2016 aura permis la consécration d’un groupe qu’on sentait né sous une bonne bannière étoilée. Après quelques changements de line up, Night Beats renaissait de ses presque cendres pour livrer un album au titre prometteur : Who sold my generation. L’hommage aux Who n’est même pas crypté, mais les jeunes texans ne sont pas du genre à se contenter de reprendre un flambeau sur lequel le temps a soufflé un air un peu trop dépourvu d’oxygène. Ils ont leur propre atmosphère, mélange de vieilles références et de nouveaux horizons. Alors oui, le rock pratiqué par Night Beats peut sembler parfois un peu classique, mais c’est parce qu’il est joué sur les instruments traditionnels des groupes de rock réunissant un chanteur, une gratte, une basse, une batterie. Pour le reste, on est un cran au dessus de la moyenne du genre, parce que la bande de hargneux est consciente, politique, elle ne s’en laisse pas conter. Le propos, comme le son, est rêche, direct, brut de décoffrage et subtil à la fois, construit et libre en même temps.
Et les bagnoles dans tout ça ? Ben la pochette parle d’elle-même, toute en rigoureuse déglingue. La Buick GSX, reconnaissable à sa vitre arrière à la forme singulière (et parfaite, dessin libre et néanmoins exactement tel qu’il doit être, ce qui constitue précisément la définition du génie) est superbe dans son jus noir mat, poussière et patine, on dirait qu’elle a aligné les miles derrière un Peterbilt qui aurait vomi sur sa carrosserie toutes les suies noirâtres du monde. A l’intérieur, coude à la portière, les gus de Night Beats, l’air exactement comme il faut pour être assortis à leur muscle car. L’image est parfaite, la place du mort est libre, on n’a plus qu’à y poser les fesses, et à se laisser conduire en direction d’on sait trop où, quelque part vers le Sweet Home Alabama, par exemple, et sans doute au-delà.
Cette Buick, on la croise aussi furtivement dans le clip de No Cops, qui met en scène un flic tel que les Etats-Unis savent en générer, totalement imbibé de ce contre quoi il est censé lutter, circulant en roue libre au volant de sa Ford Crown, ivre de lui-même. Il y a là, concentrée, toute l’essence de Night Beats, et la rencontre en travelling et panotage entre cette Ford méticuleusement entretenue, aux mains d’un cinglé, et cette Buick comme passée à la sableuse des quatre décennies qu’elle a traversée, c’est comme une inversion des valeurs. Dans une Amérique qui n’aura jamais autant lu 1984 que depuis qu’elle a élu une sorte de développement exponentiel du bad cop de ce clip, le bien, c’est le mal; dès lors, ce qui a tout l’air d’être l’image du mal court un risque non négligeable de devoir incarner le bien. Si l’automobile prend pleinement part à ce que nous appelons « culture », c’est aussi par sa capacité à incarner ce genre de basculement moral.