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La fin des haricots ?

Derrière un scénario totalement crétin (des robots extraterrestres trouvent refuge sur Terre et, histoire de se poser là en scred, ils se déguisent en camions, en bagnoles, ou même, pour les versions naines, en mixers… ), les Transformers avaient peut-être entrevu quelque chose de juste : les voitures seront un jour conçues comme des sortes d’envahisseurs mécaniques, incroyablement puissants, irrémédiablement séduisants, venus occuper l’espace public des êtres humains, contraignant ceux-ci à leur laisser toute la place, à concevoir leurs lieux de vie en fonction de la présence de ces occupants, à marquer les paysages d’interminables rubans goudronnés pour leur permettre de déambuler à leur guise, consommant leurs ressources et leurs économies, ne laissant aux hommes, en fin de compte, que quelques moments de petits plaisirs : accélérer pied au plancher quelques seconde par ci par là, susciter l’envie chez les autres, le temps qu’ils acquièrent les mêmes modèles, franchir le kilomètre départ arrêté quelques dixièmes de secondes plus rapidement, arracher davantage de particules de goudron à la route, d’un coup de launch-control, déposer la voiture qui patiente derrière, sur la file de gauche, quand celle-ci se libère, sur un simple quick-down. Autant de plaisirs qui, de plus en plus, seront regardés d’un oeil sévère, et peu à peu réprimés. Les constructeurs en ont nécessairement conscience : de plus en plus, les modèles les plus susceptibles de correspondre à nos fantasmes mécaniques les plus aboutis seront considérés avec distance, inquiétude, mauvaise conscience, haine même parfois, et leur usage coûtera de plus en plus cher, que ce soit à leur propriétaire ou à la collectivité, parce que la question de la gestion des ressources, et des modes de vie ostentatoirement consuméristes  prendra de plus en plus de place dans les débats politiques que nous devrons, que nous le voulons ou pas, mener, et dès lors dans la communication des marques, qui devront parallèlement entretenir le souffle de la passion automobile, et une attitude qui exprime, aussi, une conscience de la responsabilité qui est la leur face à la question écologique, et sans doute de plus en plus, sociale. 

Les marques françaises sont sans doute moins confrontées que leurs consœurs allemandes par cette difficulté, parce qu’elles sont un peu moins marquées par une identité fondée sur la performance et la suprématie vis à vis des autres marques. Et si Audi joue encore, et sans aucune nuance, sur un discours affirmant frontalement l’idée que la vie est une compétition que les quatre anneaux auraient gagnée, BMW a sans doute davantage compris qu’un tel positionnement sera de plus en plus délicat à tenir, et a depuis longtemps commencé à construire une communication, et une gamme, qui permette de ne pas focaliser sur son image de marque un regard rempli de reproches, ou de condamnation. 

Je dis M

En ce qui concerne la gamme, BMW a choisi deux voies. L’une, discrète, a consisté à doter ses modèles classiques de technologies inspirées des modèles hybrides, permettant d’améliorer l’efficience de ses mécaniques. Ainsi, avant même de proposer des modèles véritablement hybrides, BMW avait commencé à disséminer sous le capot de ses voitures, et à vrai dire un peu partout ailleurs aussi, des éléments techniques permettant d’économiser l’énergie et même, déjà, de l’accumuler lors des freinages, par exemple. Ainsi, contrairement à Toyota qui produisait des voitures hybrides d’une façon qui marquait les esprits, obligeant la clientèle à choisir son camp, et même à faire de la Prius une forme de style de vie et d’identité affichée, BMW hybridait discrètement ses modèles, sans contraindre ses clients à se convertir à autre chose que ce qu’ils étaient venus acheter en concession. L’autre voie choisie, ce sera de créer une gamme totalement dédiée à l’exploration de ce que pourrait devenir l’automobile à l’avenir, et de le faire de façon tonitruante, en proposant des modèles aux lignes carrément futuristes, immédiatement identifiable comme constituant une nouvelle lignée dans le vocabulaire de formes de la marque munichoise, dont on comprend tout de même qu’elle dessine ce que seront, à l’avenir, les BMW. 

Reste qu’une telle marque ne peux pas, non plus, rompre brutalement avec ses racines. Et de fait, BMW ne le fait pas. C’est au contraire de façon très habile que  ses concepteurs et dirigeants parviennent à maintenir vivante une tradition liée à la production de modèles très, très performants, dans un monde qui est de moins en moins favorable à cette image. Ici, une précision s’impose : en réalité, c’est sur nos territoires que cette image commence à être problématique, mais il y a dans le monde un marché pour ce type de voitures, des territoires moins soucieux de protection de l’environnement, plus relâchés sur le contrôle de l’usage qu’on fait des voitures, et surtout, où l’argent coule à flot, du moins pour ceux qui en ont, de l’argent. Pourtant, aucune marque ne peut, à ce jour, oublier d’où elle vient, et BMW est une marque allemande, européenne. A ce titre, elle ne peut pas tout miser sur la performance, comme si de rien n’était, et elle ne peut pas non plus trahir ses racines et sa définition, parce que pour beaucoup encore, une BM, c’est nécessairement une héritière de la première série 3, une voiture qui semblait simultanément solide et agile, légère et présente, une expression automobile du dynamisme et, déjà, de l’efficience. 

Ainsi, aujourd’hui, BMW, c’est aussi bien l’i3, qui vise clairement le futur, et la M2, qui est un clin d’oeil phénoménalement séduisant vers le passé, et cette habitude pas très raisonnable de mettre sur la route des modèles tout petits, à la présentation suffisamment tapageuse pour qu’on devine que, sous le capot, on a planqué une armada généralement réservée à des équipages plus gros, et nettement plus lourds. La raison, et la passion unies sous une seule et même hélice. Mais l’évidence, c’est que les territoires sur lesquels la M2 peut évoluer librement sont en voie de disparition et les énergies qu’elle consomme se raréfient. En revanche, les perspectives s’ouvrent, peut-être sur les trajectoires de l’i3, de l’i8 et de toutes celles qui seront, sans doute, les héritières. Ce n’est pas une certitude, car les nouvelles énergies ne sont pas dénuées de risques, et elles ont un coût. Mais s’il doit y avoir une voie vers l’avenir, c’est peut-être celle-ci. Mais alors, comment communiquer encore sur les modèles qui appartiennent en réalité à un ancien monde ? BMW a depuis longtemps trouvé la solution : en leur ouvrant, dans l’imaginaire, les espaces qui, dans la réalité, leurs seront de plus en plus fermés. Et depuis la sortie des épisodes du projet The Hire, on a su, à Munich, créer des espaces, comme des réserves naturelles, dans lesquelles on pourrait voir ces bêtes rares et racées évoluer en pleine liberté, aptes à déployer tout leur potentiel, sans conséquences. Et là où certains concurrents trouveront dans la compétition un territoire dans lequel ils pourront montrer de quoi ils sont capables, BMW a aussi pensé que les modèles réels, ceux qu’on peut acheter en concession, ont désormais besoin qu’on leur ouvre les circuits de l’imagination pour pouvoir trouver un espace qui soit à la mesure de leur démesure. 

Anywhere, out of the world

C’est dans cette stratégie de communication qu’il faut comprendre la nouvelle initiative de la marque, qui consiste à mettre en scène ses modèles les plus performants, ceux qu’une armée d’ingénieurs crée spécifiquement pour le plaisir de faire parler la poudre mécanique, dans un univers qui leur soit spécifiquement dédié. M-Town est une ville qui n’existe pas. Elle ressemble un peu à ces villes qu’on peut parcourir, sans limites, dans les jeux vidéo dédiés au plaisir de rouler dans des espaces théoriquement partagés avec les autres. Mais à la différence de ces espaces numériques, M-Town est filmée, et non générée par les calculs de processeurs. Disons-le aussi simplement qu’il est possible de le dire : les modèles qui évoluent dans cette ville existent vraiment, leur image est captée par une caméra, et restituée pour notre regard. Evidemment, M-Town n’existe pas, elle n’est pas localisable, mais elle est tout de même matérialisée par l’image, et il est assez intéressant que l’élément qui atteste de la présence physique de ce dont on a l’image, ce sont précisément les voitures, dont tout amateur sait qu’elles ne sont  pas imaginaires, qu’on peut les croiser parfois, un jour de chance, généralement conduites de façon beaucoup, beaucoup plus sages que ce que ces courtes séquences présentant M-Town donnent à voir. 

Parce qu’à M-Town, les limites auxquelles nous sommes accoutumés n’ont pas cours. Et à vrai dire, en ce qui concerne le plaisir automobile, il n’y a tout simplement pas de limites. On ne vas dévoiler les multiples petits éléments de mise en scène qui font que, dans ces films, on comprend tout de suite que, ces règles auxquelles nous nous plions au volant, à M-Town, on peut s’en affranchir. Le slogan, « Where TOO MUCH is just right » indique assez clairement quelle est la loi de ce nouvel Ouest : l’excès. Ou ce que les grecs auraient appelé, l’hybris, la démesure. Parce que c’est bien de ça qu’il s’agit. Mais à partir du moment où la marque installe cet excès sur un territoire utopique, elle dit clairement qu’elle a compris que ce rapport à la bagnole relève du désir, c’est à dire d’un élan qui ne trouvera pas, dans la réalité, de satisfaction. Parce que l’excès est au monde ce que l’abcès est au corps, quelque chose qui peut s’y développer, certes, mais qui met en péril  ce au sein de quoi il progresse, tuant ce qui le fait vivre en s’en nourrissant, sciant la branche sur laquelle il s’est assis. Et l’avantage que BMW peut tirer de la création de cet univers parallèle, c’est qu’on peut y placer ces modèles réels, et qu’il est possible de les  laisser aller, eux et leurs conducteurs, sans limite et pour autant sans excès, puisque rien n’y a de conséquences. 

Passées les bornes, il n’y a plus de limites

Ce qui est malin dans cette communication, c’est que tout en surfant sur une image assez classique de la passion automobile, ces tout petits films trahissent tout de même quelques uns des clichés souvent associés à ce genre de goûts. Le fait que ce soit une femme qui, au volant de sa M5 Compétition, se rende à toute berzingue vers les postes frontières de la ville, faisant sa maligne devant les radars pour avoir un beau sourire au moment de se faire flasher, laissant une belle trace de pneus au péage au moment de repartir, joue beaucoup dans la distance que BMW entretient entre sa proposition et le regard classique, et machiste, qu’on porte sur la passion automobile. Elle soigne son apparence, elle sait comment faire pour attirer les regards, elle est au bord de l’insolence tout en restant dans la maîtrise. Bref, elle a tout de la voiture qu’elle conduit. Elle en est l’incarnation. 

Féminine, aussi, la série 8 qui s’offre aux regards des hommes, dévoilant langoureusement ses entrailles mécaniques dans un spectacle de peep-show qui relègue les mecs au rang peu reluisant de voyeurs un peu minables. M-Town est sans limites, alors la réalisation elle aussi peut se débraguetter, et proposer des images qu’on éviterait en temps normal, comme le dévoilement du pot d’échappement, au moment où le spectateur, de son côté, n’en peut plus d’être à ce point aguiché. Les mecs échangent, complices, à propos de leur pulsion scopique, dans les couloirs de ce club pour hommes, ils commentent la qualité du spectacle, mais dans le fond, ils ne sont maîtres de rien du tout. Ici, ce sont les bagnoles qui mènent les hommes par le bout du nez.

De façon générale, tout comme Liberty Valance prétend incarner la loi de l’Ouest, comme Negan prétend incarner la loi du nouveau monde, à M-Town ce sont les modèles badgés Motorsport qui font la loi. Autant dire que la notion de limite de vitesse y a été créée pour être dépassée, que les taxis sont évalués moins sur la mise à disposition de pastilles mentholées et bouteilles de Volvic que sur l’aptitude du chauffeur à enchaîner les donuts avant la dépose du client, et que ce sont les trains qui doivent s’arrêter au passage à niveau pour laisser passer les voitures. Le monde à l’envers, selon les humains. Le monde à l’endroit, selon les bagnoles. Evidemment, si on commence à se demander de quelle nature est un tel monde, comment on peut le définir politiquement, on doit reconnaître qu’on est un tout petit peu éloigné de ce qu’on appelle une République. Un peu à la manière dont Truman show mettait en scène une ville entièrement conçue pour le plaisir de quelques uns, au service duquel tous les autres devaient se mettre, M-Town est une ville qui ne pourrait pas fonctionner sur la seule bonne volonté de ses citoyens, parce que leur seule volonté coïncide avec leur plaisir premier. Au mieux dès lors, ce serait un parc d’attraction. Au pire une cité despotique. Dans un cas, elle a besoin d’employés issus d’une classe sociale inférieure, dans l’autre, d’esclaves. Les petits panneaux qui, aux abords de la ville, annoncent « Property of M-Town authority » disent clairement les choses : ici, il n’y a pas d’espace public, la ville est une grande co-propriété. Le même panneau en tire les conséquences : « Enter at your own risk ». Ici, il n’y a pas de protection publique. C’est le Far-west avant que le premier shérif ait été désigné, avant les lois, avant le droit, le monde tel que l’envisage un adolescent qui fait des allées et venues sur le trottoir au guidon d’une moto qui n’est pas la sienne, en roue arrière. 

Et je s’M, sur la planète

Mine de rien, ces petits spots publicitaires, qui sont sans doute totalement hors des clous de ce que le CSA peut accepter en matière de message promotionnel, sont porteurs d’une prémonition : il y a des types d’automobiles qui auront de moins en moins leur place dans le monde réel. Il sera de plus en plus nécessaire, dès lors, de leur trouver de nouvelles scènes, afin de les montrer, et qu’elles s’expriment. Les univers numériques seront sans doute une voie permettant à ces espèces d’objets de survivre à la disparition de leur environnement naturel. Mais il y manquerait alors la matière, et les limites que lui imposent les lois de la physique, avec lesquelles les voitures aiment tant jouer. L’autre piste consistera à fabriquer ces voitures, sans pour autant les envoyer sur les routes, simplement pour permettre d’en saisir le mouvement dans des lieux qui, le temps d’une prise de vue, accepteront de se prendre à ce jeu. Après tout, c’est aujourd’hui la meilleure raison qu’on puisse trouver de regarder Fast and Furious : retrouver, filmés correctement, des modèles que nous ne connaissions qu’à travers des vues statiques, des images d’archives, enfin saisis dans leur mouvement propre, animés de ce qui fait leur essence : la force cinétique. Evidemment, regarder des fictions dans lesquelles une série 6 des années 80 se frotte à une série 7 contemporaine ne pourra jamais offrir les sensations qu’on éprouve quand on pose ses fesses dans le fauteuil d’un de ces modèles, qu’on le démarre et qu’il se met en mouvement. Mais l’image en mouvement a le pouvoir de nous le faire imaginer. Il y a sans doute là quelque chose de frustrant. Mais après tout, on va le rappeler : pour la majorité des êtres humains, de toute façon, leur seul rapport à ce genre d’engin, par nature réservé à une minorité avantagée, demeurera imaginaire. Ils connaissent ces sensations par l’intermédiaire du récit de ceux qui en témoignent. Paradoxalement, ces nouvelles villes privées, tant que leur accès imaginaire ne sera pas réservé qu’à quelques uns, démocratiseront des expériences qui, elles, relevaient de l’exclusivité, sans pour autant en priver tout le monde. 

Un jour, peut-être, chaque marque proposera à son tour des espaces nouveaux, dans lesquels les modèles qu’elle aurait pu construire, mais qui seront désormais impossibles, ou interdits. C’est ainsi qu’elles entretiendront la mémoire d’automobiles et des usages de celles-ci qui auront fait leur identité, et dont elles devront cependant s’éloigner. On peut imaginer qu’à terme, ces espaces communiqueront, se visiteront les uns les autres, rivaliseront de crédibilité physique, comme aujourd’hui les auteurs de hard-science veillent à ne pas proposer des récits qui relèveraient de l’impossible. Parallèlement, les nouvelles automobiles, et leurs nouveaux usages écriront leur propre histoire, avec ses légendes, ses gloires et ses échecs. Nous autres, qui auront connu l’ancien monde, devrons entretenir cette culture, par d’autres moyens, en historiens et en conteurs. Pour le reste, il nous faudra sans doute tout réapprendre, nous adapter, et explorer ce qui, de toute façon, se présentera comme un nouveau territoire, et une vie que nous n’avions même pas imaginée.


Mais alors, M Town, c’est quoi ? 

Avant tout, c’est une plate-forme communautaire, qui a pour but de rassembler tous ceux qui, de près ou de loin, s’intéressent ou se passionnent pour ces modèles que le département Motorsport de BMW ensorcelle. On peut donc demander ses papiers pour devenir citoyens de cette ville un peu particulière. Si ça vous tente, voici le lien pour remplir les formalités : 

https://www.bmw-m.com/en/topics/only-in-mtown.html

Pour le reste, quelques images, et une dernière vidéo, pour la route : 

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