuée par des irrégularités qui mettent l’ensemble en relief : l’épave d’une Picasso soulevée par un Fenwick, une CX qui a, de loin, passé la date de péremption, comme des témoins du temps qui passe. Et comme point final, une vache Holstein, qui est la seule référence à Amsterdam, car Erwin Olaf ne joue pas tout à fait le jeu, en proposant une série qui semble un peu hors-sol, sans référence locale. Pour autant, le style extrêmement maîtrisé de son travail est le témoin d’une certaine maîtrise technique, telle qu’on sait en faire preuve au nord de l’Europe, et cette vache, au-delà du clin d’œil, est aussi l’évocation de quelque chose qui vient servir de contrepoint aux formes presque mythiques des voitures photographiées : le quotidien. Et mine de rien, Erwin Olaf parvient, ainsi, à proposer une juste définition d’une Citroën : c’est une voiture qui a un pied dans le mythe, et l’autre dans le quotidien. Bien vu.

Autre proposition intéressante, celle de Yoshiyuki Okuyama pour Tokyo, avec une méthode de tirage qui donne à ses prises de vue un rendu « passé », comme si les photographies avaient été usées et délavées par une exposition trop prononcée à la lumière. Ainsi, il unit dans un même tissu historique les vénérables DS et 2CV, et une contemporaine C3, dans un Tokyo hors-temps, coupant court à tout exotisme, et à toute nostalgie ; ces modèles semblent, tout simplement, chez eux à l’autre bout du monde, et à l’autre bout du temps.

L’éblouissement des bords de rue

Enfin, s’il fallait ne garder qu’une proposition, ce serait celle qui, en apparence, est la plus modeste. Et c’est pourtant, visuellement, la plus saisissante, et celle qui témoigne le plus d’un regard porté sur une ville. Etant donnée la vitalité actuelle de la photographie au sud de la Méditerranée, on n’est pas étonné que cette série captivante se situe à Tunis. Et on n’est pas vraiment surpris, non plus, que ce sera soit celui d’une photographe, la seule des sept. La proposition de Mouna Karray est simple, et belle : saisir, depuis la fenêtre d’un autobus, un peu plus qu’à hauteur d’homme, les Citroën telles qu’elles se rencontrent dans les rues de Tunis. Ce sont alors les voitures réelles, celles que les gens utilisent tous les jours, qu’on voit, les unes garées en attente d’être utilisées, les autres en mouvement dans les rues. Pas de modèles mythiques, mais des Berlingo, des C3, un C15, les voitures de tous les jours. Et les gens qui vont avec. Pas de modèles castés, pas de représentation idéalisée de l’humanité, mais des femmes et des hommes tels qu’on les voit quand on regarde par la fenêtre d’un bus. Cela donne-t-il des photographies banales ? Non, c’est tout le contraire. Finalement, ce qui est banal, commun, ce sont les propositions de Formento + Formento, ou de Sonia Sieff. La photographie de Mouna Karray reconnecte, elle, le regard avec le réel, sans se réduire à une simple captation hasardeuse. Le principe même de photographier à travers la vitre du bus offre aux photographies un cadre intérieur, et le traitement sans doute un peu fumé des vitres ajoute un filtre qui intensifie les ombres allongées par le soleil rasant. La lumière et les tons sont magnifiques, les compositions sont travaillées, il y a une tension constante entre les voitures, finalement assez statiques, et la vie qui s’anime autour. Et il y a, là aussi, une pertinence dans ce regard porté sur l’automobile en ville, posée là, immobile, au beau milieu d’un mouvement qui, finalement, se passe bien d’elle.

On ressort de l’exposition avec deux désirs. L’un, puissant, invite à découvrir en profondeur le travail de Mouna Karray, et à l’ajouter au paysage photographique du monde arabe, qui est entré semble-t-il dans une phase d’urgence dans la création et dans le témoignage, à tel point qu’en amateur de photographie, on se dit que c’est là qu’actuellement les choses se passent.

Et puis, plus modestement, on a aussi un peu envie de voir des Citroën « en vrai ». Et ça tombe bien car, dans la cour de la Monnaie de Paris, autour d’un C5 Aircross dont on se demande s’il marquera l’histoire autant que ses voisines, se trouvent six modèles classiques, qui méritent qu’on leur tourne autour un moment, et sur lesquels je vais revenir dans l’article suivant.

Cette dernière photographie, qui ne pouvait pas ne pas être, aussi, la couverture de cet article, est, me semble-t-il, la plus captivante de la série proposée par Mouna Karray. Découvrant son travail photographique par ailleurs, il me semble qu’elle est représentative, plus globalement, de son oeuvre.

Les photos des miniatures sous vitrine, qui se trouvent dans les salles d’exposition de la Monnaie de Paris, sont faites par moi, et bien entendu, il n’y aucune comparaison possible. Mouna Karray est manifestement photographe, ce que je ne suis pas.

Enfin, le titre de la dernière partie est inspiré par celui du beau livre de Bruce Bégout intitulé, lui, L’Éblouissement des bords de route.

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